Le jardin perdu, un conte de Karine St-Gelais…

24 mars 2017

Le jardin perdu

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Il y a un récit, une histoire si ancienne que vous n’en avez surement jamais entendu parler.  Un récit qui s’est perdu au fil du temps.  Que seul l’artiste entend. Ce conte débute dans mon jardin, chez moi, là où le malheur aime frapper en secret.  Je ne suis pas là pour vous raconter mon infortune, mais plutôt pour vous peindre un tableau comme celui-ci.

Un long hiver froid se termine en même temps que mon dernier chef-d’œuvre.  Je peins depuis que je suis toute petite.  Je peins des portes.  Toutes sortes de portes.  De bois, de fer ou de pierre.  Des entrées ou des sorties sur le Paradis ou vers l’enfer ?  Cela m’importe peu.  L’important pour moi est de dessiner une belle issue qui me mène quelque part…

Un matin, mon salon s’éteint sous une ombre étrange.  J’ouvre les rideaux et je vois quelque chose qui flotte sur la neige.  Étonnamment, c’est une splendide porte !  Elle scintille d’un blanc franc et elle se laisse caresser par les flocons de neige incandescents.  Elle se fond au paysage comme si elle avait toujours été là, sans que je m’en doute.  Un portail vraisemblablement fait de bois, mais je n’en suis pas certaine.  Elle est lustrée comme le verre et bordée de moulures idylliques, sorties tout droit d’une époque que je ne connais pas, en fait, pas encore.

Ma première idée est de peindre un nouveau tableau pour la rendre telle que je la vois sous le soleil matinal.  Mais quelque chose me dit que cette ouverture mène plus loin que mon imagination.  Qu’elle ouvre sur quelque chose d’extraordinaire, j’en suis profondément convaincue.  Je prends mes moufles de laines ainsi que mon manteau.  J’oublie que je suis toujours en pantoufles et je pars découvrir cette mystérieuse frontière.  Contrairement aux autres, celle-ci me parait différente.  Le froid me rappelle que je ne rêve pas et l’arbre devant moi aussi lorsque je m’y cogne et m’y appuie.  Devant l’immanquable monument, je m’arrête.  Je pose mon oreille contre le bois, il est bizarrement tiède et je n’entends rien.  Je tourne finalement la poignée.  Soudain, je sens un courant électrique qui irradie le long de mon bras droit, je le secoue, il me fait mal.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecAlors, par le pas entrouvert, un petit scorpion noir sort.  Je suis terrifiée, je la referme aussitôt !  Je détale comme une gamine pour revenir à la maison.  L’insecte est maintenant devant ma porte, la queue retroussée, prêt à attaquer.  Mais qu’est-ce qu’il fait là ?  Il ne peut survivre dans le froid du Canada.  Je prends une boite vide et je sors la déposer sur la créature.  J’ai de la peine pour cette petite bête loin de chez elle.  Je réussis à l’enfermer à l’intérieur et je la ramène près du passage mystique.  Je tourne de nouveau son mignon pommeau et je lance la boite de l’autre côté, soulagée d’être débarrassée de cette chose horrible et heureuse d’avoir pu retourner ce scorpion chez lui.  Je soupire de soulagement, mais j’ai toujours envie de voir ce qui se cache derrière cette fameuse entrée !  Je mets de nouveau ma main sur la ferrure, mais cette fois-ci, j’ouvre rapidement, d’un coup sec.  Maintenant grande ouverte, une fine toile noire me bloque le passage.  Je la touche, elle réagit comme une pellicule plastique.  Cela ressemble à un vortex, une brèche dans l’espace-temps, comme dans un film de science-fiction.  Qu’est-ce que je fais ?  Je décide d’y aller malgré tout et je referme derrière moi.

Je suis de retour chez moi !  Qu’est-ce qui a changé ?  C’est impossible !  Je regarde par la fenêtre, mon quartier semble le même, mais plus beau, plus calme et beaucoup plus serein.  Pourtant, mon chat me lance le même miaulement interrogateur qu’hier matin.  Il a quelque chose de différent ?  Quelque chose s’opère en moi, dans mon cœur !  C’est inhabituel, je souris et je regarde de nouveau dehors.  La porte est toujours là, survolant tout doucement mon jardin au gré du vent.  Je ne comprends rien !  Je sors de nouveau et je tourne une nouvelle fois la poignée de la majestueuse fente avec hâte.  Je vois enfin de l’autre côté, c’est un petit village cajolé par les fleurs printanières, c’est très charmant !  Je referme derrière moi, sans savoir si je vais revenir, tout en jetant la dernière couleur sur cette enjôleuse toile.

Un blanc brillant et bleuté imbibe mon pinceau de nouveau.  Je fignole les flocons de soie et ensuite les rayons dorés, délicatement, comme si j’y étalais de l’or.  Je parfais le petit diablotin noir dans l’entrebâillement de cette entrée peu ordinaire.  Je termine avec joie ce seuil magique qui ouvre enfin sur quelque chose !  Ce fût le plus beau de mes tableaux, mélangeant la peur et la joie, mais ce sera malheureusement le dernier.  Car j’ai enfin trouvé ce que je cherchais, car je me peins maintenant du bonheur !

D’une peintre inconnue

Notice biographique :

Karine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous avons aimé ce conte plein de fraîcheur et de naïveté enfantines alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecqu’elle nous offre.  Laissons-la se présenter.  « Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.  Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.  Au plaisir de vous rencontrer sur mon blog:http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey »

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Un récit d’enfance de Karine St-Gelais…

20 janvier 2017

L‘usine qui crochissait les bananes…

(Hommage à Romuald, mon grand-père paternel.)

Cher grand-papa, un invétéré raconteur et inventeur de mots saugrenus. Il savait comment me prendre au piège et me laisser languir sur un

Tadoussac

ravageur « peut-être », ou un fracassant « et si c’était vrai »…

J’avais tout près d’une dizaine d’années, le regard de l’innocence toujours pendu sous mes sourcils en accents circonflexes. Une incroyable naïveté me caractérisait. Grand-papa Romuald aimait beaucoup se jouer de moi.

Ce matin-là, j’étais anxieuse et un peu fatiguée d’une nuit passée à rêver de cette journée. Sur la route qui nous menait, moi, grand-père Romuald et papa Germain, vers Tadoussac, je somnolais sur le siège arrière confortable, regardant le magnifique paysage du Fjord qui s’allongeait. Le bruit sourd de la vielle Tempo blanche de grand-père alourdissait doucement mes paupières. Soudain, apercevant à travers la fenêtre une usine, tout près de Sacré-Cœur, grand-père, entre deux songes maritimes, me sortit du sommeil.

— Ben oui, Germain, voyons, tu ne te souviens pas de l’énigmatique usine qui crochissait les bananes ? En voici justement une excellente réplique à la québécoise.

Comme il savait si bien le faire, il venait de piquer ma curiosité. De son long bras frêle, il pointait une grosse usine qui lui semblait déserte. J’en oubliai alors les baleines bleues, celles avec des bosses, ainsi que les petits et les grands Rorquals, pour en savoir plus sur cette mythique usine…

— De quoi parles-tu, grand-papa ? lui demandai-je.

— Ben voyons, Catherine, tu ne connais pas l’usine qui crochissait les bananes ?  Et je dis crochissait, car malheureusement, aujourd’hui, elle n’existe plus. Je te raconte.

Il y a longtemps…

Il débutait toujours ainsi, cet homme amaigri par la vie que je trouvais si amusant. De cette façon, il se protégeait d’éventuelles représailles et plissait son front dégarni pour appuyer ses dires. Mon père cachait son envie de rire derrière ses taches de rousseurs.  Je le voyais dans le rétroviseur.

Entre l’équateur et la mer des Bermudes, débuta-t-il, se trouvait une île qui supportait une immense usine, en constante production. Jour et nuit y travaillaient des hommes à la peau sombre. Leur dos était brûlé par le soleil des après-midis sans parasol. Les splendides bananes arrivaient, cordées et en nombre exponentiel, dans les sous-sols de ce gratte-ciel. Ils crochissaient ces fruits. Parce qu’au départ, petite Catherine, les bananes arrivent droites ;  non croches comme tu les vois régulièrement à l’épicerie. Et, bien sûr, une de ces usines a essayé de s’implanter ici, dans notre magnifique région.

Me souvenant de photos de bananiers, exhibant leurs bananes déjà croches, je restais perplexe. Il continuait de me regarder fixement, à travers cette horrible paire de lunettes carrée qui lui pendait au bout du nez…

— Hein ? m’exclamai-je. Voyons ! J’ai déjà vu des bananiers, et les bananes suspendues sous leurs feuilles étaient déjà courbées.

— Où as-tu vu cela, Catherine ?

— À LA TÉLÉ !

— Bien voilà ! Il ne faut pas tout croire ce que l’on voit à la télé, mon enfant. Oui ! Oui ! C’est grand-papa qui te le dit ! Les bananes arrivent droites, et les employés les crochissent, une par une.

J’étais en grande réflexion et dans l’obligation de me ranger de son côté, vu que je n’en avais jamais vu en vrai.

Le magnifique paysage continuait de défiler, lustré d’un magnifique soleil d’été. L’odeur infecte du poisson commençait à se faire sentir à travers la glace entrouverte du conducteur, mon papa, le meilleur complice que pouvait avoir Romuald. L’eau fraîche et vivante reflétait le ciel comme un immense miroir bleu. C’était une journée venteuse qui nous renvoyait le parfum du grand rivage. Nous étions tout près de ces immenses mammifères marins qui accompagnaient mes rêves des derniers jours.  J’étais dans un état d’euphorie indescriptible. Grand-papa, d’un sérieux désarmant, attendait toujours ma riposte de petite fille embrouillée, avant d’embarquer dans l’immense paquebot…

— Ben voyons ! Hein, ça se peut papa ?

