La mort du Terre-neuve, par Alain Gagnon…

4 juin 2017

(Je me dois de replacer ces lignes en contexte.  Deux amies louaient un appartement dans un lieu féérique : Treasure Island, près de Kingston.  Les propriétaires possédaient un chien Terre-neuve, Axell, que tous affectionnaient.  Un jour j’ai appris qu’il allait mourir.  Et voilà…)

Zoosophie — Le vieux chien va mourir.  Dernier printemps dans le soleil.  Son maître l’a dit : le vieux chien va mourir.  Va-t-on conserver sa peau chat qui louche maykan alain gagnon francophonie?  La tanner et la suspendre au mur ?  Entre les photos d’ancêtres et les trophées ?

Le vieux chien va mourir.  Son maître l’a dit : le vieux Terre-neuve ne fera plus la joie des enfants.

On l’enterrera sous un chêne, tout près du quai où il aimait dormir au soleil.  En avril prochain, qui sait ?  les crocus seront peut-être plus beaux ?  les jonquilles plus éblouissantes ?

Le vieux chien va mourir, et il sera digéré.  Il ne restera rien de lui.  Désintégrés sa chair, ses nerfs et ses os.  Sa forme s’envolera vers le monde des archétypes et la nature récupérera son dû par apparente anarchie.  Fini l’agglomérat Axell !  Les matériaux démantelés serviront à d’autres constructions.  Accourent déjà les modèles et les formes : Axell sera pissenlits, herbe tendre, lièvres, crustacés…

Mais où ira le regard du vieux chien ?  Où iront notre amour pour lui et son affection ?  Lui qui plongeait son museau humide sous nos gorges.

Le vieux Terre-neuve va mourir.  Son maître l’a dit.  Par mouvement inverse de naissance.  Mais d’où provenaient son affection et ce regard qui savourait le monde ?


Grenouilles et roi, par Alain Gagnon…

23 mai 2017

(Le Chat a butiné, ici et là, et a amassé des fragments de tout genre qui consolent, éclairent le quotidien ou incitent à la réflexion.  En nos temps qui réclament pour les États plus de pouvoir, cette fable lui est apparue opportune.)

Les Grenouilles qui demandent un roi

Les grenouilles se lassantchat qui louche maykan alain gagnon francophonie
De l’état démocratique, 
Par leurs clameurs firent tant 
Que Jupin (1) les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique: 
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse, 
Gent fort sotte et fort peureuse, 
S’alla cacher sous les eaux, 
Dans les joncs, les roseaux, 
Dans les trous du marécage, 
Sans oser de longtemps regarder au visage 
Celui qu’elles croyaient être un géant nouveau. 
Or c’était un soliveau, 
De qui la gravité fit peur à la première 
Qui, de le voir s’aventurant, 
Osa bien quitter sa tanière. 
Elle approcha, mais en tremblant; 
Une autre la suivit, une autre en fit autant: 
Il en vint une fourmilière; 
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu’à sauter sur l’épaule du roi.
Le bon sire le souffre et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue:
«Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue.» 
Le monarque des dieux leur envoie une grue,
Qui les croque, qui les tue, 
Qui les gobe à son plaisir; 
Et grenouilles de se plaindre. 
Et Jupin de leur dire:« Eh quoi? votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre? 
Vous avez dû premièrement
Garder votre gouvernement;
Mais, ne l’ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier roi fut débonnaire et doux
De celui-ci contentez-vous, 
De peur d’en rencontrer un pire.»

1. Jupiter.

Jean de La Fontaine, Fables


Esthétique, forme et géographie humaine… par Alain Gagnon

20 mai 2017

Abécédaire sur Alice et quelques autres objets du devenir…

Esthétique — Je me suis promené dans des lieux de nulle part, et j’en suis revenu par le souvenir antérieur.  Se souvenir au-delà du souvenir, et en ramener des chat qui louche maykan alain gagnon francophoniematériaux utiles à l’édification de l’homme-dieu et de la femme-dieu.

Forme — La forme posée comme exigence première, quoique non suffisante, à l’artiste.  Par ses contraintes mêmes, la forme favorise le déploiement, l’épanouissement de l’expression.  Sans balises, tout discours demeure matière inerte, non dynamisée, sans potentiel de durée.

Géographie — La géographie humaine : cette insertion du sens dans l’espace.   Les valeurs s’inscrivent plus vigoureusement que les collines et les ruisseaux dans le paysage.  Elles parlent plus fort.  Un exemple : ce rang québécois qui aligne des lots longs et étriqués, les uns à côté des autres.  Souci de protection mutuelle, de solidarité que reflète l’organisation territoriale des seigneuries du Régime français.  On craignait l’Iroquois, l’incendie, la maladie…  Nécessité de proximité pour l’entraide.

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L’histoire des filles, une nouvelle de Richard Desgagné…  

19 mai 2017

L’histoire des filles

Tu peux pas dire que t’es heureuse quand t’arrêtes pas de pleurer comme unechat qui louche maykan alain gagnon francophonie Madeleine, sans cesse en essuyant tes larmes. Ça suffit, tu te prends en main, tu vas le voir directement, en pleine lumière. Peut-être qu’il te contera des bêtises mais tu sauras à quoi t’en tenir. Célimène, ma pauvre fille ! Tu me fiches la paix si je sais pas me conduire dans la vie. Quelle idée de m’engueuler comme du poisson pourri et de m’envoyer promener. La question n’est pas là. Ma réponse, tu veux dire ! Colette aimerait bien prendre un verre et se l’enfiler d’un coup dans le gorgoton et remettre, une fois de plus, Célimène à sa place. Pas de sa faute si elle est amoureuse d’un fou qui se pavane en faisant son numéro de coq. Il fait pas grand mal à personne au fond, il est beau, ça c’est vrai, riche à n’en plus finir et puis il a déjà couché avec nous toutes : Colette, Célimène, Claudine, Chantale, Céline.

Il était dans son bar, prenait sa coca, buvait ses rhums fins, conduisait sa voiture sport longue et basse. C’est pas une raison pour piquer les nerfs chaque fois qu’il oublie d’appeler ou qu’il se déniche une poupée dans un restaurant à la mode. Rien ne changera. Moi, j’ai tenu bon pendant deux ans à me pomponner, à l’accompagner sans trop parler, à le sucer quand il en avait besoin avant de s’élancer sur le chemin des combats de nuit. Je lui ai jamais fait la cuisine, j’ai jamais lavé ses vêtements, pas folle, c’était clair dès le début, et il avait pas rouspété.

Célimène a été son esclave. Elle a tout accepté, son jeu à elle pour le garder. Ç’a pas marché pour autant. Il a trouvé Claudine, il est resté avec Claudine. Alors elle pleure sans arrêt. Je peux plus l’entendre, elle me donne des nostalgies, je mets la musique plus fort, je chante, je ferme la porte de ma chambre, je mets des ouates dans mes oreilles et je dors quelques heures. Pourquoi je l’imagine en train de se suicider ? J’ai pas à m’occuper de ses états d’âme. C’est permis de rêver.

Célimène, ce soir, on ira au Baalbek, on dansera, on achètera de la coca, plein le nez, ce sera la joie. Elle me regarde comme si j’avais dit une insignifiance, arrête de me regarder, t’es pas morte, y a d’autres hommes, plein d’autres hommes qui n’attendent que ça : te faire jouir ! Elle apprécie quand je parle ainsi, une façon de la sortir d’elle-même. Moi, je me rappelle ce passé et j’ai pas un pli sur la peau. Chacun son tour, après tout. Moi, j’attends pas après les désirs des autres, je prends ma part, je cueille le fruit, je choisis, je cherche, dans l’ordre que vous voulez. Quand je suis au Baalbek, j’ai les yeux ouverts, je souris, j’aime sourire, je suis belle, je danse toute seule si c’est nécessaire, je m’arrange. Je suis pas si pressée d’avoir un ami qui m’attend à la table parce qu’il aime pas danser de peur de casser sa chevelure ou du ridicule. C’est pas si important d’avoir l’air. Après tout, on est pas grand-chose. Des corps, rien que des corps et des caprices, des envies.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieChère Célimène, tu t’habilles en jeans avec une chemise de toile, en robe de soie, quelle importance ? Elle se maquille, elle se regarde dans le miroir en faisant des moues, les lèvres brunes et brillantes, mouillées, elle joue avec ses cheveux roux, elle sourit enfin, elle oublie de pleurer, elle sera heureuse ce soir. C’est petit, des fois, le bonheur et ça tourne jamais rond, y a toujours des secrets qui ressortent quand on s’y attend pas. Moi, j’essaie de pas voir, d’oublier les choses pas jolies, on vit pas quand on les garde en dedans, on se souvient, on vit pas, je veux vivre vieille, entière et secrète.

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieRichard Desgagné est écrivain et comédien depuis plus de trente ans. Il a interprété des personnages de Molière, Ionesco, Dubé, Chaurette, Vian, Shakespeare, Pinter, etc., pour différentes troupes (Les Têtes heureuses, La Rubrique) et a participé à des tournages de publicités, de vidéos d’entreprise et de films ; il a été également lecteur, scénariste et auteur pour Télé-Québec (Les Pays du Québec) et Radio-Canada (émissions dramatiques).  Jouer est pour lui une passion, que ce soit sur scène, devant une caméra ou un micro.  Il a écrit une trentaine de pièces de théâtre, quatre recueils de nouvelles, quatre de poésie, deux romans, une soixantaine de chroniques dans Lubie, défunt mensuel culturel du Saguenay-Lac-Saint-Jean.  En 1994, il a remporté le premier prix du concours La Plume saguenéenne et, en 1998, les deux premiers prix du concours  de La Bonante de l’UQAC. Il a publié, pendant cinq ans, des textes dans le collectif Un Lac, un Fjord de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES). Il est membre du Centre des auteurs dramatiques. Il a été boursier du ministère de la Culture du Québec et de la fondation TIMI.  Pour des raisons qui vous convaincront, tout comme elles m’ont convaincu, je tiens à partager avec vous cette nouvelle qu’il a la gentillesse de nous offrir.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/ )


La magie des mots, par Francesca Tremblay…

17 mai 2017

 Lune Bleue

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieLes branches des arbres ballottées par le vent se débarrassaient de leur plumage aux couleurs de l’automne. Il neigeait des feuilles mortes sur tous les sentiers, souches et rochers de cette ancienne forêt. Une courtepointe embrasée réchaufferait leurs racines avant que la blanche cape de l’hiver ne les ait recouvertes en entier.

