Venise, un récit de Jacques Girard…

14 juin 2017

 Venise…

 

 Son prénom était Venise. Comme la grande ville italienne construite sur  cent dix-huit  îles  et  prisée  par les touristes. Ses parents l’avaient  prénommée ainsi à lachat qui louche maykan alain gagnon francophonie suite d’un séjour dans la ville des doges.

Un prénom sur mesure pour cette adolescente farouche, évanescente et conquérante.  Dans notre petit quartier de la fin des années 1950, il en fallait bien peu pour rompre la monotonie. Son arrivée bouleversa notre vie.

Personne ne put ignorer la présence de cette jeune fille, belle, ingénue et surtout très différente des sœurs et des copines du même âge. Elle créa tout un remous. Sa famille emménageait dans  la grande  maison  du docteur, parti pour la ville. Les valises n’étaient pas encore défaites que, déjà, Venise avait conquis le petit quartier qui s’étirait le long du lac Saint-Jean.

Il lui avait suffi, par ce premier dimanche de juillet, de se rendre au magasin, vêtue d’une  robe claire à la merci de ses mouvements en coups de vent, pour semer la commotion derrière les  rideaux.  Ses gestes  étaient étudiés. Si les jeunes filles de son âge (13 ou 14 ans) baissaient les yeux devant un homme ou chassaient la gêne en souriant, Venise, elle, portait les siens bien haut. Ses prunelles perses prirent la couleur du lac.

Elle était la cadette d’une famille de cinq filles. Belles, libres.

Leur grande maison entourée d’une  haute clôture fut assiégée par de nombreux prétendants. Sauf la dernière, elles succombèrent aux charmes d’un garçon de leur âge. Les deux plus vieilles se marièrent à un été d’intervalle.

Venise était plutôt solitaire. Elle incarnait l’amour impossible, l’impossible conquête.  Cette  fille  aux cheveux de jais jouait à être aimée et savait répondre aux désirs sans se compromettre. Notre malheur faisait à la fois notre bonheur. Sa liberté laissait, aux jeunes que  nous  étions, toujours de l’espoir.  Plus avertis,  les adultes  s’imaginaient que c’était tout simplement une petite aguicheuse. À l’école, il  n’y en eut que pour elle. Elle devint la préférée des religieuses qui la trouvaient charmante et serviable. Sur leurs recommandations,  ses parents l’envoyèrent étudier, l’année suivante, dans une école privée. Venise revint au milieu  de l’année ; on ne sut jamais pour quelle raison. L’hiver fut moins long.

Cet été-là, elle se fit bronzer presque nue, enlevant à demi le haut de son maillot de bain. Tout autour de la grande  barricade, des  yeux se  traçaient  un chemin. Certains  allèrent  même sur le lac avec des jumelles. Elle  s’efforçait de se  camoufler derrière une  haie criblée de trous.

Mon  ami,  qui  demeurait voisin, m’offrait les premières loges. Du haut de la fenêtre de sa chambre, on  examinait en  détail ce  corps de  sirène. Elle connaissait  notre présence. Je pense qu’elle  s’amusait de nous voir les mains moites, les yeux multipliés et les paupières folles.

Un jour, la mère de mon ami nous surprit en pleine séance de… Mal nous en prit.

Son jeu commença à lui attirer l’animosité des autres filles et des femmes. Les filles enviaient  et craignaient  cette Lolita. Les dames de la paroisse mirent leur mari et leurs adolescents en garde contre cette jeune sans attaches, trop libre, trop différente et qui, contrairement au reste de sa famille, ne s’était  pas intégrée à la vie du quartier. La suspicion augmenta quand elle abandonna, à trois mois de la fin de l’année,  son cours à l’Institut  familial. Il fallait que quelqu’un aidât sa mère.

Se complaisait-elle  dans l’adolescence ? La ville était petite. On ne permettait pas d’être  trop différent. Venise se trouva, bien malgré elle, isolée, pour ne pas dire ostracisée.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieUn  jour,  elle  disparut. Toutes sortes de  bruits coururent sur  ses  mœurs particulières.  Quelques années plus tard, la transfuge réapparut dans le quartier en compagnie d’une  fille plus jeune, portant toujours un pantalon. Elles  fumaient  et sortaient la nuit. Toutes deux déambulaient en riant, indifférentes aux autres. Elles se promenaient avec des éclairs de dédain dans les yeux, s’assoyaient  au bout du quai de la propriété familiale et buvaient de la bière à même la bouteille.

Venise s’affichait.

Je fus déçu, préférant garder le souvenir de la jeune fille qui avait soulevé une vague sur notre quartier, quelques années plus tôt. Je fus soulagé quand, après quelques jours, le couple repartit.

Notice biographique

Jacques Girard est écrivain, journaliste, enseignant…  Il est de plus un efficace animateur culturel : on ne saurait évaluer le nombre de fidèles qu’il a intronisés à la littérature québécoise et universelle.  Ses écrits reflètent un humanisme lucide.  De la misère, il en décrit.  Aucun misérabilisme, toutefois.  Il porte un profond respect à ces personnages bafoués par la vie qui hantent les tavernes, les restos et les bars semi-clandestins de sa ville.  Il les connaît bien, et il ne se distancie pas d’eux.  Il a conscience d’appartenir à la même espèce, pour paraphraser Lawrence Durrell.  Nous considérons Des nouvelles du Lac son chef d’œuvre.  Mais il nous a aussi donné, entre autres, Fragments de vie, Les Portiers de la nuit et Des hot-dogs aux fruits de mer.


