Ce chat et moi… nouvelle de Richard Desgagné…

22 juin 2017

Ce chat et moi

            Il a installé ce chat dans l’appartement sans me demander mon avis. Il sait pourtant que je n’aime pas les chats. La mode est aux chats et ça alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecsuffit pour que je les déteste. Vous pas ? Vous faites donc partie de la cohorte des amoureux de ces bêtes prétentieuses qui se prennent pour les maîtres de la création. En quelque sorte. Maintenant, mon chez-moi lui appartient. Je ne peux rien y faire : il a choisi mon fauteuil pour se vautrer et ma chambre pour passer ses nuits quand il ne court pas la prétentaine. Je ne peux même pas songer à le déloger. Paulo, ordinairement homme sensé, exploserait et me traiterait de tous les noms. Ce n’est pas la joie au logis depuis que cet animal a pris sa place, toute la place, sans avoir à se soucier, lui, de gagner sa pitance tous les jours dans ce bureau aux fenêtres closes.

            Ils sont bien, les chats ; le monde leur appartient, aux chiens aussi, aux oiseaux, aux poissons rouges, aux furets, aux tortues, à toutes ces bestioles inutiles qui se raccrochent à nous comme des sangsues. Paulo passe ses soirées à contempler le minou qui se vautre, le cher chat qui se colle à lui, la bête supérieure qui prend ses aises à mes dépens. Je rêve d’une seule chose : le voir déguerpir pour de bon et me laisser toute la place.

            Ces bêtes-là, dont ce chat, doivent vivre avec leurs congénères, c’est plus sain pour eux, ce devrait être la règle, mais comme tout marche de guingois ici-bas, elles ne nous lâchent pas. Depuis qu’il est entré, j’ai mes allergies : éternuements, larmes, voix brisée. Cet animal évidemment a le poil long, les yeux verts à s’y perdre ; il marche avec grande dignité, bouge avec souplesse, toujours sur son quant-à-soi, comme un prince imbu de ses prérogatives, à tel point que j’ai l’air d’un cave avec mes yeux enflés et ma gorge souffreteuse. Je suis sûr que gros minou se réjouit de ma déchéance. Il se raccroche à ça pour se croire supérieur. Parce ça n’est jamais malade, un chat de cette espèce, ça pue la santé, ça aime montrer sa grande adaptation à la vie terrestre. Pour bien dire, ça n’est que prétention.

            Je me pose cette question depuis quelque temps : qui a créé les chats et pourquoi ? Ce n’est pas Dieu puisqu’il ne supporte pas la concurrence : il aime trôner seul au-dessus du monde. Le chat aussi. Qui alors ? Ange ou démon peut-être ? Je choisirais le démon parce qu’il a tout fait pour emmerder le peuple qui n’aime pas les chats. Et je réponds, par le fait même, à mes deux questions sans avoir résolu mon problème fondamental. Les Égyptiens, dit-on, adoraient les chats. Vrai, mais ils vouaient aussi un culte aux crocodiles et aux vautours, toutes bêtes répugnantes. C’est vous dire ! Au Moyen Âge, pas cons, les gens pourchassaient les chats, pour eux bêtes malfaisantes. Ils les clouaient sur les portes de grange, les noyaient par centaine jusqu’à ce que les maudits rats envahissent leurs villes.

            Je soupçonne les chats d’avoir inventé les rats pour que, les chassant, ils se fassent aimer des hommes qui les croiraient alors essentiels à l’hygiène générale et à leur sacré bien-être. Ils sont capables de tout. Je le sais. Il suffit de voir un chat pourchasser un rat : il prend soin de nous regarder comme s’il disait « Je suis un animal précieux qui veille à ce que rien ne te nuise ». Il s’avance avec bravoure, sans se fatiguer ; il montre son savoir-faire, son habileté, son art, sa maestria de carnassier. Il n’est que cela, mangeur de chair fraîche. Le rat doit fuir ou se laisser croquer, si le chat le juge bon. Il a programmé le rat pour que celui-ci s’abandonne volontiers à sa gueule vorace. Quand la chasse est terminée et le banquet consommé, le chat se pourlèche, se nettoie en détail pour montrer qu’il ne sera jamais souillé par cette rapine ratière. Après ce coup d’éclat, qui est un coup de maître, il grimpe sur vos genoux en ronronnant majestueusement : la bête se repose de trop d’ébats et vous lui servez de coussin.

            Il fut un temps, je dois l’avouer, où j’aimais les chats ; j’étais ébahi par cette bête qui tient toujours les rênes, qui ne perd jamais sa dignité de félin et qui est capable de vous faire dégringoler de votre piédestal d’homo sapiens. À cette époque-là, j’étais misanthrope, ce qui explique cela. J’ai déchanté très vite, pour des raisons diverses. La principale, c’est que le chat se servait de mon dégoût de l’humanité pour se faire aimer de moi ; je trouvai cela abject et le fis savoir à la chatte qui me tenait compagnie ou plutôt à celle qui condescendait à vivre à mes côtés. Elle ne fit ni une ni deux, elle me quitta. Elle refusait toute nourriture que je déposais pour elle sur la galerie, ignorant mes invitations à revenir à la maison. Elle m’avait déclaré la guerre. Elle miaulait le soir à ma porte, déguerpissait aussitôt que j’allais ouvrir et je crus même l’entendre rire dans un arbre. Je ne me suis jamais complètement remis de l’insulte.

            Paulo ne pouvait pas savoir quand il a laissé entrer cette bête dans l’appartement. Je lui en veux encore. Le chat a pris ses aises, il est chez lui maintenant, il ne mange que du foie de volaille sauté, il dort dans mon lit et refuse tout contact tactile avec moi. Il me fait payer cher mes choix. Il a dû jurer à sa mère qu’il aurait ma peau, parce que je m’étais chicané avec elle, car je suppose qu’il est le fils de la belle Mirta, celle qui m’avait quitté un jour. La situation est sérieuse et je ne puis garantir que l’un des deux n’y laissera pas un morceau de lui-même.

Notice biographique

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecRichard Desgagné est écrivain et comédien depuis plus de trente ans. Il a interprété des personnages de Molière, Ionesco, Dubé, Chaurette, Vian, Shakespeare, Pinter, etc., pour différentes troupes (Les Têtes heureuses, La Rubrique) et a participé à des tournages de publicités, de vidéos d’entreprise et de films ; il a été également lecteur, scénariste et auteur pour Télé-Québec (Les Pays du Québec) et Radio-Canada (émissions dramatiques).  Jouer est pour lui une passion, que ce soit sur scène, devant une caméra ou un micro.  Il a écrit une trentaine de pièces de théâtre, quatre recueils de nouvelles, quatre de poésie, deux romans, une soixantaine de chroniques dans Lubie, défunt mensuel culturel du Saguenay-Lac-Saint-Jean.  En 1994, il a remporté le premier prix du concours La Plume saguenéenne et, en 1998, les deux premiers prix du concours  de La Bonante de l’UQAC. Il a publié, pendant cinq ans, des textes dans le collectif Un Lac, un Fjord de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES). Il est membre du Centre des auteurs dramatiques. Il a été boursier du ministère de la Culture du Québec et de la fondation TIMI.  Pour des raisons qui vous convaincront, tout comme elles m’ont convaincu, je tiens à partager avec vous cette nouvelle qu’il a la gentillesse de nous offrir.

 


Amour 2.0, par Sophie Torris…

20 avril 2017

Balbutiements chroniques

Cher Chat,

Mettons l’amour sur le billot, voulez-vous, puisqu’il est actuellement en tête dechat qui louche maykan alain gagnon francophonie gondole. On nous l’assaisonne à la sauce Cupidon depuis des semaines et à nous faire mariner ainsi jusqu’au 14 février, on risque tous de se débiter en tranches de vie attendries.

Ne comptez pas sur moi pour vous proposer ce genre de bœuf mode réchauffé. L’amour ne doit-il pas être dégusté saignant quand on recherche l’effet bœuf ? Permettez donc que je vous offre avant l’heure mes bons et aloyaux services et en guise de contre-valentinades, taillons dès à présent une petite bavette sur l’amour vache.

À cette fin et sans pour autant que cela ne dégénère en boucherie, je vous invite à goûter les histoires d’amour crues, hachées menu et épicées d’une bonne amie à moi, confrontée récemment au célibat sur le tard tard.

À table !

La belle fête donc ses noces de satin, abonnée à l’auberge du tournedos depuis des lustres dans ses draps de coton conjugal quand le sot-l’y-laisse. En tombant sur cet os, celle qu’on vient de prendre pour une dinde commence par crier haut et fort que tous les hommes sont des cochons. Après avoir bien ruminé tous les travers du porc en question qui est parti pour un filet plus mignon, elle se retrouve seule, sexualité et amour en berne, l’estime de soi sérieusement émincée, et pourtant, la poitrine, l’échine, le gigot toujours généreux et loin d’être avariés.

Mais voilà, une séparation, ça charcute l’amour-propre, et quand cela fait des années qu’on n’est plus dans la séduction, c’est difficile de penser qu’on peut plaire de nouveau. On se prend pour un boudin. À des lieux d’imaginer qu’on pourrait encore être traitée aux p’tits oignons.

La belle aurait pu donc décider de mettre définitivement la viande dans le torchon ou aurait pu virer viande saoule pour que ses inhibitions ne l’empêchent pas de se faire embrocher à l’occasion. Parce qu’après tout, un peu de sexe, ça peut donner l’illusion de l’amour.

Elle aurait pu. Mais la belle a des amies, compagnes toujours attentionnées de la vie. Elles l’ont inscrite sur Meetic, un réseau de rencontres virtuel. Avec l’espoir que sous l’œil bovin de millions d’abonnés, elle réveille enfin la vache folle qui sommeillait en elle et que cesse par la même occasion cette période de vaches maigres. Dans l’impossibilité de se faux-filer, la belle s’est donc choisi un pseudo, une photo de vache qui rit et, miracle de l’informatique moderne, après avoir rempli un long questionnaire, on lui a proposé plusieurs hommes de sa vie. Un vrai bouillon de bœufs !

Se pose alors la question de savoir si c’est du lard ou du cochon et l’art de sélectionner la bête tient vraiment de la boucherie héroïque ! Elle élimine rapidement ceux qui exhibent chipolatas, andouilles, merguez (c’est selon) dès le premier échange, tout en prenant soin d’envoyer ces chapelets de saucisses à ses copines en guise d’amuse-gueules. Ça les fait d’ailleurs beaucoup rire. Puis, de texto en sexto, la belle se laisse conter fleurette jusqu’à ce qu’un premier taureau lui propose de le prendre par les cornes. Il n’est pas encore question de se laisser brouter la luzerne, mais le cœur y est. Elle accepte alors une conversation téléphonique. La voix, l’élocution sont également un précieux critère d’évaluation. Sachez qu’à l’oreille, le Chat, on repère facilement la daube ! En effet, quand le fil de la conversation s’entrelarde d’erreurs syntaxiques coriaces et de matières grasses, la belle sait à quoi s’en tenir. Mais voilà, le taureau en question défend parfaitement son bifteck. Il semble courtois et se démarque par une subtile répartie.

Après quelques semaines de conversation galante, voire coquine, il convient de sauter le pas. L’homme est un prince charmant et la belle a 18 ans dans sa tête (c’est que l’amour virtuel laisse une grande place à l’imagination !), mais elle porte néanmoins une quarantaine bien mûre. C’est alors que la crainte d’appâter en croute resurgit. Les amies viennent alors à la rescousse pour aider à la préparation du premier rendez-vous. La belle doit être appétissante. Mais comment faire revenir la viande et la servir à point ? Faut-il se beurrer la face, quitte à estomper les rides d’expression ? La robe, pas trop sage ni trop pute, doit, sans en avoir l’air, se décolleter sur quelques tentations gustatives, car même si la belle n’est pas du genre à passer à la poêle le premier soir, elle se fait quand même des films cochons dans sa tête. Et puis, dans un tel contexte, peut-on ne pas se faire sauter sans se griller ? Outre le souci capillaire, faut-il alors envisager une épilation complète du maillot ou rester soi-même et oser l’origine du monde ?

Il est huit heures. Les amies notent bien le nom du restaurant. La rencontre se fait dans un endroit public au cas où l’homme mijoterait des plans extrêmes et s’adonnerait à de la cuisine trop exotique. Les amies, dans le bistrot d’à côté, sont d’ailleurs chargées d’appeler quinze minutes plus tard. Elles ont convenu d’un code verbal secret qui puisse les rassurer. Les carottes sont donc bien cuites. La première impression est positive. Derrière l’escalope à la salade, l’homme n’envisage pas qu’une escalade à la salope.

De l’eau a coulé sous les ponts depuis cette première rencontre. Sans être une vache à lait, la belle a mis sa peau au feu quelques fois, et même si ces hommes seuls ont tous besoin qu’on s’étonne avant tout sur leur hotdog all dressed, elle a vécu une très belle histoire d’amour, goûté la cuisine halal, noué quelques solides amitiés et envoyé, inévitablement, quelques bouses à l’abattoir. En effet, la réception de certains prétendants sur le plancher des vaches ne vaut pas toujours le voyage virtuel. Il se peut qu’on ait à se farcir de la vieille semelle. Personne n’est à l’abri d’un menu mensonger. En fait, comme partout, certains jambons côtés à l’os pètent plus haut que leurs rognons.

Aujourd’hui, le droit au libertinage public ne choque plus personne. Je me souviens de mes escapades adolescentes clandestines sur le minitel rose. Les sites de rencontre me semblent avoir perdu ce côté sulfureux en passant de l’épicerie, même si elle n’était pas toujours fine, à la grande consommation. Avec une offre tellement généralisée, comment ne pas penser qu’il y a toujours mieux ? Comment ne pas céder à l’idée que le pis de la vache du voisin est toujours plus grand et devenir ainsi le dindon de cette grande farce ? Avec, entre chaque plat de viande fraiche, l’amertume d’une solitude qui faisanderait de plus en plus l’âme.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieLes relations sur internet se nouent à l’envers. On met la charrue avant les bœufs. Peut-on dire pour autant que les codes de séduction ont changé ? Livrer l’intimité de son âme avant celle de son corps rappelle les correspondances du 19e siècle où l’on tombait surtout en amour avec l’idée de l’amour.