J’avais suivi le même sentier qui cheminait dans la sombre forêt sauvage, cette nuit où j’avais croisé ta route la première fois. Lorsque j’avais aperçu la bête, mon cœur, ce petit oiseau, avait sursauté dans sa cage. Te revoir était mon souhait. Une demande toute spéciale faite aux étoiles qui, ce soir-là, scintillaient dans le noir rideau de la nuit. C’était un soir de lune bleue, et le bruit mouillé des feuilles étouffait mes pas incertains. Je guettais donc chaque ombre, chaque arbre pour voir si tu en resurgirais, le cœur un peu affolé au moindre croassement rauque des corneilles absentes. Et tu me surpris encore. Belle louve noire aux crocs d’ivoires. Pattes de velours dont la silhouette se dessinait au détour du chemin.

Tu avais flairé mes fragrances au-delà des parfums de la ville. J’étais la proie. Fascinée par ce regard bleu acier, sans pitié. Un long hurlement déchira les ténèbres qui nous entouraient et je fus inquiète. Inquiète de tomber dans ta gueule affamée. Tes yeux comme des lunes voilées de brume, j’étais là, à t’aimer, puis à espérer que nous serions un jour réunies. J’étais envoûtée par ce que j’avais vu, cette nuit-là, près de la rivière.

Qu’attendais-tu de moi ? Qu’à mon tour je me fasse louve ? Que je sois comme ceux avec qui dans les bois tu courais ? J’étais celle qui t’enlèverait ta liberté. Savais-tu que j’étais celle qui te ferait mourir par sa magie ? Ton museau dans mon cou, un souffle chaud sur ma peau. Mes doigts palpaient ta fourrure luisante comme le jais. Ils glissaient et la pétrissaient.

Tu fis quelques pas en arrière et tu dissimulas l’animal en toi. Les griffes devinrent des ongles et la créature recouverte d’une noire fourrure devint alors le corps gracieux d’une femme svelte et grande. Se dissémina, dès lors, la partie de toi qui se nourrissait de chair et de sang. Ta peau basanée et tes yeux dangereux me firent tressaillir. Tu revins vers moi, si émue. Ta démarche souple et désinvolte faisait bondir tes seins nus. Ne pas soutenir ton regard était sacrilège. Un sourire en coin s’esquissa sur tes exquises lèvres. Tes longs cheveux aile de corbeau tombaient en cascade dans ton dos, caressant la chute de tes reins. Tu fonçais tête baissée vers ta mort. Une mort tremblante et terrifiée.

J’étais celle qui te ferait perdre ta magie, en avais-tu seulement conscience ? Le souvenir de l’eau caressant ton corps me fit oublier les mots.

Un doigt se déposa sur mes lèvres. « Embrasse-moi ». Je voulais que tu m’étreignes avec vigueur afin chat qui louche maykan alain gagnon francophonied’oublier qui j’étais.

Nous avions fait de la nuit un éternel rêve que l’on vit. Un amour que je chérissais avec avidité. Tant que tu étais à mes côtés, la vie avait un sens. Car dès la seconde où nos regards s’étaient croisés, je sentis qu’enfin, je pourrais aimer… de nouveau.

Ta bouche sur la mienne, mon cœur avait prié pour te garder. Qu’était-ce la fin du monde, quand notre amour commençait enfin ? Au contact de ton corps brûlant contre le mien, le temps s’était figé, ébahi de notre cran. Et l’aura bleue de cette lune fit poésie de cet instant.

Francesca Tremblay

NOTICE BIOGRAPHIQUE

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieEn 2012, Francesca Tremblay quittait son poste à la Police militaire pour se consacrer à temps plein à la création– poésie, littérature populaire et illustration de ses ouvrages.  Dans la même année, elle fonde Publications Saguenay et devient la présidente de ce service d’aide à l’autoédition, qui a comme mission de conseiller les gens qui désirent autopublier leur livre.  À ce titre, elle remporte le premier prix du concours québécois en Entrepreneuriat du Saguenay–Lac-Saint-Jean, volet Création d’entreprises.  Elle participe à des lectures publiques et anime des rencontres littéraires.

Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté.  Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre.  Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Les stances du colimaçon… par Sophie Torris…

14 mai 2017

Balbutiements chroniques

— ….. Ch@t !?
Et voilà que je vous apostrophe sans façon. Je voulais vous surprendre. Me guettiez-vous ? Nous avions rendez-vous. Nous sommeschat qui louche maykan alain gagnon francophonie jeudi. Étiez-vous à l’affût de mes balbutiements, le Ch@t ? M’attendiez-vous ?
Deux mois déjà que mon accent pointu vous ouvre ses guillemets. Deux mois que je pelotonne  mon début d’alphabet au sein de votre arobase littéraire. Puis-je croire, cher Ch@t, que vous m’espérez un peu pendant les parenthèses de silence qui séparent chacune de mes chroniques ? Puis-je penser qu’il vous arrive parfois, impatient, d’imaginer la courbe de mon alinéa avant qu’il ne s’offre à vous ? Enfin, vous, le Ch@t, qui louchez sur mes trémas, ne pensez-vous pas que le plaisir tient pour beaucoup du désir ? Faisons donc le point sur ces interrogations, voulez-vous ?
Georges Clémenceau a laissé à la postérité une célèbre maxime qui dit que le meilleur moment dans l’amour, c’est quand on monte l’escalier. Mais dites-moi, le Ch@t, qui sont ceux qui prennent encore le temps de penser libertinage dans un escalier quand un ascenseur en cage peut les propulser droit comme des « I » au septième étage ? Qui sont celles qui prennent encore plaisir à perdre leur souffle contre un garde-corps ? J’ai le regret de vous apprendre que de nos jours, les mains courantes laissent de bois. Et il est bien difficile de pallier ce manque d’enthousiasme. Car ce qui marche aujourd’hui, c’est l’escalator sans escales. Le plaisir immédiat sans l’attente. Bref, l’ère est à l’escalier roulant qui dicte la marche à suivre. Ou, pis encore, au confortable plaisir de plain pied. La perspective d’une mansarde sous les toits ne semble plus faire recette.
Serions-nous alors de la vieille école, vous, mon Ch@t, et moi ? À croire encore que le secret est dans la préparation de la sauce. Je suis résolument de ceux qui goûtent encore  chaque palier qui mène au plaisir, de volée en envolée de marches. Car qu’on les monte quatre à quatre ou que l’on colimaçe exagérément, c’est toujours le cœur qui cogne à la porte du septième, non ?
Bon. Évidemment, on prend des risques. Car à étirer le temps du désir, on l’accroit.  La garçonnière tout là-haut n’est pas toujours la chambre de bonne qu’on croit. Et là, on se retrouve bien malgré nous devant cette constatation paradoxale : l’anticipation du plaisir peut parfois conduire à gâcher le plaisir. Permettez que je vous explique, cher Ch@t. Anticiper, ici, dans ces escaliers, c’est éprouver, l’espoir et le doute en cédilles, une certaine excitation due à l’attente. Or, si votre imagination est correctement stimulée, et j’imagine qu’elle l’est, l’attente d’un petit bonheur hypothétique peut être tout à fait jubilatoire, votre jouissance atteignant son comble en même temps que le pas-de-porte convoité.
Mais… il y a un mais. Car qui vous dit que cette extase achetée à crédit respectera vos engagements. Il se peut que la porte passée, la réalité ne soit pas à la hauteur du palier et que vous dévaliez l’escalier marche arrière, en traînant avec vous une malencontreuse dette de plaisir. La chute dans l’escalier peut alors être raide et la marche funèbre.
Pour éviter cette possible déconfiture, certains ont décidé de ne plus jamais clore la marche et en disciples d’Esher empruntent ses escaliers illusoires dans l’optique d’un plaisir infini. Mais jamais consommé. Du plaisir sans trait d’union. Je vous avoue, cher Ch@t, que cela me laisse circonflexe.
chat qui louche maykan alain gagnon francophonieLe plaisir peut-il n’être qu’un état d’esprit ? Le fait d’anticiper le bonheur peut-il nous y conditionner ? Je pense ici à tous ceux qui vivent leur 31 décembre comme une obligation d’être heureux. L’idée préconçue ne peut être déçue, ne doit être déçue. Et chose amusante, il arrive que nous soyons inconscients de nos propres leurres. Dans le même ordre d’idées, ne vous est-il jamais arrivé, le Ch@t, de revisiter en souvenir vos mansardes ? On emprunte alors d’étonnants petits escaliers de service qui nous ramènent bien plus tard à ce même septième étage. Là, avec le temps, la minuscule mansarde inodore et sans saveur s’est cristallisée toute en majuscules.
Alors où se trouve la solution ? Ne pas chercher à savoir ce qu’il y a en haut de l’escalier peut-être. Être heureux en se contentant de peu. Mais il faut être sacrément sage pour savoir rester sur le perron. Est-il possible alors de monter les marches quand même, mais sans but prédéterminé ? On éviterait ainsi les déceptions. Parfois, il n’y aurait rien là haut et puis de temps en temps, on se laisserait délicieusement surprendre par l’imprévu. Un p’tit plaisir spontané qui passerait par là, par hasard. Mais ça, c’est apprendre à vivre sans désir. Et à moins d’être Ronsard…
Cher Ch@t, je vous sais sage. Mais je vous en prie, si vous voulez voir des astérisques, ne vous contentez pas de mes incipits, ni ne courez au point final. C’est dans l’anticipation de chaque virgule que se trouve le plaisir de ma lecture.
Sophie

Notice biographique
Sophie Torris est d’origine française, québécoise d’adoption depuis 15 ans. Elle vit à Chicoutimi où elle enseigne le théâtre dans les écoles primaires et l’enseignement des Arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire. Parallèlement à ses recherches doctorales sur l’écriture épistolaire, elle entretient avec l’auteur Jean-François Caron une correspondance sur le blogue In absentia à l’adresse : http://lescorrespondants.wordpress.com/.