Les stances du colimaçon… par Sophie Torris…

14 mai 2017

Balbutiements chroniques

— ….. Ch@t !?
Et voilà que je vous apostrophe sans façon. Je voulais vous surprendre. Me guettiez-vous ? Nous avions rendez-vous. Nous sommeschat qui louche maykan alain gagnon francophonie jeudi. Étiez-vous à l’affût de mes balbutiements, le Ch@t ? M’attendiez-vous ?
Deux mois déjà que mon accent pointu vous ouvre ses guillemets. Deux mois que je pelotonne  mon début d’alphabet au sein de votre arobase littéraire. Puis-je croire, cher Ch@t, que vous m’espérez un peu pendant les parenthèses de silence qui séparent chacune de mes chroniques ? Puis-je penser qu’il vous arrive parfois, impatient, d’imaginer la courbe de mon alinéa avant qu’il ne s’offre à vous ? Enfin, vous, le Ch@t, qui louchez sur mes trémas, ne pensez-vous pas que le plaisir tient pour beaucoup du désir ? Faisons donc le point sur ces interrogations, voulez-vous ?
Georges Clémenceau a laissé à la postérité une célèbre maxime qui dit que le meilleur moment dans l’amour, c’est quand on monte l’escalier. Mais dites-moi, le Ch@t, qui sont ceux qui prennent encore le temps de penser libertinage dans un escalier quand un ascenseur en cage peut les propulser droit comme des « I » au septième étage ? Qui sont celles qui prennent encore plaisir à perdre leur souffle contre un garde-corps ? J’ai le regret de vous apprendre que de nos jours, les mains courantes laissent de bois. Et il est bien difficile de pallier ce manque d’enthousiasme. Car ce qui marche aujourd’hui, c’est l’escalator sans escales. Le plaisir immédiat sans l’attente. Bref, l’ère est à l’escalier roulant qui dicte la marche à suivre. Ou, pis encore, au confortable plaisir de plain pied. La perspective d’une mansarde sous les toits ne semble plus faire recette.
Serions-nous alors de la vieille école, vous, mon Ch@t, et moi ? À croire encore que le secret est dans la préparation de la sauce. Je suis résolument de ceux qui goûtent encore  chaque palier qui mène au plaisir, de volée en envolée de marches. Car qu’on les monte quatre à quatre ou que l’on colimaçe exagérément, c’est toujours le cœur qui cogne à la porte du septième, non ?
Bon. Évidemment, on prend des risques. Car à étirer le temps du désir, on l’accroit.  La garçonnière tout là-haut n’est pas toujours la chambre de bonne qu’on croit. Et là, on se retrouve bien malgré nous devant cette constatation paradoxale : l’anticipation du plaisir peut parfois conduire à gâcher le plaisir. Permettez que je vous explique, cher Ch@t. Anticiper, ici, dans ces escaliers, c’est éprouver, l’espoir et le doute en cédilles, une certaine excitation due à l’attente. Or, si votre imagination est correctement stimulée, et j’imagine qu’elle l’est, l’attente d’un petit bonheur hypothétique peut être tout à fait jubilatoire, votre jouissance atteignant son comble en même temps que le pas-de-porte convoité.
Mais… il y a un mais. Car qui vous dit que cette extase achetée à crédit respectera vos engagements. Il se peut que la porte passée, la réalité ne soit pas à la hauteur du palier et que vous dévaliez l’escalier marche arrière, en traînant avec vous une malencontreuse dette de plaisir. La chute dans l’escalier peut alors être raide et la marche funèbre.
Pour éviter cette possible déconfiture, certains ont décidé de ne plus jamais clore la marche et en disciples d’Esher empruntent ses escaliers illusoires dans l’optique d’un plaisir infini. Mais jamais consommé. Du plaisir sans trait d’union. Je vous avoue, cher Ch@t, que cela me laisse circonflexe.
chat qui louche maykan alain gagnon francophonieLe plaisir peut-il n’être qu’un état d’esprit ? Le fait d’anticiper le bonheur peut-il nous y conditionner ? Je pense ici à tous ceux qui vivent leur 31 décembre comme une obligation d’être heureux. L’idée préconçue ne peut être déçue, ne doit être déçue. Et chose amusante, il arrive que nous soyons inconscients de nos propres leurres. Dans le même ordre d’idées, ne vous est-il jamais arrivé, le Ch@t, de revisiter en souvenir vos mansardes ? On emprunte alors d’étonnants petits escaliers de service qui nous ramènent bien plus tard à ce même septième étage. Là, avec le temps, la minuscule mansarde inodore et sans saveur s’est cristallisée toute en majuscules.
Alors où se trouve la solution ? Ne pas chercher à savoir ce qu’il y a en haut de l’escalier peut-être. Être heureux en se contentant de peu. Mais il faut être sacrément sage pour savoir rester sur le perron. Est-il possible alors de monter les marches quand même, mais sans but prédéterminé ? On éviterait ainsi les déceptions. Parfois, il n’y aurait rien là haut et puis de temps en temps, on se laisserait délicieusement surprendre par l’imprévu. Un p’tit plaisir spontané qui passerait par là, par hasard. Mais ça, c’est apprendre à vivre sans désir. Et à moins d’être Ronsard…
Cher Ch@t, je vous sais sage. Mais je vous en prie, si vous voulez voir des astérisques, ne vous contentez pas de mes incipits, ni ne courez au point final. C’est dans l’anticipation de chaque virgule que se trouve le plaisir de ma lecture.
Sophie

Notice biographique
Sophie Torris est d’origine française, québécoise d’adoption depuis 15 ans. Elle vit à Chicoutimi où elle enseigne le théâtre dans les écoles primaires et l’enseignement des Arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire. Parallèlement à ses recherches doctorales sur l’écriture épistolaire, elle entretient avec l’auteur Jean-François Caron une correspondance sur le blogue In absentia à l’adresse : http://lescorrespondants.wordpress.com/.


Le jour jamais ne se leva, par Clémence Tombereau…

11 janvier 2016
alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Brigitte Danse

Billet de Milan

 Des rafales de pluie crépitent sur les velux tandis qu’une épaisse pénombre flotte dans la chambre.  Les corps dorment, se meuvent mollement pour se serrer l’un contre l’autre, encore pris dans des rêves troubles que le jour répugne à trahir.  La nuit ne part pas et s’accroche désespérément au monde.  Dehors la ville bouge, grouille, trépigne d’impatience et crisse sous l’orage.  Les corps restent de marbre.  Les paupières demeurent réticentes à toute idée d’ouverture, boîtes de pandore jumelles, scellées par le sommeil et l’appréhension.  L’heure arrive, celle du réveil, et les corps se lovent encore, se nouent – bras mélangés, cheveux épars, tissus froissés.  Ces corps-là refuseront de se lever.  Ils resteront blottis sous la pluie qui frappe sans jamais les atteindre.  Ils resteront suspendus dans une forme d’éternité qui se confond avec l’étreinte.  La vie les attendra – les songes palpitants sont plus savoureux.

