Polar, une nouvelle de Jean-Pierre Vidal…

12 juin 2017

Polar (or Who dunit in the Shades)

 En courant, je revois le corps. Enfin, ce qu’il en reste. Parce qu’on l’avait passé par le genre d’outil qui ne chat qui louche maykan maykan2 alain gagnonlaisse pas grand-chose. Pas grand-chose, mais tout juste assez pour voir que ça avait dû faire mal. Exagérément. Dame, le travail à chaud à la tronçonneuse, c’est pas de la chatouille thaïlandaise, et ce que ça laisse par terre, sur les murs et même au plafond, c’est pas du bran de scie.

 Et le p’tit gars qui court devant moi comme un lapin, c’est sans doute lui qu’a fait le coup. Ça m’a coûté trois mois de planque pour en être à peu près sûr, ouais, à peu près, trois mois à faire le poireau, à me geler les radicelles, à jouer les vitres de serre, à me fondre au terreau. Trois mois dont le souvenir me fait gonfler plus fort mes poumons pas très nets, pousser sur mes jambes un rien flageolpinces. Trois mois, bon Dieu ! Je l’aurai, le salaud.

 Penser au corps, ça rend plus rage. Et le chat ! Comment peut-on faire ça à un animal ? Les humains, passe encore. Ils paient pour leurs péchés, c’est dans la Bible. Mais un pauvre Felis silvestris catus qui d’mandait qu’à couler sa félicité ronronnante et craouante sur quelque coussin doux ! Avec un fer à souder, pauv’ bête !

 Tu t’en sortiras pas comme ça, mon p’tit gars, j’suis pas gambette d’airain, mais j’ai encore du tonus. Oh ! tu peux bien zigzaguer entre les passants, t’arranger pour qu’y ait toujours une mémère, un enfant, un vioque, la terre entière entre toi et moi, je t’aurai. Et sans flingue, à part ça. Faut pas tirer dans la rue de nos jours : ça fait désordre.

 Ah, si c’était Lionel qu’était à ma place, t’aurais pas fait long feu. Formés aux jeux vidéo, les jeunes flics. Y font dans l’réflexe, pas dans l’détail ni la dentelle. Y vous découpent vite fait à l’Uzi, sans vraiment suivre le pointillé.

 Avant, des crimes comme ça, c’était pas compliqué, c’était un dingue ou la pègre. Un amateur complètement sauté ou au contraire, un professionnel qui faisait ça sans passion, parce qu’on lui avait dit de faire un exemple et que parfois, c’est pas la mort qui fait le plus peur. Mais maintenant, allez savoir…

 J’t’aurai, p’tit gars.

 Enfin, j’dis p’tit gars, mais la silhouette fluette qui gagne du terrain sur moi, la vache ! c’est p’têt’ aussi bien celle d’une femme, après tout. De nos jours, tout le monde est capable de tout. Et depuis qu’les femmes font dans l’métier non traditionnel, comme y disent, on peut compter sur un paquet d’entre elles pour savoir jouer du fer à souder et de la tronçonneuse. Sans compter qu’maintenant on vous fait des modèles légers, légers.

 Quel qu’il soit, j’vais l’alpaguer. Il le faut. Peux pas laisser passer ça.

 Mais il ou elle est dans la joyeuse vingtaine et j’viens juste d’attraper cinquante balais.

 ***

 La théière est sur la table. C’est une table ronde, couverte d’une toile cirée à carreaux rouges et blancs, où des objets incertains ont laissé des traces luisantes, demi-cercles brisés, carrés auxquels il manque un côté, triangles éventrés, taches furtives, simples points. Au centre, un carré de verre épais tient lieu de dessous-de-plat : son dessin, que cache presque entièrement la théière, est cependant suffisamment explicite dans ses parties visibles. Après avoir humé la bonne odeur de verveine qui monte de la théière fumante, Agatha ramène un peu son châle sur ses épaules, coule un regard ému vers le persan qui vient de lever la tête au léger crissement du fauteuil roulant de la vieille dame, et arrête sa mécanique un peu grinçante devant l’autre table, rectangulaire, qui lui sert de bureau. Elle écoute un moment, en penchant un peu la tête vers la radio, le menuet de Boccherini qui lui rappelle tant son vieil Albert et le pas de danse qu’en l’entendant il esquissait toujours. Sur la cheminée où crépite un confortable brasier, dans un cadre doré un peu passé, Albert lui sourit sous son casque de bobby.

 Dans un soupir, elle a repris son crayon. Elle barre soigneusement Lionel d’un croisillon d’encre acharné et met à la place Albert. Elle n’a jamais su se servir du correcteur liquide. Son éditeur se débrouillera avec ça. Encore beau qu’à son âge, elle n’écrive pas encore à la main ! Puis, elle entreprend de trouver le mot Uzi dans son dictionnaire. C’est bien ce qu’elle pensait.

***

…and the old men in wheelchairs know

that Matilda’s the defendant, she killed about a hundred

and she follows wherever you may go

waltzing Matilda, waltzing Matilda, you’ll go waltzing

Matilda with me

 chat qui louche maykan maykan2 alain gagnonJ’arrête Tom Waits, je caresse un peu Sibylle qui, depuis que son vieux compagnon s’est fait écraser, vient de plus en plus me trouver quand j’écris ; je finis mon verre et je n’ai plus, moi, qu’à répondre oui d’un doigt sur la souris, quand la machine me demande  : « Enregistrer les modifications avant de fermer ? »

 Demain, Agatha se remettra au travail et l’inspecteur reprendra sa course.

(Nouvelle tirée du recueil Petites morts et autres contrariétés, Éditions de la Grenouillère, 2011.)

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeurémérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaires québécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtc,Ciel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).jp1

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Tout doit être vendu : Signe des temps, par Jean-Pierre Vidal…

13 mai 2017

Tout doit être vendualain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec 

L’Irlandais James Joyce s’en prenait, comme il est normal dans son cas, à l’Angleterre de son temps en disant d’un ton indubitable de mépris qu’un Anglais ne trouvait rien de mieux à dire pour vanter ses accomplissements que « I paid my way », j’ai « payé » pour en arriver là. De nos jours, un Américain formulerait ça autrement, et nous l’imiterions tous, puisque c’est là que nous en sommes : « I sold my way », j’ai « vendu » pour en arriver là. Dans les deux cas, l’acception est également métaphorique. Payer, c’est souffrir, trimer; entreprendre et vendre, c’est… la métaphore universelle du XXIe siècle.

Car la frénésie de vente y est si répandue que plusieurs vendraient leur mère, d’abord en gros, puis au détail, et que tous vendent de tout, à commencer par eux-mêmes et en allant jusqu’à leurs idées, quand ils en ont encore.

La communication sous pression

L’impératif de se vendre à qui nul désormais n’échappe, de Facebook au marché du travail, est, en fait le revers d’une médaille dont l’avers est la communication, une communication devenue virale, incessante et obligatoire. Et surtout à sens unique, car cette pseudo-communication ne s’embarrasse ni de questions ni de dialogue : l’autre n’y est qu’un figurant qu’il s’agit de prendre à témoin, comme on prend en otage, un horizon qu’il s’agit de saturer, comme on occupe tout le terrain.

Aussi ne s’agit-il pas vraiment de communiquer, avec la part d’aléatoire et d’ambigüité que cela implique, mais plutôt de convaincre, de persuader, de circonvenir, voire d’assommer. Comme le fait la pub quand elle abandonne la simple séduction pour matraquer, bombarder, abrutir et procéder ainsi plutôt au viol des consciences.

Notre mode de pensée collective est publicitaire, point à la ligne. Et il repose sur le plus imparable des cynismes : le pragmatisme. Le monde est ce qu’il est, on ne le changera pas et il faut se comporter en conséquence : la fin justifie tous les moyens, des plus ignobles aux plus raffinés. On appelle ça du cynisme, du moins quand on utilise le terme à bon escient.

Mais la question qui, dès lors, se pose pourrait se dire sous forme d’un jeu de mots en apparence innocent : à quelles fins la fin ? Dans quel but ultime le but ? Pour quoi faire la rentabilité ? Le déficit zéro ? C’est, il va de soi, une question apocalyptique, si l’apocalypse est bien, comme le dit son sens originel grec, le discours des fins dernières plus encore que celui de la fin de tout, à quoi on le réduit trop souvent.

En ces temps de « rentabilisme » — le néologisme s’impose — plus encore que de rentabilité, il faut reposer cette question haut et fort à quiconque nous assomme de cet impératif encore plus catégorique que celui de Kant.

La rentabilité, pour quoi faire ?

Et d’abord, qu’est-ce qui est rentable, mais rentable vraiment ? Ou pour dire cela autrement, qui peut bien dire qu’il est vraiment un self-made-man, qu’il s’est élevé à partir de rien ? Ou que l’entreprise qui l’a rendu milliardaire n’a jamais, dans ses débuts modestes, bénéficié de quelque aide publique, fût-elle infime, avant de recevoir tout au long de sa croissance suffisamment de subventions, de dégrèvements d’impôts, de primes et de prébendes de toute sorte pour pouvoir permettre au patron, à un moment ou à un autre, de partir avec la caisse, comme cela se voit tous les jours ? Quelle compagnie prétendument créatrice de richesses et vendeuse d’emplois (car oui, désormais, tous les pays achètent des emplois aux multinationales, et parfois au prix fort) n’a pas amplement profité des innombrables infrastructures et de la formation de sa main-d’œuvre pendant au moins dix ans, si elle ne dépasse pas le niveau d’ouvrier qualifié, et pendant près de vingt, si elle sort de l’université. Car, le recteur Breton de l’Université de Montréal se trompe, ce n’est pas le rôle spécifique de l’université que de « former des cerveaux pour l’industrie », c’est, d’une certaine façon, le rôle du système d’éducation tout entier, de la prématernelle au doctorat éventuellement. Tout état digne de ce nom offre gracieusement tout cela à toute industrie, à tout commerce, à tout employeur. Mais tout état digne de ce nom prétend aussi ne pas faire que former des travailleurs ou des employés en éduquant sa population. Tout état digne de ce nom devrait donc rester de marbre devant le rentabilisme conquérant. Inutile de souligner que les états dignes de ce nom sont de plus en plus rares sur cette malheureuse planète.

L’être humain est-il rentable ? Je suis profondément convaincu que non, si l’on évalue la rentabilité en termes strictement économiques ou, pire encore, comptables. Car cela reviendrait à dire que les enfants sont rentables pour leurs parents, ce qui serait une absurdité, même pour les pays peu développés où les enfants contribuent eux aussi et très tôt à la survie de leur famille.

L’homme des cavernes s’est-il posé la question de savoir s’il était sage, prévoyant, bref, rentable, de sortir de son antre et d’affronter mammouth, ours et tigre géant ? Si une telle interrogation ne lui avait ne serait-ce qu’effleuré l’esprit, nous en serions encore à nous serrer tous ensemble les uns contre les autres, accroupis autour du feu de camp, si du moins l’invention du feu avait eu lieu sans déficit. Et le recteur Breton rongerait un os d’auroch au fond d’un antre obscur.

Et la culture, bordel ?

Il n’y a rien de plus humain que la culture. C’est elle qui, prise dans son sens aussi bien anthropologique qu’élitiste ou de « croissance personnelle », conditionne la vie de tous les peuples et de toutes les nations.

Se poser la question de la rentabilité de la culture est tout simplement risible. C’est comme si nous adorions Attila ou Daesh. Comme si nous pensions, enfants de 1984, que la mort, c’est la vie, que l’éradication, c’est l’essaimage, que détruire, c’est construire.

Rien n’est plus stupide que l’expression « industrie culturelle » : absolument tautologique, elle revient à dire que vivre, c’est respirer ou même, pire encore, que faire, c’est faire.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecC’est pourtant — « pire qu’un crime, une faute », comme disait Fouché qui s’y connaissait dans les deux — la chose inqualifiable qu’a osé commettre le premier ministre japonais, Shinzo Abe, qui vient de réussir à convaincre par lettre toutes les universités de son pays, sauf deux, que les sciences humaines au grand complet étaient « inutiles ». En entendant parler de culture, il avait sorti sa calculette, comme l’autre son révolver. Faut-il préciser que monsieur Abe est l’honorable descendant d’une des plus riches et honorables familles du Japon, une famille d’honorables brasseurs de soja, de bière et d’affaires ? Il ne craint pas de se poser en honorable béotien cynique.

À l’heure où les arts, les lettres, la culture, du moins celle qui ne peut pas être dite « populaire », c’est-à-dire qui ne peut pas, elle, être qualifiée d’« industrie », sont menacés partout sur la planète, il importe de se rappeler, comme en écho rectificateur à Joyce, l’une des plus fortes formules de ce grand Britannique, Winston Churchill, qui n’en fut certes pas avare. La scène est à Londres, sous les bombardements allemands. Tous ses ministres assiègent le vieux lion pour qu’il coupe les subventions à tout ce qui est culturel, sous prétexte, ô combien respectable en apparence, qu’il devrait y avoir d’autres priorités en de telles circonstances. Il répond avec une superbe tout anglaise : « then, what are we fighting for? » Alors, pourquoi combattons-nous ? À quelles fins, cette résistance ? Dans quel but cet effort manifestement, expressément, irrémédiablement non rentable ?

L’obsession du déficit zéro et de la rentabilité à tout prix, à quelque sphère de la société qu’elle s’applique, faitalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec inévitablement surgir la question des fins ultimes. Pourquoi tout cela ? La valeur au sens comptable est-elle la seule qui nous reste ? Et si oui, n’est-ce pas la fin de l’humanité ? L’apocalypse, comme si vous étiez ?