Robinson Crusoé : Abécédaire, par Alain Gagnon…

10 mai 2017

Abécédaire sur Alice et quelques autres objets du devenir…

RobinsonRobinson Crusoé : publié en 1711, et encore si actuel.  Robinson a survécu à la tempête et à tous ses compagnons.  Il regarde l’épave de son navire et ilchat qui louche maykan alain gagnon francophonie se fait la réflexion suivante : « Pas le temps de rester les bras croisés ».  Il lui fallait se mettre au travail.  Obsession de survivre, malgré l’espoir très incertain d’apercevoir un jour une voile à l’horizon.

Autre fait digne d’intérêt : il est le troisième des fils et il porte comme prénom le nom de famille de sa mère, Robinson.  Il est donc, par génétique et par dossier d’état civil, plus de sa mère qu’on le serait habituellement ?  Mariage, à l’intérieur du même être et dans cette vie, de l’anima et de l’animus jungiens ?  Du féminin et du masculin ?  Du yin et du yang ?  Defoe a-t-il opté consciemment pour ces noms juxtaposés qui nous ramènent aux noces alchimiques du Soleil et de la Lune ?  En plus de ses nombreux et admirables romans, Defoe rédigeait des pamphlets politiques qui lui valurent des inimitiés féroces – son poste de secrétaire de Guillaume III ne l’en protégeait pas.  Il était aussi armateur et tuileur.  Aurait-il appartenu à quelque confrérie initiatique ?  De là l’explication du nom androgyne de son héros ?  Ou était-ce la coutume en Angleterre, à l’époque, d’utiliser le nom de famille de la mère comme prénom d’un des fils ?  Mais pourquoi, alors, ne pas l’avoir fait pour l’un des deux premiers ?

chat qui louche maykan alain gagnon francophonie Toute sa littérature, toute son industrieuse activité et l’intimité du prince n’empêcheront pas Defoe de mourir dans la dèche.  Après nous avoir laissé, toutefois, un personnage que même les plus incultes reconnaissent.

Si on lit attentivement   – ce qui n’est pas facile dans un roman si bien structuré, qui emporte –   on note que Robinson est particulièrement bien adapté à la vie en société.  Il n’y a que la Nature, sous sa forme aqueuse, qui lui cause des soucis, et encore.  À Hull, après sa fuite de York et du toit paternel, il rencontre un capitaine qui se prend d’amitié pour lui et l’initie au négoce.  Puis, ce sera un corsaire turc, dont il est à la fois l’esclave et l’ami.  Puis, le Brésil, où, malgré l’exiguïté de sa plantation, il réussit et conquiert l’amitié et la confiance des autres planteurs.  On lui confiera l’achat de Nègres en contrebande – c’est d’ailleurs au cours de cette mission qu’une tempête l’échouera sur son île, quelque part entre le Venezuela et le Golfe du Mexique.  Robinson n’hésite pas à tuer, mais il ne le ferait pas inutilement.  Sa solidité psychique, sa résistance à des conditions plus que pénibles, son adaptabilité et cette confiance qu’il inspire spontanément à ses semblables, résulteraient-elles de cet équilibre du masculin et du féminin en lui ?  – équilibre dont son nom ne serait que l’expression sensible ?

Comment Defoe a-t-il vécu sa sexualité ?  Je l’ignore.  Quant à Robinson, il n’en manifeste tout simplement aucune.  Sauf sa chat qui louche maykan alain gagnon francophonie mère, aucune femme dans sa vie.  Ni aucun souvenir, ni aucun fantasme.  Annoncé du moins…  Lorsqu’il a fui les Maures, sur sa barque, il y avait un jeune garçon : Xuri.  J’ignore ce que signifie ce nom en langues ou dialectes arabiques.  Mais, par contre, je connais l’étymologie du mot vendredi.  En français, tous le savent, c’est le jour de Vénus.  En anglais, Friday signifie jour de Freyja, une divinité nordique, épouse du dieu Odin et déesse de l’amour, des voluptés de la chair.  Une Aphrodite ou une Vénus à fourrures et à rires de Viking.  Est-ce par simple coïncidence que Defoe a nommé le compagnon du naufragé solitaire Friday ?  Inconsciemment ou consciemment se laissait-il inspirer par ses propres fantasmes ?  Nous ne le saurons probablement jamais.

Mais retournons à l’Île…


Les couleurs de Virginie, par Virginie Tanguay…

8 mai 2017

    L’immensité du lac Saint-Jean

chat qui louche maykan alain gagnon francophonie

     Je marche lentement sur la grève, seule devant l’immensité du lac.  Le bleu de l’eau, réchauffé par la lumière du jour, me procure la détente.  Ici, c’est ma terre natale, et comme un enfant, je m’émerveille devant ce lac mystérieux.

      Avec mon père, je l’ai souvent survolé en hydravion.  Ses baies, ses îles, le dessin de son pourtour me sont familiers.  L’impressionnante Pointe-Taillon, à l’embouchure de la rivière Péribonka et le petit village éponyme.  J’ai bien contemplé ce paysage qui a vu naître, sous la plume de Louis Hémon, l’histoire de Maria Chapdelaine.  La nature omniprésente, les coutumes des gens d’ici et l’arôme du folklore ont permis à cet auteur de créer un chef-d’œuvre littéraire.

       Toujours sur les ailes de l’oiseau de toile, je distinguais la rivière Ashuapmushuan (nom montagnais signifiant « l’endroit où on guette l’orignal ») qui se déverse doucement près du village où j’ai grandi : Saint-Prime.  Je voyais l’étendue des terres agricoles, au loin, que bordait la forêt.  Des troupeaux de vaches laitières se déplaçaient dans les champs multicolores et les fermiers labouraient avec patience les sols, assis sur leur tracteur.

        Que dire des îles d’Alma qui se dessinaient à l’horizon, sous les feux d’un coucher de soleil !

         À ce jour, le bel oiseau ne vole plus dans les airs… mais vole encore dans mes souvenirs.

      « Lac Saint-Jean » est une aquarelle pleine de mouvements.  Elle contient peu d’éléments et les couleurs évoquent la douceur.  J’ai voulu reproduire l’émotion que je perçois quand je fais face à ce magnifique lac.  Les éléments se fondent les uns dans les autres et interagissent.  Le vent cisaille et un cumulus se forme, ce qui indique une température orageuse de fin d’après-midi.  Les vagues sont dignes des sautes d’humeur et de la fougue du plan d’eau, très souvent imprévisible.  Le mystère, le rêve et la liberté qu’évoque pour moi cette étendue ressortent de ce tableau vaporeux.  Plusieurs ont laissé leurs traces dans le sable chaud de cette plage et aiment y revenir…

    Virginie Tanguay

Notice biographique de Virginie Tanguay

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieVirginie Tanguay vit à Roberval, à proximité du lac Saint-Jean.  Elle peint depuis une vingtaine d’années.  Elle est près de la nature, de tout ce qui est vivant et elle est très à l’écoute de ses émotions qu’elle sait nous transmettre par les couleurs et les formes.  Elle a une prédilection pour l’aquarelle qui lui permet d’exprimer la douceur et la transparence, tout en demeurant énergique.  Rendre l’ambiance d’un lieu dans toute sa pureté est son objectif.  Ses œuvres laissent une grande place à la réflexion.  Les détails sont suggérés.  Son but est de faire rêver l’observateur, de le transporter dans un monde de vivacité et de fraîcheur, et elle l’atteint bien.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Réductionnisme et laïcisme, par Alain Gagnon…

7 mai 2017

Abécédaire sur Alice et quelques autres objets du devenir…

Réductionnisme — C’est un miroir brisé que la société présente au citoyen.  Un miroir qui le tronque ou, au mieux, le segmente : le refuse comme totalité.  Lachat qui louche maykan alain gagnon francophonie liberté de culte et la séparation des Églises et de l’État nous honorent.  (Et il nous faut aussi respecter ceux qui considèrent l’homme comme un agrégat temporaire et accidentel de conscience, de pulsions et de souvenirs.)  Je me hérisse toutefois, lorsque, sous prétexte de respect des libertés individuelles, on bâillonne tout le monde, on empêche chacun d’exprimer la dimension essentielle de son être.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieÀ titre d’exemple : cette école où une enseignante du primaire arrête un enfant qui s’apprête à raconter l’histoire des Rois Mages : ce récit pourrait heurter les sensibilités non chrétiennes de certains élèves.  (Et Les contes des mille et une nuits !)  Une histoire est une histoire ; et les enfants les apprécient.  Et s’ils sont d’une autre culture, ils l’apprécieront davantage car elle sera nouvelle pour eux.

Ces scrupules laïques cachent une haine : la haine de soi, la haine de toute transcendance, les cornes du réductionnisme niveleur.  La société plurielle, c’est tout le contraire du bâillonnement : l’acceptation des différences, non leur occultation.

Lorsque le credo réductionniste doit choisir entre plusieurs voies incertaines, entre plusieurs attitudes incertaines dans la conduite des affaires humaines, il choisit immanquablement le plus petit dénominateur commun pour délimiter son projet – ce qui accorde le moins d’envergure possible à la personne.

Tout cela donne une société très drabbe.

L’auteur…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon chat qui louche maykan alain gagnondu Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), ainsi que et Le bal des dieux et un essai Fantômes d’étoiles (Marcel Broquet).  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).