Ha la vache ! C’est bien compliqué tout ça ! Mais si la belle a pu rencontrer l’amour sur Meetic, c’est certainement parce que là aussi, il peut se cuisiner avec un grand A. La leçon que nous pourrions en tirer, c’est qu’en aucun cas, il ne faut se contenter de regarder passer les trains. Les voies de l’amour finissent toujours par être pénétrables.

Je vous laisse mijoter le tout. Vive le ragoût !

Sophie

 Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Cours d’éducation textuelle, par Sophie Torris…

15 avril 2017

Balbutiements chroniques…

Cher Chat,

Voilà que depuis quelques jours, tout le monde se revendique bête de texte. Même ceux et celles qui avouent alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec pratiquer des activités textuelles contre leur gré ont pris la position du missionnaire. C’est que l’orthographe est devenue subitement zone érogène quand les éditeurs ont fait savoir qu’ils en appliqueraient les nouvelles règles dans les manuels scolaires de la prochaine rentrée. Beaucoup ont alors pris pour du harcèlement textuel, une réforme qui date pourtant de 1990 et qui n’a, par ailleurs, jamais condamné la bitextualité. C’est ainsi que sans faire fi de ces préliminaires, le doute a pénétré les consciences et toutes les langues se sont mises, dans un grand élan de masturbation de l’esprit, à se chatouiller le nénufar.

Puisque je jouis d’une certaine expertise en matière de proximité textuelle, permettez-moi, le Chat, de juguler ici cet excès de textostérone précoce. En effet, il y a une couille dans le potage! Si aujourd’hui, on invite bien les noms composés à copuler jusqu’à ne faire plus qu’un, le circonflexe, quant à lui, reste ce text toy indispensable et celles qui pensaient se faire un petit jeûne sans qu’il ne sorte couvert vont être bien déçues. Il va falloir faire abstinence.

Les faveurs textuelles accordées sont, en fait, assez minimes*. On déflore l’hymen de quelques traits d’union et on croquemonsieur dorénavant d’une seule bouchée. On corrige certains abus textuels qui visaient par exemple, à circoncire le cure-dent de son pluriel alors que le cure-ongles n’avait pas à subir l’opération. De ce fait, en uniformisant cette règle, on s’assure non seulement d’une cohérence grammaticale, mais également d’une meilleure hygiène dentaire. Ceci dit, le S ne supplante pas pour autant l’univers du X. Mesdames, vous pourrez continuer à monter régulièrement sur vos grands chevaux et en tirer tout le plaisir textuel habituel. Ces chevals de bataille ne sont donc que contrebande et, malgré l’excitation textuelle liée à la nouveauté, vous ne devriez pas avaler n’importe quoi.

Quant à l’ognon, même si les avis divergent là-dessus, on peut comprendre qu’il tienne à soulager le i de son priapisme originel. Certains prennent ainsi position en sa faveur en optant pour une simplification des pratiques textuelles, d’autres s’attachent à perpétuer un certain sado-masochisme en menottant la langue dès qu’elle devient libertine et en lui infligeant une correction instantanée.

Je suis désolée pour ceux qui pensent que la langue française est vierge. Elle n’est heureusement pas si chaste. On la caresse depuis la nuit des temps. Ses lettres sont passées par tout un Kamasutra de positions. Elle est adepte de l’échangisme et a souvent répondu aux avances d’amours étrangères. Elle s’est d’ailleurs laissée féconder régulièrement jusqu’en 1935 sans que jamais personne n’ait crié à la déviance. Alors, pourquoi, aujourd’hui, voudrait-on en faire une langue figée, alors que son identité textuelle a toujours été mouvante, alors qu’on n’a jamais eu autant besoin d’écrire?

La nouvelle orthographe ne joue pas au strip-poker avec la langue. La réforme ne s’amuse pas à déshabiller les mots pour offrir une relation textuelle dénudée de difficultés à des jeunes qui paniquent parce qu’ils ne savent plus écrire. Elle ne cherche pas à simplifier bêtement et à régler le problème de l’échec scolaire. Pensez-vous vraiment qu’en laissant la place à l’accent grave, la crise sera moins aigüe? Ce serait tout un évènement!

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecCes nouvelles pratiques textuelles ne sont donc pas très exhibitionnistes et ceux qui ont cru à l’avènement de l’écriture phonétique peuvent aller se rhabiller. La nouvelle orthographe ne défigurera pas la langue. Elle se contente tout simplement d’en gommer quelques bizarreries.

Il serait donc absurde de ne pas apprendre l’orthographe rectifiée aux nouvelles générations, mais sachez toutefois, le Chat, que l’enseignante de français que je suis et qui se fait un devoir d’appliquer cette réforme simule ce désir textuel. Que voulez-vous, je suis, tout comme vous, d’une autre époque, celle où l’érotisme de la langue se cachait dans l’exception et dans l’ambiguïté de certaines règles.

Sophîe

*http://www.gqmnf.org/NouvelleOrthographe_NouvellesRegles.html

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Les balbutiements chroniques de Sophie Torris…

12 avril 2017

Mourir de rire

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Caricature de Vincent Dumortier

Cher Chat,

Comment peut-on nourrir d’aussi noirs desseins ? C’est la question à laquelle le monde tente de répondre depuis qu’on a dégommé Charlie. De toutes parts, on arme les cartouches. Ainsi gicle, à jet continu, le sang d’encre de toutes les impressions. Alors, avant que ne se dilue tout ce camaïeu de rouges, permettez-moi, le Chat, de libérer mon expression, car mine de rien, je commence à m’emmêler pas mal les crayons.

Vous le savez, l’humour est mon aiguisoir. J’ai rarement grise mine et même si je n’ai jamais exécuté de dessins, on peut me condamner pour quelques attentats à la bêtise. C’est, je l’espère, dans l’esquisse de résistances verbales facétieuses que je m’illustre le mieux.

Or, « Mourir de rire » aujourd’hui n’est plus une métaphore. Pour la première fois, ce 7 janvier, le journal le plus irrévérencieux de France a fait, bien malgré lui, du premier degré. C’est sans doute par solidarité avec cette figure de style que je me suis affichée « Charlie » le matin même. Je veux pouvoir encore mourir de rire, peu importe la boutade, sans passer à trépas.

Mais alors que des millions d’homonymes se dessinent à main levée et que le polyptyque n’en finit plus de se déployer, je me questionne sur l’authenticité de ma signature. Est-elle conforme à l’esprit du journal ? Contrefaçon ou caricature ? Et vous, le Chat, comment êtes-vous Charlie ? Car sous le couvert de cette identité se dessinent évidemment plusieurs motifs.

Je suis Charlie parce qu’il n’est plus. À sa mémoire. Parce que je le connais personnellement, parce que je l’ai lu ou le lis encore, parce que je reconnais l’humanisme derrière la satire.

Je suis Charlie parce que toutes les idées ont le droit de cité et qu’il n’appartient pas à quelques fous furieux de tracer les limites de la liberté d’expression.

Je suis Charlie parce que je n’ai pas peur et que je veux le montrer.

Je suis Charlie parce que je suis solidaire.

Je suis Charlie parce que je suis contre toutes formes de fanatisme, d’extrémisme, de violence.

Je suis Charlie, parce que je ne sais plus à quel Mohamet me vouer.

Mais… je suis aussi Charlie parce que ma copine l’est sur Facebook et que je suis tendance.

Je suis Charlie, parce que je suis contre les terroristes, les musulmans, les Arabes et qu’on ne m’a pas appris à faire la différence.

Je suis Charlie, parce que je suis politique et que j’y vois un moyen de relancer ma popularité.

Je suis Charlie, parce que je suis dictateur criminel et que je veux me donner bonne conscience.

Je suis Charlie parce que j’y vois un filon pour me faire du Beur en vendant des tee-shirts éponymes.

Alors Charlie ? Ça fait quoi d’être aimé aussi par des cons ?

Il y avait près de quatre millions d’hommes, de femmes et d’enfants dans les rues hier. Une émouvante marche funèbre, chromatique, contrastée s’est déroulée toute la journée en arabesques pacifiques, « marchant un dessin commun qui aurait pour nom Charliberté* ». Ça ne s’était pas vu depuis la libération ; un déferlement populaire tout en plein, sans déliés, qui met la gomme pour effacer les différences d’opinion, de culture, de religion. C’était beau de voir ce grand rire spontané se tenir les côtes alors qu’il était en train d’étouffer sous la morosité ambiante.

J’ai envie d’y croire, le Chat. De toutes mes forces. Mais voilà, j’ai de la difficulté à être naïve. Sous la Sanguine, une aquarelle ou une peinture au couteau ? Je ne peux pas m’empêcher d’y voir un trompe-l’œil, de soupçonner un clair obscurantisme sous le vernis de ces 44 chefs en avant-plan et de craindre un marouflage* de toutes ces images.

Mercredi, les crayons-mines des survivants tireront à trois millions d’exemplaires.

Ils sont Charlie, mais que se passera-t-il quand ils ouvriront pour la première fois le journal qu’ils ont promis d’acheter dans un grand élan de solidarité ? Que se passera-t-il si, fidèle à l’irrévérence des pionniers disparus, l’encre du journal se met à leur baver dessus, tout Charlie qu’ils sont. Se laisseront-ils mourir de rire ou se cacheront-ils à nouveau derrière des gilets pare-bulles en attendant que l’encre sèche ?

Et pourtant la solution est peut-être là. Dans l’acceptation, puis dans la revendication de cette nouvelle identité, juive, musulmane, catholique, laïque. La France est Charlie, toute en couleurs primaires, toute en nuances, mais sans dégradés. 4 millions de Français l’ont compris et ont célébré leurs différences. Reste à convaincre les autres, les laissés-pour-compte.

L’autodérision devrait s’apprendre à l’école, en même temps que les lettres, les chiffres et les couleurs. J’ai été moi-même la cible d’un caricaturiste en herbe* durant toute mon adolescence. Son coup de crayon ne m’épargnait pas. Il savait épingler mes travers. Laissez-moi lui rendre hommage en publiant un de ces dessins. C’est peut-être grâce à lui que je suis libre aujourd’hui.

Sophie

*Marouflage : fixer une surface légère sur un support rigide à l’aide d’une colle forte qui durcit en séchant.

* Extrait de l’hommage de Stéphane de Groodt pour lui faire de la publicité. Il faut découvrir Voyages en absurdie.

* Hommage à Vincent Dumortier

  Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Une plume dans l’omelette, par Sophie Torris…

9 avril 2017

Balbutiements chroniques…

Cher Chat,

Je ne suis pas une poule mouillée et même si je n’aime pas particulièrement les prises de bec, je n’hésitedangereuse-la-medisance-l-est-surtout-pour-celui-qui-en-est-la-victime-photo-fotolia pas à voler dans les plumes d’une dinde qui m’agace. Je lui dis en général sur-le-champ d’aller se faire cuire un œuf, et la semonce, par civilité, s’en tient là.

Cependant, il arrive que, de retour au poulailler, je devienne une vraie poule de Barbarie, et ce, à l’insu de la dinde en question. Prendre en grippe aviaire un absent semble être le propre de toute bonne basse-cour qui se respecte. Ce que je veux dire par là, le Chat, c’est qu’il est rare que je me couche avec mes poules sans médire un peu.

Mais il ne faut pas croire que seules les femmes gloussent et caquettent dans le dos de leurs semblables. Les hommes ne sont pas des coqs en vain et s’adonnent exactement à la même cuisine. Après tout, on ne fait pas de bonnes omelettes sans casser quelques œufs. Alors, pourquoi, cher Chat, prend-on plaisir à persiffler et que cachent ces rosseries d’alcôve ?

La médisance couve déjà chez l’enfant comme une tendance instinctive, l’homme étant naturellement tiraillé entre le Bien et le Mal. Les messes basses-cours de récréation commencent donc dès qu’il fréquente l’école. Le jeune coq qui n’a alors pas le droit de se servir de ses ergots pour se démarquer ou faire le paon va tout simplement utiliser, à défaut, la violence verbale. Il ne faut cependant pas y voir de cruauté intentionnelle à cet âge, car c’est en se comparant, et donc en castrant un chapon parfois un peu différent, à coups de petits mots perfides dans le dos, que le jeune coq, en pleine construction identitaire, se valorise et développe confiance en soi. On médit donc en premier lieu pour pallier une certaine insécurité, pour se rassurer de sa normalité et pour rester le préféré.

Et puis, avec un peu d’entraînement, on finit par prendre un malin plaisir à instiguer, sur le ton de la confidence, ces petites méchancetés. Les absents ayant toujours tort, les commérages sont rarement mal perçus. La prise de risque étant minime, la transgression peut alors s’accompagner d’une délicieuse chair de poule à l’idée de déblatérer en douce sur le voisin. De plus, le fait d’attiser la curiosité de tout un poulailler et d’y monopoliser l’espace de parole accentue le désir de faire éclore de nouveaux cancans. C’est ainsi que bien des poules font le coq et que bien des coqs caquettent.

Si, qui plus est, l’oiseau est oisif, le ragot peut devenir un passe-temps tout à fait créatif. Il y a toujours plus à picorer chez le voisin que chez soi-même surtout quand on vit comme un coq en pâte, et j’ai ouï-dire, mon Chat, qu’on s’ennuie beaucoup moins quand on qu’en dira-t-onne.

La médisance ne pouvant se pratiquer qu’à plusieurs devient alors créatrice de liens sociaux. Il est même prouvé que deux inconnus tisseront des relations plus fortes s’ils dénigrent ensemble un tiers au lieu de l’encenser, puisque c’est en s’accordant sur les défauts de ce troisième larron qu’ils s’assurent de partager les mêmes valeurs. N’est-ce pas rassurant de se dire qu’on fait partie du même nid ?

Il est donc tout à fait salutaire et recommandé pour l’amitié que deux poules s’exercent de temps en temps à lancer leurs œufs pourris ensemble sur une autre, qui plus est si cette dernière vient picorer dans un nid qu’elles auraient aimé investir. On se nourrit alors de calomnies qu’on partage à l’insu de cette poule de luxe, bourrée d’hormones, pleine comme un œuf, qui ne doit pas se gêner pour passer du coq à l’âne, qui semble contre toute attente avoir les dents longues et la bouche en cul…. de poule évidemment !

Mais dans le fond, si on s’évertue à tuer cette poule aux yeux d’or dont le ramage se rapporte peut-être au trop joli plumage, c’est souvent pour se rassurer de son propre potentiel de séduction. Nous médisons encore une fois pour dire nos inquiétudes, pour quérir un peu de réconfort, pour dire indirectement du bien de soi et de celui ou celle qui nous écoute.

ff289a65Irait-on alors, par jalousie ou frustration, jusqu’à médire dans le dos de ceux qu’on aime ? Si le coq se mettait à chanter, bien avant qu’il ne chante, se pourrait-il qu’un jour je vous renie trois fois, mon Chat ?