Le problème est encore, finalement, économique. Car nous ne sommes plus du tout sûrs de pouvoir encore opposer une autre valeur à la perspective myope et au discours muet de la rentabilité.

Cette autre valeur susceptible de faire barrage à l’autre, il est fort probable que nous n’en avons plus en stock. Et que la fabrication de toute valeur non marchande, quelle qu’elle soit, a été discontinuée.

Vérifiez donc, pour voir.

Jean-Pierre Vidal
in Signe des temps, Le Chat qui Louche, janvier 2016

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, québec, littératurequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

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Chronique d’humeur, par Jean-Pierre Vidal…

25 avril 2017

La démocratie malade de la représentation

 Je ne veux pas, par ce titre, ajouter ma voix à toutes celles qui dénoncent la corruption ou l’incompétence de ceux qui, à quelque niveau et de chat qui louche maykan alain gagnon francophoniequelque façon, nous représentent, mais plutôt attirer l’attention sur un mal bien plus profond : la perversion de la représentation que génère la société du spectacle dans laquelle nous sommes toutes et tous littéralement engloutis.  La désaffection des citoyens, la faiblesse des états, de plus en plus ingouvernables, et même l’effondrement des institutions partout observable, sont autant de signes ou de symptômes qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de la représentation, comme dirait Hamlet.  Et par représentation, j’entends spectacle, mais aussi politique ; j’entends à la fois l’autoreprésentation — et Dieu sait si de nos jours, elle a atteint le stade de la virulence — et la projection/délégation dont naissent toutes les formes de rapports à l’autre qui fondent le sujet individuel, mais aussi le spectaculaire sans lequel il n’est pas de communauté ni d’institutions pour lui servir d’armature et de symbole à la fois.

Heidegger disait : « on ne peut être sans se représenter », version philo du célèbre « on fait tous du show-business » de Plamondon, dont on a fait le maître mot de toutes les téléréalités qui nous pourrissent les ondes.

Et c’est précisément ce que les anciens Grecs avaient obscurément compris en inventant d’un même coup de génie le théâtre et la démocratie, et en faisant jouer au premier un rôle capital dans la consolidation de la seconde, les deux s’incorporant en outre dans des fêtes religieuses qui célébraient la communauté bien plus que les divinités.

Le spectacle écrasé

Quand tout est spectacle, paradoxalement plus rien ne l’est.  Car plus rien n’advient dans cette distance à soi et à l’autre qu’exige toute représentation.  La preuve ?  Plus le sujet contemporain se représente sur toutes les plateformes que la technologie lui offre, moins il est intéressé par les représentations des autres.  Les artistes ne s’intéressent guère à l’art des autres, les écrivains ne lisent que leurs amis, les cinéastes vont rarement voir les films des autres, c’est un constat que tout le monde peut faire dans les vernissages, les librairies ou les salles de spectacle.  Seuls peut-être les gens de théâtre semblent curieux des réalisations de leurs collègues : mais c’est sans doute qu’ils en sont tributaires, car celui dont ils vont voir la mise en scène est peut-être celui qui demain les engagera.  Plus encore que le cinéma, le théâtre est un art collectif et c’est sans doute ce qui le sauve en tant qu’institution.

Et parlant d’institution, il m’apparaît indéniable que le virus de la représentation universelle de soi à l’exclusion de toute autre forme de représentation est en train de liquider purement et simplement toute forme d’art : la rage de la projection du moi exclut tout partage, toute ouverture à l’autre dont il s’agit seulement désormais de saturer l’espace, d’envahir le regard, d’assommer l’âme.  Ce qu’on appelle noblement l’interactivité n’est qu’une miette de participation — remplir les espaces vides, faire dévier un rayon laser, dire oui ou non à une « proposition » — dont l’hypocrisie est manifeste : car si je te fais participer à ma performance, c’est pour mieux t’incorporer à elle, c’est-à-dire aux formes de ma représentation, à la célébration de mon individualité, à la gloire de ma créativité.

L’art banalisé

Quiconque dispose d’une caméra vidéo ou d’un téléphone cellulaire, c’est-à-dire tout le monde, sauf moi, peut désormais placer sur YouTube des images de lui ou de son chien qu’il ne tiendra qu’à lui de baptiser artistique, la critique tétanisée par le coup d’éclat célèbre de Marcel Duchamp n’y verra que du feu, puisque n’est, depuis lors, art que ce qu’un individu décrète tel, de toute l’autorité que lui confère son ego bardé de droits.  Et comme, dans ce domaine de l’art, la technologie a pris le contrôle, rendant faisable par tout un chacun ce qui, autrefois, exigeait apprentissage, patience, ascèse, on ne fait pas une œuvre qui vous dirait artiste, on est un artiste, de naissance, par décret personnel, ou pire, par obtention d’un diplôme, et tout ce qu’on fait, même la chose la plus insignifiante devient dès lors une œuvre.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieLe rapport d’altérité que tout artiste entretenait avec sa matière, parce que la travaillant, il se trouvait lui-même travaillé par elle, s’est changé en simple projection, sans distance, sans dialectique, sans interaction.  L’œuvre n’est plus qu’une ombre portée.  Et du même coup, tout de l’art devient affaire de marketing : si j’arrive à surfer sur une tendance ou, mieux, à la créer, je projetterai cette ombre sur la totalité du visible.  Car il faut le remarquer, nous sommes aussi à l’époque des « chires » et de l’effet boule de neige qui répand la renommée comme une traînée de poudre au point, par exemple, que gagner un prix, c’est presque à tous les coups, en gagner d’autres : le prix des libraires en sait quelque chose, comme tous ces jeunes écrivains sacrés vedettes parfois à partir d’un seul texte et qui se retrouvent du jour au lendemain, sur toutes les tribunes et dans toutes les fonctions.

La politique autiste

Mais, parlant de fonctions, et pour changer d’institution, la fonction politique est désormais elle aussi affaire de représentation unidimensionnelle et saturante.  Comme l’artiste, l’homme politique vise d’abord à se répandre, à devenir virus.  Des maires ont des émissions de radio ou de télé régulières et prétendent ainsi mieux servir leurs citoyens, des hommes politiques squattent littéralement les réseaux sociaux apparemment pour commenter l’actualité, mais surtout pour être perpétuellement présents : le pouvoir est dans la représentation universelle et exclusive de soi.  Même si, bien souvent, à l’instar de notre communication compulsive où rien ne se communique… que la communication elle-même, rien ici ne se représente que la hantise de se représenter.

Et le pire, c’est que ça marche !

Car la capture de la tendance et donc de l’approbation repose ici aussi sur la force du même : le narcissisme militant de l’homme politique rencontre le narcissisme maladif de l’électeur — cet homme sans qualité ni identité.  Pris dans ce piège, l’électeur vote pour une ombre : la représentation victorieuse.  Et il croit d’autant plus voter pour lui-même que l’autre, celui qu’il va élire n’est qu’un autre lui-même, sans qualité, sans identité : il se reconnaît en lui, dans la mesure où l’autre n’a strictement rien dit d’autre que son désir de représentation.

Un art, une politique sans distances, où ne se projette que du soi et où l’autre n’est que le mur sur lequel on projette, des institutions désertes où chat qui louche maykan alain gagnon francophoniene circulent plus que des images, des ombres ou des avatars, une agora où tout le monde veut non seulement prendre sa place, mais prendre toute la place, tout cela cadenasse à double tour l’espace du même.  Un espace dans lequel toutes les différences sont abolies, tous les mérites effacés, au profit d’une indistinction universelle qui fait de tous des choses, sans altérations ni intimités, mais représentées sans cesse, comme l’éternité de la matière.

Il n’y a plus de spectateurs, de citoyens, il n’y a plus que des acteurs et des politiciens fous : nous.  Des acteurs et des politiciens qui, dans leur volonté de puissance où nul autre ne trouve l’espace de naître ou de s’insérer, abolissent et le théâtre et la démocratie, ces lieux où l’on débattait autrefois de l’autre et, partant, de la communauté.

Et c’est ce qu’on appelle, justement, la masse.

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sachat qui louche maykan alain gagnon francophonie fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaires québécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtc,Ciel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

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La tortue d'Achille, apophtegmes de Jean-Pierre Vidal…

20 décembre 2016

Apophtegmesalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, québec

211. — Non seulement je me prends pour un autre mais même pour plusieurs : c’est la seule façon que j’aie de m’en tirer avec mon identité.

212. — Certains arborent des profils en forme de profondeur de champ. D’autres ne sont perceptibles qu’en gros plan. Mais la vaste majorité des gens n’est désormais cadrée qu’en plan américain : coupé à l’âme.

213. — Les avatars de la ponctuation masculine : quand le point d’exclamation s’interroge, il finit en virgule. Un point, c’est tout.

214. — Quand on vous manifeste un respect dont vous ne voyez pas la raison, c’est que vous êtes devenu vieux.

215. — La morale sociale la plus répandue repose généralement sur cette maxime implicite : ne pas faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu’ils vous fassent. Les affaires, comme la guerre, c’est l’inverse ; il s’agit expressément de faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu’ils vous fassent : payer le plus tard possible et se faire payer le plus tôt possible, acheter au plus bas, vendre au plus haut, tuer, assommer, sortir du marché, réduire à la mort économique, liquider ou contraindre à la liquidation, etc. Et l’on voudrait que l’on s’enthousiasme pour ça ?

216. — Il faut s’aimer terriblement pour accepter de se sacrifier à quelqu’un d’autre. Tous les martyres sont des arrogants qui cachent leur jeu. Jésus est l’arrogance incarnée. Plus arrogant que ça, tu meurs en fils de Dieu !

217. — J’ai toujours su qu’il y avait des cons. Mais je n’aurais jamais cru qu’ils étaient si nombreux. Ni que je finirais moi-même trop souvent par être l’un d’eux.

218. — Certains mettent à rater leur vie la même obstination que d’autres à rester dans les ordres ou dans l’erreur. Mais si le temps rend un peu rêveuse l’obstination de ceux qui ont pris la règle de Dieu pour une règle de vie, il ne fait qu’exacerber jusqu’à la rage l’entêtement de ceux qui ont choisi de gâcher leur vie comme on revendique l’erreur.

219. — Dans un salon funéraire, les hommes ont toujours l’air un peu puni. Les femmes, elles, retrouvent avec naturel et aisance leur rôle ancestral de gardiennes des aires.

220. — Ce n’est pas la tortue qu’Achille ne rattrapera jamais mais son propre talon. Et pourtant, combien se lancent d’un pied léger dans cette course folle !

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, québec, littératurequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

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La démocratie en bulles, par Jean-Pierre Vidal…

4 novembre 2016

Chronique d’humeur

Au moment où j’écris ces lignes, le résultat des élections n’est pas encore connu. Mais quel qu’il soit, il n’infirme pas ce que je m’apprête à dire et qui est déjà, d’ailleurs, tout entier dans mon titre : l’enfermement confortable dans lequel nos consciences à tous coulent des jours heureux et l’insignifiance de nos discussions politiques quand, du moins, nous en avons.

Les bulles, ça me connaît : je suis un universitaire, et qui plus est, spécialiste d’une forme de littérature que le bon peuple, mais aussi la majorité de mes collègues considèrent comme absconse. Et pourtant j’ai l’impression d’avoir toute ma vie fait des pas vers l’extérieur, là où hors bulle et armure, tout se débat à découvert. Je parlerai donc de naïveté : la mienne et celle des autres. Celle de quiconque croit que le social est un dialogue et que les élections en sont le temps fort.

Chacun son enfermement

Dans une petite université régionale, quiconque a décidé de ne pas s’enfermer dans son bureau ou dans sa discipline trouve toujours injuste la vieille accusation d’habiter dans une tour d’ivoire, loin des réalités du monde. Je me suis toujours investi dans des situations et des organisations extérieures à l’université et un certain nombre de mes collègues de toutes disciplines aussi. Bien sûr, c’est toujours dans le prolongement de mon travail d’enseignant et de chercheur. Mais ce prolongement touche directement au milieu régional et transforme nécessairement ma perspective individuelle. Ici, l’université n’est pas une tour d’ivoire, sauf pour qui ne pense qu’à sa carrière de chercheur dont déjà l’enseignement l’éloigne.

Il reste cependant que l’universitaire est enfermé dans son réduit : les médias, qui devraient se soucier d’organiser la rencontre entre le détenteur d’un savoir et la curiosité du public, bouclent au contraire à double tour dans son savoir quiconque serait prêt à vulgariser. Vous n’êtes jamais assez simple pour le public. Et pourtant le Québec possède des vulgarisateurs hors pair qui seraient capables d’expliquer la physique quantique au plus épais des épais si on leur en donnait la possibilité. Mais même dépouillé de votre jargon, vous êtes toujours trop lourd, trop rude, trop exigeant pour l’écoute que les médias ont inventée de toutes pièces, car c’est une fiction : sinon, où diable sont passés tous ces gens instruits que le Québec a formés en nombre de plus en plus grand depuis un bon demi-siècle maintenant ? À moins qu’on en ait fait le deuil et qu’on pense qu’ils n’écoutent ni la télé ni la radio ? L’évolution de la Société Radio-Canada depuis une bonne trentaine d’années illustre éloquemment cette attitude méprisante qui consiste à prendre le public en général pour une mare d’incultes et d’affaissés du cerveau, ou pour des accablés du boulot, lessivés par le travail au point d’en être presque abrutis.