Rilke, Staline et la grive, par Alain Gagnon…

6 mai 2017

Dires et redires…

J’écoute les poèmes de Rilke mis en musique et je colle de très vieilles photos de famille dans un album neuf.  Je revois toute mon enfance en sépia chat qui louche maykan alain gagnon francophonieet noir et blanc.  Presque tous sont morts.  Je me fais penser à Staline, le petit père des peuples.  À la fin de sa vie, il découpait des photographies d’enfants dans les magazines et les collait un peu partout autour de sa chambre, au Kremlin.  Hobby de tyran.

J’écoute les vers de Rilke, mis sur une musique, et je me souviens de cette petite Allemande, Priscilla, qui m’a offert ce disque.  Que fait-elle maintenant ?  Dans combien d’années la vie aura-t-elle tué (ou accru ?) le meilleur en elle ?  Dans combien d’années la vie l’aura-t-elle réduite ?

(Le chien de Dieu)

*

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieEt voici que du mélèze hachuré, à flanc de colline, la grive à flancs olive m’interpelle : — Je suis une grive, tu sais ; je ne suis pas la grive mais bien cette grive-là, solitaire dans le fouillis de mon univers qui n’est pas le tien, là.  Mon chant t’ignore, sache-le.  Il est aubade d’amour, cri de guerre ou de ralliement à la nichée, là.  Tu marches, voyageur, et, dans ta mémoire, musée de peines et de pitiés obscures, tu transportes mes notes et les rejoues sans cesse.  Pourquoi ?  Jusqu’à quel soir devrai-je chanter pour t’apprendre enfin la vacuité de mon chant pour toi, là, et qu’au-delà de mes mélodies absentes, tu oses cueillir la musique vraie, celle de tout temps vibrante pour toi, et qu’au plus intime tes apitoiements écrasent, là ?

(L’espace de la musique)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Propos sur l’oubli de soi… Jésus et la pyramide de Maslow…

5 mai 2017

Extraits de Propos sur l’oubli de soi… 

Dans l’évangile de Mathieu, on trouve cette parabole que je résume à ma façon, en ignare de l’exégèse.

Les pharisiens tendent un piège à Jésus. Sous prétexte de le consulter, ils tentent de le compromettre.  D’abord ils le flattent : « Nous savons que tu enseignes la vérité… » Puis le dard empoisonné : « D’après toi, est-il permis, oui ou non, de payer le tribut à César ? »

Ces malins croient l’avoir coincé.  S’il répond : « Il faut payer l’impôt à l’empereur des gentils », tous les zélotes juifs vont l’accuser d’être un collabo.  S’il répond : « Ne payez pas l’impôt », ce sont les Romains et leurs amis du lieu qui lui tombent dessus.  Jésus réplique : « Montrez-moi la monnaie qui sert à payer l’impôt. »  On lui présente un denier.  Alors il demande : « C’est l’image de qui et le nom de qui que nous apercevons sur cette pièce ? »  « César Auguste ! » reprennent-ils en chœur.  « Alors rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »  Fin politique, Jésus.  Jésuite avant l’heure.

Cette parabole a beaucoup servi.  Aux monarques pour s’assurer le paiement des impôts, à départager les responsabilités lors des discussions sur les pouvoirs respectifs de l’Église et de l’État…  Ce fut donc une parabole utile.

Hors la sphère institutionnelle, cette parabole possède aussi une portée, un sens pour chaque individu.   Chacun est aussi complexe, composite qu’une organisation sociale.  Nous sommes légion.  On retrouve en soi plusieurs mondes, plusieurs ordres de choses.  Si nous nous référons à la pyramide d’Abraham Maslow[1], des besoins hiérarchisés s’expriment à divers paliers de notre être.

À la base de la personne, nous retrouvons les besoins primaires (1 et 2) : la faim, la soif, le besoin d’abri contre les intempéries, le sexe…  Une fois qu’un

chat qui louche maykan alain gagnon francophonie

Pyramide de Maslow

humain a comblé ses besoins de se nourrir, même avec gourmandise, il ne peut manger à l’infini.  Une fois qu’il possède trois résidences, sera-t-il plus à l’abri s’il possède cent châteaux ?  Sur le plan sexuel, les limites à la consommation sont notoires et font la fortune des pharmaceutiques et des Sex Shops.

Au deuxième palier, réclament les besoins sociaux (3 et 4).  Besoins d’être accepté par les autres, d’être reconnu comme personne distincte, et de se reconnaître comme apportant à sa communauté une contribution propre.  À ce stade, le qualitatif domine.  La satisfaction de ces besoins exige le développement d’aptitudes interrelationnelles, un apprentissage de soi et des autres, une reconnaissance de l’autre comme différent de soi.

Puis, on en arrive au faîte de la pyramide.  Le besoin d’autoréalisation (5).  L’auto-accomplissement par l’identification à une tâche ou  à une cause qui nous dépasse.  Ici, nous entrons dans un ordre purement qualitatif, celui du sens, des valeurs, des significations, des idéologies, de l’idéal, de l’esthétique, de la recherche du Beau, du Vrai, du Bien, de l’Absolu.  C’est à l’intérieur de ce territoire intérieur que l’humain avoisine l’élément divin qui l’habite et qui s’exprime par l’intuition supérieure, chère à Aurobindo.

La majorité des hommes et femmes se confinent aux besoins primaires et aux plus immédiats des besoins sociaux.  Et notre civilisation conspire à cela.  Les citoyens comme producteurs et consommateurs lui suffisent.  Les chevaliers de l’Absolu ou du qualitatif dérangent les machines, de là l’oubli institutionnel de ce qui fait que l’humain transcende de beaucoup le monde physique et social dans lequel il évolue.

Si nous revenons à la parabole plus haut citée, rendre à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu, consisterait pour chacun à prendre conscience des devoirs que chaque partie de son être ordonne, à n’en négliger aucun.


[1] Je fais ici une interprétation – pour ne pas écrire utilisation – très personnelle de la pensée de Maslow.


Divaguer sur le crépuscule, par Clémence Tombereau…

4 mai 2017

Chronique de Milan

  Il ne viendra plus.  Il viendra forcément.  En retard.  Un problème.  Des problèmes.  Des contretemps.  Des accidents.  Ton cœur bondit.

Il a oublié.  Il va venir.  Il ne peut pas oublier.  Il met du temps à se préparer pour toi.  Vendredi.  Les embouteillages de la ville.  On ne sait pas.  chat qui louche maykan alain gagnon francophonieOn ne sait pas tout ce qui peut se passer.  On imagine.  Le pire et le meilleur.  Il achète des fleurs.  Non, tu détestes ça.  Il te fait patienter.  Il te fait marcher.  Il veut vérifier si, vraiment, tu ne l’attends pas.  Il joue.  C’est une histoire normale et, dans les histoires normales, on joue, tu le sais.  Alors tu continues.  Ta vie comme sans lui.  Ta soirée trop normale.

Tu as la lumière.  Tu as tes lunettes.  Tu as ton livre.  Pourtant tu ne lis que des souvenirs à la place des lignes noires.  Lui évidemment.  Sa peau.  La tienne.  Le reste.  Les étreintes torrides qui épuisent vos sens.  Ce n’est que ça : du torride.

Une histoire normale.  Tu te concentres.  Deux mots.  Une phrase.  Et tu bifurques.  Ta mémoire se plait à se vautrer dans des scènes lascives aux allures de fantasmes.  Te vautrer.  Avec lui.  Avec son fantôme en attendant.  En italien, fantôme se dit « fantasma ».  Les deux mots sont pour l’heure si proches qu’ils sont synonymes.  Car c’est bien son fantôme qui rôde dans ta tête, que tu crois voir passer, là, par la vitre pas nette.  C’est bien son fantôme qui a laissé des traces sur ton cœur comme sur un lit.  Son corps emboité dans la matière.  Son empreinte sur les draps, au matin.  Fantasme.  Fantasma.  Les termes se mélangent alors que, sur les feuilles que tu tournes, les mots n’existent plus ; ils ont fui dans le réel à l’insipide odeur.  Toi, tu es dans le rêve.  « On est dans un rêve. » Tu ne sais plus.  Tu ne sais plus qui, de lui ou de toi, a prononcé ces mots.  Sa bouche ou la tienne.  Ou l’une sur l’autre.  Ou l’une dans l’autre.  Votre bouche unique scellée par le désir.  Votre bouche incendie qui embrase le monde.

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieClémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments, et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai(Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


La voix de l’ange, une nouvelle de Richard Desgagné…

3 mai 2017

La voix de l’ange

La mère à son fils

            Cher petit oiseau de mon cœur, disparu au milieu de toutes ces hirondelles ! Je revois ces pétales de roses que tuchat qui louche maykan alain gagnon francophonie lançais sur la foule et que j’ai reçus, moi, comme des dons des anges ! Qui t’a donné toutes ces fleurs ? Est-ce que le Bon Dieu t’avait parlé de ses projets avant de t’amener au paradis ? Si oui, pourquoi ne m’en as-tu jamais glissé un mot et quelques autres ? J’aurais empêché cela, je t’aurais retenu tout près de moi. Mais je dois te dire que c’était bien joli, ton ascension, et que j’ai été fière d’être ta mère. Ces choses-là n’arrivent pas tous les jours !

            Depuis ce temps, je regarde le ciel dans l’attente que tu redescendes pour me consoler de n’être presque plus rien. Sans ta sœur Caprine qui me soutient, je serais déjà morte et elle viendrait prier sur ma tombe. À ton retour – tu reviendras, n’est-ce pas ? – je te préparerai tout ce que tu aimes, des glaces, des chocolats, des laits de poule et j’irai te border dans ton lit et te conterai de nouvelles histoires. Comme tu dois avoir grandi !