Notice biographique

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecClémence Tombereau est née  à Nîmes en 1978. Après des études de lettres classiques, elle a enseigné le français en lycée pendant cinq ans.  Elle vit actuellement à Milan, en Italie.  Finaliste du prix Hemingway en 2005, lauréate du concours littéraire organisé par le blogue Vivre à Porto, elle a contribué à la revue littéraire Rouge-déclic (numéro2) et elle nourrit régulièrement un blogue que vous que vous auriez intérêt à visiter :http://clemencedumper.blogspot.com/  (Clémence Tombereau vient de publier aux Éditions du Chat Qui Louche Fragments, un recueil de billets que vous pouvez vous procurer en version numérique pour un prix plus que modique à l’adresse suivante : http://www.editionslechatquilouche.com/)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

18 avril 2015

À la folie

Parfois tout sourire, tout amour, elle l’accueillait, apprêtée comme pour sortir, maquillée, magnifique, mise en valeur seulement pour ses beaux chat qui louche maykan alain gagnon francophonieyeux.  Elle lui servait un verre, ils parlaient sur la terrasse, se désiraient, jouaient la séduction encore vivace avant de finalement se jeter l’un sur l’autre comme deux bêtes sauvages.  Son parfum le droguait, son corps soulevait une dévastatrice vague de désir et il se vautrait avec elle dans la luxure, oubliant la cicatrice, dédaignant la folie, les crises, la fin déjà écrite de leur passion.

D’autres fois – elle mettait alors moins de temps à lui ouvrir –, une femme étrangère le recevait, décoiffée, vêtue sans soin, le cerne lourd et le sourire éteint, la face convulsée par le mépris.  Ce petit rituel de l’entrée dans son appartement lui permettait de comprendre rapidement à quelle sauce il allait être dévoré.  Elle ne l’embrassait pas, lui reprochait son retard, demandait des explications qu’évidemment il ne pouvait donner.  Alors il fermait la porte et autre chose : il verrouillait en lui une forme de sensibilité, d’amour-propre, renforçait sa carapace et se préparait à tous les coups.  Tout d’abord des questions agressives, tournant sans fin, toujours les mêmes.  Où étais-tu ?  Tu ne m’aimes plus.  ?  Tu en as une autre ?  Et ta pute de femme, tu la baises encore ?  Je te hais.  Pourquoi tu me fais ça, avec tout l’amour que je te porte ?  Pourquoi ?  Pourquoi ?  Et, toujours sur la terrasse, toujours impuissant, immobile, atterré, il la regardait faire.  Tout son corps contrit dans la douleur, la bouche – sa belle bouche – mangée par un ignoble rictus, ses yeux noirs comme la mort, et les flèches, toutes les flèches verbales qu’elle lui balançait en plein cœur, avant de se saisir d’un quelconque objet qui avait le malheur de trainer par ici, souvent un verre, n’importe quoi, un livre, une CHOSE qu’elle saisissait pour valider ses reproches.  Il esquivait.  Elle s’approchait.  Des tapes – ridicules, ses petits poings peu à peu se serraient, devenaient plus puissants sous l’effet de la démence – sur son torse.  Des tapes hystériques.  Et lui, ne s’appartenant plus, étranger à lui-même, ignorant qui était cet homme qui parlait à sa place, lui tenait ses poignets et chuchotait.  Ma chérie, ma chérie, tu dis n’importe quoi.  Des mots d’amour – et ses crachats, des promesses – et ses griffures, un triste sourire – et ses insultes, un air résigné – et ses morsures.  Ma chérie, ma chérie – tu sais, je suis peut-être encore plus fou que toi pour supporter tout ça.  Dans ses mains ses poignets ressemblaient à deux petits oiseaux qu’il rêvait d’étouffer.  Elle crachait.  Elle hurlait.  Il s’étonnait d’ailleurs que les voisins ne protestent pas, mais le bruit monte, parait-il.

Notice biographiquechat qui louche maykan alain gagnon francophonie

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments, et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai(Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


La magie des mots, par Francesca Tremblay…

1 novembre 2014

La belle du Café La Romance

chat qui louche maykan alain gagnon francophonie

Crédit photo : Gemma Booth

Ni le temps ni les hommes n’avaient emprise sur cette femme. Seuls les cafés qu’elle savourait avaient cette chance. Ou les pages d’un livre quelconque qui se tournaient pour lui dévoiler leurs secrets. Ses yeux posés sur les mots, il aurait voulu qu’elle les lève dans sa direction, mais la belle du Café La Romance colorait les miroirs de son plaisant reflet et lui n’était qu’un fantôme parmi les autres qui l’épiaient.

Ce soir-là n’était pas un soir comme les autres. Il avait osé. Osé franchir l’espace qui les séparait. Osé l’approcher et… l’aborder. Le courage avait dressé sur sa ligne de vie un rendez-vous des plus insensés. Ils s’étaient rencontrés plus tôt dans la journée et il l’avait complimentée sur son choix de lecture. Ils avaient échangé des sourires entendus et elle se trouvait maintenant dans sa demeure. Il redoutait de faire un faux pas. Son parfum le rendait fou.

Ils étaient allés voir un concert et après, histoire de terminer la soirée sur une bonne note, il l’avait invitée à prendre un verre chez lui. Pendant le spectacle, au lieu de se perdre dans les méandres des mélodies délicieusement jazzées que l’orchestre interprétait avec ferveur en hommage au compositeur décédé, il s’était laissé aller à fantasmer, contemplant, du coin de l’œil, les longues jambes qui, dans des bas nylon noirs, se croisaient et se décroisaient. La courte robe rouge remontait jusqu’à mi-cuisse et excitait de plus belle celui qui tentait de demeurer patient. La jambe bougeait légèrement et au bout de l’exquise cheville se balançait un pied dont le soulier à talon haut pointait la sortie. L’entracte avait été si long à venir…

Désormais, dans la lumière tamisée de son séjour, ses cheveux ondulés, blonds comme ceux des anges, descendaient jusqu’à mi-épaules. Ils encadraient un visage angélique qu’il ne se lassait pas d’admirer. Elle avait le charme des femmes frêles et passionnées. Perdu dans le bleu lapis de ses yeux, il demeurait assis sur le canapé devant elle, séparés qu’ils étaient par une table basse. Il servit le vin et lui en offrit une coupe.