Faut-il rappeler à la haute direction de la SRC — c’est elle la responsable, et non ceux qu’elle chapitre manifestement dans le sens du poil le plus court — que c’est cette institution qui a, en grande partie, donné leur culture à tous ceux et celles qui ont plus de cinquante ans ? Et à une époque où l’école, elle, s’en chargeait pourtant encore, elle aussi, ce qu’elle ne fait plus guère. À cette époque, il y avait un véritable dialogue entre les deux, l’une appuyant l’autre.

La fin du dialogue

On a plutôt l’impression, désormais, que la facilité et la complaisance médiatiques dictent, au contraire, son attitude à l’école. Il n’y a en tout cas plus le moindre dialogue entre ces deux sphères pourtant capitales pour la constitution d’une communauté. Pas le moindre dialogue, parce que l’une a avalé l’autre. Et si ni l’école ni les médias ne se soucient de refonder la communauté, comme ils le devraient, quelle institution pourra bien le faire ? La religion ? Elle a volé en éclats de sectes, de superstitions, d’églises quasi confidentielles ou d’intégrismes plus ou moins avoués, comme celui de notre bon maire.

Le nivellement par le bas de la parole et de l’écoute, le refus de l’effort sur lequel se fonde ce nivellement, l’assimilation de toute opposition à de la violence, la peur du dialogue remplacé par l’assentiment complaisant ou la haine anonyme (voyez le niveau de discours des réseaux sociaux), tout cela emprisonne chacun d’entre nous dans un quant-à-soi imbécile et stérile.

On mesure jusqu’où peut aller notre enfermement si l’on ajoute encore à tous ces facteurs le fait que nos sphères privées les plus larges (et je ne parle même pas des « amis » Facebook) sont elles-mêmes des bulles où l’on pense sensiblement la même chose sur bien des sujets : par exemple, je n’ai, quant à moi, jamais rencontré quelqu’un qui ait voté pour le maire Tremblay, sauf à l’épicerie ou dans les transports en commun, seuls lieux, peut-être, avec l’hôpital, où un individu peut rencontrer des gens qui n’appartiennent pas à son monde.

Dès lors, quoi d’étonnant à ce qu’on ait les campagnes politiques que l’on a ? Notre culture n’est faite que de manies partagées avec un petit nombre, notre communauté n’est animée que d’intérêts minuscules, notre pensée politique ne repose que sur un individualisme soufflé au point de se croire universel alors qu’il est étriqué comme jamais, peut-être, dans l’histoire.

Duplessis pas mort

La majorité dite silencieuse est constituée, hélas, de gens qui ne veulent rien savoir ni de la politique ni de l’art ni de la culture ni de quoi que ce soit qui dépasse le pain et les jeux des Romains de la décadence. La promesse d’emplois et l’appel aux intérêts les plus locaux font foi de tout et quand la majorité silencieuse se réveille en grognant, une fois tous les quatre ans, pour voter, un peu comme on rote, on lui parle son langage : le simplissime et « les vraies affaires », le retour des Nordiques et les mines d’amiante à jobs, la loi qui défait toutes les lois et l’ordre de tous les baillons.

Mais de quelles oubliettes obscures de l’histoire du Québec a donc bien pu sortir ce maire d’une municipalité du lac Saint-Jean qui prétendait se faire élire comme indépendant pour se joindre ensuite au parti victorieux ? Pourquoi élirions-nous à l’Assemblée nationale des gens qui ne s’intéressent qu’au bien de leur bled et sont prêts à avaler toutes les couleuvres idéologiques pour le servir ? N’est-ce pas ainsi, petit intérêt par petit intérêt, que Harper a conquis le Canada ? Et Jean Charest n’a-t-il pas tenté in extremis de nous faire le même coup ?

Prise entre une majorité qui se tait massivement pendant quatre ans et des « individus » qui gazouillent en prenant leurs pouces pour des neurones, mais ne font que répéter les mêmes quatre ou cinq « opinions » simplettes, les mêmes blagues tristounettes, les mêmes injures de cour d’école, que devient la démocratie dont tout le monde se gargarise ?

Je crois qu’elle fait, elle aussi, des bulles.

Dans son bain d’indifférence.

Notice biographique

PH.D en littérature (Laval), sémioticien par vocation, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis l’ouverture de l’institution, en 1969. Fondateur de la revue Protée, il a aussi été chercheur et professeur accrédité au doctorat en sémiologie de l’Université du Québec à Montréal. Il a d’ailleurs été professeur invité à l’UQAM (1992 et 1999) et à l’UQAR (1997).

Outre de nombreux articles dans des revues universitaires et culturelles, il a publié deux livres sur Robbe-Grillet, un essai dans la collection « Spirale » des Éditions Trait d’union, Le labyrinthe aboli ; de quelques Minotaures contemporains (2004) et deux recueils de nouvelles, Histoires cruelles et lamentables (Éditions Logiques 1991) et, cette année, Petites morts et autres contrariétés, aux éditions de la Grenouillère.  De plus, il vient de publier Apophtegmes et rancœurs, un recueil d’aphorismes, aux Éditions Le Chat Qui Louche.

Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). Il a préfacé plusieurs livres d’artiste, publie régulièrement des nouvelles et a, par ailleurs, commis un millier d’aphorismes encore inédits.

Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec, Société et Culture.


La propreté est le luxe des pauvres… par Jean-Pierre Vidal…

28 octobre 2016

Apophtegmesalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

201. — La propreté est le luxe des pauvres. Elle les obsède et les contraint autant que l’argent les riches.

202. — Dans le miroir, c’est le regard qui fait le reflet. Triste, vous voilà décavé. Mais s’il s’allume d’une lueur, ironique ou complice, c’est votre jeunesse encore qui vient vous sourire jusqu’au fond du grand âge.

203. — L’homme a rêvé qu’il était un animal un peu plus intelligent que les autres. Au réveil, il s’est aperçu qu’il n’était qu’une bête un peu plus rusée et infiniment plus prétentieuse. Alors, il a inventé le commerce.

204. — Des poussières de minorités visibles finissent par former une majorité risible.

205. — Les droits de l’homme en notre début de millénaire ? Autant en emporte la vente.

206. — Si le chat parvient à être, plus encore que la chouette d’Athéna, l’animal philosophique par excellence, ce n’est pas parce qu’il se montre penser : il ne pense pas. Mais il nous dit, de toute sa présence et par son comportement quotidien, notre transitoire et notre dépossession, native et future : ni notre temps, ni notre espace, ni même notre corps ne nous appartiennent. Ils deviennent siens dès qu’il condescend, avec un dédain que nous prenons pour de la tendresse, à les occuper. Parce que tout son être est affirmation tranquille, il se pose dans notre vie comme la question qui à la fois nous fonde et nous fait grouiller.

207. — Écrire, c’est d’abord trouver des rythmes et se laisser surprendre des sens qui finissent par y venir danser.

208. — L’envergure de nos mensonges réussis est la mesure exacte du crédit que nous accordent les autres.

209. — Les images ne « prennent » jamais vraiment, elles sont pleines de vide. Mais elles nous tiennent, nous. Et tout iconoclasme est d’abord une réaction de défense, la tentative insensée d’enfin sortir du cadre.

210. — Mise en attente et cellulaire disent, entre autres choses, une humanité qui ne veut rien manquer, qui rêve d’être disponible et présente à tout, mais, bien sûr, à distance, sans s’impliquer ni se salir. C’est l’ubiquité dérisoire et généralisée. Muni de tous les attributs de Dieu, monsieur Tout-le-Monde vaque urbi et orbi à ses petites affaires.

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, québec, littératurequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Tout désir rêve en secret la mort du temps, Jean-Pierre Vidal…

15 octobre 2016

Apophtegmes alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

191. — L’humanité reste intermittente. Comme un rêve entr’aperçu.

192. — Certains défraient la chronique, d’autres, carrément, l’effraient.

193. — La chasse, c’est la guerre inégale. Tous ces vaillants guerriers d’automne qui arborent fièrement sur leur capot le chef déconfit d’un inoffensif ruminant, ou qui mitraillent à pleins plombs des volatiles un peu zarzais, on devrait les envoyer affronter des machines de guerre aussi redoutables qu’eux : l’ours polaire ou le tigre du Bengale. Et voir comment se comporterait alors leur terrible bedaine gonflée à la grosse Mol.

194. — Le paradoxe de la séduction, c’est qu’elle n’opère jamais autant que lorsque celle ou celui qui la déploie s’y cache dans l’élégance du mystère où son individualité se refuse. Spectaculairement.

195. — Vices et vertus sont les deux revers d’une même médaille… qui n’est guère sainte.

196. — Lorsque Dieu a eu fini de se faire entendre, des poètes ont écrit les testaments de sa parole. Puis sont venus pédagogues et politiciens, huissiers et comptables de la chose religieuse qui nous ont donné des catéchismes. Et la foi du charbonnier a obscurci Dieu jusqu’à l’insignifiance.

197. — Je ne supporte la crapule que méprisante et la canaille hautaine. Car lorsqu’il faut qu’en plus elle m’accable de sa bonhomie, de ses protestations démagogiques et de sa prétention à l’ordinaire, je me sens agressé dans ma foncière et irrémédiable simplicité. Capitalistes, affairistes et magouilleurs, restez distants !

198. — Tout désir rêve en secret la mort du temps.

199. — Un mort ne consomme pas, c’est pourquoi il y a lieu d’espérer de l’économisme absolu que nous vivons une amélioration des droits de l’homme. Mais une personne intelligente, formée, renseignée, cultivée, consomme moins bien qu’un con inculte. C’est pourquoi la télé fait de nous tous des cons, systématiquement, jour après jour et saison après saison. La télé ne se finance pas avec de la publicité, elle n’est que de la publicité. Pour un monde de cons. Qui est déjà là.

200. — Si l’on ne voit bien que visière levée, à visage découvert, on ne dit bien, même la vérité, surtout la vérité, qu’à travers un masque. Voyez, disons, Descartes…

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, québec, littératurequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Chronique d’humeur, par Jean-Pierre Vidal…

9 octobre 2016

La démocratie en bulles

Au moment où j’écris ces lignes, le résultat des élections n’est pas encore connu. Mais quel qu’il soit, il n’infirme pas ce que je m’apprête à dire et qui est déjà, d’ailleurs, tout entier dans mon titre : l’enfermement confortable dans lequel nos consciences à tous coulent des jours heureux et l’insignifiance de nos discussions politiques quand, du moins, nous en avons.

Les bulles, ça me connaît : je suis un universitaire, et qui plus est, spécialiste d’une forme de littérature que le bon peuple, mais aussi la majorité de mes collègues alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec considèrent comme absconse. Et pourtant j’ai l’impression d’avoir toute ma vie fait des pas vers l’extérieur, là où hors bulle et armure, tout se débat à découvert. Je parlerai donc de naïveté : la mienne et celle des autres. Celle de quiconque croit que le social est un dialogue et que les élections en sont le temps fort.

Chacun son enfermement

Dans une petite université régionale, quiconque a décidé de ne pas s’enfermer dans son bureau ou dans sa discipline trouve toujours injuste la vieille accusation d’habiter dans une tour d’ivoire, loin des réalités du monde. Je me suis toujours investi dans des situations et des organisations extérieures à l’université et un certain nombre de mes collègues de toutes disciplines aussi. Bien sûr, c’est toujours dans le prolongement de mon travail d’enseignant et de chercheur. Mais ce prolongement touche directement au milieu régional et transforme nécessairement ma perspective individuelle. Ici, l’université n’est pas une tour d’ivoire, sauf pour qui ne pense qu’à sa carrière de chercheur dont déjà l’enseignement l’éloigne.

Il reste cependant que l’universitaire est enfermé dans son réduit : les médias, qui devraient se soucier d’organiser la rencontre entre le détenteur d’un savoir et la curiosité du public, bouclent au contraire à double tour dans son savoir quiconque serait prêt à vulgariser. Vous n’êtes jamais assez simple pour le public. Et pourtant le Québec possède des vulgarisateurs hors pair qui seraient capables d’expliquer la physique quantique au plus épais des épais si on leur en donnait la possibilité. Mais même dépouillé de votre jargon, vous êtes toujours trop lourd, trop rude, trop exigeant pour l’écoute que les médias ont inventée de toutes pièces, car c’est une fiction : sinon, où diable sont passés tous ces gens instruits que le Québec a formés en nombre de plus en plus grand depuis un bon demi-siècle maintenant ? À moins qu’on en ait fait le deuil et qu’on pense qu’ils n’écoutent ni la télé ni la radio ? L’évolution de la Société Radio-Canada depuis une bonne trentaine d’années illustre éloquemment cette attitude méprisante qui consiste à prendre le public en général pour une mare d’incultes et d’affaissés du cerveau, ou pour des accablés du boulot, lessivés par le travail au point d’en être presque abrutis.

 alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecFaut-il rappeler à la haute direction de la SRC — c’est elle la responsable, et non ceux qu’elle chapitre manifestement dans le sens du poil le plus court — que c’est cette institution qui a, en grande partie, donné leur culture à tous ceux et celles qui ont plus de cinquante ans ? Et à une époque où l’école, elle, s’en chargeait pourtant encore, elle aussi, ce qu’elle ne fait plus guère. À cette époque, il y avait un véritable dialogue entre les deux, l’une appuyant l’autre.

La fin du dialogue

On a plutôt l’impression, désormais, que la facilité et la complaisance médiatiques dictent, au contraire, son attitude à l’école. Il n’y a en tout cas plus le moindre dialogue entre ces deux sphères pourtant capitales pour la constitution d’une communauté. Pas le moindre dialogue, parce que l’une a avalé l’autre. Et si ni l’école ni les médias ne se soucient de refonder la communauté, comme ils le devraient, quelle institution pourra bien le faire ? La religion ? Elle a volé en éclats de sectes, de superstitions, d’églises quasi confidentielles ou d’intégrismes plus ou moins avoués, comme celui de notre bon maire.