            Dernièrement, j’ai consulté un mage qui m’a suggéré, mon minet, de te demander d’intercéder auprès de tes amis pour qu’ils me donnent une compensation substantielle. À moins que tu reviennes toi-même, auquel cas, ça me suffirait que tu sois là. Je ne veux rien, j’ai assez de sous ; je souhaiterais tout simplement devenir éternelle et ne plus avoir de soucis à me faire pour ma santé. Je serais si contente de jouir pour une fois de toutes les facultés de la vie ! Si j’étais éternelle, je serais sûre de te revoir si tu me donnais la possibilité de te reconnaître. Je ne connais pas les anges comme toi.

            Je vieillis, j’ai cinquante ans demain, et déjà on commence à mourir autour de moi, ce qui est très fâcheux pour ma santé. Comment sont les anges ? Ne te laisse pas abuser par eux qui sont capables de bien des tours. Lucifer a été longtemps l’ami de Dieu, puis un jour il s’est retourné contre lui.

            À quoi t’occupes-tu là-haut ? J’espère que tu t’amuses plus que moi sur le plancher des vaches, comme dit la nouvelle bonne. Tu as rencontré sans doute Maria Goretti, Gérard Raymond et la petite Bernadette Soubirou. J’espère qu’ils ne sont pas trop sérieux ou constamment en prière ! Tu t’ennuierais, mon mignon, toi qui aimes tant jouer ! Tu sais, j’ai beaucoup de succès avec ce livre que j’ai écrit et qui raconte ton aventure. Son titre est « La voix de l’ange », pour aider à me souvenir que tu chantais si bien ! Je passe souvent à la radio, à la télé, je donne des conférences, je suis invitée dans tous les Salons du livre et, le mois prochain, je serai à la Foire du livre de Francfort en Allemagne. Caprine m’accompagnera pendant tout mon séjour. Quoiqu’elle n’aime pas les voyages en avion, j’ai exigé qu’elle vienne avec moi, sans quoi je la déshériterai. Elle est tout ce qu’il me reste.

            J’ai l’intention de fonder une secte pour préserver ta mémoire sur cette terre et porter le plus loin possible ce que je ressens dans mon âme. J’ai de grandes choses à dire, des messages et des enseignements à donner. Je te ferai ériger une jolie statue de marbre d’Italie par un grand sculpteur que je connais et qui deviendra probablement mon assistant. À propos, je me marierai avec lui bientôt dans une basilique dorée habitée par les anges qui sont devenus tes compagnons. Tout s’arrange, tu le vois. Tu comprends bien, j’en suis sûre, que ta maman ne peut pas s’arrêter de vivre parce que tu es là-haut. C’est si facile de retourner dans le passé, de regretter ce qu’on aurait dû faire ! J’ai toujours été bonne mère. Tu te souviendras que j’ai dû vous élever seule après que ton père ait fui au Texas avec sa poule du casino. Il n’a pas réagi quand je lui ai annoncé ton départ, tu vois comme il est, le salaud. Pardon, mon petit, je sais que ce n’est pas un langage que vous utilisez au ciel. Je n’en ai pas d’autres quand je suis fâchée.

Le fils à sa mère

            Maman, je te réponds comme je peux. Ce n’est pas facile d’écrire ici avec toutes ces occupations avec les anges, les saints et le Bon Dieu. Parfois, je m’endors en pleine réunion et je rêve à toi ; jamais bien longtemps, car mon ange gardien me réveille en me donnant des coups de coude dans les côtes. Le fameux jour où je suis monté au ciel et que j’ai lancé les pétales de roses, j’ai été le premier surpris. J’étais si bien sûr la terre, maman, je m’amusais, j’avais des amis et je t’aimais. Je n’ai pas compris ce qui m’arrivait et je ne le comprends pas encore.

            Le paradis n’est pas ce que l’on croit. C’est un lieu de travail éreintant. Si tu imagines qu’on est assis sur des nuages ou que ça sent bon, tu te trompes. On m’a appelé pour répondre aux prières des enfants et je suis en train d’apprendre comment il faut faire. Je me lève tôt, je bois un grand verre de lait et je m’en vais à la salle où je travaille avec les autres jusqu’à la nuit quand le concierge, qui n’aime pas le gaspillage, éteint les lumières. On n’entend que ça ici, maman ! Pas de gaspillage ! Pas de gaspillage ! Même le Bon Dieu n’arrête pas de dire qu’on n’a pas de temps à perdre. L’archange Gabriel (il est si grand qu’on dirait que ce sont ses pieds qui me parlent) m’a annoncé que si je travaillais avec acharnement, je pourrais aller te retrouver, alors je n’arrête pas. Vingt heures par jour, maman. Mais, comme je suis en bonne santé, ce n’est pas trop difficile.

            Des fois, je pars en promenade jusqu’au bout du ciel avec Gérard Raymond et Bernadette Soubirou, qui sont très drôles.  Maria Goretti est sérieuse comme le pape et a toujours peur de faire des péchés. Peccati ! Peccati ! Personne ne lui parle tellement elle est dans la lune. J’ai bien ri quand j’ai lu que tu me ferais élever une statue. J’espère que le sculpteur me dessinera un sourire sur les lèvres. C’est vrai que tu vas te marier avec lui ? Attends que je revienne, je voudrais tellement tenir la traîne de ta robe ! On pourrait inviter mes nouveaux amis. Oui ou non, maman ? J’ai permis à Gabriel de lire ta lettre. Il te déconseille de fonder une secte. Il dit qu’il y en a suffisamment et qu’il y a mieux à faire pour une femme de ton âge. Il donne toujours de bons conseils, tu devrais l’écouter.

            chat qui louche maykan alain gagnon francophonieQuand je serai là, on partira plutôt en voyage avec Caprine. On verra plein de paysages, de gens plus intéressants que les vieux saints qui ont toujours le chapelet à la main. Maman, j’ai hâte de manger des glaces, des chocolats et de boire des laits de poule. Je ne sais pas quand je reviendrai. Attends-moi, je serai là pour ton mariage. Demande à Caprine de ne pas jouer dans ma chambre ; chaque fois, elle met du désordre partout et je ne me retrouve plus. Demande-lui aussi de faire attention à mes albums de Mafalda et qu’elle ne les prête pas à son amie Jeanne qui a toujours les mains sales !

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieRichard Desgagné est écrivain et comédien depuis plus de trente ans. Il a interprété des personnages de Molière, Ionesco, Dubé, Chaurette, Vian, Shakespeare, Pinter, etc., pour différentes troupes (Les Têtes heureuses, La Rubrique) et a participé à des tournages de publicités, de vidéos d’entreprise et de films ; il a été également lecteur, scénariste et auteur pour Télé-Québec (Les Pays du Québec) et Radio-Canada (émissions dramatiques).  Jouer est pour lui une passion, que ce soit sur scène, devant une caméra ou un micro.  Il a écrit une trentaine de pièces de théâtre, quatre recueils de nouvelles, quatre de poésie, deux romans, une soixantaine de chroniques dans Lubie, défunt mensuel culturel du Saguenay-Lac-Saint-Jean.  En 1994, il a remporté le premier prix du concours La Plume saguenéenne et, en 1998, les deux premiers prix du concours  de La Bonante de l’UQAC. Il a publié, pendant cinq ans, des textes dans le collectif Un Lac, un Fjord de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES). Il est membre du Centre des auteurs dramatiques. Il a été boursier du ministère de la Culture du Québec et de la fondation TIMI.  Pour des raisons qui vous convaincront, tout comme elles m’ont convaincu, je tiens à partager avec vous cette nouvelle qu’il a la gentillesse de nous offrir.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/ )

 


Dires et redires : Musique et vent, par Alain Gagnon…

2 mai 2017

Musique et vent…

Je salue l’air, et je salue ce vent qui porte les voix et les miséricordes de la musique.  Devant moi cette lucarne prolonge la page et l’ouvre par leschat qui louche maykan alain gagnon francophonie souffles du suroît sur la frontière des marches.

(L’espace de la musiqueÉd. Triptyque)

*

Nous aimions les feux de feuilles et de prêles ; et tous ces porteurs de flammes, inédits, que cachent les bruits d’un jardin calme.  Entre les flaques de lumière que nous abandonnait la lune, hissés sur la pointe des pieds, nous retenions notre souffle et exigions de la nuit une délivrance sûre, cette musique froide que l’orée des bois, à l’ouest, avait promise aux asclépiades blanches, en allées aux hivers.

(L’espace de la musique, Éd. Triptyque)

*

Ces dimanches de soleil sous les vents de suroît.  Dans la poussière, les flâneurs à même le trottoir s’étiraient sous la marquise des cinémas muets.  Parfois, ils parlaient gravement ; ou gardaient silence, yeux vers la grand-rue où passaient les autos engluées dans cette musique que les glaces baissées échappaient au vent.  Deux chiens s’approchaient, salivant à l’odeur des sorbets et des frites.

(L’espace de la musique, Éd. Triptyque)

 *

L’Autre répétait à satiété lorsque la lumière entrait par les carreaux le soir :

— La pluie coule jusqu’à nous du ciel lourd.

— Le fleuve possède-t-il un ventre ou n’est-il que fluidité et musique ?

— Les oiseaux gris s’égarent sur les branches.

(L’espace de la musique, Éd. Triptyque)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


L’arbre à chat, un conte de Christian Merckx…

1 mai 2017

 L’arbre à chat

  Le petit village ne connaissait que des catastrophes depuis fort longtemps.  Elleschat qui louche maykan alain gagnon francophonie s’abattaient sur les habitants, sans en oublier un.  Dans la contrée, on le disait maudit, et on se détournait du chemin qui y menait.

    Aucun commerçant ni colporteur n’y venait jamais et, petit à petit, le hameau s’enfonçait dans une pauvreté rare.

     Cette année avait été particulièrement désastreuse pour les agriculteurs.  Le blé, qui était la principale ressource, s’annonçait comme le plus beau jamais récolté, lorsqu’une maladie inconnue le frappa, en pleine maturité.  De partout, on voyait les étendues, d’ordinaire dorées, noircies par ce genre de charbon qui touchait les céréales, avant de les tuer.

      C’est en plein moment de ce désastre qu’un petit chat entra dans la première maison du village, en miaulant.