Ses lèvres charnues demeuraient entrouvertes. Sa langue passait et repassait sur ses dents du bas, hésitante, tandis qu’elle le jaugeait du regard. Soudain, elle sourit, prit un air aguichant. L’homme avala avec peine. Elle voulait le troubler. Il prit une gorgée de vin rouge et déposa la coupe.

Il se voulait confiant, mais sentait désespérément que c’était lui la proie. Son regard l’envoûtait. Et que dire de ces courbes, et de cette tenue qui leur rendait grâce ! Nul besoin d’un soutien-gorge ; car le fin tissu de sa robe épousait le galbe de ses seins, ainsi que la pointe de ses mamelons dressés. Jaloux de ce vêtement qui la caressait, il voulut poser ses mains sur ses hanches, toucher ses épaules, son cou et embrasser ses lèvres. La prendre ici, là, maintenant ! Mais il demeurait tétanisé par sa seule présence chez lui. Par la possibilité, simplement.

Percevant son désir, elle se leva doucement. D’une démarche féline, elle contourna la table et glissa ses doigts sur le manteau de la cheminée. Elle balaya du regard ses souvenirs en noir et blanc, encadrés d’une enfance lointaine et posa de nouveau les yeux sur lui. Au fond de ses prunelles brillait une lueur de malice. Lentement, elle défit la fermeture éclair de sa robe et dénuda tour à tour ses épaules ; le tissu rouge chuta à ses pieds. Puis, ce furent les bas nylon qu’elle fit descendre doucement. Elle ne l’avait pas quitté du regard. Sa respiration s’accélérait à la vue de cette peau de satin. Il la désirait tellement.

Il se leva et s’approcha d’elle. Sourire en coin, elle posa une main sur son torse et le força à se rasseoir. Confus, il obéit tout de même et se laissa choir sur le canapé. Elle s’avança et elle s’assit confortablement à califourchon sur lui. Il lui sourit nerveusement et passa une main sur sa cuisse tandis que de l’autre, il caressait la ligne de sa mâchoire. Il approcha son visage pour l’embrasser, mais elle esquiva le baiser, tout en cambrant les reins et en commençant des mouvements de va-et-vient qui le grisaient. Mais, en même temps, il ne savait trop comment réagir devant cette femme qui contrôlait la danse. Il contemplait ce corps nacre qui ondoyait sous la lumière filtrée et de ses paumes il caressait ces seins aux pointes dures. Il voulut lui montrer son désir. Il pressa son bassin contre le sien. Elle renversa la tête, et ses yeux bleus, ivres de volupté, plongèrent dans les siens, marron, fiévreux. Elle prit son visage entre ses mains et l’approcha du sien, et se mêlèrent leurs souffles saccadés.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieElle l’embrassa avec force, passa ses doigts dans son épaisse chevelure châtaigne. Les mains de l’homme caressèrent son dos, s’emparèrent fermement de ses hanches, voulant accélérer le mouvement répété et exigé maintenant. Il voulait la posséder, entrer en elle. Le baiser prit fin, et ses vêtements, qui entravaient son plaisir, l’agacèrent.

Il déboutonna avec presse sa chemise et défit son pantalon. Elle se leva pour qu’il puisse aisément retirer tout le reste. Il lança à l’autre bout de la pièce ses sous-vêtements, mais lorsqu’il se retourna, haletant, la femme n’était plus là.

Son regard chercha une ombre blonde dans tous les recoins du salon, mais en vain. Il tenta de crier son nom, mais il ne le connaissait même pas. Sur le parquet du salon, aucune trace : ni de la robe, ni des bas nylon, ni des souliers… Sur la table, un seul verre, le sien. Celui qu’elle avait porté à ses lèvres n’y était pas. Où était-elle ?

Déconfit, il se rassit et d’un trait acheva son verre. Il s’en servit un deuxième, puis un autre… Demain, il retournerait sans doute au Café La Romance et il complimenterait la belle inconnue, sur sa tenue cette fois. Mais il espérait trouver le courage, au détour d’un coin de rue de…

NOTICE BIOGRAPHIQUE

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieEn 2012, Francesca Tremblay quittait son poste à la Police militaire pour se consacrer à temps plein à la création– poésie, littérature populaire et illustration de ses ouvrages.  Dans la même année, elle fonde Publications Saguenay et devient la présidente de ce service d’aide à l’autoédition, qui a comme mission de conseiller les gens qui désirent autopublier leur livre.  À ce titre, elle remporte le premier prix du concours québécois en Entrepreneuriat du Saguenay–Lac-Saint-Jean, volet Création d’entreprises.  Elle participe à des lectures publiques et anime des rencontres littéraires.

Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté.  Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre.  Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


La magie des mots, par Francesca Tremblay…

13 juin 2014

Enfants du premier jour

 Le souffle chaud du vent qui entrait par la fenêtre de la chambre caressait nos corps nus, immobiles. Je te Enfant du premier jour 1)regardais dormir. Je n’ai pas voulu te réveiller, tu semblais si paisible. Sur ton dos et tes larges épaules, il y avait les esquisses rouges que mes ongles avaient tracées. Vives signatures que j’avais laissées et qui disparaîtraient une fois le soleil levé. La nuit avait tenu à te rappeler mon nom et ton cri lui répondit, enfin. Une douce mort de passage dont les brumes se dissiperaient à l’aube, laissant les rêves là où ils étaient.

J’avais peur de me réveiller, et qu’au matin tu sois déjà loin. Mon corps souffrait de tes longues absences, même s’il savait que tu revenais toujours. Hier, je t’ai aimé de tout mon cœur, de toute ma chair qui frémissait. Tu tombas, tel l’arbre mort qui repose pour toujours, et je vins me poser près de toi, mon amour. Nous fîmes, ce soir-là, une forêt d’arbres tombés au combat, où le nom des bêtes était hurlé à la lune blanche et où la sueur ruisselait sur nos corps.