— Ben oui ! Hein, Germain, que ça se peut ?  Tu es venu, tout petit, la visiter avec moi et ta mère. Aujourd’hui, ils injectent un produit dans la banane qui fait jaunir sa peau et retrousser automatiquement ses extrémités, car au départ elle est droite et bleue.

Oh, là ! C’en était trop.

Ce que je ne voyais pas, c’était l’envie de mon père de s’esclaffer, du haut de ses cinq pieds et dix pouces, en voyant mon air ébahi. Mais il restait de marbre, supportant de son mieux l’histoire de cette usine bizarre, au milieu de nulle part, pour travailler nos superbes bananes domestiques, avant leur arrivée au Canada.

L’après-midi se passa sans encombre, et la vue des baleines m’enchantait.  J’étais comblée par tant de beautés sauvages.

Au retour, alors que mes doigts fouillaient la chair d’un homard, dans un chaleureux petit restaurant des Escoumins, grand-papa tenait toujours le même discours, tenait encore mordicus à ses pieux mensonges…

— Tu sais, Catherine, si tu manges trop de bananes maintenant, le produit à l’intérieur peut t’intoxiquer !

— Comment ça ? fis-je.

— Bien, tu pourrais attraper la maladie de la banane en folie…  Ce n’est pas dangereux, jeune fille, t’inquiète pas ! Mais, elle déclenche le syndrome de la peau trop courte. Comme la banane, tes orteils vont retrousser.

— Hein ! m’exclamai-je, réveillant les clients de la table voisine qui avaient le nez enfoncé dans leurs généreuses langoustes. Heureusement, le restaurant était empreint d’une ambiance à la bonne franquette, et tous riaient de bon cœur.

C’était trop pour papa qui s’étouffa avec une gorgée d’eau… Et moi, j’entrepris une sérieuse remise en question…

— Ça se peut pas !

— Et si c’était vrai ?… extravagua mon cher grand-père.

Notice biographique :

Karine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous avons aimé son récit plein de fraîcheur et de naïveté enfantines.  Et ce rappel de ces paysages tadoussaciens convient en ce printemps qui discrètement annonce l’été…   Laissons-la se présenter.

« Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.

Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.

Au plaisir de vous rencontrer sur mon blog http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey33.wordpress.com


Motel Del Sirenas, Chambre no 30, un texte de Karine St-Gelais…

17 juin 2016

Motel Del Sirenas

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

1870 : les belles années ! Une fillette nait sous le nom de Carmen Costello. Sa mère, Augusta Iglesias une bonne ménagère, mais avant tout, une chanteuse de rue peu connue. Édouardo Carson, son père, est un ancien officier grec devenu tavernier. Augusta doit maintenant se prostituer pour subvenir aux besoins criants de sa jeune famille de 5 enfants. Son grand frère s’appelle Francisco, dit le Grand. Son deuxième, Valentin, est surnommé le Charmeur. Quant à Adolfo, le troisième, on l’appelle le Dur. Carmen et Dolores sont jumelles identiques ; on les surnomme affectueusement « les petites poupées ».

Le père ne cesse d’accumuler les dettes de jeux, les problèmes et les soirées bien arrosées, ce qui rend la vie familiale désordonnée et misérable.
Le début de l’adolescence de Carmen s’amorce par un viol brutal lors d’une fête au village. Un soir de juillet, elle n’a que 13 ans.

Le drame se passe dans la chambre no 30 du Motel Del Sirenas (Motel des Sirènes). Un jeune homme brise ce jour-là ce qui lui reste de son enfance, de ses cheveux d’ange, de sa douceur, de sa naïveté, de ses rêves et de ses poupées. On le nomme Roméo, son vrai nom est Vincent Romero, un savetier. Il marque la jeune Carmen au fer rouge en ce début d’été et la laisse au seuil de l’enfer.

Le lendemain, elle revient à la maison avec de nouveaux démons au cœur qui la hanteront à jamais. Elle voue depuis une haine incurable à la gent masculine. Elle raconte dans ses mémoires toutes les horreurs qu’elle aimerait faire subir à plusieurs jeunes et valeureux villageois. Elle fantasme avec le mal et danse avec les hyènes sous la lune pleine. Elle se voit, se délectant du sang frais qui macule leur corps encore tiède. Une nuée de jeunes hommes morts exsangues après qu’elle eût sectionné leur verge si précieuse. De telles visions la font frissonner de plaisir !

La belle grandit en montrant ses charmes dans les cabarets. On la remarque au bras de son premier et seul amant, qui deviendra son proxénète, son ami ainsi que son ennemi, Paco Coll Leon. Il lui enseigne l’art de la scène. Elle est dans la fleur de l’âge, à peine 17 ans. Enceinte de quelques semaines, elle se fait avorter par un charlatan qui la rendra stérile. Ce fut son premier deuil. Dès son rétablissement, elle se produit dans des endroits mal famés sous son nouveau nom de scène, Carolina. Sensuelle, elle dénude ses épaules chaudes sous son regard de femme enfant. Elle acquiert ainsi une certaine notoriété. Elle exercera ses charmes jusqu’au Moulin Rouge, à Paris, en 1889.

Sa réussite est totale. Elle porte des tenues somptueuses et des bijoux offerts par ses admirateurs. Elle joue à la grande dame, celle qu’elle aurait dû être, celle dont elle rêvait petite fille. Des colliers de joyaux véritables ornent son cou et mettent en valeur sa poitrine généreuse. Des pierres précieuses ornent ses lobes délicats. Ses seins ont fait sa renommée. Les Parisiens murmurent qu’ils ont inspiré la forme des coupoles de l’Hôtel Carlton à Cannes.

Elle est plus qu’une prostituée, elle est une muse, une poétesse de la scène, une beauté rare, mystérieuse et insaisissable. Les hommes en tombent amoureux dès que leur regard effleure ses courbes olympiennes que découpent les lumières de la scène. Les peintres se l’arrachent, les poètes la citent, les chanteurs de charme l’idolâtrent. On se plait à raconter qu’elle pousse les hommes aux suicides. Sa mère la renie et son père meurt dans un incendie qui emporte la demeure familiale – sans doute un règlement de compte. Sa jumelle, Dolores, s’en sort brûlée au troisième degré. Elle s’en remettra, mais portera à jamais les stigmates du diable sur la moitié de son corps.

La vingtaine approche. Dolores envie Carmen. Elle jalouse ses yeux de biche et l’attention dont on l’entoure. Elle erre seule, ses frères sont à la guerre ; pendant ce temps, Carmen se dorlote et vit dans l’abondance. Elle se baigne comme une reine dans des laits couteux et participe aux soirées les plus huppées.

C’est alors que Carmen décide d’acheter le Motel maintenant délabré où elle a subi l’agression du savetier à Ponto Valga, village de son enfance. Le Motel Del Sirenas. Elle espère ainsi exorciser son mal. Son amant Coll, maintenant devenu son mari, en fait un bordel très rentable, mais cible des mauvaises langues :

Il parait que la chambre no 30 est une porte directe vers le paradis, ou l’enfer, tout dépend si l’homme est vertueux où un malfrat, s’amusent à répéter les femmes à leurs hommes pour s’assurer qu’ils ne sautent pas la clôture. Que des commérages de bonnes femmes, se disent les maris en mal d’amour et de chair fraîche.
Depuis douze mois, de plus en plus de disparitions inquiètent les villageois. Le prêtre du lieu avise au prône de ne pas approcher le Motel des Sirènes, que c’est là un sacrilège ! Un péché de regarder l’enfer se déhancher sous les feux d’une musique enivrante…

Depuis l’arrivée de l’homme au chapeau noir et de sa putain, tout va mal dans notre bon comté, crie le juge en colère au commissaire du coin. La belle Costello ne fait que prendre du bon temps et essaie d’apaiser les douleurs chroniques de sa chère sœur, dit finalement le maire.

En effet, Carmen veut mettre un baume sur les cicatrices de Dolores. Sa douleur lui rappelle la sienne, comme si sa jumelle portait les marques de son viol.

Les enquêtes n’aboutissent à rien, les indices ne sont qu’impasses.
Possiblement des suicides, ou des règlements de compte, écrit finalement l’enquêteur dans ses derniers rapports. Mais le huitième meurtre lui laisse un goût amer.

Tous ont été retrouvés sur la berge, cadavres gonflés par l’immersion prolongée dans le lac. Le bas du corps est manquant. Impossible de faire quelque chose de bien, s’exclame le croquemort. Sauf pour le dernier, nu, pendu à un arbre par le phallus… Aouillleee ! frémissent les témoins ! Ouais, cet homme est un ancien savetier du coin, il y a longtemps qu’on l’avait vu, ce bougre, dit l’enquêteur qui tisse sa toile mine de rien… La dernière gorgée de café lui reste coincée dans la gorge. Chaque homme a été d’abord étranglé avec une corde, un long lacet de cordonnier… Et puis ? s’impatiente le juge, une femme seule ne peut faire ça ! Mais c’est la seule explication logique à tout ce carnage ! répond le commissaire.

La belle Espagnole se retrouve en prison, détestée par tous et traitée de folle. Elle est maintenant la source des contes noirs du coin, ceux qu’on utilise pour faire coucher les enfants tôt.