   Personne ne savait d’où il venait, c’était la première fois qu’on le voyait ici.  Ce qui était certain, c’est qu’il devait mourir de faim, parce qu’il n’était pas très gros.

   Malgré le drame d’un bébé touché par une maladie qui l’emportait doucement et leur pauvreté, ces gens étaient braves.  Ils préparèrent une gamelle d’eau et une autre de nourriture pour l’animal.

   Celui-ci dédaigna l’offrande, se dirigea vers le petit lit où se mourait l’enfant et, avant que quiconque eût pu faire un geste, il se frotta au bébé.  Il continua ce manège au moins cinq minutes et, au fur et à mesure, le visage de l’enfant prenait à nouveau des couleurs de vie.

   Le chat termina en lui léchant le front, sauta du lit, passa devant les parents et sortit, sans toucher aux gamelles.

   Le petit chat rendait visite tous les jours à d’autres habitants, dans l’une ou l’autre maison, et chaque fois, s’il s’agissait de personnes touchées par un malheur, après son passage, ce malheur avait disparu.  Il était béni, cet animal et les gens du village ne savaient que faire pour le récompenser.  Mais lui, inlassablement, après avoir réalisé son bienfait, s’en allait, sans toucher à la nourriture qu’on lui tendait.

    Alors, à tour de rôle, les habitants du village allaient déposer des victuailles au pied du vieil aulne, à l’entrée du village, où le chat avait élu domicile.

    Le petit chat était aussi l’ami des enfants qu’il accompagnait, matins et soirs, sur le trajet de l’école.  Personne n’avait jamais pu l’attraper, sauf le Firmin, l’idiot du village.  On l’avait souvent vu passer ses journées au pied de l’aulne, le petit chat dans ses bras.  Il prétendait qu’ils se parlaient et ça faisait rire tout le monde.

   Depuis qu’il avait élu domicile au bord du village et qu’il s’y rendait chaque jour, celui-ci ne connaissait plus aucun problème.  Il était devenu florissant, les cultures y étaient les plus belles de la région et le médecin n’y était jamais retourné.

    Ça faisait maintenant trois ans que le petit chat vivait dans son arbre quand, un jour, le père Maturin, une brute alcoolisée, qui détestait les animaux, lui donna un coup de fourche qui le cloua au sol.  Le Firmin vint le chercher, l’emmena chez lui, d’où on entendit ses pleurs, toute la nuit, qui formaient une longue plainte ininterrompue.  Au matin, son voisin le trouva mort, mais point de cadavre de chat.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonie

On enterra le pauvre Firmin au pied de l’aulne et, tous les soirs, un habitant du village apportait de la nourriture et de l’eau dans des gamelles qui étaient vides chaque matin.

     Si vous passez par là bas et que vous avez le regard pur et les idées honnêtes, tout au bout d’un long chemin de terre, vous trouverez un aulne.  En levant la tête, vous y verrez, tout en haut, le petit chat, dont les pattes et le corps sont faits de branches. (image prise chez gifs images over.blog.com)

   Par grand vent, on l’entend miauler depuis le village, et il le protège toujours.  Il se dit que c’est un envoyé de Dieu que Firmin priait tous les soirs pour sauver son village.

Notice biographique

Christian Merckx est né le 8 mai 1948 à Ixelles en Belgique, d’une mère avocate et d’unchat qui louche maykan alain gagnon francophonie père commandant du service de renseignement du Général de Gaulle.  Il est agrégé en philosophie et licencié en psychologie de la faculté de Bordeaux.  Il a été chanteur, agent d’artiste et écrivain.

Tombé dès l’âge de 7 ans dans la poésie en écrivant des poèmes enflammés pour son institutrice, il a écrit à ce jour 37 romans et nouvelles, 25 contes pour enfants et 12 recueils de poésie.

 


À tire d’elle… par Sophie Torris…

30 avril 2017

Les balbutiements chroniques…

Cher Chat,

Elle était ma tour jumelle.  Elle avait le mal d’altitude, mais plus aucune attractionchat qui louche maykan alain gagnon francophonie terrestre.  Je suis restée debout, pas elle.

Elle était ma tour de Babel.  Elle parlait toutes mes langues, mais moi, je ne la comprenais plus.

Elle disait qu’elle avait fait le tour de ses horizons et que tous ses soleils étaient couchants.  Je m’étais alors postée au guet de sa tour d’ivoire, mais elle m’a joué un tour pendable.

Mon amie, ma sœur kamikaze s’est envolée il y a 10 ans.  Un aller sans retour.  Triste anniversaire d’un attentat suicide.

Au nom de sa compagnie, je voudrais aujourd’hui affréter un long courrier et voyager un moment vent arrière.  Je vous invite, le Chat, à vous pencher au hublot de son souvenir.  Merci de rester assis, là, jusqu’à l’arrêt complet de ce rappel.

Nous avons appris à voler de nos propres ailes, ensemble, du tarmac de l’école secondaire.  Hôtesses de l’ère adolescente, on croyait au 7e ciel, prêtes à accueillir toutes les destinations avec, pour seuls bagages, l’insouciance de nos 16 ans et le goût de la turbulence.  Baptêmes de l’errance enfin !  J’étais son copilote parce que de nous deux, c’était surtout elle qui ne manquait pas d’air !  Pas de plan de vol et rien à déclarer.

Enfin, c’est ce que je pensais.  Mes radars n’ont rien repéré au début.  Le mal venait de la soute, du plus profond de son âme.  Elle y cachait ses excédents de bagages.  Moi, toute au plaisir de nos escales, je ne pensais qu’à vivre l’heure locale.  Certes, j’ai bien remarqué qu’elle s’asseyait toujours côté couloir, mais en cas de dépressurisation, elle portait un masque et dissimulait ainsi les valises qu’elle avait sous les yeux.  Elle préférait braver ses mauvais temps plutôt que de rester clouée au sol.  Elle se foutait des consignes de sécurité.  Elle me disait que j’étais son témoin lumineux.

Et puis un jour, j’ai quitté notre bimoteur pour une ligne régulière.  J’ai rejoint Air Canada, à des milliers de vols d’oiseaux d’elle, ma p’tite famille en orbite sur un autre fuseau horaire.  Elle, elle s’est abîmée en mère, cumulant des fécondations in vitro, mais jamais rien dans le cockpit.  Une grosse bedaine, c’est le seul gilet de sauvetage qui l’aurait peut-être empêchée de se noyer.

Ma tour jumelle est partie en vrille.  Disparue des écrans radars.  On n’a jamais retrouvé sa boîte noire.

La mort, ce sont ceux qui restent qui doivent la gérer.  Tout seuls.  Et quand elle est si violente, on n’a pas le temps de boucler sa ceinture.  On se la prend de plein fouet.

La culpabilité, d’abord, se met sur le pilotage automatique.  N’aurais-je pas pu être le tour de manivelle qui lui aurait fait faire demi-tour ?  Moi, qui étais son témoin lumineux, pourquoi l’ai-je laissée voler sans visibilité ?

Ma tour jumelle m’a damé le pion.  Pensait-elle gagner ainsi son paradis, en préférant la mort à mon amitié ?  Cette blessure d’amour-propre est longue à cicatriser.  J’ai été abandonnée.  Vous aussi peut-être, mon Chat ?

Alors, survivants d’une telle catastrophe aérienne, devant composer avec la peine, la colère, la culpabilité, n’élabore-t-on pas tout un tas de théories pour supporter la réalité, pour trouver une explication qui blesse le moins possible ?

On invoque alors le geste irrationnel, une détresse tellement intense qu’elle fait perdre tous les repères.  La soute qui s’ouvre tout grand sur la carlingue, le manque d’oxygène insoutenable.  Une telle panique à bord qu’on ne peut qu’en perdre la tour de contrôle.  Certes, la maladie mentale, le fanatisme peuvent annihiler le jugement, mais, je ne pense pas, le Chat, que la dépression occulte le raisonnement quand il s’agit de choisir de mourir.

Ma tour jumelle a fait le tour des possibilités.  Le moment, l’endroit, la manière.  Et c’est délibérément qu’elle a sauté dans le vide, sans parachute, qu’elle a quitté les membres de son équipage.  Elle a choisi de lâcher prise.

Certains y voient un tour de force.  Ne glorifions pas le suicide, s’il vous plaît.  Ma tour d’abandon n’avait plus le courage de chercher une issue.

Elle a cherché cependant à changer de cap.  Elle avait la chance d’être entourée ma tour.  On a volé à son secours quand certains restent isolés, sans personnel à bord, en proie au vertige d’une haute voltige.  C’est dans ces cas-ci, surtout, que le suicide est inadmissible, quand on se prive de tours d’essai parce qu’on ne sait pas où ni comment chercher de l’aide*.

On l’a aidée à trouver des passerelles, à décrypter son tableau de bord pour tenter de trouver une altitude de croisière, à changer son train pour des atterrissages plus en douceur.  Elle a ainsi retardé bien des vols suicidaires.  Elle a même cédé à l’attraction céleste, épousé la religion, mais elle disait que Dieu ne l’aimait pas.  A-t-elle cru qu’elle deviendrait monarque en ciel en sautant dans le vide ?  Certains croient que la mort est un recommencement, un tour de passe-passe, alors que tout peut recommencer sur la terre.

Je ne veux surtout pas promouvoir le suicide, mais peut-on le comprendre parfois ?  Car après tout, qui suis-je, moi, bien vivante sur mon vol de première classe, où presque tout concorde, pour parler à la place de ceux qui sont partis ?  Les absents auraient-ils toujours tort ?

On aide bien à décoller ceux qui sont à l’extrémité de la piste de leur vie, ceux dont la santé physique décline, ceux que leur propre déchéance physique panique, ceux qui ne veulent pas être une charge pour ceux qu’ils aiment.  Ces suicides assistés sont-ils des actes de lâcheté, d’orgueil ou de respect de soi ?  La loi Léonetti qui tente, entre autres, de s’opposer à l’acharnement thérapeutique, pose le délicat problème de déterminer un seuil de tolérance et se heurte évidemment à l’impossibilité d’avoir une position dogmatique qui couvrirait toutes les situations.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieLa douleur psychologique peut être aussi intense que la souffrance physique.  Quand quelqu’un, qui a eu accès à toutes les ressources sans succès, décide de partir, faut-il alors le condamner ?