Tu avais rallumé un brasier que j’avais étouffé, de peur qu’il ne me consume. Et j’étais de cendre ce matin, et je vibrais de vie tel le phénix qui renaît. Pourtant, tu repartirais et tu voudrais découvrir le monde parce que le mien ne te suffisait pas.

Enfant du premier jour 2)Quand tu arborais ton beau sourire d’aventurier perdu, c’était fête. J’aimais m’égarer au milieu des océans fous qui se déchaînaient au fond de tes prunelles. Si bien que j’en perdais la tête. Ou lorsque tu me racontais les plaines arides des déserts du sud, un sourire admiratif naissait sur mes lèvres, tandis que je m’accrochais aux tiennes. Tu étais l’enfant du premier jour et j’étais le missel mystérieux qui rêvait de porter tes secrets. Tes histoires savaient tracer une voie jusqu’à mon cœur hasardeux et agité.

Enfant du premier jour, serais-tu toujours là ? Et qu’en serait-il vraiment, si je partais, là, dès maintenant ? Si c’était moi qui te quittais, cette fois. Serais-tu amoureux d’une autre ? Je sais que cette porte est ce qui me sépare du monde. Mais je sais aussi que si je la franchissais, elle me séparerait des songes que nous avons faits. Elle me séparerait des ciels sublimes au fond de tes yeux.

Je te regarde dormir et ton air paisible me fait croire en un fol amour qui perdurerait au-delà de l’avenir. Enfant du premier jour 3)Tu sembles léger comme l’oiseau, prêt à t’envoler, insouciant. Ces chimères ne sont que les miennes, après tout, et quand tu te réveilleras, tu sauras me raconter les plus belles folies que l’on fera.

Demain est fait de l’espoir de nos amours, et nous sommes les enfants du premier jour.

NOTICE BIOGRAPHIQUE

Francesca Tremblay_auteureEn 2012, Francesca Tremblay quittait son poste à la Police militaire pour se consacrer à temps plein à la création– poésie, littérature populaire et illustration de ses ouvrages.  Dans la même année, elle fonde Publications Saguenay et devient la présidente de ce service d’aide à l’autoédition, qui a comme mission de conseiller les gens qui désirent autopublier leur livre.  À ce titre, elle remporte le premier prix du concours québécois en Entrepreneuriat du Saguenay–Lac-Saint-Jean, volet Création d’entreprises.  Elle participe à des lectures publiques et anime des rencontres littéraires.

Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté.  Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre.  Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

24 mai 2014

Baby’s on Fire

flamme-d&-39;une-bougie-rouge_19-123464

Son corps danse – volupté crépitante. Elle flotte dans l’obscurité, se meut allègrement, indifférente à tout, sauf au souffle ambiant qui l’enlace, la soulève et l’enivre. Son corps danse et semble fou, possédé par quelque sortilège, quasiment impossible à suivre des yeux qui doivent s’habituer à l’éblouissement. Insaisissable et prêt à dévorer le monde, à détruire lentement tout ce qui est solide, ce corps lumineux n’a plus rien d’humain. Elle ne pense qu’à danser, supérieure aux regards qu’elle brûle, prise dans une transe, dans des rêves connus d’elle seule. Personne ne vient dans sa danse, personne ne s’approche – le monde entier soumis à une peur archaïque, le monde ne serait, finalement, qu’un animal craintif qu’elle dompte avec aisance par ses lointaines caresses.

Les gestes rythmés, les courbes fluctuantes, la gracieuse subtilité de l’ensemble – envie de la toucher, mais peur, à chaque fois, de s’y brûler les doigts. Et mes doigts me démangent, mes mains comme indépendantes de ma volonté, n’obéissant qu’au désir qu’elle fait naitre en dansant. Rêver de l’attraper et savoir, savoir terriblement, que rien, finalement ne trouvera de refuge entre mes doigts déçus. Il n’y aura qu’un vide, ou une douleur rouge. Alors je la regarde, comme si la danse hypnotique n’allait jamais finir.

Plus je regarde cette flamme, plus je vois danser ma femme. Il faudra bien que je souffle dessus ; le bruit mat que fera la nuit en chutant sera pareil à celui d’un corps lourd. Pendant quelques arrogantes secondes une petite incandescence demeurera, avant de s’engouffrer, tenace et malicieuse, dans ma mémoire rétinienne. Derrière mes paupières, elle dansera encore. L’ombre ne gagne pas toujours au fond de nos yeux clos.

Image :  http://fr.freepik.com/photos-libre/flamme-d&-39;une-bougie-rouge_602888.htm

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade(roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda… »

28 février 2014

Muse d’un soir…

Dans un petit atelier de la rue Edgar Poe, une page vierge dévisage le corps figé d’un présumé Louis. Voilà déjà plusieurs heures qu’il pointe une plume en sa direction, sans jamais y perdre la moindre larme d’encre. Et elle lui fait peur, cette plume. Toutes celles qui, par le passé, ont effleuré sa griffe, n’en sont jamais revenues. Alors, en cet amas de feuilles encore vierges, des rumeurs courent. Certaines racontent qu’à son seul contact, on embrasserait la jouissance extrême, l’orgasme ultime. D’autres implorent de la fuir comme la peste, celle-ci ne mènerait qu’au tombeau. Et voilà qu’aujourd’hui, il l’avait choisie, elle. Alors elle tremble à s’en froisser, et ne le lâche pas du regard.

Bordel, voilà des heures qu’il est là, à gésir devant cette page blanche. Les mots s’enchevêtrant dans sa tête, ondulant en tous sens, sans jamais en jaillir. Et il a beau savoir, Louis, qu’à chaque fois c’est la même chose, le même scénario qui se répète inlassablement, ça bouillonne à l’intérieur de cette dépouille paralysée. Et puis, toujours ces doutes qui l’assaillent soudain. Et si je n’arrivais plus à écrire ? Et si je n’avais jamais su, en réalité ? Peut-être qu’ils se trompent, tous, et qu’ils découvriront demain que je ne suis qu’un never been aux doigts engourdis. Peut-être que… Et puis, il reconsidère cette vie chamarrée d’aujourd’hui qu’il n’a jamais fait qu’attendre, et ses doutes s’estompent.