Le nivellement par le bas de la parole et de l’écoute, le refus de l’effort sur lequel se fonde ce nivellement, l’assimilation de toute opposition à de la violence, la peur du dialogue remplacé par l’assentiment complaisant ou la haine anonyme (voyez le niveau de discours des réseaux sociaux), tout cela emprisonne chacun d’entre nous dans un quant-à-soi imbécile et stérile.

On mesure jusqu’où peut aller notre enfermement si l’on ajoute encore à tous ces facteurs le fait que nos sphères privées les plus larges (et je ne parle même pas des « amis » Facebook) sont elles-mêmes des bulles où l’on pense sensiblement la même chose sur bien des sujets : par exemple, je n’ai, quant à moi, jamais rencontré quelqu’un qui ait voté pour le maire Tremblay, sauf à l’épicerie ou dans les transports en commun, seuls lieux, peut-être, avec l’hôpital, où un individu peut rencontrer des gens qui n’appartiennent pas à son monde.

Dès lors, quoi d’étonnant à ce qu’on ait les campagnes politiques que l’on a ? Notre culture n’est faite que de manies partagées avec un petit nombre, notre communauté n’est animée que d’intérêts minuscules, notre pensée politique ne repose que sur un individualisme soufflé au point de se croire universel alors qu’il est étriqué comme jamais, peut-être, dans l’histoire.

Duplessis pas mort

La majorité dite silencieuse est constituée, hélas, de gens qui ne veulent rien savoir ni de la politique ni de l’art ni de la culture ni de quoi que ce soit qui dépasse le  alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecpain et les jeux des Romains de la décadence. La promesse d’emplois et l’appel aux intérêts les plus locaux font foi de tout et quand la majorité silencieuse se réveille en grognant, une fois tous les quatre ans, pour voter, un peu comme on rote, on lui parle son langage : le simplissime et « les vraies affaires », le retour des Nordiques et les mines d’amiante à jobs, la loi qui défait toutes les lois et l’ordre de tous les baillons.

Mais de quelles oubliettes obscures de l’histoire du Québec a donc bien pu sortir ce maire d’une municipalité du lac Saint-Jean qui prétendait se faire élire comme indépendant pour se joindre ensuite au parti victorieux ? Pourquoi élirions-nous à l’Assemblée nationale des gens qui ne s’intéressent qu’au bien de leur bled et sont prêts à avaler toutes les couleuvres idéologiques pour le servir ? N’est-ce pas ainsi, petit intérêt par petit intérêt, que Harper a conquis le Canada ? Et Jean Charest n’a-t-il pas tenté in extremis de nous faire le même coup ?

Prise entre une majorité qui se tait massivement pendant quatre ans et des « individus » qui gazouillent en prenant leurs pouces pour des neurones, mais ne font que répéter les mêmes quatre ou cinq « opinions » simplettes, les mêmes blagues tristounettes, les mêmes injures de cour d’école, que devient la démocratie dont tout le monde se gargarise ?

Je crois qu’elle fait, elle aussi, des bulles.

Dans son bain d’indifférence.

Notice biographique

PH.D en littérature (Laval), sémioticien par vocation, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a  alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecenseigné depuis l’ouverture de l’institution, en 1969. Fondateur de la revue Protée, il a aussi été chercheur et professeur accrédité au doctorat en sémiologie de l’Université du Québec à Montréal. Il a d’ailleurs été professeur invité à l’UQAM (1992 et 1999) et à l’UQAR (1997).

Outre de nombreux articles dans des revues universitaires et culturelles, il a publié deux livres sur Robbe-Grillet, un essai dans la collection « Spirale » des Éditions Trait d’union, Le labyrinthe aboli ; de quelques Minotaures contemporains (2004) et deux recueils de nouvelles, Histoires cruelles et lamentables (Éditions Logiques 1991) et, cette année, Petites morts et autres contrariétés, aux éditions de la Grenouillère.  De plus, il vient de publier Apophtegmes et rancœurs, un recueil d’aphorismes, aux Éditions Le Chat Qui Louche.

Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). Il a préfacé plusieurs livres d’artiste, publie régulièrement des nouvelles et a, par ailleurs, commis un millier d’aphorismes encore inédits.

Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec, Société et Culture.


L’État mafieux, le rat et l’insoumis magnifique, par Jean-Pierre Vidal…

2 octobre 2016

Fidélisés à l’os et insoumis magnifiquesalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

On pourrait facilement réduire ce qui se passe actuellement au Québec à deux colonnes de chiffres. Il suffirait d’inscrire à gauche ce que coûterait au Trésor public la gratuité totale des études supérieures : en pourcentage, moins de 1 % des dépenses de l’état (calculs effectués par un chercheur de l’Institut de Recherche et d’informations socioéconomiques — IRIS — et publiés dans le Devoir de fin de semaine). En face, à droite, ce que coûte l’évasion fiscale à tous les états du monde : 18 % du Produit Intérieur Brut (PIB) de la planète entière, ce qui veut dire que dans certains pays, c’est moins, dans d’autres, plus. Avec ce qu’on apprend tous les jours du Québec libéral et néo-libéral, lucide et mafieux, il serait fort étonnant que nous soyons dans les plus bas.  Au fait, ce pourcentage de 18 % a été calculé par une dangereuse officine gauchiste : la Banque Mondiale. Celle-là même qui met un soin jaloux à étrangler les états pour les faire rentrer de force dans la nasse néolibérale.

Sur la deuxième ligne de cette colonne, on ajouterait, toujours à gauche, les 200 000 personnes de tous âges qui marchaient le 22 avril dernier dans les rues de Montréal et à droite, les 2 000 000, de tous âges également, que l’idolâtrie et le culte de la chansonnette la plus insignifiante rivaient à Star Académie, le même jour. Tout est là et tout est dit.

 Parlons du coin droit d’abord, celui qui prétend dire le réel quand il ne repose que sur du vent idéologique intéressé.

L’appel d’un destin préfabriqué

Ici, l’on n’entend qu’un bruit de tiroir-caisse sous le noble discours de responsabilisation, de prise en mains de son propre destin : investis dans ton avenir, le jeune, tu te dois bien ça. Si tu crois que ça en vaut la peine, tu n’auras pas de scrupule à payer pour le bel avenir que tout cela va te donner. L’éducation, oublie ça, l’ouverture et le renforcement de ton esprit, tu rigoles ? C’est un job que l’on va te donner les moyens d’obtenir. Ta cervelle, ne t’en fais pas, on la formate pour l’industrie et le commerce, comme l’a publiquement déclaré le recteur d’une de nos plus grandes universités que la pudeur m’interdit de nommer ici. D’ailleurs, ton intelligence, ta sensibilité, qu’est-ce que tu pourrais bien en faire d’autre que du fric, hein, je te le demande ? Tu vois bien ? Si tu veux consommer — et que diable pourrait-on désirer d’autre de sa vie ? — commence par consommer des cours et accepte de payer, fût-ce à crédit, on te fait confiance, on sait que désormais, toi non plus, tu ne sortiras pas sans elle, ta carte. Tu seras bientôt encarté, comme autrefois les prostituées françaises, encarté crédit, encarté rat dans le beau gros fromage de la dépense forcenée, à tout va, jusqu’à plus soif, jusqu’à plus de planète, plus de père, mère, amis, plus rien que toi et après toi, le déluge, hors de toi, point de salut. Une conscience sociale ? Comment ? Tu n’es pas au courant ? Notre grande prêtresse Thatcher l’a dit : « there is no such thing as society ». Tous les journaux ou presque, toutes les télés ou presque, toutes les radios, poubelles ou non, répètent jusqu’à la nausée ce mantra du réel, de la vraie vie, du destin magnifique du rat bouffeur de tout et qui est seul au monde, dans son labyrinthe sans société. Et dis-toi bien, le jeune, qu’une université doit être concurrentielle, donc la plus chère possible, pour pouvoir attirer les meilleurs profs qui sont évidemment les plus chers, et les cerveaux les plus brillants, comme George Walker Bush à qui la prestigieuse Yale a décerné un diplôme : ça, c’est une référence, non ?

Maintenant, faisons un peu les comptes en comparant rapidement les deux colonnes : d’où vient que les grandes compagnies, si on leur formate des cerveaux, neurones et soumission en mains, non seulement investissent si peu dans les coûts de dressage, mais surtout n’aient rien de plus pressé que de soustraire le maximum d’argent de la poche de celui — l’état que, paraît-il, nous sommes — qui paie tout ça ? Et, tant qu’à y être, pourquoi l’état, puisqu’il n’est plus question de former des esprits et des cœurs, mais plutôt des serviteurs zélés dont les capacités seront volontairement réduites pour mieux servir le système, ses machines et ses possesseurs, pourquoi l’état ne se retire-t-il pas carrément de cette gabegie ?

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecMais l’état libéral ne se soucie que de se prémunir contre les abus des pauvres, alors que dix mille Bougon fraudant l’aide sociale ne coûteront jamais à l’état ce qu’un seul financier lui soutire, ce qu’un seul mafieux bien placé lui pompe, ce qu’une compagnie sans état d’âme ni patrie lui pille. Ce n’est tout de même pas ceux qui vivent de l’aide sociale qui partent avec la caisse après avoir reçu de généreuses subventions pour installer des usines qu’ils pourront fermer facilement trois ou quatre ans plus tard, sans qu’on leur demande rien.

La course du rat et l’appétit du veau

Les étudiants, avec courage, intelligence et modération, font appel à ce qui reste, justement, d’intelligence dans le cerveau lavé du consommateur. Ils en appellent à une autre société, une autre vie que cet enfer doré, cette nullité béate qu’on nous impose au nom d’un réalisme qui n’est que propagande éhontée, idéologie sournoise et cynique, piège à cons, tout simplement.

Les étudiants refusent de laisser réduire le sens de leur vie à une course de rat dans le labyrinthe aveugle des besoins inutiles et des désirs débiles ; un labyrinthe où rebondit sur toutes les parois le son des innombrables moteurs dont est fait notre bonheur de peuple vroum vroum, de la tondeuse au ski-doo, du 4 X 4 à la scie électrique, du pick-up à la moto marine et du presse-jus à la souffleuse à neige ; un labyrinthe dont les murs scintillent des signaux pavloviens, en forme de pixels et bits, qui, du Giga au Tera, régissent notre imaginaire dans la folie des sons et des images à n’en plus finir. Signaux qui, surtout, par l’accélération étourdissante qu’ils imposent à notre vie, nous abrutissent au point de nous livrer sans défenses à toutes les idolâtries du showbizz, toutes les résignations du monde tel qu’on nous fait croire qu’il est, toutes les démissions que les cartes de crédit où gît désormais notre âme rendent faciles et même inévitables.

Hélas pour ces jeunes magnifiques qui représentent pourtant une lumière dans notre avenir, un souffle dans notre asphyxie, le veau contemporain, fidélisé jusqu’au alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québectrognon, par toutes sortes de campagnes, à toutes sortes de dépendances stupides, ne fait jamais que changer de pacage, du centre d’achat à la plage du Sud, et des téléréalités au gros rire du Québec. Et il vote pour celui qui le laissera ruminer en paix.

Vous êtes pas tannés de roter votre bière en gang, bande de caves ?

Notice biographique

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecPH.D en littérature (Laval), sémioticien par vocation, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis l’ouverture de l’institution, en 1969. Fondateur de la revue Protée, il a aussi été chercheur et professeur accrédité au doctorat en sémiologie de l’Université du Québec à Montréal. Il a d’ailleurs été professeur invité à l’UQAM (1992 et 1999) et à l’UQAR (1997).

Outre de nombreux articles dans des revues universitaires et culturelles, il a publié deux livres sur Robbe-Grillet, un essai dans la collection « Spirale » des Éditions Trait d’union, Le labyrinthe aboli ; de quelques Minotaures contemporains (2004) et deux recueils de nouvelles, Histoires cruelles et lamentables (Éditions Logiques 1991) et, cette année, Petites morts et autres contrariétés, aux éditions de la Grenouillère.  De plus, il vient de publier Apophtegmes et rancœurs, un recueil d’aphorismes, aux Éditions Le Chat Qui Louche.

Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). Il a préfacé plusieurs livres d’artiste, publie régulièrement des nouvelles et a, par ailleurs, commis un millier d’aphorismes encore inédits.

Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec, Société et Culture.

 


Déclaration d’amour anonyme…, par Jean-Pierre Vidal…

12 septembre 2016

Apophtegmes

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Crédit photo : DR

181. — Les effets faciles sont comme les femmes faciles : il leur arrive même, malgré tout, de donner parfois du plaisir.

182. — Si votre chat vous lèche quand vous le caressez, ce n’est pas qu’il vous aime ; c’est pour que vous le laviez en même temps. Les humains, eux, n’ont même pas de tels soucis d’hygiène quand ils vous lichottent et vous tètent.

183. — L’Amérique, c’est aussi l’impitoyable répression de qui n’est pas conforme : les Arabes l’ont récemment constaté à leurs dépens.

184. — La haute technologie ne sert bien souvent que de fort bas intérêts.

185. — La pensée commence où s’effritent les évidences.

186. — Écrire, c’est toujours un peu lancer un défi en forme de déclaration d’amour anonyme : je te mets au défi de reconnaître, d’accepter et même d’aimer ma différence parce que la tienne m’importe. Si je ne te prenais que pour un consommateur, je t’écrirais ce que tu veux et nous nous abîmerions tous deux dans l’indistinction mortifère du commerce.