J’en doute parce qu’en vieillissant, j’ai appris à poser un regard plus indulgent sur moi-même. Je pousse même parfois la médisance à me prendre pour une bécasse, nourrie au grain de folie.

Cocoricotcot.

Et puis, on finit toujours par perdre ses plumes en les trempant dans le fiel. Avec quoi j’écrirais ?

Sophie

Notice biographique

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Sur la route des épices, par Sophie Torris…

6 avril 2017

Le poivre et sel me guettent…

Cher Chat,

Sous le safran de mes cheveux, il y a 50 ans d’aveux. Le poivre et sel me guette. Je suis sur terre depuis perpette.alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec Mes enfants me trouvent has been et pourtant leur mère n’est pas d’huile. Voyez, le Chat, combien ma saison compte d’épisodes, même si certains sont passés de mode :

J’ai fumé dans un avion sans me faire engueuler par une hôtesse. J’ai bronzé sans protection sans que le soleil ne me blesse. J’ai roulé en Renault 5 sans ceinture. À Berlin, j’ai connu le Mur. J’ai payé en francs ma baguette, j’ai jamais porté de casque sur ma mobylette. J’ai dansé des slows en discothèque. Sur la face A d’Hotel California. Mes amours juvéniles ont vu le jour sur des vinyles. J’ai fait l’amour sans condom, à l’époque le Sida ne faisait pas chier Cupidon. L’or noir n’était pas encore une arme et nos territoires vierges de certains drames. Pas de contrôle de sécurité à l’embarquement, j’ai voté Coluche président. J’ai connu Mickael Jackson avant qu’il ne soit blanc et sur les pare-brise, des disques de stationnement. Mon téléphone avait un fil et ne se regardait pas le nombril. J’ai lu l’Amant de Duras avant qu’il n’obtienne un prix littéraire et j’ai suivi Dallas et l’abominable JR. J’ai connu Meg Ryan sans chirurgie et Paul Newman sans cheveux gris.*

Je suis une femme mature, ça se voit sur ma figure. L’âge, c’est pas comme l’anxiété ou le diabète, ça ne peut pas jouer à la cachette. Je ne vous raconterai pas de salades, le Chat, je me passerais bien de cette débandade. Je ne suis pas tout sucre tout miel à l’idée de perdre du potentiel. À cumuler autant d’années, l’addition devient salée. Mais n’est-ce pas le prix à payer, pour se pimenter une vie longue durée ? Certes, ma jeunesse est révolue, mais pourquoi la mayonnaise ne prendrait-elle plus ?

Je préfère manger des p’tits pots de crème que de m’en tartiner l’épiderme. Je veux que le temps me profite et non en déplorer la fuite. Laissez-moi prendre la route des épices, je veux vieillir sans artifice, me rouler dans les fines herbes avant que mon corps ne s’exacerbe.

J’apprends à m’aimer dans tous les regards, j’apprends à m’aimer dans mon miroir avec tous les sillons de mon histoire. Car, après tout, n’est-ce pas dans le creux de chaque pli que transpire le sel de la vie ? Le sel conserve la viande. Voilà pourquoi j’en fais la propagande !

C’est un privilège que d’être vintage et je me fous de n’être Vénus si ça peut reculer mon terminus. Si le poivre et sel me guette, c’est que je suis vivante en ciboulette !

Ça ne tournera pas au vinaigre, il suffit de rester intègre. Et si vous aussi, le Chat, vous voulez lutter contre le vieillissement, voici le bon assaisonnement :

Se souvenir des heures exquises et penser aux futures extases.
Ne pas renoncer à la cerise que vos désirs toisent.
Mettre votre grain de sel à tout ce qui vous interpelle.
Jouir sans remords de tout votre capital, jouir de votre corps jusqu’au bout du bal.
Et rêver d’un bonus pour conduite sans rictus.

Sophie
* Je ne peux récolter tous les lauriers de ce bouquet garni d’une autre époque. J’ai volé quelques condiments à l’humoriste Florence Foresti.

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

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Du bonheur en contrebande, par Sophie Torris…

1 avril 2017

Balbutiements chroniques

Cher Chat,alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

En nous faisant croire que le seul chemin qui mène à Rome est l’austérité, on renvoie le bonheur aux calendes grecques, comme s’il n’avait plus le droit de cité. J’ai conscience que mon pays n’est plus de cocagne; je n’ai pas les portugaises ensablées. Mais pourquoi devrais-je m’empêcher de construire des châteaux en Espagne ?
Tonnerre de Brest, on dirait que, pour être crédible aujourd’hui, il faut avoir l’air grave, préoccupé, voire même tragique ! Le bonheur est devenu suspect.
Si vous souriez un peu trop, on risque de vous prendre pour un Béotien.
Si vous partagez quelques montagnes russes d’émotion, on vous taxera de faiblesse.
Si vous ne vous plaignez pas, c’est sans doute que vous cachez quelque chose. On ne peut décemment, de nos jours, être content de son sort sans que le téléphone arabe se mette à faire courir des rumeurs.
Bref, si vous voulez pouvoir afficher un peu d’ivresse, la seule raison acceptable est d’être saoul comme un Polonais.
Avec autant de si, ce n’est pas seulement Paris que l’on met en bouteille. C’est aussi la joie que l’on consigne. Car voilà, pour être un bon cru aujourd’hui, il faut être mal embouché, ruminer les plaisirs d’antan et porter le poids de la conjoncture.
Et bien, je préfère passer pour une cruche plutôt que de me plier à ce genre d’étiquette. Je ne veux pas vieillir en fût, le présent a bien plus de cuisse et de velours que le passé, aussi millésimé soit-il.
Et puis, franchement, ce n’est pas en faisant la gueule qu’on nous rendra l’Alsace et la Lorraine !

Prenons donc un petit quart d’heure bordelais, le Chat, afin de remettre les pendules à l’heure. La morosité s’est donc introduite, ces dernières années, tel un cheval de Troie, en ville, au bureau, jusque dans les foyers, et ce, même chez mon oncle d’Amérique. Je ne suis pas de Marseille, c’est hélas la triste vérité. Personne n’est plus à l’abri d’un coup de Jarnac. Et pour preuve, on m’a déjà limogée, virée, lourdée sans qu’on ait rien à me reprocher. Certes, ce fut une douche écossaise qui aurait pu noyer ma bonne humeur, mais j’ai préféré filer à l’anglaise. Il y a de ces revers de fortune contre lesquels on ne peut rien : deuil, maladie, séparation, perte d’emploi. À quoi bon alors se couronner soi-même tête de Turc en ressassant ce qui ne peut être changé ? Si le chagrin, qui, lui, est tout à fait légitime, ne s’accompagne pas d’un lâcher-prise, c’est la joie qu’on risque d’envoyer bouler à Pétaouchnok pour de bon.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecEt il en est de même pour ces petites chinoiseries qui font ruminer certaines personnes pendant des jours. Que mes enfants transforment ma maison en capharnaüm, ce n’est pas le Pérou ! Qu’il pleuve sans cesse sur Brest ce jour-là, ne m’empêchera pas d’y faire la java. Perdre mon chemin ne m’enverra pas dans la gueule du loup et pleurer après le temps perdu ne me le rendra pas. Pourquoi faire d’un événement qui est, de toute manière, irréversible, un supplice chinois ? Pourquoi s’empoisonner la vie d’une macédoine de soucis irrévocables et s’imposer ce genre de régime spartiate ?

C’est ainsi qu’on finit par croire que la vie de bohème se trouve à Tataouine, loin de la routine et de ses poupées russes de tracas. Et on se trompe en confondant plaisir et bonheur. Évidemment, le plaisir, c’est Byzance ! Il se boit cul sec et l’ivresse est immédiate. Mais il est éphémère parce que lié à la satisfaction d’un désir qui n’en est plus un quand il est consommé. Et nous revoilà à faire la manche indéfiniment entre chaque trou normand, parce que cette quête ne finit jamais. On ne se contente pas de voir Naples et mourir une seule fois. Le plaisir habite en Frénésie, c’est bien connu. Et c’est toujours la même histoire. Il y était une fois un prince que l’on veut charmant et que l’on pare de toutes les qualités existant sur le marché afin que le bonheur à deux puisse naître dans l’idée magnifiée que l’on a de l’autre. Ainsi, on se berce de joies formidablement illusoires et on croit à ses propres promesses de Gascon jusqu’à ce que la réalité nous rattrape et que l’on se remette à ronchonner sur ce qu’on a perdu.

Et si le bonheur n’était tout simplement pas lié à une cause extérieure ? On n’aurait plus besoin de s’échapper dans le plaisir comme si la seule solution était de s’oublier. Et s’il était, tout au contraire, cette cabane au Canada, blottie au fond de soi ? Et s’il suffisait d’en ouvrir la porte pour que la joie s’y invite ? Et s’il était cette auberge espagnole où chacun contribue à nourrir l’autre ? Et s’il était dans le don plutôt que dans la réception, dans l’instant plutôt que dans la projection ? On n’aurait peut-être plus le mal du pays.

Il paraît que le bonheur est contagieux. Alors que ceux et celles qui l’ont trouvé ne le boivent pas en suisse, il pourrait trinquer !

Sophie

Cette chronique est fortement inspirée du dernier ouvrage de Frédéric Lenoir, La puissance de la joiealain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

La joie, c’est la vie, la plénitude.
La joie est profonde. Je n’ai pas joie de boire mon café.
Émotion amoureuse, esthétique, spirituelle, collective. La joie touche esprit, cœur, corps, sens, imaginaire.
Elle ne se décrète pas. On ne décide pas d’être en joie, mais on peut cultiver un climat favorable qui permet à la joie d’advenir. La joie s’invite.
On ne court pas après le bonheur. Il est à l’intérieur. (Enlever les obstacles qui ont bouché la source : égo, peur, mental). Se libérer de tout ce qui nous empêche d’être nous-mêmes. Se libérer des faux-moi. Tout ce que l’égo et le mental ont construit comme mensonge pour nous aider à survivre. Il faut avoir de l’égo pour survivre. On ne tue pas l’égo, mais ne pas être mû par le personnage qui s’est identifié à l’égo. Lâcher l’égo : moments d’éveil. On ne s’identifie plus au personnage qui a besoin de reconnaissances, de compliments, qui vit dans le regard de l’autre.
La joie peut accompagner le chagrin.
Lâcher le mental, logiciel de survie, qui a enregistré ce qui nous fait du bien et du mal pour aller vers les choses plus profondes. Renoncer aux biens immédiats pour un bien plus profond.

Comment : être attentif sinon la joie n’intervient pas. Il faut être présent. La joie vient quand on est présent. Si je pense à autre chose, je rumine, je perds ma disponibilité. Lorsqu’on est attentif, le cerveau secrète de la dopamine qui nous met de bonne humeur.

Plus on se sent vivant, plus on ressent la joie.
Le mental et l’égo nous aident à survivre, pas à vivre. Peur de ne plus être aimé, de décevoir, de perdre.

Le bonheur n’est pas une émotion passagère. C’est être dans un plaisir qui dure, non tributaire des choses extérieures.

Le bonheur se construit, fruit d’un équilibre.

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

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L’Évangile selon sainte Rondelle…, par Sophie Torris…

25 mars 2017

Balbutiements chroniques

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

« Enwoye go go, shoot la poque.  Enlève-z-y la rondelle.  Come on !  Skate, skate !  Lâche pas la game !  Enwoye !  Patriotes, Go ! » Ça, c’est moi, en immersion à l’aréna de Dolbeau-Mistassini.  J’apprends vite.  Je viens d’intégrer le chœur des mères supporters et je scande leur credo entre cornes de brume, cloches et crécelles.  Nous sommes donc douze, debout sur les gradins, arborant, haut et fier, le chandail de hockey de nos chérubins, égrainant sans relâche le même chapelet : « Enwoye, go go, shoot la poque.  Enlève-z-y la rondelle.  Come on !  Skate, skate !  Lâche pas la game !  Enwoye !  Patriotes, Go ! », tandis que de leur côté, les pères en cénacle ponctuent leur Molson-poutine de commentaires sur chaque Action de grâce.

Si je suis longtemps restée sur le parvis des arénas, c’est peut-être par fidélité au ballon rond de mon enfance.  Que voulez-vous, cher Chat, on ne change pas de religion de but en blanc, surtout quand on sait que le hockey au Québec est un sacerdoce.  Mais voilà, mon fils est un bleuet et il a de la suite dans les litanies.  Il a donc fini par me convertir et j’ai donc été baptisée cette fin de semaine.  Croyez-moi, le Chat, ce fut tout un choc culturel que de le voir fendre pour la première fois l’immaculé d’une patinoire de tournoi avec le patronyme auvergnat de son père sur le dos.  Qu’il porte le chandail des Patriotes et le numéro 9 de Maurice Richard est déjà en soi un miraculeux oxymore, mais que le tout soit en plus commandité par des trous de beigne ne peut relever que d’une intervention divine malicieuse.  Je vous confesse, cher Chat, que je m’amuse déjà beaucoup en imaginant qu’un jour peut-être, avant un match, mon rejeton, la main sur le cœur, chantera le Canada, terre de ses aïeux.

En attendant que les étoiles s’alignent en ce sens, je voudrais revenir à cette immersion culturelle pour le moins cocasse.  Le hockey n’est pas une simple histoire de short et de crampons et il n’existe malheureusement pas de bréviaire pour les nulles.  Moi qui n’en suis qu’à la genèse de l’aventure, j’ai dû observer en Judas mes voisines afin de pouvoir mettre chaque coquille à la bonne place et protéger mon p’tit Jésus.  Comme la sainte Poque peut laisser bien des stigmates, plastron, épaulières, jambières, coudières et rembourre derrière ont vite fait de métamorphoser nos petits anges délicats en préados baraqués qui ne transpirent plus vraiment l’eau bénite.  On comprend ainsi, dès qu’on y a séjourné un peu, pourquoi les vestiaires sont rebaptisés chambres.  J’ai donc très vite appris qu’une poche de hockey doit recevoir son extrême-onction de Febreze régulièrement, afin de se garder des odeurs peu catholiques.