Louis était devenu, depuis quelques mois, un écrivain à la mode. Ses romans d’horreur passionnaient des milliers de lecteurs fanatiques dans le pays. Les journalistes étaient à l’affût du moindre mot échappé de ce mystérieux prince des limbes qui mêlait avec virtuosité rêve et réalité. Malgré sa pudeur, il avait accordé deux ou trois interviews à ces rapaces insistants. Et il s’amusait de ce brouhaha d’un monde détraqué, en jouant avec les mots et les métaphores avec adresse. Et lorsqu’ils lui posaient cette perpétuelle question « Mais où trouvez-vous toutes ces idées ? », il répondait, presque machinalement, que l’inspiration naissait dans le creux des reins de ses muses d’un soir.

– Vos « muses d’un soir », qui sont-elles ?

– Les passantes de ma vie, dont chaque pas transperce mon ardeur.

– Et existent-elles réellement, ces passantes-là ?

– Elles n’existent plus au moment où je pose le point final. Je les tue.

Et, ils riaient. Les journalistes d’un rire démesuré, Louis d’un rire ajusté. Et la foule, autour, riait aussi.

Ce soir, il l’avait effleurée à la terrasse d’un café, sa muse d’un soir. Sous une chevelure ébène, deux yeux océan accrochaient les lignes d’un livre. Ce livre, c’était son dernier roman. Il s’était alors assis à ses côtés, engageant la conversation avec cette douceur qui le caractérisait. Ils avaient échangé quelques mots, sur lui, sur elle, et avaient regagné son petit atelier de la rue Edgar Poe, ensemble.

Sa muse, pour l’heure, semble s’être perdue en un coma vaporeux, et, à cet instant, ses reins ne disent rien du tout. Et puis, en un sursaut, elle quitte son éden éphémère pour rejoindre ce prince des enfers. Louis esquisse un sourire. Il s’avance vers elle, d’un pas lent, presque décomposé. Elle tremble, comme cette page encore vierge oubliée sur le bureau. Elle le distingue précisément celui qui, à présent, se penche sur son corps dépouillé, mais elle ne peut ni hurler, ni bouger. Marionnette de ce bourreau d’un soir. Il parcourt de ses doigts ses courbes exhibées, comme pour en détacher les premiers mots qui noirciront sa page blanche l’instant d’après. Ses pupilles se dilatent au fur et à mesure qu’il explore l’intimité de son pantin aliéné, au fur et à mesure qu’il distingue son visage se crisper confidentiellement. Dans sa tête, les mots s’emmêlent en un tango endiablé. Il la pénètre. Les mots jaillissent. La plume érafle la feuille jadis vierge. L’encre se répand. En ses veines, sur sa feuille, en sa muse d’un soir. Derrière les derniers soubresauts d’un instant fantasmagorique, un roman naît.

La feuille à présent couverte d’encre ébène, la muse abandonne ses derniers espoirs. En ce chaos nocturne, Louis vogue dans les sentiers d’une réalité évanescente, le regard écarlate. Les rumeurs ne s’étaient pas trompées. De cette jouissance extrême, de cet orgasme ultime, ni la feuille ni la muse n’en sortiront indemnes. Au petit jour, toutes deux rejoindront clandestinement l’implacable tombeau.


Notice biographique

Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.

C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.

Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie :http://blogmaestitia.xawaxx.org/


Un texte de Francesca Tremblay…

12 février 2014

Les mots

Milo Manara

Milo Manara

C’est tout ce que je connais.  Quand je fais le bilan de ma vie, les bras m’en tombent.  Les mots, c’est tout ce que je connais.

Saurais-je trouver les bons pour te retenir ?  Saurais-je en trouver de meilleurs pour que tu restes encore un tout petit instant ?  Peut-être ne devrais-je plus parler, car ta tête te fait si mal.  Peut-être devrais-je les taire, pour qu’enfin tu te reposes.

Mais je sais que ces mots, qui t’agacent et te font peur, sont ceux qui sont les plus vrais.  Ils sont l’écoulement du ruisseau qu’on a tenté d’entraver.  Ils sont la lumière filtrée par la poussière du temps à travers les carreaux opaques d’une maison abandonnée.  Ils sont si vrais que leur magie un jour fit germer cet arbre que tu ordonnas d’arracher.  On m’a arraché le cœur en même temps qu’on déracinait ce grand chêne.  Mais tu as essuyé mes larmes et j’ai ravalé mes peines.  Les sentiers dans le bois ne sont plus les mêmes.  Ils sont trop grands, sans toi à mes côtés.

Je ne sais pas pourquoi je fais ça, quand tu es là.  J’ai bien plus besoin de ta chaleur que celle des mots.  Je veux me lover dans tes bras pour réchauffer tout mon corps qui tremble d’effroi.  Je veux que tu embrasses cette bouche qui babille tant.  La faire taire pour le temps qu’il faudra.  Que tu prennes ce corps et fasse enfin tomber les attentes des nuits que j’ai passées sans toi, sans rien.  Cette fois, je promets de ne rien dire.  Je tuerai ces mots qui menacent notre avenir.  Pas de questions.  Seulement mes yeux qui se ferment sur l’horizon.

Dans le creux de mon cou, il est écrit comment le caresser, mais tu ne t’y attarderas pas.  Tes baisers se perdent vite sur mes seins.

Sur ma poitrine offerte, il est écrit comment l’embrasser.  Comment en saisir la moindre parcelle afin de lui donner du plaisir avec cette bouche gourmande, mais tu ne t’y attarderas pas.  Tes mains broient les mots, les palpent et les effacent.  Creusent des sillages vers un ventre gémissant.

3147886936Dans le creux de mes reins, il est écrit comment me prendre, mais tu ne le liras tout simplement pas.  Tu n’as jamais aimé lire et… j’ai promis de ne rien dire.

Pour un peu plus de chaleur humaine, j’ai fermé mes livres.  Quand tu repartiras, comme à chaque fois, il faudra que j’allume un grand feu, affreux, fait de mes bouquins abimés.  Le froid que tu laisseras en repartant givrera mes rêves qui tomberont et feront des miettes que j’ai appris à balayer avec le temps.

Mes mots ne portent plus jusqu’à toi.  Gelés, ils tombent avant que tu ne te retournes, laissant mon cœur plus au froid qu’il ne l’était déjà.