J’ai 10 ans de miles de plus au compteur qu’elle aujourd’hui.  Elle me manque, ma tour jumelle.  J’aurais pu l’occulter pour soigner ma peine.  Je préfère ouvrir régulièrement le compartiment de ses bagages en prenant bien garde à la chute de tous ces objets qui nous appartenaient.  Je les attrape en plein vol et je lui vole ainsi tout un tas de baisers posthumes.

Sophie

* Si vous avez besoin d’aide, ne ratez surtout pas cet avion-là : 1 866 APPELLE

 Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Esprit, création, demi-dieux, par Alain Gagnon…

29 avril 2017

Dires et redires…

L’Esprit est un, sans temps ni lieu. Autosuffisant. Pour lui, passé et futur ne sont pas. Il est. Il existe. Il est le Je suis. Sans comparable. Tout motchat qui louche maykan alain gagnon francophonie pour le décrire montre l’insuffisance du langage, de la partie congrue qui voudrait nommer le tout incommensurable auquel elle appartient.

Les religions, les philosophies, ont tenté de le définir, d’élaborer sur sa nature, ses qualités, ses volontés mêmes. Ces efforts, sans doute nécessaires, ont souvent mené à des confrontations entre croyants, à des drames, à des déchirements promus par l’intérêt et la vanité, qui n’étaient certes pas voulus par l’Esprit divin.

Comment – et pourquoi – cet être immobile dans sa perfection est-il devenu Source et s’est-il déployé en espaces infinis, où règnent le temps et la spatialité, et où ses créatures s’agitent ? Comment et pourquoi est-il passé de l’un au multiple ? Je n’en sais rien. Nous n’en savons rien.  Au mieux, retrouve-t-on quelques hypothèses sur la naissance des mondes, dont certaines sont devenues dogmes, articles de foi.

1) Dieu aurait voulu se contempler à distance : il se serait donné des points de vue sur lui-même en disséminant des consciences à travers le grand Univers.

2) L’excès d’amour en Dieu aurait débordé (si l’on peut déborder de l’infini) et donné naissance à des êtres quasi semblables à lui, qui, sans être aussi puissants, pouvaient entretenir avec leur Source une relation d’affection dans la liberté.  Certains de ces êtres premiers auraient abusé de leurs pouvoirs et de cette liberté, se seraient efforcés d’imiter le Père en se projetant eux-mêmes dans des créations à leur image, dont certaines, notamment la nôtre, présenteraient des lacunes évidentes.  Ces rebelles auraient ainsi entraîné une myriade de planètes, d’humanités, dans une aventure qui les éloignerait de plus en plus du divin et les enfermerait dans une situation matérielle et morale de plus en plus aliénante, dévolutive.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonie3) D’autres croient que l’Esprit s’est projeté dans le mental et la matière pour se réintégrer ensuite, grâce aux choix moraux d’amour et de service (don de soi) que peuvent effectuer les êtres à conscience réfléchie de tous les univers.  Ces êtres libres, devenus demi-dieux ou demi-déesses, retourneraient vers leur Source dans un corps de lumière, après s’être façonné une âme immortelle dans les épreuves de l’espace et du temps.

4) Certains nous estiment voués à une ignorance incontournable en ce qui a trait à nos origines, ainsi qu’à la raison d’être de l’humanité ou de nos vies individuelles.  Ils écoutent avec sympathie les tenants des diverses croyances et optent assez souvent pour un hédonisme utilitaire et soft, un peu similaire au carpe diem des épicuriens.

5) D’autres sont d’avis que l’Univers et la conscience résultent du hasard.  Nous serions ici, êtres pensants, par accident, par la rencontre accidentelle de probabilités multiples : aucune force intelligente ne l’aurait voulu ainsi.  Nos vies personnelles et le monde n’incluraient aucune finalité.  Des lois mécanistes, qu’auraient engendrées ces accidents originels, régiraient la nature d’où nous provenons et dans laquelle nous baignons.

Et nous pourrions allonger la liste…

Si tu te demandes ce que je crois — ou plutôt ce qui m’apparaît le plus intuitivement plausible, parmi ces hypothèses —, je te ferai une réponse de maquignon normand : un mélange de tout ça, la dernière exceptée.

(Propos pour Jacob, Éd. du CRAM)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Force organisatrice et création…, par Alain Gagnon…

28 avril 2017

Dires et redires

Je n’ai pas l’intention d’énumérer les preuves de l’existence de Dieu, dont celle, célèbre jadis, du Moteur premier.  Elles m’apparaissent peu chat qui louche maykan alain gagnon francophonieconvaincantes.  Par souci d’être bref et concret, j’utiliserai plutôt une approche micro, soit le petit bout de la lorgnette.

Les phénomènes parfois étonnants, bizarres, excentriques, d’une complexité inouïe, que nous présentent les sciences naturelles, m’inclinent à présumer une Force intelligente (ou des forces intelligentes) à l’œuvre dans la nature.  Dieu aurait donné le coup d’envoi, et un aspect ou l’autre de la divinité soutiendrait, dans son déploiement, l’aventure cosmique, continuerait à expérimenter dans une débauche de formes — et de complications parfois inutiles — que la sélection naturelle, darwinienne ou néodarwinienne ne saurait à elle seule expliquer.

À titre d’illustrations.  Au fond des abysses vit une crevette qui, des ténèbres, lance des signaux lumineux pour attirer ses proies.  Comment la sélection darwinienne aurait-elle pu en arriver à la doter d’un tel organe ? Tu connais les colibris, ces oiseaux-mouches qui, l’été, viennent dans nos mangeoires.  Comment la sélection aurait-elle pu conférer à cette espèce son vol hélicoptère ?  Dans les eaux de l’océan Austral, on trouve le chat qui louche maykan alain gagnon francophoniepoisson des glaces qui vit dans des eaux fortement salines, à une température sous zéro degré Celsius.  Notre vertébré possède une caractéristique étonnante : son foie sécrète un antigel — ce qui empêche son sang de se congeler et de le transformer en popsicle.  Dans les rivières amazoniennes se prélasse le gymnote, cette anguille-pile des fonds vaseux.  Ses organes électriques, au nombre de deux, se situent dans les flancs, de la tête à la queue, et leur disposition rappelle une pile de Volta — sa tête servant de pôle positif, sa queue de pôle négatif.  Le gymnote émet à volonté des décharges électriques qui paralysent ses proies et peuvent même renverser un homme.  Et que dire de cette guêpe de cauchemar, l‘Hyménoptère Liris, qui paralyse un grillon et l’enfouit dans un terrier avant de pondre un œuf sur lui : la larve, à son éveil, disposera ainsi de chair fraîche à profusion.  L’injection, qu’elle fiche aux ganglions nerveux de sa proie, doit être accomplie avec une précision inouïe — pour l’immobiliser sans la tuer —, sinon, ce sera la famine assurée pour la progéniture.  Et j’en passe ; et des meilleurs.

Il ne peut exister qu’une ou des intelligences derrière tout ça.  Cette planète paraît un immense laboratoire, où des transporteurs de fluide vital semblent avoir expérimenté d’abondance, semblent avoir ajouté grandement à la danse initiale de Maya, cette représentation sensible, ondoyante et transitoire qu’offriraient à Dieu toutes ses créatures.

(Propos pour Jacob, Éd. de la Grenouille Bleue)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Le téléphone, un récit de l’écrivain Guy Lalancette…

27 avril 2017

Le téléphone

Sur ma table de travail, le calendrier indique le mardi 15 décembre 1998. Je ne sais pas encore que dans quelques minutes ma viechat qui louche maykan alain gagnon francophonie basculera sur un coup de téléphone. Je déteste le téléphone. Chaque fois, sa sonnerie me trouble. Envahissement sauvage. Souvent, je ne réponds pas.
Il est 13 h 55. De la maison à la porte de ma classe, où je dois donner un cours à 14 h 10, il y a exactement huit minutes. Les bottes aux pieds, la parka sur le dos, je corrige un manuscrit que les maisons d’édition me refuseront une fois de plus. Vingt ans de refus polis : …votre manuscrit ne correspond malheureusement pas à  la ligne éditoriale de notre maison.  Depuis le temps, j’ai compris. Je ne suis pas à la hauteur, mais je résiste. Si je cède, je coule. Comment pourrais-je ne plus écrire ?
13 h 58, je suis debout au-dessus du clavier de mon ordi. Un verbe à remplacer, un doute aussi. J’ai encore quelques minutes devant moi. Le téléphone sonne. Merde ! J’ai tout perdu. Encore aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi j’ai décroché. Une distraction ou plus sûrement l’envie furieuse de faire taire le monstre.
Au bout du fil, une voix calme et un peu rauque de fumeur. J’enregistre le nom : Jean-Yves Soucy, directeur littéraire chez VLB éditeur. À ma montre il est 13 h 59 et 15 secondes. Je sais que quelque chose d’unique est en train de se passer.   VLB éditeur comme un moulin emballé dans ma tête : je vois tourner ses grandes lettres au vent d’Alphonse Daudet dont le célèbre recueil occupe un coin de ma table de travail. Par-dessus tout cela, la voix continue de remplir mon silence de bouts de phrases brouillées « …publication de votre manuscrit… » pendant que je cherche à situer ce Soucy-là. Je connais le nom, mais je ne sais plus d’où. Il est maintenant plus de 14 h « …Salon du livre de Québec… » ; je comprends que chat qui louche maykan alain gagnon francophonieVLB veut publier mon dernier manuscrit. J’ai dû répondre quelque chose entre la félicité et l’urgence.
Je veux croire au conte, au rêve, à l’impossible. Ce sentiment aussi que cet instant-là de ma vie dérape, que je n’arriverai pas à m’arrêter au carrefour qui fonce sur moi à toute allure, je bafouille  « …mes élèves m’attendent… », plus que quarante secondes avant de devoir quitter. C’est l’accrochage. Je raccroche. Jean-Yves Soucy a promis qu’il me rappellera à 16 h.
Je ne me crois pas, je me déteste : j’ai fermé la ligne au nez de celui qui allait me donner accès à mon espoir le plus rêvé.  Un appel que j’attendais depuis vingt ans. Vingt ans de déceptions. Aucun cours, fût-il de théâtre, ne méritait une telle privation.
16 h 03, la sonnerie du téléphone : une symphonie.
Guy Lalancette
février 2011