187. — Au XXe siècle, à mesure que l’art se développait, se complexifiait, se subtilisait, l’homme s’amincissait (et pas seulement physiquement, pas seulement au propre), se simplifiait, se réduisait à sa plus indigente expression. Quand l’art s’en est aperçu, il était devenu média, c’est-à-dire simple condiment pour obèse de l’âme ou anorexique de la pensée.

188. — Le malheur rend laid, le bonheur rend bête. L’état commun, qui ne connaît vraiment ni l’un ni l’autre, rend bête et laid.

189. — Un paroxysme permanent, comme celui qu’on nous vend systématiquement aujourd’hui, revient à une asthénie totale. Les grouillants parmi nous sont, socialement, les plus parfaits assis qui soient.

190. — Toute œuvre est une multiplicité non pas unifiée, encore moins unitaire, mais en équilibre, en équilibre instable. Et l’instabilité de cet équilibre est la voie où viennent échouer l’interprétation et la passion de l’œuvre.

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, québec, littératurequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Perdre la carte, par Jean-Piere Vidal…+

11 août 2016

Chronique d’humeur

 alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Nous vivons une époque où la notion même de lieu est attaquée de toutes parts : le lieu des choses, mais aussi le lieu de l’événement et même, en fin de compte, le lieu d’être. Les choses, y compris les usines et ceux qui les font fonctionner, prennent place n’importe où, c’est-à-dire là où c’est moins cher, là où les profits peuvent être les plus élevés le plus rapidement, mais aussi là où les gouvernements ouvrent leurs bourses pour acheter des jobs, parfois à un coût quasi prohibitif.

En fait, c’est l’occasion ou la commodité qui font foi de tout. Rien n’a plus de cadre particulier, d’espace consacré, ce qui fait qu’au bout du compte rien n’a plus de raison d’être, rien n’a plus « lieu d’être ». Ce rapport particulier au lieu, dont la locution citée souligne bien la dimension ontologique et le rapport à la justification, justesse et justice à la fois – car avoir « lieu d’être », c’est avoir une « raison d’être » –, ce rapport a fondé, tout au long de l’histoire de l’humanité, l’autorité des hommes et des dieux, la spécificité des êtres et des œuvres. Tout cela, abstrait ou concret, réel ou imaginaire, est ancré, inscrit dans un lieu, enraciné.

L’éradication tranquille

La globalisation a effacé tout cela, aidée ou peut-être impulsée par la technologie qui permet à individus et groupes de lever l’ancre, de couper toute attache, y compris culturelle, de se penser comme une île et de transformer son environnement en archipel. Tout peut avoir lieu partout, la messe dans un pub et une course de formule 1 en pleine ville, l’étreinte ou le meurtre sur YouTube ou Facebook. Le privé et l’intime logent dans l’extériorité objective, donc absolue, des pixels et des bits. Au point que le psychologue français Serge Tisseron a inventé le terme d’« extimité » pour désigner l’espace particulier, décentré, extériorisé, invaginé, « désintimisé » qu’occupe désormais le sujet postmoderne. Cet espace-temps nouveau, où le virtuel se conjugue au réel et où le personnel se pense sans scrupule et d’emblée comme général et même universel, est livré sans réserve à la disposition pleine et entière de tout un chacun. Les désirs de l’individu moyen, ordinaire, non exceptionnel jusqu’à l’extravagance, sont des ordres. Des ordres qui s’imposent à tous. Les roitelets sont partout qui nous agitent sous le nez leur volonté « autiste », comme un exhibitionniste sa viande érigée. L’exception est universelle, l’autorité s’éparpille aux quatre vents, l’œuvre est à la portée du premier logiciel venu et du premier amateur capable de s’en servir pour magnifier ses velléités créatives. Le tourisme règne dans toutes les sphères d’activité humaine et nous sommes tous devenus des badauds de l’art, de la politique, de la culture, du sport et même de la vie professionnelle. Nous ne faisons que passer, sans nous attacher à rien, avec la liberté comme carte de crédit, une liberté consumériste, sans engagement, sans contenu, sans envergure. Tout cela, me semble-t-il, est affaire de perte du lieu. Nous sommes déracinés, désancrés, nous avons perdu la carte — sauf celles de plastique où gît notre âme — et nous flottons comme de purs esprits, mais qui, paradoxalement, se soucieraient encore de leur look.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecCe sont quelques-unes des idées qui m’agitaient en regardant les Jeux olympiques à la télé et en particulier le volley-ball de plage ; voilà bien, en effet, un jeu privé et informel auquel on se livrait entre amis de hasard ou voisins de camping, et dans cet espace différent de la vie sociale que l’on appelle les vacances. Il est désormais transporté dans l’espace ô combien symbolique et social des Jeux olympiques, avec accession ennoblissante au rang de « discipline », et l’adulation qu’elle vaut à ses vedettes. Mais l’hypocrisie contemporaine a trouvé le moyen de garder à cette activité « déplacée » des bords de mer au béton des stades une dimension privée, voire même furtive : celle, justement de l’exhibitionnisme-voyeurisme, cette lisière entre intime et public où se joue toujours justement le lieu du passage au social. Alors que les hommes, eux, allez savoir pourquoi, sont très dignement accoutrés comme des surveillants de plage et ne montrent pas le plus petit bout de peau susceptible de faire rougir la télé américaine, les maillots quasi-string des joueuses sont, en effet, manifestement conçus pour ravir ceux que Raymond Queneau, dans Pierrot mon ami (1942), appelait des « philosophes » parce que capables du discernement sans lequel il n’est point de conscience  : « intéressés par le déshabillé des femelles », ils « repèrent les morceaux de choix et les guignent avec des yeux élargis et des pupilles flamboyantes. »

C’est ainsi que je me mis à penser au discernement et à la philosophie. Et que de l’un à l’autre me vint ce sentiment que l’amitié, elle non plus, n’a plus lieu d’être depuis que Facebook en a fait la porte d’entrée privilégiée à son lieu commun quasi carcéral.

L’amitié à tout venant

Je me suis souvenu de Montaigne qui, s’imaginant pressé de dire pourquoi il aimait son ami La Boétie, répondait dans ses Essais : « parce que c’était lui, parce que alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecc’était moi. » L’amitié Facebook n’est évidemment pas de cette trempe. Bien au contraire, elle éparpille aux quatre vents de l’indistinction la plus totale ce qui ne vit que d’élection réciproque ; elle universalise ce qui n’est qu’exclusif, quand bien même cette exclusivité se multiplierait en une pléthore de couples qui ne sont pas nécessairement équivalents, car les amis de mes amis ne sont pas nécessairement mes amis, contrairement à ce que dit l’adage dont chacun a pu, dans sa vie, éprouver la fausseté.

Pour tout vous dire, il suffit qu’un ami me demande de le suivre sur Facebook pour que je me pose des questions sur son amitié. Car enfin, qu’est-ce que cette communication qui a besoin de faire des proclamations et des mises en scène destinées au monde entier avant de daigner s’orienter vers quelqu’un de vraiment proche ? Qu’est donc cette amitié qui confie et montre tout à tous et vous transforme, vous, le véritable ami, en un n’importe qui, comme tout le monde ?

Le vers célèbre de Corneille : « Rome n’est plus dans Rome, elle est toute où je suis » (Sertorius) pourrait, sans doute, servir de devise à la maladie dégénérative du lieu qui nous frappe et dont les symptômes sont innombrables. Comme un livre n’y suffirait pas, je me contenterai d’évoquer ici la perte du lieu de l’image et de son intégrité : du mur complet au timbre-poste des écrans de cellulaire, elle se contorsionne, s’amplifie ou s’amenuise au gré de nos humeurs et de notre mobilité maladive. Elle se répercute, se falsifie, se transforme et finalement disparaît. Car oui, paradoxalement, il y a, dans cette germination virale, une raréfaction de l’image, celle, justement, qui « fait image », celle qui compte parce qu’elle a trouvé un lieu d’être qui n’appartient qu’à elle.

Et que dire de tous ces prénoms, « déjantés », comme des pneus qui ont perdu leur roue ? Il faut, avec eux, sortir à toute force du lieu de la communauté et marquer son irréductibilité. Après les astres (à quand, plutôt que Soleil ou Lune, Alpha du Centaure Tremblay ?), voici qu’on se baptise par les saisons, comme cette athlète française qui se prénomme Automne.

Hélas, pauvre Mallarmé, rien n’a plus lieu dans son lieu, nous sommes tombés dans une gigantesque centrifugeuse qui nous repousse vers les marges, nous éloigne les uns des autres et projette, en retour, nos éclats d’ego sur la terre entière.

Pour la plus grande gloire de la métonymie.

Jean-Pierre Vidal

Notice biographique

PH.D en littérature (Laval), sémioticien par vocation, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis l’ouverture de l’institution, en 1969. Fondateur de la revue Protée, il a aussi été chercheur et professeur accrédité au doctorat en sémiologie de l’Université du Québec à Montréal. Il a d’ailleurs été professeur invité à l’UQAM (1992 et 1999) et à l’UQAR (1997).

Outre de nombreux articles dans des revues universitaires et culturelles, il a publié deux livres sur Robbe-Grillet, un essai dans la collection « Spirale » des Éditions Trait d’union, Le labyrinthe aboli ; de quelques Minotaures contemporains (2004) et deux recueils de nouvelles, Histoires cruelles et lamentables (Éditions Logiques 1991) et, cette année, Petites morts et autres contrariétés, aux éditions de la Grenouillère.  De plus, il vient de publier Apophtegmes et rancœurs, un recueil d’aphorismes, aux Éditions Le Chat Qui Louche.

Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). Il a préfacé plusieurs livres d’artiste, publie régulièrement des nouvelles et a, par ailleurs, commis un millier d’aphorismes encore inédits.

Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec, Société et Culture.


Nomades et conformistes : la dérive programmée, un texte de Jean-Pierre Vidal…

2 juin 2016

Signe des temps…

« Rome n’est plus dans Rome, elle est toute où je suis. »
Corneille, Sertorius

 

En art, comme en industrie et commerce, comme dans la vie de bien des jeunes, du moins ceux qui en ont lesalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec moyens intellectuels ou financiers, l’heure est au nomadisme. Un grand dérangement naît de la globalisation, glorifiée par les uns, dénoncée par les autres, mais subie par tous si ce n’est l’infime minorité d’hyperriches, sans foi ni loi ni patrie particulière qui se trouve à dominer la planète, tout en laissant — mais jusqu’à quand ? — les gouvernements faire semblant de mener la barque de l’état pour la plus grande illusion des populations qu’ils abusent sur leurs pouvoirs réduits à presque rien.

Le nomadisme est le mode de vie chic de ceux qui règnent sur les impuissants sédentaires. Ses adeptes se pensent plus ouverts que les simples touristes dont ils ne sont pourtant que la version magnifiée. Le monde n’est pour eux qu’un terrain de chasse dont la faune leur est parfaitement indifférente : tout au plus doivent-ils parfois s’en accommoder quand des lois locales le leur imposent. Quant à ceux qui, sans être riches, sont nomades par vocation quasi religieuse, ceux qui vont aider ou simplement s’imprégner de la culture et du mode de vie des autres, les jeunes, les travailleurs humanitaires, les aventuriers, lorsqu’ils n’oublient pas purement et simplement l’expérience, ils se sédentarisent dans leur nouveau pays ou sont à jamais partagés entre deux sédentarisations. Je ne parle pas ici, il va de soi, des sédentaires de culture, souvent depuis des millénaires, mais de ceux – nous, Occidentaux – pour qui le « nomadisme » n’est qu’une mode. Au même titre que l’interactivité ou l’immersion, notions jumelles qui commandent nos loisirs et la prétendue créativité de nos vies.

Quoi qu’il en soit, la formule célèbre de Corneille, qui référait contextuellement à un épisode de guerre civile, a fini par signifier avant tout la chute de l’Empire, son explosion en myriades de principautés impuissantes, quand bien même un ego surdimensionné prétendrait occuper à lui seul le centre perdu qu’il transporte dès lors partout avec lui, qu’il incarne sans effort et qu’il fait coïncider parfaitement avec sa propre vie.

Nous sommes désormais tous des Sertorius. L’individualisme de masse est notre « paradoxe de Sertorius ».

Une socialité mobile et aléatoire

Comme animées d’un gigantesque mouvement centrifuge, nos sociétés se parcellisent, éclatent et se recomposent au gré des rencontres, des affinités, des humeurs. Ce que l’on appelle la « société civile » est faite en grande partie de ces ruches provisoires et des alliances qu’elles forment ça et là, presque d’un jour à l’autre et très certainement selon le problème envisagé ou le refus partagé.

Le retour de la famille, qu’on observe chez les jeunes générations et qui semble bien l’antidote à ce mal de nos sociétés, est lui aussi pourtant traversé des mêmes courants stochastiques et presque browniens dans leur imprévisibilité. Nos liens avec l’autre sont provisoires et leur date de péremption précipitée.

Dans une telle agitation, les frontières du moi sont devenues si poreuses que nous ne savons plus ni qui nous sommes ni en quel lieu gîte encore cet animal étrange, moi, que la communication essaime à tout vent. La science peut bien nous prédire un avenir de bactéries, notre présent nous donne déjà des contours de vibrions excités, acharnés à dire leur trépidation comme des phalènes brûlées à la lumière de la communication, clignotant dans les réseaux comme des lucioles sans dessein.