Après le passage de la papamobile de marque Zamboni, mon fils, mu peut-être par une profession de foi inédite – « Go Lou, enwoye la rondelle putaiiinnnnn ! » – fait lors de la troisième période une magnifique ascension jusqu’à la sacristie adverse et malgré une étonnante génuflexion du goaler, envoie la poque, comme une offrande, exactement là où il faut.  Héros de sa Sainte Trinité (il est ailier gauche), il est consacré étoile du match.  Tandis que d’un côté de la nef de glace, douze Piétas portent leur croix, de l’autre, douze Madones mangent leur pain béni.

Mais ce n’est pas tout, cher Chat.  Le rite se poursuit à l’issue du match, la famille se tenant en longue procession derrière la porte close de la chambre qui lui est interdite le temps de l’Évangile selon saint Denis (c’est le coach des Patriotes).  S’en suivent les clameurs d’usage et autres cris de ralliement d’autant plus enthousiastes lorsqu’ils sont victorieux, et signe que les parents peuvent enfin pénétrer dans le sanctuaire afin de distribuer à leur tour les béatifications d’usage.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecS’agissant d’un tournoi, les festivités ne s’arrêtent pas là, nos Patriotes affrontant une autre paroisse le lendemain.  Je peux donc, avant que sonnent les matines, poursuivre mon immersion.  Ce sont donc plusieurs équipes du hockey mineur qui ont envahi tous les motels du coin et tandis que des parties de mini-hockey s’engagent dans les couloirs, des cinq à sept s’organisent.  C’est ainsi que nous nous retrouvons à 24 adultes dans une petite chambre, sur et autour du lit.  Le buffet est dressé autour du lavabo, chacun contribuant à sa providence.  Prenez et buvez-en tous !  Ce sont donc plusieurs conclaves qui s’avinent à chaque étage tandis que l’on frise l’apocalypse dans les couloirs.  Personne ne semble s’inquiéter du tapage nocturne.  On répond même aux sermons répétés d’une pauvre âme fatiguée que c’est soir de tournoi et que c’est comme ça.

Le lendemain, dès l’aube, il est grand le mystère de la foi !  Les parties de minihockey reprennent de plus belle dans les couloirs du motel tandis que quelques pères en tenue d’Adam retrouvent un semblant d’autorité et tentent de rapatrier leur progéniture sur l’oreiller.

Tandis que je marche le long du couloir vers mon petit déjeuner, s’exhale de chaque porte entrouverte, l’encens des poches de hockey comme une prière de retour à l’aréna.

Sophie

Notice biographique

321123_306765999351815_179961285365621_1163118_1077941746_n1111111112Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis 15 ans. Elle vit à Chicoutimi où elle enseigne le théâtre dans les écoles primaires et l’enseignement des Arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire. Parallèlement à ses recherches doctorales sur l’écriture épistolaire, elle entretient avec l’auteur Jean-François Caron une correspondance sur le blogue In absentia à l’adresse : http://lescorrespondants.wordpress.com/.

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Pour le meilleur et pour le pire !, par Sophie Torris…

21 mars 2017

Balbutiements chroniques

Cher Chat,

Multirécidivistes, mes parents partagent la même maison d’arrêt depuis 50 ans.  On appelle ça des noces d’or, quand après un demi-siècle, personne ne s’est évadé.  Leur union a été mise sous protection judiciaire le 21 mars 1964 : « Monsieur Marc-André Torris, voulez-vous prendre pour compagne de cellule, madame Marie-France Barrois, ici présente ?  Madame Marie-France Barrois, voulez-vous parapher l’assignation à résidence ?  Les époux peuvent s’échanger les menottes et sceller leur alliance. » La détention aurait pu être provisoire, mais mes parents ont décidé d’en prendre pour perpètre.  Deux amants toujours au placard.  L’amour peut être une forteresse.

Il faut dire que mes parents ont un casier chargé.  Je suis leur premier attentat à la pudeur, mon frère et ma sœur, plus tard, leurs délits d’initiés.  Ils nous ont bercés, petits crimes, contre leur humanité.  Mais si à l’époque, le mariage conduisait inévitablement à la cellule familiale, aujourd’hui ce n’est plus la même musique.  On hésite à passer sa vie au violon avec la même personne.  Pourquoi se mettre la corde au cou ?  On retarde l’exécution.  On ajourne de plus en plus les peines d’amour.  Et si on se fait coffrer, on invoque rapidement la libération conditionnelle.

Devant si peu de constance, la perpétuité est célébrée comme une performance.  Pour preuve, on décerne aux noces de 50 ans, la médaille d’or.  Et pourtant, ne dit-on pas qu’il est contre nature de passer sa vie avec la même personne, de se condamner à la même petite mort, alors que nous sommes foncièrement des tueurs en série ?

 Alors ?  Modèle suprême ou châtiment extrême ?  Il semble, cher Chat, que l’affaire relève de la Brigade des mœurs d’une société, car si personne ne nie la nécessité d’avoir un arrangement pour organiser la vie collective et pérenniser la race, cette forme d’union à perpétuité n’est peut-être pas le seul modèle valable.  Et pourtant, les autres modèles en cours d’assise sont suspects.  On fait le procès des familles recomposées et des couples homosexuels, mais la sentence généralement rendue quant à l’équilibre incertain de leurs enfants est-elle justifiée ?  La société change, mais on dirait que l’on défend encore les codes sociaux issus du temps où l’Église était l’État.  Ce temps où un homme et une femme étaient condamnés à partager la même cellule de confinement pour le meilleur et pour le pire jusqu’à ce que la mort les sépare.

Ce modèle d’union à perpétuité serait donc religieux, animé par des valeurs chrétiennes.  Et pour preuve, mes parents vont renouveler leurs vœux de captivité dans une chapelle.  Ce qui est loin d’être condamnable.  Bien au contraire.  Et si je suis émue, ce n’est pas parce que je célèbre une performance, mais bien leur histoire personnelle, celle de deux détenus par l’amour qui reconnaissent, après 50 années à partager le même panier à salade et à purger les bonheurs et les peines de l’autre, qu’ils veulent encore vivre ensemble.  C’est beau, tendre, fort, complexe et ça n’a surtout rien de conventionnel.

Mais pourquoi érige-t-on encore ce modèle comme un pilier de la société alors qu’aujourd’hui, un couple sur deux fait appel et trouve souvent l’équilibre et l’amour dans la réhabilitation ?  Dans un tout autre ordre d’idées, n’est-ce pas faire preuve d’ethnocentrisme que de réfuter la polygamie ?  En quoi les enfants souffriraient-ils d’avoir plusieurs mères ou plusieurs pères ?  Et enfin, quand, en France, on manifeste contre le mariage gai sous couvert de raisons sociales, n’est-ce pas avant tout du militantisme religieux ?

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecIl faudrait, mon matou-maton, que je m’applique religieusement à vous écrire pendant 37 années, et ce, de manière exclusive pour que nous puissions fêter nos noces de papier.  J’aime votre maison de correction et toutes vos tentatives de redressement à mon égard, mais ne me présumez pas innocente.  Mon trafic de stupéfiances me mène parfois ailleurs.

C’est certainement dommage d’avoir perdu cette habitude du temps, des sentiments qui s’éternisent, des rires et des pleurs…  Toutefois, les noces d’or ne sont plus aujourd’hui qu’une vieille coutume, une tradition qui se perd.  Quant à mes parents, ils ne sont coupables que de s’aimer encore.  Avec préméditation pour les années futures.  Alors, quand je les retrouverai, on ira s’embrasser et danser leurs liens le long de la nef des fous.

Sophie

Notice biographique

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

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Les balbutiements chroniques de Sophie Torris…

14 mars 2017

Niqabotinage

Cher Chat,

Si je démarre sur les chapeaux de roue, c’est qu’il fait tempête sous mon crâne. Nous sommes à la veille deschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec élections et ça me prend la tête ! J’en bave des ronds de chapeaux à l’idée de devoir choisir une tête d’affiche parmi tant d’autres. C’est que, voyez-vous, je ne peux qu’en parler à travers mon chapeau* et, pourtant, je tiens à voter demain à visage découvert.
Je ne suis pas du genre à voter à la tête du client, mais j’aurais aimé que nos candidats se découvrent un peu plus. J’ai comme l’impression qu’ils se sont trouvé une tête de Turc pour pouvoir garder leur couvre-chef sans mettre toutes voiles dehors.
Et si nos hommes politiques, ces sombres héros n’étaient que des illusionnistes ? Voyez comment le gouvernement conservateur, alors qu’il perdait la face sur tous les fronts, a tiré, comme par magie, le foulard du chapeau. Ça ne fait palombe d’un doute, on nous prend pour des pigeons !
Je sais bien que la politique est un monstre à plusieurs têtes. Bien sûr, la place de la religion dans l’univers civique mérite sa tête de chapitre ! Bien sûr, j’ai les cheveux qui se dressent sur la tête à l’idée que l’on puisse porter le niqab lors de cérémonies de citoyenneté, mais faut-il travailler du chapeau* pour s’évertuer à y chercher des poux quand 99 % des femmes votent à visage découvert, et surtout quand l’environnement, l’économie, les inégalités de revenu, le mépris de la culture, le déni des premières nations sont des enjeux qui s’imposent bille en tête ?
Je n’ai pas l’habitude d’avoir la tête près du bonnet*, mais je vous avoue que j’en ai plein mon casque de ces campagnes électorales qui deviennent des joutes idéologiques où des faces de carême s’occupent du chapeau de la gamine* quand ils devraient défendre tout un programme et surtout s’y tenir sans faire volte-face. Car n’est-il pas là, le problème ? Tous les candidats semblent adeptes du ruban adhésif double face, histoire que ça colle à gauche comme à droite. La tête me tourne d’entendre dire une chose puis son contraire comme si l’on jouait à pile ou face. Ne trouvez-vous pas, le Chat, qu’il est de plus en plus difficile de se faire une opinion ? Sous mon béret hier, sous ma tuque en poil de caribou aujourd’hui, plusieurs fois, j’ai mangé mon chapeau*. Alors quand mes chères têtes blondes me demandent qui aura ma voix, je ne leur dis pas pour qui, mais contre qui je vais voter. C’est un peu triste de ne pas croire en quelqu’un, d’attendre l’élu de son cœur. Mais je ne désespère pas. Je veux penser qu’un jour, je pourrai crier à tue-tête : « chapeau, l’artiste ! ».
En attendant, je vote pour le moins pire. Parce qu’ici, au moins, on a la chance de pouvoir le faire. Je vote pour ces têtes brûlées qui le représentent en région et pour qui j’ai néanmoins beaucoup d’estime.
Demain, si l’on en croit les médias, 8000 têtes de pipe feront la guerre des tuques bien enfoncées jusqu’au cou pour faire la tête au carré au voile intégral. Je peux concevoir que cet exercice de défoulement pacifique puisse souligner par l’absurdité la décision de la Cour d’appel, mais on ne dira pas que le ridicule m’a tuée… J’aurais la mienne nue, bien campée sur mes épaules. J’irais voter en femme de tête pour qu’un homme tire enfin sa révérence. Il ne va quand même pas nous faire le coup du chapeau !
Sophie
*Parler à travers son chapeau : parler d’un sujet que l’on ne connait pas.
*Travailler du chapeau : ne pas avoir toute sa tête.
*Avoir la tête près du bonnet : se mettre facilement en colère.
*Manger son chapeau : convenir de s’être trompé.
*Ne pas s’occuper du chapeau de la gamine : ne pas s’en faire.

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

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À fleur de prose, par Sophie Torris…

24 février 2017

Balbutiements chroniques

Cher Chat,

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Rose Pierre de Ronsard

Je crois que j’ai fait chou blanc en naissant dans une rose ! Cela fera bientôt 50 ans que j’ai pris racine, et c’est seulement aujourd’hui, à la fleur de l’âge, que je découvre le pot aux roses. Il vaut mieux être un garçon. Ce n’est pas tant que nous fanions plus vite que vous, c’est plutôt que vous, les hommes, vous sembliez porter avec plus d’élégance ces sillons que nous, les femmes, avons à fleur de peau. Les plis, les creux, les stries et autres ridules n’ont souvent de charme qu’au masculin.

Je vous le dis avec des fleurs, car Ronsard* l’a fait avant moi, mais je connais quelques mignonnes qui enverraient sur les roses tous ces durs de la feuille qui arborent des roses fraîches tout contre leurs vieilles boutonnières et qui, pour ce faire, charrient bobonne dans les bégonias. Je veux bien qu’il faille cueillir la jeunesse pendant qu’il est encore temps, mais « carper » ainsi le « diem », c’est le bouquet, non ?

Vous me découvrez la fleur au bout du fusil, prête à attaquer le mâle à la racine, mais ne voyez dans ces considérations au ras des pâquerettes que le plaisir d’aller battre d’autres buissons.

Mignon, allons donc voir si la vie est encore rose pour les vieilles branches.

C’est que de nos jours, avec les progrès de la science, on est vieux beaucoup plus longtemps. L’augmentation de l’espérance de vie est venue bouleverser l’idée même de vieillissement. À 60 ans, on n’est pas prêt de sentir le sapin et l’avenir fleure encore drôlement bon. Or, s’il y a tout un monde entre le sénior encore vert et le vieillard gâteux, il n’en reste pas moins qu’un fruit bien mur ne retrouve pas son croquant d’antan, même si on veut nous le faire croire, même si on aimerait le faire croire.

On ne se contera pas fleurette. La vieillesse fait peur et nous sommes nombreux à vouloir lui couper l’herbe sous le pied d’une manière ou d’une autre. On retarde donc le moment de manger les pissenlits par la racine en faisant des concessions perpétuelles. Mais jusqu’où puis-je repousser l’échéance sans passer pour une vieille conne ?

Ma fleur se décline inéluctablement : rosa, rosæ, rosam, rosarum, rosis, rosis, rosas… Une vieille marguerite ne s’effeuille plus sans espérer qu’on l’aime encore un peu, sans penser qu’on pourrait ne plus l’aimer du tout. C’est que nos sociétés occidentales cultivent à l’excès la notion d’apparence. Il faut garder le teint rose, le pistil bien droit et la corolle bien ferme. On peut bien radoter, le corps, lui, ne doit pas s’oublier. L’entreprise d’engrais et de pesticides divers est lucrative. On en abuse, un peu fleur bleue, se laissant berner, pauvres taupes-modèles, en voulant croire qu’ainsi, nos terrains seront moins vagues.