Elle criera son innocence jusqu’à ses 61 ans, avant de mourir d’une crise cardiaque.
Dolores apaise sa peine par de courtes visites à Carmen et passe ses journées à jouer à la princesse dans les robes affriolantes de sa sœur, sous son maquillage et ornée de ses bijoux hors de prix. Pour la première fois, Dolores se trouve magnifique et se sent heureuse !

Notice biographique

Karine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous aimons ses textes pleins de fraîcheurchat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie.  Laissons-la se présenter.  « Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.  Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.  Au plaisir de vous rencontrer sur mon blog:http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey »

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L'adorable Ludovic, un texte de Karine St-Gelais…

15 mai 2016

Pour toi, cher Chat, un petit clin d’œil qui ne louche pas…alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

On dit que le chat vit entre deux mondes. Pas tout à fait ici et un peu là-bas. Un œil sur nous et l’esprit de l’autre côté. Il captive les amoureux des félins et nos ancêtres depuis toujours. Il était un dieu chez les Égyptiens, la déesse Bastet. Soit qu’on les adore, ou qu’on les déteste, d’autres en ont peur tandis que certains en ont trop. Peu importe ce qu’on en pense, nous sommes tous d’accord sur quelque chose, ils inspirent le mystère, la perfection et le charme. Créature du dieu soleil ou enfant d’Amon, fils du diable, il est certain que le chat est connu pour son tempérament à deux visages. Son antagonisme fascine ou terrifie. Il arbore fièrement au quotidien son indépendance et par la suite se laisse trahir par ses ronronnements affectueux. Le chat est et restera aux yeux des hommes, un symbole de l’au-delà.

L’Égypte lui vouait un culte, stimulant ainsi l’amour et l’énergie charnelle pour assurer leur dynastie. Il protège encore farouchement la Vallée des reines à travers le temps et son côté sacré n’échappa pas au Moyen âge, à l’Inde, ni au Japon, et il conquerra toute l’Europe. On plaisante souvent en disant qu’il a 9 vies, qu’il retombe toujours sur ses pattes, qu’il se purge de nos ondes négatives absorbées durant la nuit en dormant une bonne partie de la journée et que malgré sa domestication, il est resté un chasseur hors pair. Dans le passé, il était le familier des sorcières chassant les mauvais esprits des chaumières, tout en restant un mauvais présage pour les superstitieux lorsqu’il naissait avec un pelage noir corbeau. L’humain a dompté son côté tendre, mais nous n’aurons jamais le contrôle de son instinct sauvage…

Ludovic est un magnifique matou qui est entré dans ma vie, un jour, comme un « chat dans un jeu de quilles ». Des récits rappellent que si un chat choisit votre demeure, c’est que vous aviez besoin de lui, à ce moment précis de votre existence. Il faut l’accueillir, le nourrir, lui apporter chaleur et réconfort, car il risque de vous retourner la pareille. Il était là, tout penaud, un lundi matin de mai, me disant bonjour d’un miaulement long et rauque au seuil de ma porte. Il portait un joli collier noir avec une médaille en argent. Son nom y était gravé. « Il appartient surement à quelqu’un », me dis-je. Je fis des recherches, je passai son annonce plusieurs fois sur les réseaux sociaux, j’ai même appelé la SPCA de ma municipalité, mais rien, toujours rien, même après plusieurs mois. Il n’a jamais essayé de s’enfuir ; même à l’extérieur, il restait tout près de moi. Je me souviens, je me disais : mais qui a eu l’audace d’abandonner un tel chat !

Mon conjoint et moi essayions à cette époque d’avoir des enfants. Je venais tout juste de me remettre d’une fausse couche. J’étais encore sur les hormones de grossesse et Ludo, de son surnom, m’était d’un incroyable réconfort avec ses ronrons. Il y avait quelque chose d’étonnant dans ses yeux vert émeraude. Un regard profond et rempli de sagesse. Quel âge pouvait-il bien avoir ? Poils au vent, il surveillait son nouveau territoire comme un roi. Il dormait sur mon ventre, sa chaleur me faisait le plus grand bien. Jusqu’au jour, où, surprise, j’appris que j’étais de nouveau enceinte. Ayant eu quelques fausses couches, dont la dernière qui fut très douloureuse, j’étais très anxieuse. Ludovic passa les neuf mois suivants lover contre mon ventre. Le jour J arriva… Nous revenions avec le petit Gabriel, Ludo nous attendait de pied ferme, comme s’il voulait savoir si tout allait bien. Je couchai le bébé dans son landau, il dormait à poings fermés. Ludovic le veillait de son iris, porte ouverte vers un autre monde. Soudain, il se leva, se retourna et se dirigea vers la porte d’entrée. Un miaulement aigu retentit, je compris qu’il voulait aller dehors, mais sans moi.

Après coup, je me dis aujourd’hui que jamais je n’aurais dû ouvrir la porte ce jour-là. Il fit ce qu’il n’avait jamais fait au paravent : comme un automate, il prit le chemin de l’entrée asphaltée vers un avenir incertain. Il se dirigea tout droit vers la route principale. Je criais son nom par-delà mon balcon. Il se retourna une dernière fois, me regarda longuement et reprit son chemin, sans jamais revenir. Les yeux baignés de larmes, je le vis disparaitre au loin. Il semblait savoir où il allait, comme soudainement chargé d’une mission.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecJe songe à lui comme un vagabond à l’âme charitable. Je fis des recherches, je passai son annonce plusieurs fois sur les réseaux sociaux, j’ai même appelé la SPCA de ma municipalité, mais rien, toujours rien, même après plusieurs années, je n’ai jamais eu la moindre nouvelle de lui. J’aime aujourd’hui l’imaginer éternel. J’aime rêvasser qu’il est dans les bras d’un autre être dans le besoin, ronronnant. Mon Ludo, comment pourrais-je t’oublier ? Depuis, chaque matin que dieu fait, j’ai peur de te retrouver sur la chaussée, ensanglanté, agonisant ! Je me rappelle ton pelage noir et blanc, le bien et le mal qui s’entrelacent dans la douceur, le yin et le yang se rencontrant en parfaite harmonie. Mon Ludovic, mon ami, mon messager. Le chat vient peut-être d’un autre monde, doté de pouvoirs qui lui appartiennent, il semble en effet immortel. Je comprends maintenant les Égyptiens de les avoir tant vénérés.

Karine

Notice biographique

Karine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous aimons ses textes pleins de fraîcheurchat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie.  Laissons-la se présenter.  « Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.  Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.  Au plaisir de vous rencontrer sur mon blog:http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey »

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Clue, un récit d’enfance de Karine St-Gelais…

5 mai 2016

Clue

Un après-midi sombre se profilait au loin et retardait les grands spectacles extérieurs qui débutaient tout juste dans le voisinage. Des éclairs de alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecchaleur détonnaient dans le ciel déjà obscur. L’odeur de la rivière Saguenay se faisait sentir jusque dans la cour arrière de ma grand-mère, Adeline. Bien assise sur son balcon, elle attendait les festivités : le cent-cinquantième anniversaire de Ville de la Baie. Elle se vantait de n’avoir jamais à débourser un sou pour assister aux spectacles que la municipalité lui offrait chaque été.

Enrobée dans sa jaquette de flanelle, elle dégustait quelque fondant crémeux ou un délicieux carré au chocolat – un délice des dieux sorti, une fois de plus, d’une de ses recettes secrètes. Même si elle savait devoir s’en priver – vu son taux de cholestérol –, elle s’empressait de nous dire, pour se déculpabiliser, qu’à son âge, il était trop tard pour faire attention à sa ligne…

Ma grand-mère avait cinq enfants : son aîné, Daniel, le second, Robert, ensuite Germain, mon père, la charmante Josée et la toute dernière, Monica. Elle nous disait toujours que si ça était à recommencer, elle aurait eu moins d’enfants et aurait magasiné davantage. Pour ma grand-mère, commissionner était son sport préféré, une trotteuse invétérée et les centres commerciaux étaient pour elle de ravissants musées.

Sur son balcon, Adeline aimait dire le bonjour à ses voisins préférés. À droite s’appliquaient Monsieur et MadamePelouse. Deux fous du balai extérieur, ils sautillaient sur leur gazon d’un vert éclatant et court qu’ils égalisaient comme un tapis de golf à l’aide d’une lame acérée. À gauche s’ennuyait la veuve Cécile ; Adeline aimait lui apporter régulièrement des tartes pour la consoler d’être seule.  Devant, clignotaient Monsieur et Madame Patente-À-Gosses. Leur immense terrain était jonché d’objets de toutes sortes : lumières,  fleurs, flamants roses et d’étranges nains de jardins. Derrière, la mythique famille Adams. Une famille mystérieuse, selon elle, car d’étranges femmes visitaient ces voisins quelques secondes tous les matins.

De nature curieuse, Adeline se cachait derrière la haie de cèdres pour les surveiller durant ces visites insolites. Elle disait à son ainé, Daniel, un policier-enquêteur bien connu dans la région, que ses collègues devraient se poster devant la résidence des Adams qu’elle trouvait suspects. Dès que le nez de ma grand-mère ressortait trop des arbustes, elle se faisait remettre à l’ordre d’un généreux coup de patte par le gros Julius, leur matou. Il traînait toujours dehors, déféquait dans les plates-bandes d’Adeline et  rôdait devant ses fenêtres. Julius, au nom prédestiné, était le leader d’un gang de chats de gouttière qui le suivaient partout et qui venaient reluquer régulièrement Petit-Prince, son serin adoré. Ces chats mesquins regardaient son petit soleil se pavaner dans le salon extérieur en se pourléchant les babines…  Ma grand-mère détestait cela.