Mais rien ne luit dans la nuit de notre indistinction. C’est paradoxalement un autisme absolu qui nous attend au détour de la grande dérive de l’immersion totale où nous nous perdons complaisamment. Et au moment de notre plus grand enfermement, nous tuons le monde où nous nous sommes déchiquetés nous-mêmes, tel un Orphée fou épargnant ce travail aux Ménades. Obsédés d’altérité jusqu’à monter en épingle la plus infime différence, nous avons jeté tout Autre possible avec l’eau du bain communicationnel.

Et rien ne le dit plus clairement que cet art qui se proclame « actuel », justement pour refuser la notion trop générale, pas assez présentiste, de contemporanéité.

Un art tautologique

Cet art, donc, de notre présent le plus immédiat, abandonnant les prétentions millénaires de cette étonnante activité humaine qui s’attachait, depuis au moins les peintures rupestres, à dire le présent d’une société et d’un individu, mais en ouvrant une fenêtre sur l’autre et sur l’éternité, cet art s’est voué à n’être qu’un calque le plus fidèle possible, une réplique, une présentation répétée plutôt qu’une représentation de ce qu’il appelle la réalité en postulant simplement, naïvement, stupidement, qu’elle est irréfutable et facilement dite. C’est ça qui est ça est devenu le fin mot de l’art actuel ; c’est ça qui est ça reprennent en cœur toutes ses manifestations, toutes ses disciplines, ces disciplines qui sont elles aussi devenues à la fois poreuses et incernables, disséminées non seulement les unes dans les autres, mais dans les insignifiances « nomades » de la vie quotidienne.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecMais rencontrant le kitsch et le banal, ce tissu de nos vies médiatisées non plus même « à l’os », mais au-delà, à la cellule et même au pixel qui compose notre vie socialement exhibitionniste, l’art, comme nous, perd toute identité. Car le kitsch est déjà une resucée « populaire » et même populiste du grand art qu’il singe et profane. Prétendre, comme le font si souvent les jeunes artistes, se déprendre du kitsch rien qu’à l’utiliser, c’est tomber dans son jeu : on ne critique pas impunément le kitsch, on en fait et c’est lui qui vous capture.

Dans cet univers de la répétition indépassable, de la mise à distance impossible, un conformisme proprement hallucinant habite toutes les pratiques de l’art fièrement dit « actuel » et singulièrement celles qui telles l’installation, la performance et, dans une moindre mesure, les arts médiatiques sont nés de l’abandon de la facture, de ce rapport à une matière, quelle qu’elle soit, travaillée artisanalement de telle façon qu’en retour c’est l’artiste lui-même qui s’en trouve travaillé. Ce conformisme qui saute aux yeux de tout observateur lucide et objectif va bien au-delà des traits communs qu’impose nécessairement l’appartenance à une même époque. Il naît de cette série de cercles vicieux qui nous enferment dans la tautologie de l’assimilation sans reste : l’art est la vie, la vie est l’art et, pour pouvoir garder son statut, l’artiste doit être reconnu par l’artiste, lui-même reconnu par l’artiste dans une rengaine enfantine : « je te tiens, tu me tiens par la barbichette », mais aucun des deux ne rit. C’est sérieux de faire ce qui se subventionne et de subventionner ce qui se fait : dans cette valse sans fin, on feint de sortir de l’institution honnie – l’art, son histoire, ses discours, ses organes – pour mieux se faire son institution à soi, comme un cocon opaque.

Étrangers

Cette institution, elle est constituée de connivence, d’affinités, de complaisance, tout ce qui constitue un consensus sans débat, tout ce qui produit du même, du semblable, de l’identique. De la masse en un mot.

Notre système économique et commercial, si peut-être il ne l’impulse pas, du moins en profite. Et les nomades qui nous gouvernent vraiment ne s’en portent que mieux. La mobilité des fonds individuels ou institutionnels, libres de se placer où bon leur semble et de jouer une fiscalité contre une autre, à la limite le plus souvent de la légalité, prive les états de ressources. L’idéologie néolibérale s’engouffre dans la brèche et prône l’amaigrissement continu d’un état déjà exsangue. Pour le plus grand bien de ceux qui sont déjà exagérément nantis.

Et tous ceux qui ne parviennent pas à atteindre l’exil doré du nomadisme transnational et financier finissent en réfugiés, parfois de l’intérieur, dans ce qui n’est plus leur propre pays que pour la forme.

Où, comme moi, ils se sentent irrémédiablement étrangers. Comme si, loin des échanges, ils étaient déjà morts.

Jean-Pierre Vidal

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, québec, littératurequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Ignorance et arrogance, par Jean-Pierre Vidal…

11 mai 2016

Apophtegmes

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

171. — « Tu vois, finira bien par avouer Dieu un jour à qui le questionnera d’un peu près, je n’aurai été moi aussi qu’une illusion d’optique. Mais moi, je le savais dès le début. »

172. — L’art n’est jamais à sa place : toujours en deçà et au-delà de l’œuvre, il est moins un absolu qu’un dévolu qui se jette sur un individu. Pour en faire un sujet.

173. — Les femmes ne couchent presque jamais avec un corps, c’est ce qui leur donne de l’esprit ; les hommes couchent rarement avec un esprit, c’est ce qui les rend bêtes.

174. — Fumeur tumeur. Et moi aussi parfois. Et par toi.

175. — L’ignorance satisfaite est la forme contemporaine de l’arrogance. Elle est presque l’apanage du « monde ordinaire », ramassis de médiocres de toutes classes sociales, et de ceux qui le flattent et l’exploitent.

176. — L’homme contemporain a la vulgarité d’un besoin pressant et l’arrogance que donne le naturel sanctifié de sa satisfaction immédiate.

177. — L’horreur cathodique nommée télévision n’est plus qu’une machine à broyer l’art en pubs, en clips, en morceaux agités d’insignifiance, d’inconséquence et d’innocuité.

178. — Toujours très vite échauffée, la tête contemporaine bout à tout propos et hors de toute proportion : mens sauna in corpore salaud.

179. — Dans le monde de Big Brother où nous voilà décidément entrés, tout débat quelque peu social est automatiquement désamorcé par une représentation télévisuelle qui le « diffuse », au plein sens du terme, et en fait, pour la galerie, une simulation en studio. Ainsi privés de discussion et d’affrontement vrais, nos consensus ne sont plus que des connivences que leur implicite rend hasardeuses et volatiles.

180. — Une œuvre digne de ce nom est toujours un précipité d’évidences… rétrospectives.

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, québec, littératurequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

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Bêtise et suffisance, par Jean-Pierre Vidal…

27 avril 2016

Apophtegmes

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

161. — Vous voulez faire d’un être humain un consommateur, c’est-à-dire quelqu’un qui ne vive que du désir de votre production, enlevez-lui la faculté de penser. Les médias s’y emploient jour après jour.

162. — Le mal et la bêtise ne peuvent que prévaloir. Parce qu’ils sont plus faciles. Et surtout infiniment plus rapides.

163. — Le XXe siècle aura connu, malgré le discours officiel des publicistes et des médias, le rétrécissement progressif, mais de plus en plus accéléré de la sphère individuelle. D’abord, rien n’est plus important que ma propre vie : voilà pourquoi nous n’avons plus d’armées ; seuls les terroristes et les gangsters sont prêts à mourir. Ensuite, rien n’est plus important que mon intérêt : et c’est ainsi que nous n’avons plus de projet social ; les sectes et les groupes d’achat sont notre seul espace collectif. Enfin, rien n’est plus important que mon intérêt immédiat : dès lors l’éducation nationale est partie en fumée ; nous ne prenons plus la peine d’apprendre que des gestes sportifs et des habiletés comptables. Notre moi est obèse, mais ne contient plus que le vent de notre inanité et le gras de notre suffisance.

164. — La rapidité obligatoire, la circulation folle et quasi policière (« circulez, y a rien à voir ») ont pour résultat qu’il faut consommer les livres quand ils sortent sous peine de ne plus jamais les retrouver sinon dormant dans l’ennui des bibliothèques publiques.

165. — Au cours des siècles, l’éducation morale a appris aux individus à assumer les conséquences de leurs actes. Aujourd’hui, le conformisme médiatisé qui tient lieu à tous de morale montre à chacun comment se défiler des conséquences de ses démissions.

166. — Toute œuvre est toujours un extrait de dimensions variables d’un tout non seulement improbable, mais même impossible.

167. — Imaginer l’avenir raccourcit le présent et ossifie le passé. Mais ça s’appelle vivre, aussi.

168. — Si la bêtise s’étale partout c’est que dans sa façon d’apparaître elle se montre couramment plus spectaculaire que l’intelligence et surtout plus rapide, non pas à agir puisqu’elle ne fait que béer, mais à se dévoiler dans toute sa nudité crasse et heureuse. Et l’hypermédiatisation multiplie encore ses pouvoirs, la diffusant, la répercutant, la faisant germiner comme le virus qu’elle est.

169. — Les religions ont toujours aménagé l’espace de Dieu en ménageant les hommes, comme si le Verbe n’était qu’un petit problème de conjugaison ; maintenant elles le gèrent comme un fond de retraite.

170. — La suffisance n’est jamais qu’une insuffisance qui s’ignore.

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, québec, littératurequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Théories mortes et économie des fourmis, par Jean-Pierre Vidal…

9 avril 2016

Apophtegmes

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

151. — Quiconque n’a pas le sens de l’humour n’a jamais mesuré les limites de sa propre pensée. Mais c’est parce qu’il n’en a pas, de pensée. Car quiconque pense un peu rit bientôt beaucoup.

152. — Génération X, génération Y… À Z, on arrête ?

153. — L’intelligence est une responsabilité collective dont la garde semble bien désormais nous avoir été retirée.

154. — Combien d’œuvres contemporaines, qui insistent lourdement sur la « démarche » en déroulant un laborieux exposé scolaire tissé des mêmes fadaises sur la communication et la participation du public, gagneraient à ne s’accompagner d’aucun mode d’emploi : on pourrait ainsi attribuer l’indigence de la « pensée » qui leur donne naissance au mystère et aux indéterminations de l’œuvre, et la veulerie de leur attention complaisante au public décidément bien « client » à un amour éperdu de l’humanité. Mais ces explications trop empressées ne sont jamais, au fond, qu’un argument de vente. Dommage qu’il n’y ait rien à vendre. Et qu’il n’y ait plus guère d’acheteurs.

155. — Les Américains ont les délires boursouflés et grotesques des gens pratiques.

156. — Bien des gens meurent d’étonnement. L’étonnement de constater que c’est irrémédiable et qu’ils n’en avaient qu’une.

157. — Comme des astres éteints, il existe des théories mortes. Celles qu’une méthodologie omnipotente a ossifiées en pédagogie immobile. Notre utilitarisme forcené et immédiat a liquidé la théorie. Et, par le fait même, l’imaginaire.

158. — Autrefois nous étions, paraît-il, à l’image de Dieu, et nous avions une âme. Nous sommes désormais – qui ne le voit à regarder nos pubs et nos humoristes ? — à la semblance du singe et nous avons une bedaine, gracieuseté de nos commanditaires. Notre livre de chevet ? Ainsi parlait Orang-Outang.

159. — Les fourmis aussi ont une économie. Elles n’ont même que cela. Comme nous demain.

160. — Les ordinateurs nous ont fait perdre la mémoire, du moins celle qui s’attache à autre chose que des faits biographiques individuels. Comme si la mémoire humaine pouvait, à l’instar de celle des machines informatiques, se saturer, elle qui, au contraire, s’enrichit encore de tout ce qu’elle accumule et des rapports inouïs qui naissent de cette accumulation. C’est sans doute une des leçons de Proust, mais l’œuvre de Proust est impossible au temps d’IBM et la pomme de Silicon Valley n’aura jamais le goût de la madeleine.

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, québec, littératurequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

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Élite, éternité et désespoir des chats…, par Jean-Pierre Vidal…

14 février 2016

Apophtegmesalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

131. — Le seul domaine de l’activité humaine où le mot « élite » ne soit pas péjoratif, de nos jours, c’est cette grande dérision du corps et de l’économie que l’on appelle le sport professionnel.

132. — Le monde se divise en deux : ceux qui croient que la réalité est indépassable et ceux qui pensent qu’elle est inatteignable.

133. — L’éternité, au fond, c’est très surfait. Regardez Dieu : pour tromper son ennui, il a fallu qu’il crée le monde ! Le résultat s’en est ressenti.

134. — La télé est un énorme tube digestif qui avale tout, grâce à ses énormes moyens financiers et à ses innombrables recherchistes, sans parler des délateurs ordinaires de faits divers qui désormais l’alimentent à l’envi. Et ce qu’elle ingère, elle le dégorge en merde.

135. — Les petites filles promènent parfois d’un air important des seins trop vieux pour elles.

136. — L’enseignement aujourd’hui : gérer le rudimentaire, enseigner l’insignifiant, évaluer l’accessoire.

137. — On donne hypocritement une dignité démesurée à l’argent, au nom de ceux qui n’en ont pas, pour mieux cacher, par envie ou soumission adoratrice, ceux qui en ont trop. De la même façon, on fustige ceux qui ont quelque culture, même s’ils ne l’étalent pas, au nom de ceux qui n’en ont aucune pour mieux cacher le lugubre fric qu’engrangent les fourgueurs d’inculture qui possèdent, entre autres choses, les médias.

138. — Un écrivain devrait être, dans la langue, et jusqu’à la douleur, heureux comme un poisson dans l’on. Combien, de nos jours, n’y trempent qu’un doigt frileux ! Combien d’autres, encore, se noient dans un verre de jememoi.