Et vous, Cattus senectus, comment cultivez-vous votre jardin ? Si les feuilles mortes ne se ramassent plus à la pelle, faut-il pour autant inaugurer les chrysanthèmes* ? On glorifie la longévité, mais y’a-t-il un prestige à n’être seulement que vieux ? Atteindre enfin la maturité, me direz-vous. Et si je ne voulais pas être sage justement, « encore une fois traîner mes os jusqu’au soleil, jusqu’à l’été, jusqu’à demain, jusqu’au printemps… voir si le fleuve est encore fleuve, voir si le port est encore port, m’y voir encore »*.

Autrefois, l’âge de la retraite sonnait le glas de la vie active, on attendait alors sous l’orme ou sous le tremble à l’ombre de ses souvenirs, de ses déceptions, de ses trahisons, mais de ses conquêtes et de ses victoires aussi, et on finissait par s’endormir, comme une souche. Pour l’éternité. Aujourd’hui, s’arrêter, pour beaucoup, c’est déjà être mort. L’inactivité, c’est la gerbe !

On s’invente, alors, mille et un accommodements raisonnables, on retourne aux études, on fait du bénévolat, on se liposuce, on fait des enfants sur le tard, on côtoie les jeunes pour rester jeunes, on marathonne pour ne pas que la vie nous rattrape. Enfin, on s’interdit de penser qu’on est vieux, partagés entre la nostalgie de nos vertes années et l’acharnement à profiter au maximum du temps qu’il nous reste.

Je ne fais pas exception. Je ne suis plus une fleur en bouton, mais j’espère ne jamais finir en pot. C’est que j’ai le rosier grimpant et si un jour, mon tronc se penche, si mon arbre devient noueux, centenaire peut-être, je touche son bois, je voudrais toujours pouvoir vous faire de l’ombre, remplir mes feuilles de présence jusque dans leurs marges et faire couler le peu de sève qu’il me restera le long de leurs nervures diaphanes.

Vive la rose et le lilas !

Sophie

* Ronsard, poète du XVIe siècle, s’est illustré dans l’art de la métaphore florale, notamment dans son Ode à Cassandre : Mignone, allons voir si la rose…

*Inaugurer les chrysanthèmes : Cette expression a été prononcée par le Général de Gaulle lors de son retour au pouvoir en 1958. Il voulait signifier que le rôle du président de la République ne devait plus être un rôle uniquement représentatif basé sur le prestige, mais qu’il devait intervenir dans la vie politique de la France et avoir une vraie autorité.

* Extrait de J’arrive de Jacques Brel.

Notice biographique

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia.

(http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Face à fesses, par Sophie Torris….

25 janvier 2017

Balbutiements chroniques…

Cher Chat,

Permettez que je m’attèle à un sujet que vous pourriez juger léger à première vue, mais qui n’estalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec pourtant pas dépourvu de fondement : mon cul.  Si je vous invite à me mettre la main au panier de manière aussi cavalière, c’est que mon postérieur me désarçonne.  En effet, depuis quelque temps, mon cul se cabre contre ma culotte de cheval.

Comme je ne m’occupe pas que de mes fesses, j’ai pu constater combien les femmes en général faisaient de leur croupe un cheval de bataille.  On peut alors se demander si c’est dans la seule optique que les hommes en fassent leur cheval à bascule.  Sinon, pour quelles raisons ruerions-nous ainsi contre le moindre capiton ?  Afin de comprendre pourquoi nous plaçons notre orgueil aussi bas, nous explorerons donc aujourd’hui la face cachée de la lune.  Car on a beau l’entendre s’exprimer, on ne voit jamais son bavard que dans un miroir.  Et encore faut-il se contorsionner !

Malgré tout, les femmes ont conscience de leur arrière-train, et ce, depuis la nuit des temps.  C’est que sans ces rondeurs féminines, l’humanité s’en allait droit dans un cul-de-sac.  Il était donc indispensable pour l’homo sapiens que la fesse appelle l’ivresse afin de perpétuer l’espèce.  Ainsi, le troussequin qui n’en est encore qu’à sa préhistoire est déjà proéminent.  Repérable à la ronde, il invite sans fausse modestie le primate qui rapplique instinctivement au galop et qui, par cette voie de fait, apprend petit à petit à domestiquer le feu… aux fesses.

Certes, ce sourire vertical a pu paraître énigmatique dans un premier temps, le secret des fesses étant logé en leur creux, mais l’homme des cavernes a bien fini par comprendre que la rondelle ne faisait pas le printemps puisque nous voici, aujourd’hui, plus de sept milliards d’humains sur terre.

Si de nos jours, la survie de l’espèce n’est plus en danger, la courbe de la chute des reins semble toujours calculée pour que les yeux des hommes, en proie à l’attraction lunestre, ne puissent que glisser inexorablement jusqu’aux fesses.  Mais là où le bât blesse, c’est que selon l’époque ou la culture, certains culs retiennent plus l’attention que d’autres.  La beauté callipyge d’hier n’est pas forcément celle d’aujourd’hui et le prose lui aussi se doit de suivre la mode s’il ne veut pas être exclu du manège.  Il ne suffit donc plus de tortiller du croupion pour que l’étalon s’emballe.  Ainsi, pour espérer être montée à cru, la femme doit entrer en guerre contre son propre pétard et c’est ainsi que sur ces entre-fesses, l’objet de convoitise devient objet de complexe.

Je ne serai pas faux-cul et je vous le confesse, le Chat, j’ai très souvent torturé cette partie problématique de mon anatomie à vouloir l’emprisonner dans un jean déjà conçu pour la mouler et dont la taille me faisait rêver.  Et nous sommes nombreuses à nous sangler le popotin de la sorte pour espérer le tiercé gagnant : petit cul rebondi.  Mais comment un cul privé de sa respiration peut-il inspirer confiance ?

Permettez, le Chat, que je monte sur mes grands chevaux !  Parce que mon Rubens est d’une autre époque, mon cul, c’est du poulet ?  Mais chaque cul a sa personnalité !  Sous prétexte que l’hémisphère nord est adepte du petit cul hautain, ferme et volontaire, mon postérieur doit épouser ce tempérament qui n’est pas le sien et se mettre le mors aux fesses ?

Il y a heureusement de temps en temps de rondes offensives venant de l’hémisphère sud.  Le cinéma a porté, dans les années 60, le derrière des Italiennes à l’écran et, plus récemment, la sensualité mammaire des actrices sud-américaines a su élargir nos perspectives des codes de beauté ; on s’est mis alors à parier sur un autre type de cheval, mais toujours, le culte de la minceur, dressée sur ses étriers, finit par éperonner tout ce charnu.  C’est qu’il y a, derrière cette esthétique du filiforme, une idée de maîtrise de soi qui caractérise nos sociétés tristement perfectionnistes.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecAlors si mon cul se cabre contre sa culotte de cheval, est-ce par souci de perfectionnisme ?  Je crains que cela ne soit par conformisme.  Or, l’art ne se trouve pas dans la répétition, et je veux être une artiste.  Je revendique donc dès aujourd’hui un cul d’artiste et je vous encourage, le Chat, à avoir vous aussi la fesse unique et rebelle.  Militons, tous, pour son indépendance et que ma culotte de cheval caracole dorénavant à brides rabattues.  Voilà sans aucun doute le remède de cheval pour lutter envers et contre le poids de l’abstinence.

Sophie

Notice biographique

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Sur mes chemins de Taire… par Sophie Torris…

3 novembre 2016

Balbutiements chroniques
chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec

Cher Chat,

Je proclame ce jeudi 26 avril, jour de mon taire. Ceci est une manifestation personnelle pour la sauvegarde de mon environnement. Je ne balbutierai pas un mot, le Chat. Que voulez-vous, si je vise mon développement durable, il faut bien que je le préserve, mon taire.

En vérité, ça m’arrange cette jachère anniversaire impromptue. Parce que pour être bien franche… je sèche.

Laissez-moi vous expliquer, cher Chat, car je ne voudrais pas qu’il y ait de l’eau dans le gaz entre vous et moi. Il est bien sûr hors de question que je me retire de votre protocole. Il est bien trop tôt.

Il y a que pour ajouter un sou à ma couche d’aumône, quoique je ne perde ni le plan, ni le nord, je suis bien obligée d’exporter mes gisements de faire ailleurs, même si cela va à l’encontre de mon engouement égologique.

Alors voilà, je n’ai pas besoin de vous sensibiliser à tous mes changements climatiques. Vous savez bien que je suis un courant d’air. Je vous dirai simplement pour ma défense que j’ai sans aucun doute surexploité mes ressources naturelles cette semaine. Toutefois, je n’ai pas perdu mon énergie renouvelable.

Nous sommes le 26 avril, jour de mon taire. Permettez, le Chat, que je lutte pour ma biodiversité et pour le recyclage de mes produits usagés. Il paraît que c’est dans l’air du temps. C’est en toute humilité que je vous offre un de mes balbutiements poétiques. Ce sera mon défi vers de la semaine.

La valse du nombril *

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, QuébecAujourd’hui, je sais le ruban de peau qui me lie à ma mère et qui me nourrit. Je sais mon cœur qui cogne contre le matelas de son ventre, je sais le velours de mes pieds quand, à tâtons, dans la nuit de mon nid, je les attrape.

Aujourd’hui, je sais l’exil, quitter mon port d’attache sans bagages et sans souvenirs. Je sais la bourrasque de l’air quand elle entre dans mes poumons faire tempête. Aujourd’hui, je suis un moulin à vent et j’ai un prénom.

Aujourd’hui, je sais les yeux humides et fiers de mon père, ses grandes mains calleuses et maladroites. Je sais du bout de ses doigts, ce tête à tête dans l’effluve du tabac froid qui m’entête.

Aujourd’hui, je sais mes bottines bien lacées et leurs désirs de conquête. Je sais, la main tendue de ma grand-mère et de l’autre côté de mon premier pas, l’innocence de ma menotte vierge tout contre le kaléidoscope de sa paume.

Aujourd’hui, je sais l’autre, le tout petit, le tout fragile. Je ne suis plus le seul nombril. Je sais mon frère et la famille, son petit cœur dans un grand chœur.

Aujourd’hui, je sais la cour d’école, la craie qui crisse les premières lettres de l’alphabet et la complicité des genoux écorchés. Je sais la chaleur de l’amitié, les secrets partagés qu’on emmitoufle dans des grands manteaux de fou rire.

Aujourd’hui, je sais mon corps déboussolé qui se perd de vue entre monts et marées. Je sais les lignes courbes qui dessinent la femme qui sommeille encore en moi.

Aujourd’hui, je sais le ressac de l’amour et sa vague à l’âme. Je sais le brasier qui m’essouffle, la lueur d’un foyer, mais la flamme qui s’étouffe. Je sais les attentes déçues et les amours feintes. Je respire toutes les étreintes.

Aujourd’hui, je sais mon autre moitié, ma terre promise, mon horizon de jachère. Je sais ses yeux qui dénouent mes silences et mon cœur sur sa main. Je sais nos demains joints. Je sais mon homme et le petit qui lui ressemble.

Aujourd’hui, je sais un peu de mon chemin, ses clairières et ses ornières. Je sais mes routes et mes déroutes. Je sais choisir la clé de mes champs et débusquer la violette sous le champignon ciguë.

Aujourd’hui, je sais le deuil. Je sais l’automne qui se fane trop tôt et mon cœur de chrysanthème. Je sais ma poitrine de larmes cramponnée à la bouée d’un ange. Je sais le chagrin des naufragés.

Aujourd’hui, je sais le dernier pointillé de mon cœur. Mon âme pleine comme une lune rousse quitte son vieux parchemin de peau et toutes ses écritures. Aujourd’hui, je sais ce que personne ne sait.

Sophie

*La valse du nombril est un livre d’artiste, fruit d’une collaboration avec une de mes étudiantes en arts. Isabelle Duquette en est l’illustratrice.

Notice biographique

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, QuébecSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis 15 ans. Elle vit à Chicoutimi où elle enseigne le théâtre dans les écoles primaires et l’enseignement des Arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire. Parallèlement à ses recherches doctorales sur l’écriture épistolaire, elle entretient avec l’auteur Jean-François Caron une correspondance sur le blogue In absentia à l’adresse : http://lescorrespondants.wordpress.com/.

 

 


9,99 $eulement !, par Sophie Torris…

20 octobre 2016

Balbutiements chroniques

À Chat en ligne,

Vous n’êtes pas du genre lèche-bottes.  Je risque donc avec cette chronique de me prendre une veste.  Ça va peut-être vous chiffonner, mais alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec aujourd’hui, on va parler tissu, souliers, vêtements, bijoux, parfums, breloques, et il est hors de question que la gent masculine se débine.  Messieurs, mon Chat, que ce soit bien clair entre nous, vous risqueriez de me froisser si vous repassiez plus tard.  Car après tout, c’est entre autres parce que les hommes sont des coureurs de jupons que nous en magasinons, et si les filles aujourd’hui sont accros au shopping, c’est tout simplement parce qu’elles ne pensent plus qu’à cette quête : trouver l’étoffe d’un héros.

Et puis, un beau jour, parfois, on trouve chaussure à son pied.  Le magasinage devrait alors perdre sa raison d’être.  Le héros nous cire si bien les pompes qu’on le laisse porter la culotte.  Enfin, on le lui laisse croire.  Car, tandis qu’il va s’en jeter un petit derrière la cravate, et alors qu’on s’était pourtant drapée de bonnes intentions, on va de nouveau perdre ses bas au centre commercial.  Constat : la même ardeur nous brûle et le désir s’accroît quand l’effet se recule.  Rien à faire !  Le magasinage et les filles sont comme cul et chemise.

Il aurait été évidemment simpliste de faire reposer uniquement sur l’homme notre propension à la surconsommation vestimentaire.  J’avoue qu’il m’a plu, messieurs, mon Chat, de vous tailler un costard quand vous nous remontez constamment les bretelles au sujet d’achats qui vous semblent inconsidérés.

 Ne pensez pas, toutefois, que nous sommes totalement responsables de ce soi-disant mauvais pli.  Sachez de plus que je ne suis pas complètement à côté de mes pompes quand je vous fais porter le chapeau, messieurs.  En effet, des études très sérieuses ont constaté un pic compulsif d’achats en période d’ovulation.  S’il y a bien un moment où l’habit ne doit pas faire le moine, c’est quand nous sommes fertiles, non ?  Au commencement donc était la faim.  De vous, messieurs.  C’est donc de prime abord pour éviter de faire tapisserie que nous nous tirons à quatre épingles.  Cette boulimie acheteuse tout hormonale est donc une question de survie.  De l’espèce.