La veuve Cécile possédait un Poméranien plutôt dodu qui jappait à s’en bousiller les cordes vocales chaque fois qu’il voyait Adeline sur son balcon. Elle en avait marre de ces chiens et de ces chats qui jouaient dans sa corde à linge ou miaulaient ou hurlaient sinistrement dès minuit passé.

Ce soir-là, Daniel était venu souper à la maison et racontait à qui voulait bien l’entendre la dernière histoire d’horreur en vogue au bureau. Il avait le mandat d’élucider une affaire plutôt étrange dans le voisinage. L’affaire de l’éventreur canin : un récit effrayant qui prenait beaucoup de son temps précieux.

— Maman, les chiens tombent comme des mouches dans le quartier.  As-tu entendu, vu ou remarqué quelque chose ?

— Non Daniel, mais sacrilège que je suis tannée de les voir chez moi ! Cela ne me fait aucune peine. Ils ont juste à les ramasser, leurs sales bêtes, lui dit sarcastiquement ma grand-maman tout en caressant son Petit-Prince chéri.

— Bon, mais si tu vois quelque chose tu me le dis et sur-le-champ, car j’aimerais bien clore cette enquête pour passer enfin à autre chose. Au poste nous appelons le responsable de ces crimes l’éventreur canin, car les pauvres bêtes s’en vomissent presque les entrailles et cela inquiète notre quartier normalement si tranquille, termina Daniel en prenant un délicieux cup cake aux fraises.

En effet, selon les dires de Daniel, ce n’était point ragoûtant, même pas joli du tout ! Les animaux mal en point déglutissaient sans arrêt dès leur retour au bercail…  S’ils revenaient !   Les voisins appelaient le service de police tous les soirs depuis une bonne semaine. Daniel recevait au moins deux ou trois appels par nuit l’avisant qu’une autre bête gisait sur le rebord de la route ; un liquide étrange lui dégoulinait du museau. « Un dernier repas plutôt étrange et surement prémédité », lui avait dit le dernier témoin au téléphone.

Grand-mère, sourire en coin, rigolait et accusait ouvertement les Adams d’être des sadiques extra-terrestres qui kidnappaient les bêtes pour les décapiter et par la suite les abandonner dans la rue. Ou bien, peut-être était-ce la veuve Cécile, présumait-elle encore ?  La pauvre s’ennuie peut-être à en perdre la raison et elle se confectionne des écharpes et des manteaux avec la fourrure de ces petites bêtes. Comme dans le jeu « Clue », elle imaginait la veuve, armée d’un couteau, officiant dans la salle de bain…

— Ou bien, peut-être est-ce tout simplement Monsieur et Madame Pelouse ?  lança grand-père de sa chaise de bois, en essuyant avec colère la fiente qu’un goéland avait laissé tomber sur sa casquette lors de sa sortie quotidienne au parc Mars.

« Ils ont peut-être trop mis d’insecticide sur leur gazon, continua-t-il.  Les animaux tombent raide morts juste en humant le poison, pourquoi pas ? »

— Ou, Monsieur et Madame Patente-À-Gosses, fit Daniel, pince-sans-rire. Toutes ces étonnantes lumières clignotantes, autour de leur demeure, ont peut-être créé un court-circuit, un vortex dans le temps, comme dans Retour vers le futur, mais en plus sinistre. Un Disney Land créé par Stephen King. En fait, pour Daniel, tout le voisinage était suspect. Il prenait les pauvres bêtes en pitié et imaginait ce qui pourrait leur arriver au cours des prochaines nuits.

Daniel était un enquêteur chevronné.  Grand, brun, portant fièrement la moustache, il avait un peu le genre Miami Vice, mais en plus viril.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecAprès quelques jours d’enquête, il se rendit compte que les animaux domestiques rôdaient un peu trop près de la maison familiale. Alors arriva la trouvaille inconcevable : le policier, sur la piste d’un vieux chien au museau barbouillé de crème aux fraises, découvrit que le tueur en série était en fait une tueuse en série. Sa propre mère ! Dans son attendrissante naïveté, cette amoureuse des animaux avait concocté un festin comprenant un soupçon de poison : de savoureux petits gâteaux. Chaque soir, elle déposait les mignons cup cakes aux fraises tout près de la chaise extérieure de grand-père. Elle voulait tout simplement, grâce à ces petits goûters, empêcher les chats de venir sur sa véranda et peut-être aussi freiner les jappements insupportables du Poméranien de la veuve, qui sait ?

Daniel, un peu embarrassé, décida d’étouffer un tant soit peu l’affaire. Il ne voulait surtout pas que les gens considèrent sa mère comme la Jackie l’éventreuse en série des animaux vagabonds de son quartier d’enfance. Il la supplia de ne plus jamais faire une telle chose. Pauvre Adeline, elle voulait seulement détourner l’attention des matous nauséabonds de son Petit-Prince adoré…

Bizarrement, à partir de ce jour, les voisins gardèrent leurs chats à l’intérieur et regardèrent ma grand-mère d’un œil suspicieux ! Même la veuve n’acceptait plus ses jolies tartes !

Après ces sombres événements, Germain, mon père, fit preuve de comportements étranges.  Apparemment, les effroyables aventures d’Adeline l’éventreuse eurent tout un effet sur lui ! Pour démontrer son affection à son entourage, il devint un pogneur de nez extravagant et récidiviste. Il fût alors affectueusement surnommé par ses parents et amis, Germain le séquestreur de nez. Il aimait taquiner ses proches par des pognages de nez irritants pour ses victimes. Monica, la petite dernière, a payé le prix fort en devenant son souffre-douleur – ainsi que moi-même plus tard. Mais, après tout, n’est-il pas le fils d’une impitoyable tueuse en série ?…

Germain le séquestreur de nez donnera évidemment naissance  à une autre histoire. (Mouahahah !)

Notice biographique :

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecKarine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous avons aimé ce second récit plein de fraîcheur et de naïveté enfantines qu’elle nous offre.  Laissons-la se présenter.

« Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.

« Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.

« Au plaisir de vous rencontrer sur mon bloghttp://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey33.wordpress.com»


Bleu banane, un texte de Karine St-Gelais…

18 avril 2016

Bleu banane

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Mon grand-père cherchait toujours à donner la couleur bleu banane à tout ce qui l’entourait. Il avait une fixation sur les bananes, ton grand-père, me direz-vous ! Cher Chat, je suis d’accord avec vous et votre rictus d’enfant qui se dessine en ce moment. Étant une décoratrice, avec plus de dix ans d’expérience, pour moi, le bleu banane n’existe pas ! Ce serait plutôt un mauvais choix de nom trouvé par le fabricant de peinture Zel. Mais parfois je me demande si, par miracle, ce bleu étrange n’existerait pas ? Il ressemblerait à quoi ? Qu’est-ce exactement, le bleu banane d’antan qu’essayait de me faire voir grand-papa ?

Retour en arrière :
– Ça te va bien, ce polo, grand-père. Très joli bleu !
– Merci Catherine la « Couette » – un surnom affectueux et sarcastique qui fait référence à mes rigolotes petites lulus.
– Il est bleu banane, mon chandail.
– Hein !…Bleu quoi ?
– Bleu banane ! Quoi, t’as jamais vu de bleu banane ?
– C’est sorti en même temps que ton usine à les crochire les bananes, ça ! criai-je exaspérée de ses histoires à dormir debout. Et dormir debout est ici peu dire, car il en sort souvent des vraiment bizarres.
Grand-mère reste de marbre, le nez dans ses tartes au sucre brun et blanc qui parfument la pièce de beurre fondu. Ça y est, j’ai soudain une terrible fringale.
– Ta grand-mère aussi à une jaquette de cette couleur, hein, Deline ? lui lance-t-il affectueusement.
– Arrête de bourrer cette pauvre enfant, lâche grand-mère.
Moi, toujours intriguée par les idées plutôt atypiques de ce vieux grognon, je garde l’esprit ouvert… Voyant mon intérêt, il reprend de plus belle, et je l’imagine bien se dire : je vais encore l’enfirouaper comme une viande grasse entre deux gros pains hamburger. Comment y résister, même si, l’instant d’après, il me fait toujours amèrement regretter ma curiosité naïve ?
Il s’y met alors :
– Quand j’ai connu ta grand-mère, elle avait le béguin pour moi, mais elle a dû choisir entre l’argent ou l’amour. Elle avait deux prétendants, un juge riche du comté, et moi, un simple travailleur, une boite à lunch en aluminium – appellation non scientifique d’un opérateur à l’Alcan.
– C’est vrai, grand-mère ? lui demandai-je, très surprise de l’apprendre.
– Oui, chère Catherine. Et j’ai finalement choisi ton grand-père parce qu’il était très beau… Je ne voulais surtout pas que mes futurs enfants soient laids comme le juge…
– Pis l’amour et mon intelligence, Deline, renchérit mon grand-père un peu frustré.
Il me raconte que dans le temps, chez ses parents, leur cuisine arborait un magnifique papier peint dont ma mère était très fière. Il était orné de superbes bananes bleues… (Yark, cela devait être, laid pensai-je. Un affreux décor vintage – pour moi un horrible cauchemar.)
C’est dans cette même cuisine que j’ai présenté ta grand-mère à ma mère, la grande Bertrande.
– Oui, oui, ne me regarde pas comme ça, la Couette, Bertrand avec un E.
– Ils ont le sens de l’humour chez toi, grand-père, ricanai-je…
Celle-ci portait une ravissante robe d’intérieur à volants d’un velours bleu profond. Adeline dans sa naïveté légendaire, fit la remarque a sa future belle-mère que sa tenue s’agençait à merveille avec le bleu des bananes du papier peint de sa cuisine… Quel malaise, oh, oye, oye !
– Arrête de raconter ça, vieux fou, c’est plutôt gênant.
La belle-mère était restée bouche bée ! Elle avait eu un super rabais sur ce papier peint, on ne se demande pas pourquoi… J’aurais bien aimé voir ce papier peint pour enfin voir la couleur réelle des mythiques bananes.
– As-tu une photo de ça, grand-père ?
– Oui, mais EN NOIR ET BLANC !
– Nooon !!! Incroyable, il s’en sort toujours !
Encore aujourd’hui, ce bleu demeure une référence pour moi. C’est toujours amusant de voir l’air ébahi de mes clientes lorsque je leur annonce que le bleu dont je viens de décorer leur salon, est un bleu banane.