Pourtant, les mots, c’est tout ce que je connais.

NOTICE BIOGRAPHIQUE

En 2012, Francesca Tremblay quittait son poste à la Police militaire pour se consacrer à temps plein à la création– poésie, littérature populaire et illustration de ses ouvrages.  Dans la même année, elle fonde Publications Saguenay et devient la présidente de ce service d’aide à l’autoédition, qui a comme mission de conseiller les gens qui désirent autopublier leur livre.  À ce titre, elle remporte le premier prix du concours québécois en Entrepreneuriat du Saguenay–Lac-Saint-Jean, volet Création d’entreprises.  Elle participe à des lectures publiques et anime des rencontres littéraires.

Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté.  Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre.  Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…*

15 janvier 2014

Muse d’un soir…

Dans un petit atelier de la rue Edgar Poe, une page vierge dévisage le corps figé d’un présumé Louis. Voilà déjà plusieurs heures qu’il pointe une plume en sa direction, sans jamais y perdre la moindre larme d’encre. Et elle lui fait peur, cette plume. Toutes celles qui, par le passé, ont effleuré sa griffe, n’en sont jamais revenues. Alors, en cet amas de feuilles encore vierges, des rumeurs courent. Certaines racontent qu’à son seul contact, on embrasserait la jouissance extrême, l’orgasme ultime. D’autres implorent de la fuir comme la peste, celle-ci ne mènerait qu’au tombeau. Et voilà qu’aujourd’hui, il l’avait choisie, elle. Alors elle tremble à s’en froisser, et ne le lâche pas du regard.

Bordel, voilà des heures qu’il est là, à gésir devant cette page blanche. Les mots s’enchevêtrant dans sa tête, ondulant en tous sens, sans jamais en jaillir. Et il a beau savoir, Louis, qu’à chaque fois c’est la même chose, le même scénario qui se répète inlassablement, ça bouillonne à l’intérieur de cette dépouille paralysée. Et puis, toujours ces doutes qui l’assaillent soudain. Et si je n’arrivais plus à écrire ? Et si je n’avais jamais su, en réalité ? Peut-être qu’ils se trompent, tous, et qu’ils découvriront demain que je ne suis qu’un never been aux doigts engourdis. Peut-être que… Et puis, il reconsidère cette vie chamarrée d’aujourd’hui qu’il n’a jamais fait qu’attendre, et ses doutes s’estompent.

Louis était devenu, depuis quelques mois, un écrivain à la mode. Ses romans d’horreur passionnaient des milliers de lecteurs fanatiques dans le pays. Les journalistes étaient à l’affût du moindre mot échappé de ce mystérieux prince des limbes qui mêlait avec virtuosité rêve et réalité. Malgré sa pudeur, il avait accordé deux ou trois interviews à ces rapaces insistants. Et il s’amusait de ce brouhaha d’un monde détraqué, en jouant avec les mots et les métaphores avec adresse. Et lorsqu’ils lui posaient cette perpétuelle question « Mais où trouvez-vous toutes ces idées ? », il répondait, presque machinalement, que l’inspiration naissait dans le creux des reins de ses muses d’un soir.

– Vos « muses d’un soir », qui sont-elles ?

– Les passantes de ma vie, dont chaque pas transperce mon ardeur.

– Et existent-elles réellement, ces passantes-là ?

– Elles n’existent plus au moment où je pose le point final. Je les tue.

Et, ils riaient. Les journalistes d’un rire démesuré, Louis d’un rire ajusté. Et la foule, autour, riait aussi.

Ce soir, il l’avait effleurée à la terrasse d’un café, sa muse d’un soir. Sous une chevelure ébène, deux yeux océan accrochaient les lignes d’un livre. Ce livre, c’était son dernier roman. Il s’était alors assis à ses côtés, engageant la conversation avec cette douceur qui le caractérisait. Ils avaient échangé quelques mots, sur lui, sur elle, et avaient regagné son petit atelier de la rue Edgar Poe, ensemble.

Sa muse, pour l’heure, semble s’être perdue en un coma vaporeux, et, à cet instant, ses reins ne disent rien du tout. Et puis, en un sursaut, elle quitte son éden éphémère pour rejoindre ce prince des enfers. Louis esquisse un sourire. Il s’avance vers elle, d’un pas lent, presque décomposé. Elle tremble, comme cette page encore vierge oubliée sur le bureau. Elle le distingue précisément celui qui, à présent, se penche sur son corps dépouillé, mais elle ne peut ni hurler, ni bouger. Marionnette de ce bourreau d’un soir. Il parcourt de ses doigts ses courbes exhibées, comme pour en détacher les premiers mots qui noirciront sa page blanche l’instant d’après. Ses pupilles se dilatent au fur et à mesure qu’il explore l’intimité de son pantin aliéné, au fur et à mesure qu’il distingue son visage se crisper confidentiellement. Dans sa tête, les mots s’emmêlent en un tango endiablé. Il la pénètre. Les mots jaillissent. La plume érafle la feuille jadis vierge. L’encre se répand. En ses veines, sur sa feuille, en sa muse d’un soir. Derrière les derniers soubresauts d’un instant fantasmagorique, un roman naît.

La feuille à présent couverte d’encre ébène, la muse abandonne ses derniers espoirs. En ce chaos nocturne, Louis vogue dans les sentiers d’une réalité évanescente, le regard écarlate. Les rumeurs ne s’étaient pas trompées. De cette jouissance extrême, de cet orgasme ultime, ni la feuille ni la muse n’en sortiront indemnes. Au petit jour, toutes deux rejoindront clandestinement l’implacable tombeau.


Notice biographique

Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.

C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.

Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie :http://blogmaestitia.xawaxx.org/


Rétrospective : Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

11 mars 2013

Du bout des doigts

Il est programmé pour ouvrir les yeux à six heures – sauf le dimanche, à sept. Jamais il ne bugge.

Il regarde ses mains, du moins ce qu’il en reste. De pauvres moignons décolorés, dont les terminaisons n’ont plus rien d’humain. Plus d’ongles. Seulement deux phalanges prolongées par des clés USB. Les doigts du progrès. Les nerfs se sont unis à de minuscules câbles électroniques dans un mariage forcé, contre nature mais ô combien palpitant.