Moi, je sais magasiner.  J’ai fait mes preuves.  Je me suis dégoté le plus charmant des costumes trois-pièces sur mesure.  Tricotées serrés, trois pièces qui restent dans les jupes de leur mère sous l’étoffe du héros.  Le magasinage aurait dû alors perdre sa raison d’être.  J’ai en effet pris plaisir à retrousser mes manches et, comme bien d’autres jeunes mamans, à laver mon linge sale en famille.  Ceinture ! De toutes les façons, nous laisse-t-on alors le temps de triper sur autre chose que sur les têtes de gondole des épiceries ?  Je me suis dit pendant quelque temps que j’étais bien dans mes vieilles baskets.  Jusqu’à ce que le moral me tombe dans les chaussettes.

Vider son bas de laine, après des jours d’abstinence pour certaines, des mois pour d’autres, équivaut à un plaisir proche de l’orgasme.  D’ailleurs, la première fois qu’on cède à cette tentation extraconjugale, c’est souvent sous le manteau, seule, en proie à une délicieuse culpabilité et sous le couvert d’un tissu de mensonges.  Je vous avoue, le Chat, que ce jour-là, je suis rentrée chez moi à pas de velours afin de planquer l’objet du gros délit de magasinage.  Comme il aurait été évidemment inhumain de retourner un achat qui m’allait comme un gant, je l’ai abandonné quelques semaines dans le fond d’une armoire.  Nous sommes plus nombreuses que vous ne le pensez, cher Chat, à partager cette tactique.  C’est donc d’un air faussement candide que nous finissons par enfiler nos emplettes, un beau petit matin (après avoir avalé la facture pour ne laisser aucune trace, bien entendu), et si par hasard l’œil de l’homme se fait soupçonneux, c’est sans équivoque que nous pouvons alors assurer : « Nouveau ?  Mais pas du tout.  J’ai acheté ça, y’a des semaines ! »  Si l’œil, malgré tout, reste réprobateur, il est facile de le mettre dans sa poche en ajoutant : « C’était en solde ! »

Je fais à peine dans la dentelle, le Chat.  Le magasinage exige quelques bassesses.  C’est comme ça.  Mais là où j’en ai ras la casquette – ou plein mon casque, si vous préférez –, c’est que vous avez tendance à considérer cette activité essentiellement féminine comme un passe-temps futile, alors qu’elle n’a rien de frivole.  En effet, nous savons aujourd’hui que le shopping est une stratégie de collecte innée qui date du temps des cavernes*.  Les hommes se chargeaient alors de la chasse et les femmes de la cueillette.  La femme d’aujourd’hui, qui adore faire de longues expéditions dans les boutiques, reproduit tout simplement le comportement de son ancêtre à la recherche de racines comestibles.  Tout comme Dame Cro-Magnon se fiait à la couleur, à la texture et à l’odeur pour s’assurer des meilleures récoltes, nous consacrons autant de temps et d’attention au choix de nos fringues.  Bref, si la dépense n’excède pas les moyens, la fièvre acheteuse n’est aucunement pathologique.  Il est donc tout à fait normal qu’à l’instar de nos consœurs d’antan, nous retournions régulièrement sur le lieu des meilleures récoltes.  Pour vous, messieurs, mon Chat, c’est une tout autre paire de manches.  Si vous vous fichez du magasinage comme de votre première chemise, si vous êtes capables de rentrer chez vous à brûle-pourpoint après un simple achat, c’est que vous reproduisez inconsciemment le scénario ancestral du chasseur qui, ayant tué la bête, devait la ramener à la caverne avant qu’elle ne pourrisse.

 alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecVous n’avez pas fini d’en découdre avec moi.  Et de fil en aiguille, je compte bien, messieurs, mon Chat, vous convaincre à plates coutures de l’utilité d’acheter aussi, de temps en temps, quelques inutilités.  Avant d’envisager l’éventuelle fermeture éclair de nos comptes joints, vous devez savoir que le shopping, tout comme hier les cueillettes néandertaliennes, est un haut lieu de socialisation.  Une journée de boutiques avec une copine consolide l’amitié.  Or, ce sentiment de complicité, exacerbé par les déambulations brasdessus-brasdesourire et les bavardages incessants, stimule une sécrétion avantageuse d’endomorphines, hormones à propriété antalgique.  Le magasinage, entre autres trips de filles, apporte autant de vitalité et de sensation de bien être qu’une partie de volley-ball, et ce, sans se mouiller la chemise.  Le magasinage a donc tous les atouts d’un sport d’équipe.  Alors certes, le Chat, my tailor is rich, mais ma santé en dépend.

Et puis rassurez-vous, elles sont peu nombreuses celles qui poussent le vice à acheter chat en poche.  Les vraies accros au shopping préfèrent traquer la bonne affaire.  Car rien ne vaut, après avoir batifolé toute une journée dans une forêt de cintres, après avoir oublié de se nourrir, après s’être déshabillées et rhabillées soixante-douze fois dans des alcôves dont l’air vicié d’épices corporelles étourdit, après avoir paradé nos fous-rires mal fagotés devant les miroirs, rien ne vaut, en effet, alors que tout semblait fichu, alors que l’on était prêtes à rendre son tablier, la découverte du petit jean à 9,99 $ qui nous fait le même petit cul que Cindy Crawford.

Là, le bonheur est dans le prix.  Alors, le Chat, courons-y vite !

Sophie

* Selon Daniel J Kruger, University of Michigan

Notice biographique

Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis 15 ans. Elle vit à Chicoutimi où elle enseigne le théâtre dans les écoles primaires et l’enseignement des Arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire. Parallèlement à ses recherches doctorales sur l’écriture épistolaire, elle entretient avec l’auteur Jean-François Caron une correspondance sur le blogue In absentia à l’adresse : http://lescorrespondants.wordpress.com/.


Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…

15 septembre 2016

Cher Chat,

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, QuébecJe suis tombée dans le théâtre quand j’étais petite.  Mes plus beaux trésors sont dans ma malle à déguisements, et je traîne souvent dans mes grands sacs de fille des accessoires ou des morceaux de costumes pour répondre à mes envies subites de me prendre pour une autre.  C’est que la vie est trop courte pour s’habiller triste, vous ne trouvez pas, le Chat ?

Dimanche dernier, en randonnée sur le magnifique sentier Eucher à La Baie, alors que décollaient vers le sud des centaines de voiliers d’outardes, je ne me suis pas contentée de les regarder.  Il ne me faut pas grand-chose pour entrer dans la peau d’un personnage.  Un jupon et j’avais des ailes.

Hélas, cette joyeuse comédie-ballet a pris un tour tragique à la suite d’un triple salto un peu trop téméraire.

Si je me remets tranquillement de cette mésaventure, je dois cependant gérer la rébellion de mes organes.  Mon cerveau a décidé de faire la grève et reste quelque peu embrouillé.  À défaut de balbutier correctement, j’ai pensé vous offrir cette courte pièce, écrite il y a quelques années, à la gloire de ces organes que nous maltraitons parfois.

Du théâtre au Chat Qui Louche !  Une fois n’est pas coutume !

Sophie

Symphonie somatique en hic majeur

(Courte pièce pour organes)

Le décor est surréaliste, évoquant l’intérieur du corps humain.  L’intestin est endormi tandis que l’estomac est assis, l’air incommodé.  La scène commence avec l’arrivée du cerveau.

 Le cerveau

Debout !  Ici, la tour de contrôle…  J’ai dit debout là-dedans !  Mais qu’est-ce qu’ils ont tous ce matin ?…  Moi-même, j’me sens drôlement confus…  J’ai pas les idées très claires.  Voyons… une petite gymnastique matinale de mes synapses ne peut pas me faire de mal !  Une… deux… une… deux…  Ouille…  Aïe, j’aurais bien besoin d’un Tylenol !

L’estomac

Et là-haut, vas-y mollo !!!  J’suis vraiment pas dans mon assiette…  Quand est-ce qu’elle va comprendre que je suis quadragénaire et que je n’ai plus la constitution d’un estomac de 20 ans !  Si elle continue à maltraiter mes sucs gastriques, on va finir par manger les pissenlits par la racine beaucoup plus tôt que prévu !

Le cerveau

Qu’est-ce qu’elle a encore fait ?  C’est bizarre, je ne me souviens plus de rien.  J’ai les deux hémisphères dans la brume !

L’estomac (se moquant)

C’est pourtant toi le cerveau, p’tite tête !  Tu t’es encore fait rouler dans la farine !

Le cerveau

Quoi ?…  Elle a encore trop fêté hier soir, c’est ça ?

L’estomac (en colère)

Bravo, t’es une vraie lumière !  Eh bien oui !  Elle s’est encore saoulée et elle n’y est pas allée avec le dos de la cuillère.  Elle commence franchement à me courir sur le haricot.  J’ai dû bosser toute la nuit et j’ai encore du pain sur la planche !  J’ai tenté d’assimiler les neuf pintes de bière et le demi-litre de vin qu’elle s’est envoyés !  Je suis crevé…  T’aurais pas pu la raisonner pour une fois !

Le cerveau

Tu sais bien que l’alcool me coupe tous mes effets…  J’me disais bien qu’il me manquait quelques neurones ce matin et j’ai la dopamine en ébullition.

L’intestin qui est toujours endormi fait des borborygmes incongrus.

L’estomac (accusant l’intestin)

Et l’autre, il roupille comme si de rien n’était alors qu’il fait un bruit de casserole.  Faut quand même pas me prendre pour la bonne poire de service, je vais quand même pas me taper tout le boulot.  On est une équipe, oui ou non ?

Le cœur entre en fredonnant, l’air heureux.

 Le cœur

Salut, les mecs…  Ça gaze ?

L’estomac (lançant un œil critique à l’intestin)

Ça pour gazer, ça gaze !  (Hurlant au-dessus de l’intestin qui s’éveille en sursaut) Y’a d’la vie dans la tuyauterie !

L’intestin (bâillant et s’étirant)

Ahhh…  Désolé si je vous ai réveillés, mais il faut bien que la digestion se fasse !

L’estomac

Eh bien, lâche pas mon homme parce qu’il y a encore du stock…  Et c’est pas du gâteau !  Attention, je t’envoie la marchandise !

L’intestin (paniqué)

Oh non…  C’est trop là…  Tu te la gardes…  Moi, je n’en peux plus et je vais finir par devenir « dysfonctionnel » !  J’ai les muqueuses complètement enflammées !

L’estomac

Et voilà…  La grande nouille fait sa sucrée.  Écoute, si tu ne veux pas qu’on se prenne le chou tous les deux, tu ouvres tes vannes, car y’a pas écrit « consigne » !

L’intestin

Moi, j’en ai assez de faire des heures « sup » !  Non seulement je suis surexploité (en montrant l’estomac), mais en plus on me harcèle sur mon lieu de travail !  Moi, je me mets en grève !

L’estomac

Ça, c’est la cerise sur le sundae !  Je trime comme un malade pour lui livrer le tout haché menu et « môssieur » refuse de réceptionner le colis !  Il voudrait le beurre et l’argent du beurre peut-être !

Le cerveau

Bon, écoutez, calmez-vous !  Ça ne sert à…

L’estomac

Toi, mêle-toi de tes oignons, le maquereau !  On travaille pour toi et t’es même pas capable de nous protéger !  Quelques grammes d’alcool dans le sang et le cerveau pédale tranquillement dans la choucroute pendant que, moi, l’estomac, je me fais de la bile.  Et après on va dire que je suis soupe au lait !

Le cœur

Oh là, là…  Ça va pas fort ce matin…  Pourtant la vie est belle !  Laissez-vous bercer par mon tam-tam.  L’entendez-vous qui cogne sans relâche depuis hier soir ?

Le cerveau (dépité)

Ne me dites pas qu’elle est tombée amoureuse ?

 L’estomac

C’est un vrai cœur d’artichaut, vous le savez bien !  Elle fond comme une motte de beurre à chaque fois qu’il y a un gars qui lui fait des yeux de merlan frit.

Le cœur

Mais cette fois-ci, c’est différent !  Je suis emballé.  Je vis des pulsations inédites et folles.  J’ai les oreillettes qui pompent plus que de raison et le myocarde en pâmoison !

L’utérus entre très énervé.

 L’utérus (paniqué)

Au secours, à l’aide !  Déclenchez le signal d’alarme !…  Nous sommes envahis !

L’estomac

On le sait que nous sommes envahis !  C’est la faute de l’intestin qui ne veut pas évacuer !  Moi, je vous dis qu’on se prépare une occlusion (montrant l’intestin) si cette vieille saucisse continue à tourner autour du pot !

 Le cerveau

Chut !  Laisse donc l’utérus parler !  C’est curieux, je sens moi aussi tout à coup une présence étrangère qui commence à me titiller les nerfs !  (À l’utérus) Explique-nous ce qu’il se passe.

 L’utérus

Je suis bouleversé…  Ce matin, j’ai eu la visite des trompes de Fallope.  Sans un mot et l’air triomphant, elles m’ont largué un corps étranger.  Depuis, cet intrus s’incruste !…  Le pire, c’est qu’il se développe de plus en plus !  Je ne contrôle plus rien !

Le cerveau (catastrophé)

Ah non !!!

L’intestin

Quoi, c’est grave ?  C’est qui, cet importun ?  Si c’est un microbe, j’en fais mon affaire…  Moi, la faune bactérienne, ça me connaît !

Le cerveau (fataliste)

Non, rassurez-vous, nous ne sommes pas malades…  Nous sommes « enceinte » !

L’estomac (sarcastique)

La mayonnaise a pris !  Et bien voilà qui va nous pimenter l’existence !  Je ne voudrais pas en faire un fromage, mais on est dans le jus !  Et l’addition va être salée !

Le cœur

Mais non, c’est super !  Quelle bonne nouvelle !  Elle va être tellement heureuse !  Le jour de ses quarante ans, quel beau cadeau d’anniversaire !  C’était inespéré !

Le cerveau

Si seulement mes facultés n’avaient pas été amoindries par l’alcool, j’aurais pu au moins lui rappeler à quoi sert un condom.

 Le cœur

Il est bon de temps en temps que seul le cœur ait ses raisons !

Le cerveau

Mais il ne faut pas se leurrer, ça va faire un bébé sans père !  La belle ne se doute pas encore qu’ellechat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec se prépare de vieux jours d’angoisse et mon hypothalamus de joyeux troubles de l’humeur !