Notice biographique

Karine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous avons aimé ce conte plein de fraîcheur et de naïveté enfantineschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophoniequ’elle nous offre.  Laissons-la se présenter.  « Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.  Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.  Au plaisir de vous rencontrer sur mon blog:http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey »

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Le rêveur, un texte de Karine St-Gelais…

2 février 2016

Le rêveur

 

 alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Le rêveur qui rêvait.
Vous savez, Pierrot, ce petit être pâle et fragile de notre enfance. Une comptine raconte ses mésaventures au clair de lune. Son regard reste vide, même du haut de son magnifique croissant blanc. Il est comme moi, je me reconnais en lui. Sur les images il est toujours triste, il doit lui aussi s’imaginer une autre vie. Je suis assis au fond de la classe, l’air taquin avec mes taches de rousseur et mon regard bleu ciel. Un temps j’écoute ce que mon professeur explique au tableau et, quelques minutes plus tard, je me raconte une histoire par-delà la fenêtre. Il fait beau, il fait chaud, les oiseaux chantent, oups !
— Pierre, tu n’écoutes pas !
— Euh… oui madame !
— Alors, explique-moi comment on additionne des nombres à deux chiffres.
— Heu…
(Rires)

Le quotidien l’ennuyait,
Le rêveur… rêvait,
Pour lui un rien avait mille couleurs,
Ne sachant que faire, il pleure,
Ainsi rêve… le rêveur.

Je suis gêné, j’ai chaud, la pression me monte aux joues. Mes compagnons de classe me regardent, rient de plus en plus. Comme toutes les fois, je ne me sens pas à ma place, comme si je ne venais pas de ce monde. Je m’en imagine alors un bien meilleur. Un monde dans lequel les gens ne me disent pas tout le temps : Ça c’est Pierre tout craché, s’il n’avait pas les fesses et les bras bien attachés, il les oublierait eux aussi.
Comme tous les soirs, je pars à pied de l’école avec ma sœur d’un an ma cadette. J’entre dans la maison avec une seule mitaine à la main, mon foulard a disparu comme par enchantement dans l’après-midi et ma tuque ne protège que le bout de ma tête. Mon menton, comme à l’habitude, rappelle toujours mon dernier repas, ma mère me nettoie avec amour me reprochant la mitaine manquante. Ce n’est que la troisième paire cette semaine.
— L’hiver commence, mon amour ! soupire ma mère en direction de mon père.
Pauvre de moi, je sais, je m’en veux, mais que puis-je répondre, mis à part…
— Désolé, Maman, avec un air repentant.

Le quotidien l’ennuyait,
Dans la lune tout s’ensoleillait,
Mais la réalité le hantait,
Le rêveur, lui, rêvait…

 alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Les devoirs sont une corvée, ah non ! Pas encore, pas ce soir ! J’aime mieux jouer aux blocs l’Égo dans ma chambre ou faire crier ma sœur, c’est bien plus drôle. Mais bizarrement, mes parents et mes professeurs ne comprennent pas mon humour en herbe et je ne gagne généralement que des retraits. Quelle misère, je pleure un peu, je crie et je retourne à mes constructions.
— Pierrot vient manger !
— Oui, atta-peu !
— Non, on n’attend pas Pierre, tout de suite !
— Oui ! Oui ! (Soupir.)
Au souper, mes parents semblent découragés, ils sont souvent tristes. Je ne comprends pas pourquoi ma mitaine perdue les a atteints à ce point.
— Ah, non ! Pas du spaghetti, yark !
— Pierre, on ne dit pas yark. C’est ce qu’on mange ce soir et c’est tout. Prends au moins quelques bouchées.
— Oooké ! (Soupir.)
— Pierrot, tu sais que demain matin on commence ta médication. Ça va t’aider à te concentrer. Comme t’a expliqué le médecin ce matin.
— Ouais ! Ouais ! (Je m’en fous, j’veux juste aller jouer. J’ai rien compris de son charabia. De toute façon, on verra bien.)

Le rêveur veut rêver,
Mais il ne sait comment y arriver,
Il veut aimer, il veut tout simplement rêver.

Le lendemain, étrangement, je suis revenu avec mon lunch et mes mitaines et tous mes devoirs étaient dans mon sac à dos. Je suis fière de moi, et maman aussi. J’ai réussi à terminer mes travaux en classe, même si Thomas riait derrière moi. Je me suis même surpris à me retourner pour lui demander d’arrêter. Mon professeur voit mes efforts et m’encourage. Mes parents sont plus calmes et heureux. J’ai moins de punitions. Mes notes à l’école montent et on rit beaucoup moins de moi. Pierrot la lune est devenue tout simplement Pierre. Il a juste troqué son beau croissant d’argent contre une nouvelle confiance en or. Il a échangé la tempête dans sa tête contre une immense bibliothèque, ou les informations sont plus facilement accessibles.
Mais, il garde la capacité de retourner sur sa belle lune quand cela lui chante et sans que ça déstabilise son entourage et son for intérieur…

Le rêveur sait maintenant rêver,
Sa vie à complètement changé,
Laissons les peurs et le passé passer…

Connaissez-vous, ou reconnaissez-vous cet enfant ?

Notice biographique

Karine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous avons aimé ce conte plein de fraîcheur et de naïveté enfantineschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophoniequ’elle nous offre.  Laissons-la se présenter.  « Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.  Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.  Au plaisir de vous rencontrer sur mon blog:http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey »

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Un conte de Noël de Karine St-Gelais…

12 décembre 2015

Des traces dans la neige — une fiction tirée de faits…

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec

La dame…
Les cheveux au vent, les yeux larmoyants, une vieille sillonne son quartier bien-aimé. La neige fond sous ses pieds nus. Une seule pensée l’obsède, son réveillon, ses enfants et le chaud sourire de son mari. Comme un doux souvenir, un air qui résonne sans cesse dans sa tête, le tout devient une tendre obsession, comme la beauté de sa jeunesse. C’est pour cette raison qu’elle affronte le froid ce soir. Heureusement, une soirée douce s’annonce, sans rafales, qu’une simple neige qui chatouille ses épaules devenues rondes avec le temps. Elle rabat son châle de laine sur sa poitrine et le serre contre elle. Enfin, la maison qui hante ses rêves depuis quelque temps apparaît ! « Je suis de retour chez moi », se dit-elle tout bas.
Elle entend les rires et les chants qui ont ravi ses Noëls d’antan. Elle est émue. Un miaulement lui rappelle que ses pieds la font souffrir et que la lune est déjà haute dans le ciel. « Je vais être en retard », dit-elle au gros matou qui l’accueille en effleurant ses jambes frêles.
Elle s’avance sur la petite véranda et cogne timidement à la porte. Personne ne répond. « C’est la fête à l’intérieur. Ils doivent déjà manger les petits plats que j’ai passé des jours à préparer », pense-t-elle. Tourtière, pâtés, desserts et beignes maison lui réchauffent le cœur. Elle grelotte, ce qui lui donne le courage de cogner plus fort ! Enfin, elle croit voir une silhouette féminine arrivée dans le hall. C’est Thérèse, sa fille, son aînée. Son visage s’illumine, l’univers brille de nouveau dans ses yeux.
Les habitants de la maisonnée…
Isabelle ouvre la porte, s’exclame : « Oh, mon Dieu ! » Quelle surprise se tient avec peine et misère sur son perron enneigé ! Elle fait un signe à sa sœur Catherine qui arrive alertée par ses cris. Cette dernière prépare alors un café chaud et apporte une couverture. La musique et les éclats de rire s’arrêtèrent soudainement. La famille est bouche bée devant cette vision, on dirait un fantôme, un ange oublié dans la neige. Sa chevelure emmêlée, couleur poivre et sel, contraste avec son maquillage de mauvais gout. Elle porte une tenue chic, mais négligée. Ses pieds presque bleus et son regard vide ont vite fait d’alarmer les occupants qui s’agitent dans tous les sens pour venir au secours de cette âme perdue.