Des fourmis le démangent tout de même, sorte de souvenir lointain, comme autrefois, comme avant le progrès. Quand, en hiver, les doigts devenaient gourds. Plus d’hiver désormais, seulement de la tension, de l’électricité, partout même sous nos peaux.

Ça grouille au bout des doigts. Sûrement l’union nerf/câble qui déconne. Cela ne dure pas. Le réveil est facile, le sommeil est facile ; vivre, simplement, l’est moins. Après tout vivre n’est plus vraiment une priorité.

Il se gratte la nuque à l’aide de son doigt USB, protégé par une petite coque en plastique. Moins efficace qu’un bon vieil ongle ; on s’y fait ; pas le choix.

La petite coque ôtée, la journée peut enfin commencer. Il glisse son index dans l’ordinateur jamais éteint, dans le port destiné à cet effet ; un petit déjeuner énergétique est immédiatement déversé par le bout du doigt. On recharge désormais l’humain comme on charge un portable. Ici on peut se mettre en veille quand on veut. Certains même en abusent. Ici on se tue comme on éteint un écran. D’un coup. La lumière diminue jusqu’à n’être qu’un point, jusqu’à n’être plus rien. Voilà comment on meurt, dans notre gentil monde.

Des tressaillements parcourent goulûment la moindre de ses veines. Une tension délicieuse s’insuffle sous sa peau, des doigts jusqu’aux orteils, en faisant une boucle alambiquée vers la tête – la cervelle-disque dur. Mieux qu’une drogue. Une putain de montée. Légale – donc moins excitante, mais tout de même, tout de même ! Les journées commencent toutes ainsi désormais, dans une fabuleuse explosion informatique, pour les hommes qui n’en sont plus.

Allan, depuis qu’il est né, ne connait que la solitude. Hormis deux ou trois séances de Virtuasex de-ci de-là, accordées magnanimement par son patron condescendant, Allan à vingt ans ne connait rien à la passion, ni même à quelque sentiment que ce soit. Il appartient à cette catégorie de gens qui, à la longue, se sont lobotomisés jusqu’à la moelle, non sans une certaine volonté d’autodestruction, si chère à l’homme.

Mais depuis qu’elle est là, oh là là ! Depuis que Barbara, depuis que Barbara… Le reste on s’en fout pas mal. C’est juste : DEPUIS QUE BARBARA !!!

Une femme, une vraie, aux doigts pas transformés, juste le majeur de la main droite, ce qui lui permet allègrement d’user et d’abuser de doigts d’honneur, comme dans l’ancien temps.

DEPUIS QUE BARBARA. Oh là là… Ses doigts, il en rêve toutes les nuits, il fantasme sur leur pulpe, leur pulpe sur sa peau à lui, leurs ongles qui lacèrent son dos, juste par plaisir – il parait que ça arrive, enfin, que ça arrivait avant. Les doigts de Barbara.

La caresse, aujourd’hui, est inutile. On a supprimé tout ça : plus de vrais doigts ; seules quelques personnes, encore peu formatées, disposent de dernières phalanges. Ces gens-là sont les handicapés d’aujourd’hui, les parias qu’on se plait à moquer méchamment. Les doigts c’est démodé. Allan n’adhère pas à ce précepte du monde évolué, où tout se fait par le truchement du numérique. Allan n’est pas d’accord. Allan, malgré les circuits viciés qui parcourent son corps, n’a qu’une pensée en tête, qui martèle, meurtrit ce qui lui reste d’âme : que Barbara le touche.

Maintenant il est à son bureau, devant son clavier sans touche : seulement un rectangle arborant bêtement huit ports USB. Le pouce, on l’a gardé, bientôt on le coupera.

Tout ce qui se faisait manuellement avant s’effectue désormais par la grâce des machines. Deus ex machina. Homo ex machina. De la chirurgie au bricolage, les doigts n’ont vraiment plus rien à faire ici. Pour taper un texte, on parle à haute voix. On ne se nourrit plus que d’électricité. On ne mange plus, on ne boit plus : on se recharge. On ne cueille plus de cerises. On ne caresse plus, on n’est plus que des cerveaux sur pattes, des disques durs en guise de caboche. La parole est toute puissante. Les muets sont morts et la télépathie est en train de prendre le dessus sur la voix. Bientôt la voix mourra aussi. Bientôt les machines obéiront docilement à notre pensée, à la manière des esclaves. Bientôt.

Onze heures. Bientôt Barbara. Deux jours par semaine, elle vient l’observer, afin de se préparer à la transformation. Dans quelque temps les doigts de Barbara seront comme les siens. C’est le chef qui l’a dit : Barbara elle devient suffisamment compétente pour perdre ses doigts. Elle aura droit à ce privilège qui se veut l’apanage de la modernité.

Elle est là. Il la zieute et d’un coup, sous sa peau, un courant dément déborde tout le reste, une tension. Depuis que Barbara. Oh là là…

Il y a deux semaines de cela, elle a posé ses doigts sur sa joue, pour le réconforter, à la fin de la journée. Mon pauvre Allan, tu n’es pas comme les autres. Et sur les joues d’Allan, un festival sensuel a explosé. De la chaleur. Du jamais vu, jamais senti.

Aujourd’hui le pauvre Allan se gonfle de courage et, les USB tremblants, il lui demande ce qu’elle fait ce soir, si elle veut le voir. Barbara qui se marre avant de dire oui.

Ils se verront en cachette.

Le soir. Il lui demande de le toucher. Les caresses. Oh là là. Barbara n’est pas belle, mais le bout de ses doigts…

Allan est sur le point de mourir d’extase. Ses circuits grillent doucement, incompatibles avec les sensations.

Allumé de plaisir, Allan s’éteint d’un coup.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née  à Nîmes en 1978. Après des études de lettres classiques, elle a enseigné le français en lycée pendant cinq ans.  Elle vit actuellement à Milan, en Italie.  Finaliste du prix Hemingway en 2005, lauréate cette année du concours littéraire organisé par le blogue Vivre à Porto, elle a contribué à la revue littéraire Rouge-déclic (numéro2) et elle nourrit régulièrement un blogue que vous auriez intérêt à visiter : le Clémence Dumper :http://clemencedumper.blogspot.com/