L’estomac

Et puis un môme, ça prend de la place !  On était déjà serrés comme des sardines !

L’utérus

Bon…  Qu’est-ce que je fais moi ?

Le cerveau

Tu couves, mon cher…  C’est toi la matrice !  Réchauffe-nous cet embryon, prends-en bien soin pour qu’il nous arrive au moins complet et en santé.  Quant à nous, les amis, nous n’avons pas le choix…  Il va falloir être un peu plus solidaires !  Tous pour un !

Tous (se prêtant au jeu avec plus ou moins bonne volonté)

Un pour tous !

Le cerveau

Parfait !  Chut…  Elle se réveille !

L’estomac (tout bas)

Je crois que je vais vomir !

Fin

 Notice biographique

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, QuébecSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Cinquante nuances de cris…, un balbutiement de Sophie Torris…

11 septembre 2016

Cinquante nuances de cris

Cher chat,

J’ai toujours été fille de joie et, pourtant, je n’avais jamais fait le trottoir. Cette semaine, je suis descendue dans lachat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec rue pour la première fois avec l’idée d’arrondir mes fins de mois. Je viens donc de passer deux jours sur l’asphalte : une petite halte pour prévenir mes arrières. Après tout, je fais le plus vieux métier du monde. Je suis travailleuse textuelle.
Mais entrez donc dans mon bordel, le Chat. J’en suis la tenancière. C’est là que je déflore les esprits. Je tente de les mener à ces jouissances horizontales que sont l’écriture et la lecture. L’enseignement est une histoire de cul…te. Alors, même si le gel des salaires n’est pas le meilleur des lubrifiants, je continue de besogner en prenant soin d’élargir mon répertoire de pratiques textuelles. Vous le savez, je ne suis pas du genre à glander.
Toutefois, je ne suis ni pute ni soumise, et quand le gouvernement veut jouer à la renverse, je me mobilise. Voilà pourquoi je sors de ma maison d’impasse pour une partie de jambes à l’air. Je me mets à nu sur les avenues. Je me consume sur le bitume. Sur les grandes artères, je dénonce le cul-de-sac. Je bénévole, je racole au secours de mon école.
Ça m’aura coûté deux journées de salaire, mais c’est là que je veux investir. Je ne finirai pas statut précaire, car j’ai le droit à un autre avenir !
Alors, je lutte, je vocalise contre tous ceux qui amputent et vandalisent l’éducation à grands coups de compression. J’arpente la chaussée en dilettante avec d’autres travailleurs du texte et ensemble nous réécrivons cinquante nuances de cris :
« On fait la grève pour la survie de l’école publique, pour pas qu’on en fasse des maisons closes. On fait la grève parce que le gouvernement nous nique, toutes ces coupures qu’on nous impose !
On fait la grève pour nos classes de 50 élèves, on fait la grève sans trêve pour nous et pour la relève. On fait la grève pour une retraite moins brève avant qu’on ne crève !
On fait le trottoir pour quelques dollars parce qu’on en a marre de ce manque de vision idéologique. On fait la grève pour dénoncer le manque de soutien pédagogique ! »
Je ne suis pas une fille facile et pourtant j’arpente la ville. Je fais le tapin, la pancarte à la main, j’ai le slogan assassin : « J’enseigne, on me saigne ! » De quoi sera fait demain ?
Je ne suis pas femme de petite vertu, mais je pratique le coït interrompu. Quels sont ces rapports non protégés qu’on veut m’infliger ?
Je ne suis pas une cocotte, pourtant on m’encourage à des pratiques textuelles avec menottes. L’école est une maison de tolérance où le décrochage n’a plus d’importance.
Je ne suis pas escort, pourtant ce n’est pas la première cohorte que j’attise. Combien sont-ils à jouir de mon expertise ?
Je ne suis pas péripatéticienne, mais, quand leur enfant fait des siennes, j’offre mes services pour zéro cent. Mon déficit est explicite.
Je ne suis pas une fille à soldats et, pourtant, ce texte est mon combat. Je ne suis pas une femme légère, et j’espère faire le poids. Je ne me prostitue pas, mais je me tue si je ne proteste pas.
Tout cela est beaucoup plus qu’une histoire de sexe. Arpenter la chaussée n’est qu’un prétexte. C’est beaucoup plus qu’une histoire de baise, la grève n’est pas qu’une parenthèse.
Je ne suis pas femme volage, pourtant je racole le long des lignes de piquetage. Bientôt, j’entamerai ma troisième ronde de débrayage.
Je ne fais pas la belle. J’ai troqué mes dentelles contre des crécelles, mes bobettes contre des trompettes. Mon lupanar n’a rien d’égrillard. Je fais l’amour à l’éducation, ma pancarte en érection.

Sophie

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

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T’as de beaux yeux, tu sais, par Sophie Torris…

6 septembre 2016

Balbutiements chroniques…

Cher Chat,

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, QuébecJe me suis toujours demandé sur qui vous louchiez et le pourquoi de cette coquetterie dans l’œil ?  Est-ce pour mieux voir ou pour mieux être vu ?  Permettez donc, le Chat, que je vous lance aujourd’hui un peu de poudre aux yeux afin de constater comment vous vous rincez l’œil.

C’est qu’il existe plusieurs écoles pour manger des yeux.  Si certains louchent, d’autres préfèrent avoir les yeux derrière la tête.  Voir sans être vu.  Quoi qu’il en soit, quand on n’a pas les yeux dans la poche, c’est bien le regard (avant l’oreille, la main, le nez, la langue) qui est notre premier juge.  Et nous avons tous tendance à avoir les yeux plus gros que le ventre.  À croire aux apparences avant d’avoir goûté.  Pourquoi en effet ne pas boire à l’œil quand c’est offert ?

Imaginez, cher Chat, que vous ayez des vues sur moi.  Qu’est-ce que mon image peut bien vouloir dire de moi ?  Peut-on se fier à une bande-annonce ?  Je suis blonde.  Suis-je pour autant condamnée au cinéma muet ?

Imaginez que vous osiez un travelling avant.  Plan rapproché.  Champ contre champ.  J’ai presque un demi-siècle.  Sur mon visage, se devinent déjà les sillons d’une carte de Tendre*.  Imaginez que je vous fasse mon cinéma sans effets spéciaux.  Au naturel, sans retouches ni raccords, car je ne suis pas adepte de science-fiction.  Si je suis interdite aux moins de 18 ans depuis belle lurette, suis-je pour autant un film d’horreur ?

Vient un temps où les années s’ajoutent comme des kilos en trop dont on voudrait se débarrasser parce qu’aujourd’hui, on n’est pas beau quand on est vieux, on n’est pas beau quand on est gros.  Mais les lignes courbes ne sont qu’une illusion d’optique.  En quoi mon dos rond, mon ventre rond sont-ils révélateurs de ce que je suis ?  Le regard des autres change en même temps que mon image, mais pas moi.

On est tous des films de répertoire en version originale, mais comme peu prennent le temps de lire les sous-titres et qu’on ne veut pas être hors champ, on repère en un clin d’œil les premiers rôles et on s’efforce de leur ressembler.  À force de fastidieux découpages techniques, certains deviennent des professionnels du doublage et multiplient ainsi les figurations jusqu’à leur générique de fin.  Au détriment d’un cinéma-vérité.

Et si ça continue comme ça, le Chat… il n’y aura plus que des navets** au Box-Office.

Alors voilà, c’est malheureux, mais aujourd’hui, la meilleure façon de taper dans l’œil de quelqu’un, c’est de lui mettre le doigt dans l’œil.  Finis les plans-séquences en une seule prise sans postproduction qui offrent des longs métrages réalistes.  On leur préfère le cinéma émergeant des réseaux sociaux, le ciel artificiel d’une nuit américaine*** sous lesquels on peut s’exhiber tout en surimpression de profils trompeurs.  Un festival de courts métrages éclectiques pour bien oublier de se regarder en face et ainsi se prendre pour un autre.  Se prendre pour des autres.

Bombardées d’images, nos pupilles se dilatent tant et si bien qu’il devient impossible de se regarder dans le blanc des yeux.  Et pourtant, n’est-ce pas là que se loge l’essence des êtres ?  La vue peut bien évidemment toucher le cœur.  N’est-elle pas la porte d’entrée pour apprécier l’art ?

Ainsi, je me plais à penser qu’en vous faisant mon cinéma d’amateur, en vous prêtant mes yeux, enchat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec les laissant s’attarder surtout, j’arrive à changer quelques regards.

Quant à vous, mon Chat, je sais maintenant pourquoi vous louchez.  Parce qu’il est prudent, en ces temps de troubles oculaires (les apparences étant trompeuses), d’avoir de temps en temps un œil qui se rebelle et qui dit merde à l’autre. Voilà sans doute pourquoi je suis ciné-folle de vous.

Sophie

* Carte d’un pays imaginaire appelé « Tendre », inventé par Madeleine Scudéry.  On y retrouve, tracée sous forme de chemins, les différentes étapes de la vie amoureuse.

** Navet : Terme qui désigne familièrement un mauvais film.

*** Nuit américaine : technique cinématographique qui permet, grâce à l’utilisation de filtres, de jouer des scènes censées se dérouler la nuit.

Notice biographique

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, QuébecSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

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L’art de la glisse…, par Sophie Torris…

4 juillet 2016

Balbutiements chroniques

Cher Chat,chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie

Vous est-il déjà arrivé de déraper ?  Votre prestige est blanc comme neige et puis un jour, vous vous essayez à un petit hors-piste et vous faites une malheureuse faute de carre.  C’est votre première erreur de parcours et elle est parfois même insignifiante, mais elle fait boule de neige.

Claude Charron[1] était dans les traces de René Lévesque quand sa carrière a pris un méchant virage.  Voilà l’exemple d’un homme brillant et intègre dont la réputation s’est mise à fondre comme neige au soleil à cause d’un seul mauvais piqué du bâton.

Si d’honnêtes gens deviennent ainsi injustement d’abominables hommes des neiges et patinent pour retrouver sans succès leur intégrité, d’autres, par contre, godillent toute leur vie sans souci, parfaitement à l’aise dans leur sloche[2].

Alors qui sont ces hommes et femmes Téflon sur lesquels rien n’adhère, ces fines lames que toute attaque laisse de glace ?  Interrogeons-nous, cher Chat, sur cet art de la glisse, voulez-vous ?  Montez à bord de mon brise-glace et mettons nos péniches[3] dans le plat.

Pour ce faire, je jetterai donc l’encre dans la baie d’un hypothétique port de croisière afin d’y analyser comment un tout aussi hypothétique vieux gréement peut y rester une figure de proue malgré de multiples embardées.  Mais attention, le Chat, vous risquez d’avoir le mal de maire !

Il était donc une fois, le maire de ce petit port de croisière.  Vous comprendrez que c’est à l’abri de la fiction que j’en fais sans trembler là-là, un personnage Téflon qui a plus d’un tour dans son sac de nœuds.  Il s’agit ici de bien comprendre cet art complexe qu’est l’art de la glisse et plus précisément de mieux saisir comment réussir à larguer toutes les amarres quand on se mouille pourtant jusqu’à l’ancre.

C’est ainsi que dans notre histoire, notre Téflon, qui tient à son gouvernail, provoque régulièrement de son plein gré les quarantièmes[4] rugissants dans le but non avoué de profiter des vents arrières furibonds pour tirer de nouveaux bords.  Plus clairement, il s’agit pour gagner en popularité de susciter une polémique afin d’exciter quelques attaques publiques à son endroit et ainsi se faire passer pour victime auprès de ses citoyens : « On veut me faire chavirer !  Qui sont ces pirates venus d’ailleurs pour nous donner des leçons ?  Dieu m’en est témoin, ils ne savent même pas crier “À l’abordage !” en français !  Et quand ils ne hissent pas les voiles sur le front de leurs femmes, ils sont à voile et à vapeur ! »

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonieJe n’ai pas besoin de faire dériver le monologue plus loin, ni de m’aventurer en plein maire.  Vous avez compris, le Chat, que le Téflon n’argumente pas.  Son secret pour que l’antiadhésif tienne bon, c’est de ne jamais entrer dans les débats de fond, mais tout simplement de décrédibiliser l’attaquant en surfant adroitement sur la vague populiste.  Imaginons que les reproches émanent d’un étranger ou d’un citadin de la grande ville – qu’il soit laïc ou d’une autre confession, universitaire ou artiste –, les bouées de sauvetage de notre Téflon seront la fierté régionale, la foi chrétienne et le gros bon-sens.

L’art de la glisse consisterait donc à se légitimer en délégitimant l’autre, à s’en prendre au messager plutôt qu’au message.  En stigmatisant ainsi celui qui s’oppose, on détourne tout simplement le problème.

Le proverbe « Qui pisse au vent mouille son caban » devient alors caduc et on peut se demander, cher Chat, si tout cela ne frise pas un peu la malhonnêteté intellectuelle.

C’est ainsi que dans la baie d’un hypothétique petit port de croisière, je lance ma bouteille au maire.

Sophie


[1] En 1981, Claude Charron, numéro deux du gouvernement québécois, est impliqué à tort dans un réseau de production de films de pornographie juvénile.  Victime de ce sale coup, son homosexualité, jusqu’alors gardée secrète par le Parti québécois, est étalée au grand jour.  Blessé, frustré et désillusionné, il vole bêtement un manteau de 125 $ chez Eaton.  Pris sur le fait, il doit faire face à une plainte au criminel déposé par le magasin.  Il quitte le monde politique de son propre chef, dans une aura de scandale qui entache à jamais une image jusqu’alors parfaite.

[2] Au Québec, mélange de neige fondue et de boue sur la chaussée.

[3] Souliers ou pieds en argot français classique.

[4] Région maritime.

Notice biographique

Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis 15 ans. Elle vit à Chicoutimi où elle enseigne le théâtre dans les écoles primaires et l’enseignement des Arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire. Parallèlement à ses recherches doctorales sur l’écriture épistolaire, elle entretient avec l’auteur Jean-François Caron une correspondance sur le blogue In absentia à l’adresse : http://lescorrespondants.wordpress.com/.