139. — L’homme est transitoire, sans doute, cela console. Mais sa connerie semble décidément bien près d’être éternelle.

140. — On a présenté aux Québécois des personnages grotesques, dans un contexte ironique, et dans le but manifeste d’en faire la satire. Mais voilà, ces personnages ont plu au point que, tout en en riant encore (jusqu’à quand ?), tout le monde s’est mis à les imiter et bientôt à se comporter naturellement comme ces caricatures, les animateurs de lignes ouvertes en premier, puis les gens de télévision, et enfin les hommes politiques. Et l’humour est désormais mort au pays du grotesque.

141. — Quand bien même il parviendrait, dans son imbécillité croissante, à détruire sa planète, l’homme n’aura jamais été qu’une estafilade évanescente à la surface des choses.

142. — À vingt ans, une manie est un charme, à quarante un agacement, à soixante un ridicule. Après, on ne la voit même plus.

143. — Dieu n’est rien que la question devenue trop tôt réponse. Il n’y a donc pas de faux dieux, il n’y a que la fausseté mortifère de Dieu, ce leurre pour vieillard rendu au bout de ses étonnements et perclus de refus.

144. — Peut-être que deux têtes valent mieux qu’une mais vingt -mille certainement pas. Plus il y a de monde, moins ça pense. Ça ne fait que grouiller.

145. — Penser que tout ce qui me dépasse mène à Dieu, c’est encore une façon de m’instaurer au centre de l’univers.

146. — Qui n’a jamais eu mal aux dents ne sait pas ce que c’est que l’obstination des choses et l’indiscipline des corps.

147. — Le métissage des cultures n’est qu’un slogan popmédiatique ou un vœu pieux d’intellectuel qui se donne bonne conscience. En fait, les cultures vers lesquelles, toujours au bord de la condescendance, l’intello antiraciste ou l’animateur radiophonique se penchent sont des cultures qui, parce qu’elles sont menacées chez elles et plus encore dans leurs terres d’exil, se barricadent au point qu’aucun métissage jamais ne saurait les ouvrir.

148. — Les enfants, tous les enfants, sont aussi méchants qu’ils sont bons. Mais comme leur méchanceté est aussi naïve que leur bonté, nous la considérons avec une tolérance attendrie. Mais donnez à un enfant la puissance qu’il n’a pas, et vous avez un terroriste. Et un terroriste qui n’a même pas besoin d’une cause.

149. — J’essaie, toujours, d’être à la hauteur de la franchise de mes colères.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec150. — Les chats sont des sages sereinement désespérés : c’est pour oublier la vie de la façon la plus élégante possible qu’ils dorment tant, le jour aussi, le jour surtout. C’est aussi que leurs rêves ont sans doute des couleurs bien séduisantes : celles de la liberté retrouvée, loin des humains qui, croyant être leurs maîtres, sont en fait leurs parasites.

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, québec, littératurequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

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Conformisme, médias et arts, par Jean-Pierre Vidal…

5 février 2016

Apophtegmes…

111. — Le conformisme est une forme de mort dans laquelle nous trouvons, paradoxalement, tous nos émoischat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec d’être. Et de plus en plus. Car rien n’est pire, maintenant, pour nous, qu’une parole seule qui claque, nue et injustifiée. Pour qui vous prenez-vous ? demande l’imbécile médiatique de service à celui ou celle qui ose la risquer. Pour une voix.

112. — Quand tous les possibles de l’art ne dépendent plus que des capacités de la machine ou de la patience et de l’ouverture d’esprit du public, l’éthique, sans laquelle cet art n’est que cosmétique, disparaît dans l’euphorie enfantine d’un fonctionnement trop aisé.

113. — L’amertume ? Un ciel couvert qui ne s’entrouvre que sur un souvenir maussade.

114. — On lutte toute sa vie, surtout contre soi-même, contre sa timidité, sa lâcheté, pour être soi-même (est-ce le même que celui contre qui on lutte ?), pour être naturel en toutes circonstances, et quand on y parvient enfin, quand on jouit de l’aisance désormais de sa propre présence au monde, on est mort.

115. — L’Europe a la passion de la distinction, l’Amérique, celle de l’ordinaire, malgré les superlatifs qui lui collent au discours. Le cauchemar de l’une est le snobisme, celui de l’autre la vulgarité. Mais cela n’exclut pas, bien entendu, les Américains hypersnob et les Européens d’une vulgarité absolue.

116. — Toute élégance se ramène à une question de rythme. Rythme de port et de pose, rythme tendu, rythme tenu, tonus et danse.

117. — L’hédonisme simplet qui court les rues et les ondes a laissé le grand corps social à l’abandon, livré à des minoritaires de toutes obédiences, mais plus encore à deux catégories de gloutons, l’homme d’affaires et le politicien qui, tous deux, par les temps qui courent, finiront par avoir de plus en plus de liens avec le pouvoir mafieux mondial en train de se mettre en place. Si même ils n’en deviennent pas l’émanation pure et simple. Car l’appétit vient en mangeant l’autre et rien ne se bouffe mieux que le corps social massifié.

118. — Comme nous avons sacralisé le bien-être individuel, nos religions ne sont plus que des commodités : sectes fumeuses, métaphysiques aérobies, rites gymniques, morales cosmétiques. Notre âme elle-même est une lotion à l’odeur vaguement écœurante. Et notre pensée une masturbation machinale et flasque.

119. — Mon orgueil aura été d’être assez cher pour pouvoir parfois être gratuit. C’est le plaisir des bénévoles quand ils ne sont pas des assistés sociaux déguisés ou forcés.

120. — La vulgarité n’est affaire ni de langue parlée, ni de culture, ni même de classe sociale, c’est une question de vue : quiconque ne voit pas plus loin que le bout de sa bedaine appartient à la confrérie sans cesse grandissante du vulgaire et de l’épais, même s’il manie l’imparfait du subjonctif comme un jésuite du XVIIe siècle.

121. — Peut-être divorce-t-on à un âge avancé, après toute une vie passée avec la même personne, comme cela arrive parfois, parce que, brusquement, l’autre a pris le visage de votre mort et que c’est son propre cadavre que l’on voit, glacé d’horreur, dans ses yeux innocents.

122. — Le malheur rend laid, le bonheur rend bête. Et l’indifférence rend invisible.

123. — La clé du bonheur de l’humanité est toujours enfouie, par définition, dans un livre perdu d’une bibliothèque détruite : c’est ainsi que s’équilibre un peu le fameux débat sur la valeur comparée du plus grand des livres et de la plus insignifiante des vies humaines. Il est vrai qu’on pourra toujours rétorquer que cette clé du bonheur de l’humanité tout entière se trouvait peut-être en germe dans la tête de cet enfant qui passait justement devant la bibliothèque de Dresde quand les bombes alliées l’anéantirent.

124. — Dans nos sociétés démocratiques, les riches entretiennent encore parfois des maîtresses et les pauvres toujours des illusions.

125. — Je n’aime les tripes ni au propre ni au figuré que d’ailleurs leur étalement éventré nie. Peut-être ma réticence à l’endroit de la psychanalyse vient-elle de ce dégoût.

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec126. — Les hommes ne disent jamais tout à fait la vérité qui les concerne, par calcul ou par amitié, pour ne pas blesser ou pour ne rien risquer. La vérité est ainsi l’envers du social.

127. — L’école et les médias ânonnent et bêtifient. La famille ? Elle n’est plus qu’un tube cathodique. Où diable voulez-vous qu’on apprenne l’humain ?

128. — L’œuvre d’art, cet accident concerté, est une évidence imprévisible et imparable.

129. — La simplicité est une vertu quand elle est un élagage, pas quand elle est le nom poli de l’indigence.

130. — La jeunesse n’est jamais ridicule ; c’est toujours un regard rétrospectif qui la juge telle. Et c’est un regard de vieux. Mais vient toujours une autre génération qui, contre ses pères, coule sa propre jeunesse dans les oripeaux d’une jeunesse évanouie. La jeunesse est ainsi un phénix dont les plumes — et les plumes seules — se transmettent d’une génération à une autre.

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, québec, littératurequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

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Signes des temps, par Jean-Pierre Vidal…

7 décembre 2015

Solidarités

J’étais encore à Paris à peine une semaine avant les tragiques événements que l’on sait. J’ai également vécu àchat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec Paris, de ma naissance à ma vingt-quatrième année, avant de venir m’établir définitivement au Québec. C’est dire que cette ville m’est chère : elle fait partie de moi. Mais l’attachement viscéral que j’éprouve à son endroit se teinte de nuances qui toutes ont trait à l’histoire, et pas seulement mon histoire personnelle. Le Paris que j’ai retrouvé cet automne était à la fois très différent et très proche de celui que j’ai connu. Ma ville à moi était encore celle de Doisneau, celle d’un certain art de vivre tellement identifié à la France que les Allemands se sont forgé le proverbe « heureux comme Dieu en France » (Glücklich wie Gott in Frankreich) et, croyez-moi, ce n’était pas lié à la religiosité. C’était aussi une ville de culture, d’art et de littérature : je ne suis pas sûr qu’elle le soit encore. Un simple signe des temps : quand de Gaulle recevait un chef d’État étranger, il l’accompagnait à l’opéra et l’envoyait au Louvre guidé par Malraux, excusez du peu ; il proclamait aussi sans vergogne être la France, comme Louis XIV, avant lui, prétendait être l’État. Sarkozy emmenait les visiteurs étrangers à Disneyworld Europe et l’ineffable Hollande veut être un président « normal », comme si la fonction n’excluait pas une telle imbécile modestie, ne serait-ce que parce que le suffrage universel a fonction de sacré et qu’ainsi, c’est la délégation qui revêt un caractère sacré. Un président qui refuse la majuscule, de porter le nom propre d’une nation, n’est qu’un employé de bureau égaré en politique.

Passons. Mais non sans avoir remarqué que la pire menace qu’ait à affronter, de nos jours, l’humanité, ce n’est pas le réchauffement climatique, c’est la glaciation qu’a imposée à la culture la production industrielle de masse qu’on appelle improprement « culture » et de façon abusive « populaire ». Car elle transforme les êtres humains en esclaves de la consommation ou en clones affaiblis de vedettes, ce qui revient au même.

Jusqu’où la solidarité

Cette étrangeté que je ressens maintenant quand je me rends dans mon pays d’origine, d’autant plus douloureuse qu’elle n’est pas totale et éveille encore l’écho de son contraire, la familiarité, cette étrangeté, donc, me pose la question de la géométrie variable de toute solidarité.

Il est, en effet, au moins deux sortes de solidarité : la première est une émotion ou un affect qui repose sur une humanité partagée ; l’autre est un calcul, qui peut être géopolitique ou économique, mais n’est qu’un cynisme produit par des intérêts finalement déshumanisants.

Le premier trait de la solidarité du premier type, c’est qu’elle ne se questionne pas : elle s’impose sans délai. En tant que Français d’origine, je me sens immédiatement, dans de telles circonstances, étreint d’une violente émotion que tempèrent pourtant très vite à la fois les autres solidarités que cinquante ans d’absence du territoire ont laissé se nouer et le caractère quasi cornélien du dilemme dans lequel toute solidarité vous enferme aussitôt.

Car quiconque veut rester lucide ne peut manquer de voir surgir, une fois passé ce moment fusionnel, une foule de questions qui en relativisent la portée. Par exemple : sont-ce de mes anciens compatriotes que je me sens solidaire ou simplement des victimes, directes et indirectes. Suis-je encore partie prenante de la nation française ou me posé-je d’abord comme citoyen du monde, comme tant de jeunes de nos jours qui semblent ne pas percevoir ce qu’il y a de purement négatif dans cette affirmation apparemment généreuse, mais qui reste fondamentalement un refus plutôt qu’un engagement, puisque je ne sache pas qu’une telle citoyenneté existe et qu’ainsi la revendiquer n’engage strictement à rien ?

Si je suis encore Français, ce n’est certes pas dans tout ce qui concerne l’érosion qu’une américanisation complaisante a fait subir aux traits collectifs que je pouvais sentir miens. Cinquante ans de ce laminage que tous les pays du monde ont par ailleurs connu m’ont rendu tout à fait étranger à ce pays dont les raisons commerciales s’affichent désormais presque toutes en anglais et où le Président de la République précédent se montrait apparemment insensible au ridicule dont se couvre le chef d’État d’un pays où abondent les vrais châteaux quand il va badauder devant du carton-pâte kitsch originellement made in USA. Oublier l’histoire pour le divertissement et le vrai pour le faux, c’est aussi ça, la glaciation culturelle. Tout en est désormais atteint, de l’éducation à la politique, de l’économique au social et du divertissement au travail.

Solidarité, compromis, compromission

Le dilemme cornélien de tous les politiques aujourd’hui, Harper l’avait fort bien formulé, c’est le commerce — et les emplois que les ventes d’armes, par exemple, consolident — ou les droits de l’homme, entendus au sens large. C’est-à-dire tout simplement la morale. Dois-je trahir les miens pour respecter l’humanité ? Mettre des gens à la rue, les réduire à la pauvreté pour ne pas pactiser avec des régimes nauséabonds — dans ce cas l’Arabie saoudite ?