Notice biographique

Né en 1948 à Girardville. Habite Chibougamau. Diplômes : Maîtrise en éducation (M.ED) Maîtrise en création littéraire (M.A). A enseigné l’expression dramatique pendant 30 ans. Publications chez VLB éditeur : Il ne faudra pas tuer Madeleine encore une fois (1999). Les yeux du père (2001), prix Roman Abitibi-Consol, finaliste au prix France-Québec. Un amour empoulaillé (2004) et Typo (2009), finaliste au prix France-Québec et au prix du Gouverneur général 2005. La conscience d’Éliah (2009), prix Roman Abitibi-Bowater, finaliste au prix des 5 continents de la francophonie 2010. Le bruit que fait la mort en tombant (2011), prix Récit du salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean 2011.
Lauréat des prix littéraires de Radio-Canada : Havre-les-Chiens, 2ème prix Récit 2007, publié dans la revue enRoute, Air Canada, avril 2008. Blou sued chouz, 2ème prix Récit 2008, publié dans la revue enRoute, Air Canada, avril 2009.


Le canard et la jument, un conte de Richard Desgagné…

26 avril 2017

Le canard et la jument

            une petite fois je vous jure juste une petite fois il y eut un canard qui s’était lié d’amitié avec une jument dans un pré qu’il fut visiter pour chat qui louche maykan alain gagnon francophonieinstaller sa famille future dont il se sentait responsable bien que sa cane n’eût point encore pondu ses œufs donc un canard prudent

            la jument animal curieux et fort au fait des convenances accueillit le palmipède avec joie et lui fit faire le tour du propriétaire ce qui n’était pas son cas à elle car elle vivait chez un monsieur fort riche pour lequel elle servait de bête de promenade dans les champs les sentiers et jusque sur la montagne que tu vois au loin qu’elle dit au canard demanda s’il était possible d’amener dans les semaines prochaines sa petite famille étant donné que dans l’étang principal il y avait trop de grenouilles à bosse qui sont batraciennes méchantes obtuses

            mais volontiers répondit la jument avec empressement parce qu’elle voyait là un moyen pour briser la solitude qui la menaçait de toutes parts sur cet immense territoire où elle ne connaissait personne juste ce canasson malade et aveugle qui lui racontait des histoires de mauvais goût dont elle ne savait que faire puisqu’elle ne pouvait les répéter vu qu’elle était toujours seule et un tantinet puritaine

            le canard remercia la demoiselle qui lui sourit de toutes ses dents de cheval au galop tandis qu’il essayait de la suivre sans avoir les moyens quand la nature vous a fabriqué basupattes et pas fait pour courir mais pour voler dans les airs derrière la jument qu’il devança rapidement le regardait dans ses airs à lui et se disait que vraiment il y en avait que pour les autres dans ce monde puis s’arrêta près de l’étang pour boire une bonne pinte tant elle avait soif de galoper juste pour s’amuser

            le canard ressortit de l’eau avec une racine de nénuphar qu’il appréciait par-dessus tout suivi de sa cane qui venait saluer la jument présenta ses souhaits de longue vie à la dame aussitôt disparue pour aller chicaner les grenouilles placoteuses dans les joncs le canard s’excusa la jument dit pas de quoi je comprends les situations même les plus bizarres à ce point demanda le canard surpris mais non je m’amuse ah bon qu’il remarqua en s’envolant suivi si je puis dire de la jument à la course dans les champs jusqu’à la lisière de la forêt où elle ne s’aventurait jamais de peur de rencontrer on ne sait qui armé de mauvaises intentions pour vous faire peur vous couper les oreilles ou tirer les crins on a déjà vu ça je vous jure

            moi c’est la même chose on arrache mes plumes pour en bourrer des oreillers qu’est-ce que cela elle demanda c’est pour mettre leur tête quand ils dorment dans les lits avec des plumes de canard ils fabriquent des tapis avec les poils de ma crinière des tapis oui pour marcher dessus quand ils entrent de dehors c’est fou mais je vous jure qu’ils se répondaient en jasant de choses et d’autres jusqu’à ce qu’il se mit à faire noir et que la cane lançait des cris inquiets

           chat qui louche maykan alain gagnon francophonie là-bas près l’étang je rentre je reviendrai demain pour trouver un endroit propice attendez je vais avec vous ils reprirent leur course dans les champs l’un dans l’espace avec ses ailes l’autre sur le sol avec ses sabots arrivés à l’étang la jument mangea un peu d’herbe le canard se fit reprocher ses écarts par son épouse en fusil puis tout rentra dans l’ordre assez rapidement

            la jument retourna chez elle avec entrain de revoir le jeune garçon qu’elle aimait bien parce qu’il était toujours poli respectueux des convenances et souriant enfin qu’il dit en la voyant entrer dans son box tu y a mis du temps j’ai rencontré un canard on s’est bien amusés comme s’il comprenait notre langage elle remarqua en mangeant son avoine où il avait déposé une grosse carotte et une pomme vraiment très gentil une bonne tape sur une cuisse avec amour puis il sortit juste au moment qu’elle s’endormit entra dans la pièce au-dessus de l’écurie pour écouter la télé lire un peu manger peut-être une pointe de gâteau que sa mère lui avait envoyé du village près du domaine

            la fenêtre était ouverte sur des bruits des éclairages d’étoiles des odeurs fortes et réjouissantes pour un garçon travailleur et sage qui n’aimait que cette paix dans les champs il aperçut un canard qui venait tranquillement faire son tour en plein soir comme un grand malgré les chats le chien en liberté va-t’en qu’il lui fit signe de ses mains que le canard ignora puisqu’il rendait une visite amicale à la jument dans son box il ne lui arriverait pas malheur il en avait vu d’autres des menaces sur le bord de l’étang quand les aigles passaient ou qu’un serpent cherchait qui avaler sans discernement

            aussitôt il descendit ouvrir la porte à l’oiseau qui passa devant lui avec dignité un petit salut discret c’est comme ça un canard il se dit à lui-même en découvrant le box de son amie qui le vit avec plaisir d’avoir une visite pour passer le temps quand après tout la soirée était encore jeune

            elle expliqua au canard qui l’invitait à passer la journée près de l’étang pour jaser sous le soleil ou la pluie car la cane n’appréciait pas beaucoup de voir son mari filer droit dans les airs sans se soucier de la famille future qu’il fallait prémunir déjà contre les maléfices du monde la jument n’y vit pas d’inconvénient demain rien au programme le maître se rendait à la ville pour ses affaires dont elle ignorait tout et sous le regard du garçon qui se tenait près d’eux écoutant la conversation tout ébahi d’y comprendre quelque chose

            ainsi donc les animaux parlent se dit-il en sifflotant puis en mâchouillant un brin d’herbe qui avait un bon goût de fraîcheur il voyait le grand œil de la lune par une lucarne ouverte il percevait les cris des insectes de la nuit il trouvait que la vie était une bien belle chose toute vernie claire comme le jour

            c’est entendu j’y serai à la première heure tout de suite après mon repas et nous nous amuserons bien ma chère amie qui lui dit bonsoir pendant qu’il se préparait à s’envoler pour retourner à l’étang dormir près de la cane qui avait toujours des petits frissons quand elle couvait ce dont il fallait se méfier un degré de chaleur de moins pouvait tuer les petits dans leurs œufs pas de famille pas de descendance

            elle se faisait un tel plaisir d’avoir des petits moi aussi d’ailleurs à demain c’est ça il s’envola le garçon referma la porte monta chez lui et chat qui louche maykan alain gagnon francophonies’endormit fit de beaux rêves dont je ne parlerai pas tant ils furent emplis de la présence d’une certaine jeune fille cette jolie histoire n’eut pas de fin je crois que la jument et le canard vécurent fort heureux très près l’une de l’autre le garçon rêva longtemps de la jeune fille qu’il épousa avec l’accord de son père à elle qui était aussi le propriétaire du domaine

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieRichard Desgagné est écrivain et comédien depuis plus de trente ans. Il a interprété des personnages de Molière, Ionesco, Dubé, Chaurette, Vian, Shakespeare, Pinter, etc., pour différentes troupes (Les Têtes heureuses, La Rubrique) et a participé à des tournages de publicités, de vidéos d’entreprise et de films ; il a été également lecteur, scénariste et auteur pour Télé-Québec (Les Pays du Québec) et Radio-Canada (émissions dramatiques).  Jouer est pour lui une passion, que ce soit sur scène, devant une caméra ou un micro.  Il a écrit une trentaine de pièces de théâtre, quatre recueils de nouvelles, quatre de poésie, deux romans, une soixantaine de chroniques dans Lubie, défunt mensuel culturel du Saguenay-Lac-Saint-Jean.  En 1994, il a remporté le premier prix du concours La Plume saguenéenne et, en 1998, les deux premiers prix du concours  de La Bonante de l’UQAC. Il a publié, pendant cinq ans, des textes dans le collectif Un Lac, un Fjord de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES). Il est membre du Centre des auteurs dramatiques. Il a été boursier du ministère de la Culture du Québec et de la fondation TIMI.  Pour des raisons qui vous convaincront, tout comme elles m’ont convaincu, je tiens à partager avec vous ce texte original qu’il a la gentillesse de nous offrir.