Élizabeth Vonarburg critique Alamazar dans la cité d'Alain Gagnon…

Livre du mois

« ALMAZAR DANS LA CITÉ » d’Alain Gagnon

Almazar

 

par Élisabeth Vonarburg

Le dernier roman d’Alain Gagnon, « Almazar dans la cité ». semble un répit après les tonalités sombres et dérangeantes de «Sud» ou de «Thomas K» mais c’est simplement que l’auteur revient à un autre des registres auquel il nous a habitués : la fantaisie au sens propre et cette fois au ras de la farce parodique parfois, dans la mesure où Almazar est une sorte de relecture à la moulinette de Don Quichotte, explicitement pris à parti dans le roman.

Almazar Trudeau, prêteur sur gages plutôt bonhomme même s’il a le sens des affaires, et doté d’un frère universitaire maniaque de littérature, a  gagné au poker son fidèle écuyer et chauffeur, Sancho. Il se choisit une Dulcinée, qu’il appelle Douce, et à laquelle succédera, après l’infortuné trépas de la première, une Douce II. Le télescopage de la société moderne et de l’esprit chevaleresque, un peu transposé, ne manque pas de sel (il faut voir Almazar venir sérénader sa belle, nu au clair de lune en plein hiver), mais l’intrigue amoureuse et les vagabondages affectifs et généalogiques d’Almazar sont surtout un prétexte à dérives et délires — et à réminiscences littéraires, que ce soit dans le texte, ou dans les exergues, après le titre de chaque chapitre évocateur des romans anciens. On se promène dans toute la littérature, réelle ou inventée. Ainsi, le chapitre XIV («Comment le valeureux Almazar déjouera la perfidie des traîtres et des fraudeurs qui ont voulu abuser de son admiration pour don Quichotte et du chagrin provoqué par le décès de son frère Maurice»), nous renvoie d’une part à Umberto Eco et de l’autre à une certaine Catalina, épouse de Cervantès : «Si jamais je retrouve la pute infâme qui lui a servi de modèle pour Dulcinée, je lui arrache les seins, les yeux et l’utérus, puis, par pure charité chrétienne et pour le salut de son âme, je livre le reste à la Sainte Inquisition»…

Si désopilant soit le texte (je me suis surprise à glousser à maintes reprises), il n’en est pas moins profond par endroit, de façon sournoise, vous prenant an dépourvu comme la glace de fin de printemps, dont on ne sait pas toujours si elle vous portera. Ce que j’ai surtout aimé, bien sûr, selon mon biais personnel, c’est l’exquise désinvolture de l’écriture par rapport à tous les interdits habituels du roman réaliste, et comme sous le couvert de la fantaisie on explore (une fois de plus dans l’œuvre de Gagnon, pourrait-on dire) la soif de l’absolu et son sens possible aujourd’hui. Une mystérieuse Annabelle Lee (celle d’Edgar Poe, bien sûr) apparait et disparaît, fatale sirène qui causera la mort de Maurice, lequel a vu ce qu’il n’aurait pas dû voir, un des grands ressorts du fantastique classique… «Mon roman postmoderne», avait confié l’auteur au Lézard au temps où ce texte n’était encore qu’un projet. Et de fait on y trouve plusieurs procédés considérés comme postmodernes : la citation ironique, la désinvolture à l’égard des structures narratives, les interventions clin d’œil de l’auteur jusqù’à ce qu’il apparaisse lui-même en personne lorsque son personnage a besoin de lui! À vrai dire, on n’a pas attendu l’étiquette pour utiliser certains de ces procédés (pour l’intervention de l’auteur, par exemple, depuis Diderot et «Jacques le Fataliste», on en a vu passer beaucoup sous les ponts, le ventre en l’air!) Il faut donc ne pas trop se soucier des modes et simplement lire ce roman comme il se présente, une joyeusement féroce cavalcade à travers l’amour, les dessous de notre société, les replis de notre subconscient de nantis et surtout à travers un imaginaire généreux et débridé versant aisément dans le fantastique ou le merveilleux, selon l’humeur.

C’est pourtant sur une note bien grave que se clôt le livre, sinon le roman, une postface de combat qu’il faudrait citer en entier : « Ah! S’asseoir et s’adonner à la dérision, à cette fête mexicaine des morts; les dévorer en pain de sucre, en pains d’épices, s’en engraisser jusqu’à ce qu’ils renaissent par tous, pour tous, sous forme d’excréments; devenir ce déluge qui vers l’ouest charrie les mots et les morts (…) Savoir vrai et se taire. Savoir vrai pour se taire. (… ) Le magma de la classe movenne bouillonne de romans insipides — marmites d’infusion suaves que vomirait toute sorcière qui se respecte. 0n apprend les mots pour apprendre à penser et lorsqu’on ne pense plus, les mots tournent à vide comme ces ailes de grands moulins (…) Almazar ne laisse pas le froid et la glace oblitérer nos mémoires fortuites. Je te confère, homme, le dernier cri du citoyen avant sa liquéfaction (…) se hisser de la parodie à la parole. (…) J’entends ces grands arbres qui rêvent au détour des chemins creux les vents de la colère hurler sous les viaducs… »

« Almazar dans la cité » d’Alain Gagnon, Lanctôt Éditeur, 184 pages.

Source :

© Élisabeth Vonarburg- Écrivaine

publié dans le bulletin de l’APES-CN

Le Lézard Printemps 2000

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