Pour en revenir à ma situation personnelle, je n’éprouve aucune solidarité pour un pays qui vend la moitié, sinon plus, des Champs-Élysées et la plus grande équipe de soccer de Paris aux émirs du Qatar. Un pays dont le mot d’ordre citoyen est de « ne pas se prendre la tête », c’est-à-dire ne pas se compliquer la vie, parer au plus facile, révérer l’ordinaire. Un pays dont les philosophes, toujours très médiatisés, contrairement au Québec où les intellectuels sont cachés — et s’ils allaient influencer le bon peuple consommateur ! — sont cependant l’objet tout désigné de la risée populaire, comme le sont d’ailleurs les hommes politiques. Il faut voir ces émissions de télévision où l’on organise des « clashs » (en français dans le texte) entre deux philosophes (par exemple, Onfray et Finkielkraut) pour mieux les tourner en ridicule par animateur interposé. Il faut voir ledit animateur arborer l’air goguenard de qui jouit très visiblement de son impunité : le public l’aime, les cotes d’écoute le flattent et lui permettent tout, y compris bêtise et vulgarité.

Il faut voir la nuée de petits roquets twitter qui aussitôt s’accrochent aux basques et aux mollets de tout ce qui s’avise de parler un peu haut, d’avoir des idées non digestives et de croire qu’on peut encore penser en régime de communication virulente. Il faut voir la langue qu’ils croient écrire, quand ils ne font que l’éructer, la flatuler, en déchiqueter l’orthographe et la syntaxe.

Les attentats de Paris auront peut-être cela de bon qu’ils mobiliseront la population des pays occidentaux. Non pas, espérons-le, contre l’Islam et les musulmans — toutes les religions, le catholicisme au premier chef, ont produit, par dérive intégriste et totalitaire, des massacres sans nombre —, mais contre la solidarité cynique qui conduit à « serrer la main du diable », comme disait le général Dallaire.

Il serait peut-être en effet temps d’accepter la leçon de toutes ces émotions populaires — parfois à la limite de la sensiblerie qui n’engage à rien, avec leurs débordements de toutous, de chandelles, de recueillement badaud et de prières infantiles — et de réintroduire la morale en politique internationale. Quitte à cracher dans la main du diable et dans la soupe qu’il nous offre trop souvent. Quitte à y perdre des plumes économiques. Après tout, il y va aussi de notre intérêt.

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, QuébecPuisque la théocratie iranienne, les émirs du pétrole et la monarchie moyenâgeuse des Bédouins d’Arabie subventionnent, on le sait, les terroristes et répandent des versions extrémistes de leur prétendue religion devenue pure idéologie tant elle est instrumentalisée.

Et si l’on en profitait aussi pour s’attaquer vraiment aux paradis fiscaux.

Daesh y met à l’abri, ça aussi on le sait, la fortune considérable qui lui permet de faire tourner sa machine de mort.

Être soudain collectivement vertueux pourrait bien, finalement, avoir du bon.

Jean-Pierre Vidal
Signe des temps, Le Chat qui Louche, novembre 2015

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Les apophtegmes de Jean-Pierre Vidal…

21 novembre 2015

Apophtegmes…

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec

101. — Les vieux couples ont complètement dilué chacun des deux individus qui les composent dans un espace collectif qui leur tient lieu désormais de proximité. Le couple est plein de tendresses, de caresses, de chaleur, mais ceux qui le forment sont souvent secs, froids, distants.

102. — Toute perspective est un trajet de roi parce qu’elle donne de l’élan au regard et parce qu’elle oriente l’âme vers l’infini. Au bout de toute perspective, il y a un dieu qui nous attend pour nous révéler que nous n’en sommes pas un et nous ramener au juste orgueil de n’être qu’un homme. Sans perspective, nous ne sommes que des monstres qui se prennent pour des dieux.

103. — Pas d’élégance sans quelque raideur secrète. Mais combien de raideurs sans jamais la moindre élégance.

104. — Une image ne vaut mille mots qu’à condition, justement, de les susciter. À défaut de quoi, elle n’est jamais qu’une sidération muette. L’extrême faveur dont jouit ce cliché chez tous ceux qui font profession d’hypnotisme marchand est à la mesure de son indigence : on le donne pour une vérité profonde alors qu’il n’est qu’un slogan publicitaire déguisé.

105. — Les sociétés occidentales sont en train de revenir au suffrage censitaire d’antan. À cette différence près que ce n’est plus l’électeur qui doit arguer d’un certain revenu pour pouvoir voter, mais le candidat qui doit se prévaloir d’une fortune point trop négligeable pour être éligible. Dis-moi ton revenu, je te dirai tes chances d’être élu.

106. — Les bruits de bottes sont toujours des bruits de tripes. Peut-être est-ce cela « l’estomac dans les talons » : cela veut dire, en l’occurrence et à l’inverse, les talons dans l’estomac. Mais celui de l’autre.

107. — La vérité est toujours plus compliquée que le mensonge. Ne serait-ce que parce qu’elle n’est jamais vraiment nue et que son strip-tease est toujours réticent ? Le seul problème du mensonge, c’est la solidité de la fibre dont il est tissé et l’accord de ses coordonnés.

108. — Les médias de masse ont couronné le public, mais c’est d’un bonnet d’âne. Ils l’ont sanctifié mais c’est de bêtification qu’il s’agit.

109. — À poil, les lesbiennes en sont pleines et les gays dépourvus.

110. — Le bénévolat reste sans doute une des meilleures façons de dire son mépris aux puissances d’argent. Mais c’est aussi une bonne façon de les engraisser davantage.

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, québec, littératurequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Signe des temps, par Jean-Piere Vidal…

27 octobre 2015

L’artiste submergé

Traditionnels ou nouveaux, les médias ont brui, ces derniers temps, d’un sujet auquel ils ne sont guèrechat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec accoutumés : on a parlé, imaginez un peu, de littérature et de lecture ! À propos de deux évènements : la sortie de la suite apocryphe du Millenium de Stieg Larsson, ce roman raté, mais vendu à plus de 70 millions d’exemplaires, et la publication d’une récente enquête française montrant que le nombre de lecteurs avait, dans ce pays, baissé de 10 % et que Paris avait perdu plus de 83 (!) librairies indépendantes entre 2011 et 2014. Toutes les catégories de lecteurs : hommes/femmes, jeunes/vieux, lecteurs occasionnels/lecteurs réguliers. Quant aux non-lecteurs — Jamais ! Moi, lire, vous n’y pensez pas ! —, leur nombre s’accroit sans cesse. On parle ici d’un pays réputé pour avoir longtemps été l’un des plus lecteurs de la planète. Il vaut mieux ne pas penser au Québec, où semble se refermer ce qui s’était un instant ouvert à la Révolution tranquille : la curiosité pour les arts, les lettres, la culture.

Millénium et une enquête : les chiffres, la vedette et le public. On dirait le titre d’un film de Leone ; dans ce cas, évidemment, c’est le public, bonne pâte, qui occupe la place du bon, tandis que les chiffres jouent, bien sûr, la brute : la brutalité des comptes et l’abrutissement dont ils permettent sournoisement de faire l’apologie. Car si le bon peuple, bien gavé de publicité, conditionné médiatiquement et surtout persuadé par le discours courant qu’il a toujours raison, quelles que soient sa pratique, ses capacités et surtout son ouverture d’esprit ou son repli sur des habitudes confortables, si le bon peuple, donc, achète, c’est que c’est bon. Il n’y a rien à ajouter : toute valeur se mesure au nombre et au numéraire, point à la ligne. Lire n’est plus affaire de culture, mais de divertissement ; il n’est plus question de choix personnel, mais de soumission à la rumeur (au buzz, comme il faut maintenant dire). Qu’importe l’auteur, il est remplaçable : la vedette, c’est le produit, Millénium et non feu Stieg Larsson. La réussite, c’est du marketing qui a atteint son but. Le talent, c’est du bruit, sur la Toile ou les ondes. Tout est dans tout et réciproquement : nous vivons dans l’empire de l’évidence tautologique. On ne lit que ce qui se vend et on ne vend que ce qui se lit.

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, QuébecEt surtout, l’auteur et l’admiration que peut susciter son œuvre ont été remplacés par la vedette qui, elle, impose l’adulation. La vedette, la star, que ce soit un produit ou un artiste chosifié en produit, fait plier les genoux dans l’idolâtrie sans âme, quand l’admiration, autrefois, l’élevait, cette âme, quand nous en avions encore une, quand elle n’avait pas encore été remplacée par des nerfs, des besoins, des désirs et des droits. Comment mieux illustrer le fait que le système peu à peu nous transforme en clients et surtout en esclaves. Nous étions naguère citoyens et sujets…

Quel public ?

Dans ce contexte, le public n’est plus qu’une masse, travaillée, triturée, contrôlée. Ou livrée aux aléas de l’air du temps et à l’effet boule de neige qui, devenu le poumon de nos sociétés, rend certaines choses « virales », comme on dit. Ou « incontournables », susceptibles de donner des « coups de cœur », bref de nous faire vivre dans une urgence, en grande partie artificielle, mais qui est devenue notre lieu commun. Comme une syncope collective provoquée.

Il est difficile de dire s’il s’agit d’une évolution « naturelle » de nos sociétés ou si le chant des sirènes marchand qui rive nos vies à l’immédiat la commande, mais l’air du temps, formaté par cette évolution, nous contraint à la courte vue, à l’immédiat, à l’ordinaire. La seule transcendance, la seule magnification de nos egos étriqués nous vient désormais de toutes les béquilles informatiques qu’on nous pousse à acheter, puis jeter, puis racheter dans un nouveau format : notre durée, individuelle autant que collective, est celle de l’objet, c’est lui qui la mesure et lui donne son échelle. Et les valeurs dont le système a besoin pour huiler ses rouages, c’est lui qui les promeut, les produit même. La machine est déjà en nous : dans nos idées, nos rêves, notre façon binaire et simplette de penser, nos opinions et nos croyances.

Parlant de machine, s’il m’est permis de parler un peu de moi, je vanterai sans vergogne mes talents de prophète, alors occupé dans une compagnie de micro-informatique, en invoquant un article publié dans Québec Français (no 54, mai 1984, pp. 27-29) intitulé : Écriture et ordinateur, la mort prochaine du public. La réflexion s’est d’ailleurs poursuivie quelques mois plus tard lors d’une conférence, Vers une ordinosémie, présentée au colloque de l’Union des écrivains québécois au titre évocateur : « Culture et technologie, fusion ou collision » dans le cadre du 6e Congrès mondial de la Fédération internationale des professeurs de français (Québec, le 16 juillet 1984).

L’optimiste que me commandait d’être ma fonction au sein de l’entreprise (il faut vendre pour survivre) avait des accents triomphalistes : la machine allait libérer la créativité de chacun, multiplier à l’infini le nombre des artistes, des poètes, des inventeurs, des écrivains. Lautréamont n’avait-il pas écrit, en plein cœur du XIXe siècle : « La poésie doit être faite par tous. Non par un. »

Le problème, c’est qu’on voit bien aujourd’hui, avec le déversement de messages cybernétiques qui nous submergent sur toutes les tribunes que, pas plus que le bon sens, n’en déplaise à Descartes, la créativité n’est pas « la chose du monde la mieux partagée » et que l’intelligence collective n’est qu’un vain mot nouvelâgiste. Sans parler de ces ingrédients de base de tout art : le talent et la nécessité de créer, à la limite pour sauver sa peau ou son esprit, et non pour assurer sa présence au monde, agrandir sa renommée ou augmenter le nombre de ses amis Facebook. La création n’est pas un droit, ce n’est pas non plus un devoir, c’est une exigence, dans tous les sens du mot.

Une exigence et une nécessité intimes qui, pour moi, se définissent par deux formules complémentaires : celle d’André Gide qui parle d’« une longue patience » et celle de Sartre qui évoque « la solution d’un enfant désespéré. » Les deux parlent du génie, c’est entendu, d’où leur caractère extrême, mais le désespoir de Sartre et son rapport à l’enfance disent bien que la nécessité naît là, sans doute dans un rapport difficile avec les signes, du moins les signes sociaux, par exemple ceux qui envoient à l’enfant qui se découvre ou se sent homosexuel un message de déviance qu’il n’arrivera que progressivement, et parfois dans son œuvre et par son œuvre, à interpréter plutôt comme une différence qui le définit.

Il n’est pas nécessaire d’insister sur le fait que l’exigence, intime ou autre, n’est plus à l’ordre du jour de nos sociétés où chacun désormais s’épivarde. Parce qu’il en a le droit et parce que la machine lui en donne les moyens.

Voilà sans doute pourquoi peu lisent, mais tous écrivent et tous se publient, et s’il le faut à compte d’auteur.chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec Dame, qui es-tu, toi, pour oser me juger et refuser mon manuscrit ? Qui es-tu, toi, pour ne pas vouloir parler de moi comme tu le fais du premier prix Nobel venu ? Qui es-tu pour ne pas m’inviter à ton émission ?

La devise du siècle sera décidément : « moi aussi ! » Sous-entendu, j’y ai droit, tout simplement parce que j’existe. J’appelle ça une exigence de client, mais un client qui a raison et qui ne paye même pas.

Et je pense à Mark Twain qui disait : « Let us make a special effort to stop communicating with each other, so we can have some conversation. » ou « Faisons un effort particulier pour cesser de communiquer les uns avec les autres, afin que nous puissions converser un peu. » (traduction libre)

Cette voix qui nous vient du début du siècle précédent nous enjoint d’arrêter de communiquer pour enfin nous parler : dans le dialogue et la reconnaissance de l’existence de l’autre, plutôt que de le bombarder de papotages assourdissants, sans daigner entendre, ou si peu, ce qu’il dit.

Puissions-nous l’entendre et arrêter de piailler ou babiller pour écouter un peu. Arrêter de voir pour regarder. Et d’écrire pour lire un peu.

Au fond, cela s’appellerait vivre.

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, québec, littératurequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)