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La voiture de Monsieur est avancée ! par Sophie Torris…

5 juin 2016

Balbutiements chroniques…

Cher Chat,

J’ai beau être immatriculée au Québec, j’ai le châssis indéniablement français.  Je me laisse donc volontierslain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec conduire en état d’ivresse.  Ce que je veux dire par là, le Chat, c’est qu’en amour, je préfère céder mon volant plutôt que d’appuyer moi-même sur le champignon.  Ceci est un raccourci caricatural, je l’avoue, pour vous aider, messieurs, à bien différencier les deux codes féminins de la route francophone.  En effet, si nos panneaux de signalisation sont dans la même langue, française et québécoise, n’imposons pas les mêmes limitations de vitesse.  Il semble que l’homme québécois ait à modérer ses transports, madame risquant de péter une durite si monsieur ose un compliment sur ses pare-chocs.  Le discours courtois puisant donc principalement son essence dans des allusions à caractère sexuel, le mâle, s’il n’est pas beau comme un camion, n’a d’autre choix que de rouler les mécaniques pour espérer passer à la pompe.  Ce sont donc les femmes qui initient les têtes à queues, et en voiture Simone !

Si l’époque n’est plus à la diligence au Québec, il en va tout différemment sur l’Hexagone.  Le vieux continent peine à changer.  On y est toujours soucieux des apparences et du qu’en-dira-t-on.  La Française glousse donc dès qu’on louange sa carrosserie ou qu’on s’extasie sur ses chromes.  Plutôt que féministes, les Françaises se veulent avant tout féminines.  Les démonstrations de coquetterie sont donc toujours très bien cotées à l’argus*.  En effet, pourquoi renoncer à cette ressource traditionnelle qu’est le charme féminin ? Sans qu’il soit leur seul atout, le corps reste bel et bien un itinéraire Bis pour dépasser les bisons, même les plus futés*.  Les Françaises ne sont donc pas sorties de cette logique de séduction, au grand dam des Québécoises qui n’y voient qu’une perte de la dignité féminine.  De même, le mercantilisme français de la nudité hérisse.  Il est hors de question que l’on expose ses organes de transmission pour en faire de la publicité à la télévision québécoise.  Mais, chose paradoxale, si l’image de la sexualité est dégradante, le discours que les femmes québécoises tiennent sur leurs pratiques sexuelles est plutôt cru, étalant sans complexe sur la voie publique, et avec force détails,  leurs expériences de covoiturage.

On trouve donc autant de nids de poules sur les chaussées des deux continents, les airbags québécois n’ayant rien à envier à ceux de leurs cousines.  Par contre, et c’est là toute la différence, le système d’allumage n’est pas le même.  On ne tourne pas de la même manière autour du pot d’échappement.  Si la Québécoise, qui n’a pas sa langue dans sa poche, va au-devant de la vidange en prenant très souvent les commandes du levier de vitesse, la Française doit se contenter de jouer du démarreur à distance.  Les Latins ayant quasiment tous la traction avant, les filles n’ont pas le choix de supporter les dérapages de ceux qui manquent de liquide de refroidissement.  On ne fait pas le premier pas en France.  On n’appuie pas la première sur le starter ou on risque d’être considérée comme une voiture de location.

Une fois le contrôle technique approuvé et au-delà de la chambre de combustion, peut-on dire qu’une des ladies ait un petit côté plus assumé que l’autre ?  Quand la Québécoise garde précieusement le nom qu’elle a reçu de son concessionnaire à la naissance, la Française porte celui de son mari et parfois même celui de son ex qu’elle ne peut pourtant plus sentir.  L’amour est au point mort, l’essai routier a été catastrophique : pourquoi ne pas faire marche arrière ?  Quand la Québécoise gère ses finances, paie sa moitié exacte des comptes de taxe, revendique le partage des tâches ménagères, quelques Françaises se laissent encore entretenir en échange d’un droit de péage.

Si l’idée de parité a quelques kilomètres au compteur de part et d’autre, c’est au Québec seulement que peuvent s’illustrer les chercheures, auteures ou écrivaines.  Je ne sais pas, Le Chat, si j’ai envie qu’on me lise en tant que femme ou en tant qu’homme – si je l’étais.  N’est-ce pas justement une offense à mon écriture qui, même si elle est encore en rodage, voudrait plutôt tendre vers une validité objective et sans préjugés ?  Le masculin embrayant également sur le neutre dans la langue française, il me semble que le droit à l’indifférence des sexes serait la plus belle victoire des femmes, non ?  Pourquoi est-ce que l’affirmation de la spécificité féminine doit passer par l’affirmation d’une différence ?

L’idée de parité est née en Amérique du Nord.  Et cela a permis, il est vrai, d’éteindre de nombreux feux de détresse.  La parité semble cependant plus radicale, sur les chapeaux de roue, plus agressive au Québec qu’en France, et  pourtant, si l’on compte aujourd’hui plus de femmes au gouvernement, on n’entend parler que des hommes.

Cette radicalité ne vous donne-t-elle pas l’impression, cher Chat, que quelque chose se perd en matière de féminité, comme s’il fallait avoir l’air d’une voiture d’occasion pour être prise au sérieux.  Y a-t-il de belles femmes au pouvoir au Québec ?  Soyons objectifs, on fait plus dans la familiale que dans le coupé sport.  En France, les femmes qui font parler d’elles en ce moment briguent la mairie de Paris.  Calandres ultra-féminines, ce sont également trois moteurs à explosion.  On doit leur donner de ce pétillant « mademoiselle », révolu depuis des lustres au Québec.

lain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecSi les hommes sont en panne d’accu, si on parle de crise de l’identité masculine, n’est-ce pas parce que la femme nord-américaine persiste à vouloir piloter ses pièces détachées ?

Je suis immatriculée au Québec, mais j’ai le châssis indéniablement français et j’aime à ce que l’on me conduise en état d’ivresse.  N’est-ce pas au vilebrequin de faire couler sa bielle ? Abandonnons parfois la colonne de direction, mesdames, et pensons à pendre nos crémaillères, avant que nos corbillards ne fassent le tonneau.

Sophie, Véhicule Utilitaire sport, année modèle 1965

*Argus : Canadian Blackbook

*Itinéraire Bis et Bison Futé : Dès 1976 en France, le ministère des Transports a développé des actions permettant la répartition dans l’espace des flux de trafic, notamment lors des grandes migrations saisonnières, et à proposé la mise en place des itinéraires Bis qui ont fait l’objet, jusqu’en 2003, d’une édition sous forme de carte : « La carte Bison futé. »

Notice biographique

Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis 15 ans. Elle vit à Chicoutimi où elle enseigne le théâtre dans les écoles primaires et l’enseignement des Arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire. Parallèlement à ses recherches doctorales sur l’écriture épistolaire, elle entretient avec l’auteur Jean-François Caron une correspondance sur le blogue In absentia à l’adresse : http://lescorrespondants.wordpress.com/.

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Bals de finissants, par Sophie Torris…

24 mai 2016

La piste aux étoiles

Oyez, oyez, le Chat !chat qui louche maykan alain gagnon francophonie

Ce soir est le grand soir !  Retenez votre souffle, c’est l’heure du grand frisson.  Le cirque est en ville !  Réservez votre gradin et vous verrez passer devant l’entrée du chapiteau dressé pour l’occasion la caravane satinée et emplumée des finissants.

Ma fille termine son secondaire et clôture ses cinq années d’acrobaties académiques par un bal.  Et croyez-moi, c’est toute une mise en piste que ce bal des finissants.

Le vieux continent n’étant pas adepte de ces coutumes, permettez donc, cher Chat, que je revête le costume de monsieur Loyal pour l’occasion.  Je dompterai le mot aujourd’hui afin d’introduire chacune des jongleries entourant la préparation de cet événement très attendu.

Roulement de tambour !  L’exercice est périlleux.  C’est que nos jeunes baladins ne badinent pas avec leur bal.  Il faut savoir que c’est un moment unique qui ne se renouvellera jamais.  Eh oui !  Si on peut multiplier les pirouettes nuptiales sous plusieurs lunes de miel, on ne vit son bal qu’une seule fois.  Il est donc hors de question de se lancer dans cette aventure sans filet et c’est grâce à d’abracadabrants préliminaires que l’illusion pourra être parfaite.

Le bal est donc une consécration collective qui, parce qu’elle précède la dissolution d’un groupe d’élèves, se doit d’être un moment inoubliable et intense pour chacun.  Ainsi, non seulement on le prépare des mois à l’avance, mais, en plus, on entoure cette mise en scène de mystère.  Le secret fait partie intégrante de l’aventure et celui de la robe de bal est au cœur de la représentation.  Dès septembre, c’est toujours le même manège, ça se rue dans toutes les boutiques pour trouver l’objet de convoitise et ça monte sur ses grands chevaux quand ça leur passe sous le nez.  Car c’est une course à la montre.  Une robe ne peut être vendue qu’une seule fois.  Vous pensez bien, cher Chat, que le conte de fées avorterait instantanément si deux princesses portaient la même robe.

L’enjeu est bien évidemment de se faire remarquer.  Perchées sur des échasses et très souvent sans avoir appris au préalable à s’en servir, certaines offrent des numéros de haute voltige assez clownesques quand d’autres excellent dans des numéros de contorsion, à l’étroit dans des fourreaux sexy.  Il est également du meilleur goût pour les demoiselles d’arriver pendue au trapèze d’un cavalier dont le nœud papillon ou la cravate rappellera subtilement la couleur de la robe.  Si cette dernière n’a pas déjà coûté une petite fortune, les accessoires, indispensables, car garants d’une véritable élégance, contribueront alors à élever sensiblement la facture : souliers, bijoux, sac, étole, barrettes, faux ongles, faux cils et tout autres postiches.  L’investissement pour certains parents frise la haute voltige, et pour peu qu’on ait plusieurs filles, on se retrouve sur la corde raide.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonie Les finissants doivent également soigner leur arrivée, et il sera de bon ton de surprendre l’assemblée de parents, professeurs et amis amassée devant le chapiteau en optant pour un carrosse original.  Si la limousine a encore la cote, on s’évertuera chaque année à penser à des moyens de locomotion inusités : ambulances, tracteurs, bateaux, chevaux, corbillards, chars allégoriques en tout genre.  Nos saltimbanques ont souvent une imagination débordante et cette parade toute circassienne est un des clous du spectacle.

C’est donc sur cette arène d’une seule soirée, sous les cuivres d’un orchestre et dans l’odeur fauve de l’excitation, que ma fille va rugir pour la première fois ses vertes années devant le public.  Premier événement social majeur auquel elle participe, ce bal n’est-il pas l’occasion de s’inventer et de vivre un rite de passage dans une société qui malheureusement n’en offre plus ?  Alors que notre monde perd l’équilibre, ces jeunes funambules ressentent le besoin de célébrer comme un rituel collectif la fin d’un cycle et l’espoir de premiers pas individuels sur le fil tendu d’un nouveau savoir-faire.

Le bal est une mise en scène solennelle qui joue avec la corde sensible des adultes.  Nos petits ont franchi une étape dans leur scolarité et croyez-moi, le Chat, y ‘a de la voyelle emphatique dans l’air.  Ce sont des Ah, des Eh, des Ih, des Oh, des Uh qui ponctuent les 150 solennelles remises de diplômes. Et puis, c’est le temps de la valse.  Aux bras fiers des pères, les filles virevoltent et le froufrou de leurs robes défie l’attraction terrestre tandis que, serrées contre leurs fils qui tentent de compter leur pas, un, deux, trois, les mères tournoient heureuses, même si l’espadrille inexpérimentée couleur « robe de bal » de leur rejeton vient broyer impitoyablement leur escarpin.

Alors, rite de passage, certes, mais qui s’accompagne également de rites pas sages.  En effet, le bal se retrouve souvent pris en sandwich entre un avant-bal et un après-bal.

Après l’élection du roi et de la reine, les finissants prient donc les adultes de leur lâcher les baskets afin que tous puissent peut-être trouver chaussure à leur pied.  Beaucoup finissent cependant par marcher à côté de leurs pompes, l’ivresse étant non seulement permise, mais souhaitée.  D’ailleurs, avant de quitter le bal, les parents fournissent leurs enfants mineurs en alcool afin qu’ils ne manquent de rien, agençant, plein de bonne volonté, les limites ordinairement permises, cautionnant même parfois un taux élevé d’alcoolémie.

L’aura de mystère qui entoure les avants et après-bals est encore plus flagrante.  L’avant-bal a lieu quelques semaines avant le bal.  On le prépare dans le dos de la direction qui ne doit pas être au courant de la date.  Les futurs finissants arrosent ainsi leur première nuit blanche en plein air dans la cour d’école et quand la cloche sonne au petit matin, tous rejoignent sagement leur pupitre, affublés d’un nez rouge, dans des vapeurs d’alcool et de vomi.  Inutile de leur faire compter des moutons ce jour-là.

L’après-bal, quant à lui, est tenu dans un endroit isolé dont la destination n’est dévoilée qu’au dernier moment.  Secret d’initiés oblige !  On quitte alors le chapiteau et sa piste aux étoiles pour la voute céleste d’une cabane à chat qui louche maykan alain gagnon francophonie sucre des environs ou tout autre endroit qui en a vu d’autres.  Les finissants doivent être les seuls à savoir où ils sont et resteront souvent très évasifs sur ce qu’il s’y sera passé.  On y boit.  Beaucoup.  L’alcool n’est-il pas l’instrument rituel par excellence, accompagnant et célébrant toutes transitions ?  Il est vrai que l’ivresse invite à cette folie provisoire et réversible qui permet un certain détachement de soi pour mieux se fondre au groupe.  En déséquilibre sur cette roue de fortune, ils osent alors s’essayer  à tous les rôles d’adultes, à d’autres tours d’adresse.  C’est le temps d’un autre rite de passage et certains jeunes attribuent à l’après-bal un rituel nettement sexuel.

L’alcool, bâton du diable et ferment du groupe, continue de couler à flot, échauffant les sens et la fête qui ainsi peut déborder de son cadre et entrer dans l’histoire des finissants à travers tous les souvenirs impérissables qu’elle aura laissés.

Alors on pleure au petit matin parce qu’on se quitte ou parce qu’on ne se souvient de rien.

Le bal n’est donc pas que de la poudre aux yeux.  Ne pensez-vous pas, cher Chat, qu’il joue un rôle réel dans le devenir adulte ?  Je vous avoue cependant que j’aurai un peu de difficulté à m’endormir ce soir, alors que ma fille aidée de son pack de Smirnoff sera en train d’inscrire dans sa mémoire l’intensité du moment.

Sophie

Notice biographique

Sophie Torris est d’origine française, québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)