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— Allo, Thérèse, dit doucement la dame en caressant la joue d’Isabelle. Désolée d’être en retard, continue-t-elle…
Les fêtards se regardent d’un air perplexe. Cette dame semble vraiment les connaitre ? Isabelle l’amène avec elle et l’assoit délicatement.
— Ghislain a bien décoré le salon, comme toujours, ajoute la dame après quelques minutes d’hésitation, tout en goûtant le réconfort que lui procure son doux foyer.
Son dentier trop grand claque entre chaque mot qu’elle a peine à prononcer. Elle veut se lever. Isabelle la rassoit et joue le jeu.
— Reste là, maman, bien au chaud. Voici ton café, comme tu l’aimes. Lui dit Isabelle en la recouvrant avec tendresse.
— Merci, ma chouette, tu es gentille. J’ai eu une grosse soirée au travail.
— Tu as faim, maman ?
Sur ce, Catherine a compris qu’elle devait préparer une assiette à la gentille dame.
— Oui, merci. Hum ! Ça sent bon, répond-elle.
Isabelle arrête soudain son regard sur le bracelet de la dame. Un bracelet comme ceux de l’hôpital, blanc et cartonné. Elle sait bien que cette gentille dame ne travaille plus aujourd’hui. Le nom, Cécilia Tremblay, y est inscrit, mais commence à s’effacer. Le scénario devient plus évident pour la famille qui entre avec cœur dans le monde de la belle Cécilia qui croit être chez elle. La musique reprend, les pas de danse aussi, et le réveillon continue de plus belle. Cécilia tape des mains, chante, mange et boit de bon cœur. Dans le brouhaha, Éric, le conjoint d’Isabelle, lui avoue qu’il a appelé la police en allant à la salle de bain. Isabelle le remercie, sachant bien que quelqu’un devait chercher cette charmante vieille dame. La musique s’arrête de nouveau sous les coups qui résonnent dans le hall. La fête prend une pause. Cécilia, qui ne se doute de rien, demande qui a eu le culot d’arrêter la musique. Les policiers arrivent dans l’aire ouverte qui relie cuisine, salle à manger et salon. Cécilia, vieille, mais pas folle, se lève, prête à s’enfuir. Isabelle la prend doucement par les épaules et reprend le jeu.
— Maman, maman ! N’aie pas peur ! Tu es malade, tu as les pieds couverts d’engelures, il faut aller à l’hôpital.
— Non ! crie Cécilia. Pas en plein Noël, non ! s’agite la dame.
— Oui, Cécilia ! Il le faut, continue Éric avec autorité, espérant qu’elle reconnaisse en lui son Ghislain adoré.
— D’accord mon amour, dit-elle en se blottissant contre le torse d’Éric un peu surpris.
— C’est le plus beau des Noëls, ne cesse de marmonner madame Tremblay sur son départ.
— Au revoir, tout le monde. Je serai sur pieds pour venir fêter le Jour de l’An avec vous.
Étrangement, au Jour de l’An, une carte de souhaits atterrit dans la boite aux lettres d’Isabelle. À l’intérieur, un message de la part de l’infirmière de la Résidence d’à côté. Un mot de remerciement ainsi qu’une petite note explicative. L’infirmière y décrit la maison qu’a construite le mari de Cécilia dont Isabelle et Éric sont maintenant les heureux propriétaires. Tout s’explique. Ghislain est mort d’une crise cardiaque, très jeune. Thérèse ne parle plus à sa mère depuis plusieurs années, à la suite de querelles familiales. Malgré son Alzheimer, les souvenirs de madame Tremblay furent les plus forts ce soir-là et l’ont poussée à retrouver ses racines. Isabelle ouvre la porte d’entrée et arbore un sourire en voyant les traces de Cécilia dans la neige. Maintenant, à chaque réveillon, lorsque la famille entend cogner, un petit pincement au cœur les assaille.

Joyeux Temps des Fêtes ! Karine.

Notice biographique :

Karine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous avons aimé ce conte plein de fraîcheur et de naïveté enfantineschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophoniequ’elle nous offre.  Laissons-la se présenter.  « Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.  Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.  Au plaisir de vous rencontrer sur mon blog:http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey »

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Le silence de Sally, un texte de Karine St-Gelais…

8 août 2015

Le Paradis :

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Je suis au Paradis (rires).  Je me prénomme Sally.  Je suis destinée, destinée au bonheur, vous direz ?  Dans ma tête c’est silencieux, c’est beau, c’est lumineux.  Dans mon corps, c’est confortable, mais je m’y sens prisonnière.  Je trône sur ma chaise devant mon écran toutes les après-midis, comme vos jeunes, je suis captivée, éprise du monde virtuel et de toutes ses possibilités.  Surfer sur la toile me permet de voyager.  Une éternelle adolescence vous laisserait un goût amer, moi, c’est ma potence, mon rythme de croisière.  La quarantaine s’annonce comme toutes les dernières dizaines, sans étincelle, sans amour et sans haine.  J’ai beaucoup de chance, Marie prend bien soin de moi.  Elle prend le temps de me toucher, sans dégoût et sans peur, de me tendre la main quand j’ai mal, de s’assurer que je vais bien lors de mes déplacements.  Marie est maintenant plus qu’une employée, elle est mon amie, ma meilleure amie qui vient m’aider tous les jours depuis 5 ans.  Je vis avec mes deux frères, mais les rapprochements son rare, je me sens seule, pourtant, tant de gens passent ici.  Toute la journée, les escaliers bourdonnent sous le pas lourd et décidé des visiteurs : famille, amis et employés.  Mais, pour mes quarante ans, je ressens un vide béant et je ne sais pas pourquoi.  Normalement, je chantonne dès le lever du jour comme un oiseau.  Ma douche matinale me réconforte de sa pluie chaude.  Un simple geste amical me rend heureuse et je remercie Dieu tous les soirs de pouvoir rire encore et toujours…

Le silence :

Marie me brosse les cheveux en me rappelant que j’ai un très joli visage, mais cela me sert à quoi ?  Elle m’habille de son mieux malgré mon dos rond, mes jambes qui tremblent et ma mauvaise haleine.  Elle rase mes jambes et mes aisselles.  Elle me sourit chaleureusement comme une mère le ferait pour son enfant…  Mais je ne suis pas un enfant !  Je ne veux pas être infantilisé de la sorte, je dois tolérer tous les jours les coutures de mes pantalons mal placées, mon corps qui se déplace dans ma chaise sans effort, les fermetures éclair, les boutons et les nœuds qui grattent sans que je ne puisse me soulager !  Je dois endurer ceux et celles qui me parlent comme si j’avais trois ans.  Je déguste mes toasts froids ou trop cuits avec tristesse, sans rien dire, sans demander une autre assiette, même si je me rends compte que celle-là n’est pas tout à fait propre.  J’ai le goût de crier, mais je ne le fais pas.  J’ai envie de pleurer, mais je le fais en silence.  Je bois tous les matins le même jus d’orange dans le même verre, sans broncher et en remerciant celle qui me l’a servi.  Je regarde le ménage fait ou pas, les minous se poussent seuls pour mourir sous les meubles et l’odeur des détritus me torréfie les narines.  Je prie Dieu en silence de me délivrer, j’aimerais que l’on me promette un autre monde meilleur après celui-ci.  Un endroit où je pourrais me servir de mes jambes, chanter et danser, jouer de la musique, écrire et peut-être avoir un chien et aller marcher, cela semble si agréable.  Jouir de l’amour et de ses atouts comme dans les téléromans.  Visiter les boutiques et essayer leurs parfums à l’aura d’Éden.  De la fenêtre du salon, je vois le monde, un monde qui ne m’est pas accessible.  Je ne rêve pas, et de doute façon, cela me servirait à quoi ?  Tous les matins, j’attends que Marie arrive pour me lever.  Espérant qu’elle n’ait pas de retard ou qu’il ne lui soit rien arrivé…  Si c’était le cas, je ne me lèverais pas !  Elle vient chaque jour que Dieu bénit me donner mon bain, me faire à manger, me laver et laver mes vêtements et mes draps, et ramasser ce que j’ai laissé derrière.  Marie parle pour moi, rit, chante et me montre plein de choses amusantes.  Si au moins j’avais eu la chance d’être un enfant normal au départ, je pourrais alors me dire qu’au moins, j’ai vécu.  Je n’aurais pas cette impression sombre de prendre le chemin vers la mort sans avoir parcouru au préalable celui de la vie.  Marie vit pour moi, elle me partage ses expériences et me raconte le monde comme il serait, si j’étais elle ou avec elle.  C’est si beau lorsqu’elle m’offre ses visions, lorsque le futur vient de ses chimères.  Si j’étais dans un corps semblable et que j’avais une magnifique chevelure brune, elle pourrait peut-être m’aimer.  Elle est devenue mes yeux, mes oreilles et ma voix.  Elle est parfaite et si belle.  Elle fait partie de mon monde et j’en suis très heureuse, mais je sais avec amertume que je ne fais pas partie du sien…

Le sauveur :

Elle est quadriplégique et elle a un désordre de la parole, ma pauvre Sally.  Par contre, ce qui me rassure, c’est qu’elle est comme ça depuis sa naissance.  Un dicton dit que ce que nous ne connaissons pas ne nous manque pas…  Mais c’est peut-être le pire des dictons ?  Elle est silencieuse, courageuse et pleine de ressources.  Elle me fait apprécier la vie à sa juste valeur.  Elle me rappelle que le bonheur est tout simple et que trop souvent, je le cherche trop loin.  Je l’ai tant cherché, dans le luxe, dans l’amour et dans le pouvoir.  Pourtant le bonheur est là, juste là, tous les jours sous mes pieds, devant mes yeux, dans ma tête et dans mon corps, à portée de main !  Elle, elle le voit, elle, le sent partout, peu importe la température, le lieu, la personne ou le temps.  Elle défie la mort.  J’aime mon travail.  Il est satisfaisant, elle a besoin de moi.  Je la réconforte, je la rassure, je lui montre et lui apprends toutes sortes de choses nouvelles.  Je reviens chez moi avec le sourire.  Une part de moi s’accomplit comme une fleur qui s’épanouit.  Je remercie le ciel d’avoir des enfants qui bougent et qui finalement me rendent généralement hors de moi !  Je suis heureuse de pouvoir embellir mon environnement comme je le désire, avec tout ce qui me fait envie.  De profiter de la présence d’un homme aimant dans ma vie, de ma maison, de prendre soin de mes animaux et de mes amis.  Je me laisse émouvoir au quotidien d’un simple « merci, et à demain ».  Je reconnais mes muscles à leur douleur.  Je suis parfois épuisée moralement, mais je retombe vite sur mes pieds en voyant de la gratitude dans ses yeux.  Je fais une différence dans la vie de Sally, et à travers elle, je vois ce bonheur…  Je me nomme Marie et je suis préposée à domicile.

Notice biographique :

Karine St-Gelais est une écrivante en devenir.  Nous avons aimé ce récit plein de fraîcheur chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québecqu’elle nous offre.  Laissons-la se présenter.  « Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des souvenirs de l’enfance.  Je suis mariée, J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.  Au plaisir de vous rencontrer sur mon blogue : http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey »

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Gino Camaro, un texte estival de Karine St-Gelais…

11 juin 2015

Gino Camaro

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie Dans ma Camaro, je t’amènerai sur les chemins d’été,
Dans ma Camaro, je t’amènerai à San Francisco…

 

Eh oui ! C’est plus qu’une chanson. C’est réel. L’icône existe…
Je l’ai connue, il y a longtemps, dans mon très jeune temps. Il se nommait Gino et conduisait, vous ne devinerez jamais ? Une voiture de marque Camaro. Elle filait comme le vent. Elle détonnait comme une folle nuit à Las Vegas avec, à son bord, un étrange commandant, Gino Tremblay. Toujours armé de ses bagues scintillantes, de son shag onctueux débordant de sa chemise à fleurs, il avait tout ! Tout pour vous plaire mesdames, tout pour s’amuser et vous assurer la plus infatigable des soirées. Même son nom est devenu une expression en vogue qui nous fait sourire !

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Ce cher Gino, grand, costaud, à la mode, bottes de cowboy aux pieds et accompagné de superbes créatures différentes toutes les semaines… Et vous l’avez surement deviné ! Elles étaient blond platine, les yeux surlignés de noir, envoyant la main à la Marilyne Monroe pour remercier le coucher du soleil. Elles devenaient, durant un court instant des starlettes. C’était pour elles des heures euphoriques ou elles devenaient le centre de l’Univers. Elles voulaient toutes faire partie de la fête et monter, au moins une fois, dans la magnifique Camaro de Gino.
Il était populaire, beau. En fait, tout dépend de ce que, pour vous, signifie être beau… Mais il était fier et attirait tous les regards ; tous voulaient être amis avec Gino. Malgré sa timidité, ses bières qui rehaussaient de plus en plus son tour de taille et le fait qu’il habitait encore chez sa maman, malgré ses 28 ans bien sonnés, ne l’empêchaient pas d’être le king, le roi estival de l’heure. Le maitre incontesté des nuits qui s’allongeaient et des fêtes qui se prolongeaient jusqu’au petit matin. Au volant, il charmait les gentes dames qui l’accompagnaient jusqu’à la plage en chantant du Elvis à tue-tête ; c’était seulement de cette façon qu’il palliait ses bégaiements maladroits. Je ne sais pas si le Gino de mon histoire est le même Gino qui dort dans vos souvenirs, mais le mien est inimitable !
Malheureusement, toute bonne chose à une fin. Quand l’été tirait à sa fin, Gino rangeait son magnifique bébé dans le garage paternel, fraîchement shiné, comme il disait souvent avec beaucoup de difficulté et par trois fois minimum… shi shhiiaaiinnnn… shiiiné ! Il lui faisait ses adieux d’un air tristounet – à l’année prochaine, ma belle, à l’été prochain ! Un autre été, où il sera le sujet du jour et où les plus jolies filles voudront se l’arracher.
Une seule larme lui tranchait alors la joue, la seule qu’il versait avec émotion chaquechat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie fin de saison. Perdre une Marilyne parmi tant d’autres ne le déstabilisait pas une miette. Mais sa voiture ! Un grand sensible, notre Gino ! Il entrait par la suite en hibernation jusqu’au printemps. L’hiver lui semblait une éternité sans sa ténébreuse machine. Il rêvait de plages, de filles, de bières et d’animer de nouveau la Maine Street du quartier avec sa flamboyante voiture sport.
Nous en avons tous connu un, n’est-ce pas ? Un merveilleux phénomène, Gino, pour agrémenter nos samedis. Et vous l’aurez surement deviné… Je fus l’une des Marilynes à ses côtés. Ouf ! Quel été ! Je ne vous dis pas tout ! LOL.

Notice biographique :

Karine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous avons aimé ce conte plein de fraîcheur et de naïveté enfantineschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophoniequ’elle nous offre.  Laissons-la se présenter.  « Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.  Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.  Au plaisir de vous rencontrer sur mon blog:http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey »

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Un récit d’enfance de Karine St-Gelais…

23 janvier 2015

Le Petit-Prince d’Adeline

Chez grand-mère, le soleil se levait toujours dans la fenêtre de la petite chambre bleue. La chambre des invités, la suite des rêves, comme ellechat qui louche maykan alain gagnon francophonie aimait si bien la surnommer. Les draps sentaient l’air frais et tout l’amour qu’elle mettait, chaque jour, à les étendre sur son immense corde à linge qui surplombait le terrain en angle. Je l’entendais, de la chambre, réprimander Petit-Prince, son volatile de compagnie, qui se posait toujours près de son gâteau « radio » et de sa tarte au sucre blanc. Ces deux éléments trônaient sur le comptoir de la cuisinette et parfumaient le rez-de-chaussée, jusque dans ma couchette.

Petit-Prince était un adorable serin jaune, au chant angélique, qui enchantait Adeline, ma grand-maman. Tous les matins, il l’accompagnait pendant son récurage de casseroles et ses préparatifs interminables pour le dîner ou le souper à venir. Parfaite ménagère et cuisinière hors pair, ma grand-mère entretenait sa maison avec passion pour que nous nous y sentions confortables. Debout depuis l’aube, habituée de nourrir une ribambelle d’enfants, elle donnait vie à cette maisonnée. Une forcenée. Ronde, pas très haute et portant toujours un splendide brushing blond jauni, elle écoutait marmonner son vieux mari qui se berçait dans sa chaise, tout près. De temps à autre, elle passait la main sur ses jambes gonflées de varices bleues, conséquences d’une vie de service.

Grand-père Romuald sortait tout juste du lit ; il était vêtu de sa camisole blanche et de son short très court. Il nous dévoilait ses jambes maigrichonnes et blanches. Grand-mère lui lançait toujours gentiment que la semaine de la canne blanche était enfin arrivée… Cela me faisait sourire, et elle le savait. Je me levais toujours attirée par l’odeur sucrée du prochain repas. Les weekends en leur compagnie étaient aussi délicieux qu’un pain d’épice, aussi merveilleux qu’un voyage décapant dans un autre monde.

Mes yeux bleus criaient famine, tandis que grand-père essayait de chausser ses vieilles sandales de cuir, assis dans sa chaise de bois, sous la cage dorée de Petit-Prince. Ensemble, ils délimitaient la salle à manger du salon adjacent.

Je m’asseyais toujours à la même place, face à la fenêtre, dos contre le mur, pour mieux admirer le magnifique déjeuner que grand-mère m’avait amoureusement concocté. Aujourd’hui, on se demanderait pourquoi ces amoureux d’antan sont restés ensemble si longtemps malgré leurs différences ? Mais moi, je voyais deux personnes perdues qui avaient un ardent besoin l’une de l’autre et qui se complétaient par leurs qualités et manques respectifs.

— Bon matin, ma fille, me disait-elle doucement.

Je remarquai le magnifique gâteau blanc, enrobé de meringue, tout juste sorti du four. Elle m’avait préparé mon gâteau préféré, son merveilleux gâteau « radio ». Ne se souvenant plus du nom de ce somptueux dessert, elle l’appelait ainsi, étant donné qu’elle avait obtenu la recette d’un cuisinier à la radio.

— Deline ! criait affectueusement grand-père, le souffle rauque. Ton oiseau n’a pas chanté ce matin ?

— Pourtant, je l’ai nourri comme d’habitude. Ça doit être son espèce de toupet jaune-brun qui lui tombe sur les yeux et l’empêche de gazouiller autant qu’il le devrait, répondait-elle.

— Deline ! criait de nouveau Romuald en retenant sa respiration pour passer sa chaussure gauche.  Bon sang ! Mes bas sont maintenant orange !

— Quoi !

— On dirait que le tapis du salon est plus foncé qu’hier ? disait mon grand-père.

— Oui ! C’est vrai, je l’ai « teindu », je trouvais qu’il avait perdu un peu de sa fraîcheur. Je trouve aussi qu’il est beaucoup trop long, Romuald.

De nature économe, ce couple bien assorti, malgré les apparences, n’avait pas les moyens de changer le tapis du salon qui avait presque l’âge de mon père. Même si je n’avais que treize ans, je comprenais la complicité qui les unissait dans le mariage depuis tant d’années. J’étais une spectatrice subjuguée. Je me délectais de leurs répliques uniques. Ma grand-mère me rappelait avec tendresse, pendant son repassage, que j’aurais dû encore « catiner » à mon âge. Un verbe de son jargon qui signifiait qu’elle souhaitait secrètement me voir encore jouer à la poupée. Une douce façon de me dire que je grandissais un peu trop vite à son goût.

L’avant-midi était passé. Romuald et moi nous bercions sur le balcon, croyant inhaler l’odeur des terrains avoisinants frais tondus. Soudain, Romuald remarqua encore quelque chose d’étrange à travers la grande fenêtre du salon. Une autre péripétie époustouflante se préparait…

— Deline !

— Quoi ?

— Ton serin !

— Quoi, mon serin ?

— Petit-Prince est chauve !

— Je sais ! Je lui ai coupé le toupet après dîner.

— Quoi ?

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieJ’étais complètement attentive.  Cette charmante grand-maman, dans son innocence, avait cru que le petit duvet frontal de son Petit-Prince était de trop…  Mais, depuis le délicat toilettage, Petit-Prince ne chantait finalement plus du tout. Probablement gêné par sa nouvelle coiffe, que reflétait  le petit miroir de sa cage suspendue. Mon grand-père eut la brillante idée de proposer à Deline de téléphoner à la tribune téléphonique d’un certain vétérinaire qui répondait aux questions des auditeurs en direct…

C’est ce qu’elle fit. Et tout le quartier put entendre l’animateur des ondes rire à s’en fendre l’âme en écoutant l’histoire horrifiante de Petit-Prince, le serin de Mme Adeline qui était inquiète de la santé mentale de son charmant compagnon, normalement si porté sur la mélodie.

« Il ne chante plus, monsieur le vétérinaire », lui lançait-elle sans retenue, d’un ton austère.

Par cette prestation farfelue, ma grand-mère devînt et demeura une légende à Grande-Baie.

Mes grands-parents étaient pour moi un théâtre traditionnel à eux seuls. Je jouissais régulièrement de ces curieux polichinelles qui me racontaient, à leur façon, l’histoire de leur petite contrée, de leur insolite rencontre.

Je revenais tout juste à l’intérieur avec Romuald, jeu de cartes à la main. Lorsque grand-père fût estomaqué par quelque chose d’autre qui attira son attention…

— Deline !

— Quoi !

—  Le tapis !

— Quoi ! Le tapis ? Ah oui, je rêvais d’un tapis à poil court, alors je suis allé chercher ta tondeuse pour le raccourcir…

Je connus le plus extraordinaire fou rire que peut expérimenter une préadolescente. Moi et grand-père, sans le savoir, nous étions délectés, non de l’odeur du gazon frais coupé, mais plutôt de la tonte inattendue du tapis fraîchement lavé et recoloré.

J’avais une grand-maman exceptionnelle.  Je ressentis cruellement son départ.

Une petite vie, de petites misères et un cœur gros comme la Terre la définissaient.  Il manque aujourd’hui un arcane majeur à notre bonheur.

Qu’est devenu Petit-Prince ?

Les ragots voudraient qu’il ne se soit jamais remis de cette aventure. Et même si notre Adeline n’est plus de ce monde, lorsque je vois un oiseau se poser un peu trop près, je m’interroge toujours sur sa provenance…

Notice biographique :

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieKarine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous avons aimé ce second récit plein de fraîcheur et de naïveté enfantines qu’elle nous offre.  Laissons-la se présenter.

« Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.

« Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.

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Un récit de Karine St-Gelais…

13 avril 2014

L’âme au rendez-vous

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Il y a des rencontres qui nous laissent perplexes et qui nous embrasent la chair jusqu’à la moelle.  Des frissons nous transpercent la peau comme l’aiguille d’un tatoueur agile, une douleur exquise.  Une épopée que l’on raconte encore et encore, l’âme amoureuse, à qui veut bien l’entendre.  Est-ce que cela vous est déjà arrivé ?  On dit que ça n’arrive qu’une seule fois !  Pourtant, plusieurs ont la chance de vivre ces idylles plus d’une fois au cours d’une vie.  Un jour, on croise un être qui nous enivre, avec qui, dès le premier regard, s’installe un synchronisme déroutant.  Et ce, autant dans les mouvements que par la pensée, c’est alors que nos esprits fusionnent et trouvent leur rythme de croisière, prenant part à une danse lascive, non sans risque.  On semble reconnaître cette personne par instinct, on est certain d’avoir déjà été enrobé de son aura de miel, qui s’entremêle à notre insu à la nôtre, comme par magie.  Son odeur nous est familière, son cœur bat au même rythme que le nôtre, deux êtres en parfaite harmonie.  Ça ne peut qu’être partagé ?  C’est si fort que ça ne peut qu’être réciproque ?  C’est tout simplement délirant, on se délecte de cette effervescence qui nous implore, on en redemande.  Ce n’est déjà plus un inconnu…  Trop tard !

Nos rêves se croisent et entament de chaleureux discours.  Un rendez-vous d’âme à âme se construit au fil des jours.  Les couchers de soleil sont de plus en plus beaux et les levers plus clairs.  Maintenant, liés l’un à l’autre par ce ruban doré, la liaison est devenue charnelle.  Tout notre être est captivé, épris de cette énergie.  Un tel épisode nous ensorcèle, nous habite complètement, comme une possession, un mauvais sort.  On se demande qui a pu orchestrer un aussi inattendu coup du sort.  Ça nous frappe en pleine figure, sans prévenir, ça fait mal !  Ce dénouement nous déstabilise et nous propulse dans le vide.  On en oublie notre propre vie, prêt à s’en romancer une autre.

Mon cœur est fébrile, je songe à mes choix et je vis par l’imagination l’instant de cette rencontre peu ordinaire.  Un seul choix m’a mené ici, à ses côtés.  Difficile de se sortir de cette emprise concoctée par le hasard.  La foudre nous a frappés, la flèche d’un cupidon malveillant s’est emparée de ma grâce.  Nos êtres devront demander rédemption ou se consumer.  Fascinés, on se perd dans le rêve de l’autre, comme au milieu d’un océan.  Mon dieu, rien ne m’est permis en ce moment, et rien ne lui est permis non plus ; on ne peut que s’imaginer un avenir parallèle, une vie antérieure qui resurgit, ou un espace-temps illusoire, où s’entrelacent deux amants fougueux.

Je retiens mes larmes ; elles empoisonnent mon existence.  Mes pensées s’envolent comme des oiseaux blessés, pour finalement mourir au creux d’un arbre.  Je garde la flamme haute en permanence, même si je sais que je ne devrais pas.  Je subis mon quotidien comme un fantôme qui trépasse.  Ce n’est donc pas le bon moment ni le bon temps ?  Et encore moins la bonne vie ?  Mon esprit vagabonde ; des images le hantent : un long chemin bordé de bouleaux, encore vaporeux après la pluie ; un paradis en bordure d’un ruisseau.  Ce lien nous étrangle, je sais, nos corps s’offrent sur les galets…  Que le ciel me délivre de cette malédiction !  Par pitié !

k2Le temps file, météore à son apogée.  Je me fais violence d’accueillir cet amour au-delà des mots.  Je dois les laisser en suspens, comme le colibri qui dompte la corolle du lys sauvage.  Peut-être les entendras-tu ?  Peut-être les verras-tu ?  Ta voix est comme un souffle chaud, apaisante, réconfortante et suave.  Un avenir à deux est possible, c’est ce qui est le plus douloureux.  Cette maison en forêt hante mes rêves, elle me fixe de ses immenses fenêtres, elle est la gardienne de mes jours sereins.  Elle surveille notre secret, là où, jadis, mes robes estivales ont tournoyé.  Es-tu un ange ?  Es-tu seulement de passage ?  Reviendras-tu ou me quitteras-tu pour toujours ?  Mon cœur aimerait terminer notre histoire, revivre nos conversations près du feu.  Ainsi que nos victoires.  J’aimerais inscrire ton nom à l’encre rouge, comme si c’était la première fois.  Boire ma coupe de vin sous les émois.

J’implore la Lune de m’achever, ou bien de me promettre qu’elle te ramènera sur mon chemin… un jour, plus tard, quand cela sera propice à une fin plus acceptable que celle-ci.  En attendant, ma souffrance s’estompe et je reste encore celle… qui t’a aimé en silence !

Ce qui est perdu est perdu ; mais ce que l’on peut de nouveau créer a un sens.

Ta bien-aimée

Notice biographique :

Karine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous avons aimé ce conte plein de fraîcheur et de naïveté enfantines 1506399_10203419753083628_573015309_nqu’elle nous offre.  Laissons-la se présenter.  « Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.  Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.

Au plaisir de vous rencontrer sur mon blog : http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphe


Version canine, un conte de Karine St-Gelais… »

22 mars 2014

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Quand vous étiez petit, qu’est-ce que vos parents vous racontaient pour que vous refermiez l’œil après un affreux cauchemar ?

Étant jadis un enfant qui avait peur des monstres de la nuit, j’ai revendiqué depuis mon droit de dormir grâce à une grosse bébête poilue.  Je défends maintenant avec ardeur le sommeil léger de mes enfants en compagnie de cette grosse douceur, Abigaïl, mon adorable Bouvier Bernois.

Un soir, ma petite Arielle, qui n’avait alors que trois ans, s’éveille en hurlant.  Elle crie et pleure à s’en fendre l’âme.  Comme tout bon parent, je me lève un peu ébranlée et je me précipite à son chevet.  La petite est cachée sous les draps et me pointe le coin de sa chambre.  Elle semble confuse, mais visiblement en proie à une réelle frayeur.  J’essaie de la recoucher, mais cette fois-ci la routine habituelle ne fonctionne pas.  Elle est inconsolable, et sa peur est presque palpable.  Un peu exaspérée de ne pas pouvoir dormir, je m’assois malgré tout près d’elle et je décide d’improviser une histoire.  Heureusement, le regard interrogateur de ma partenaire canine, du cadre de la porte, me donne une soudaine source d’inspiration.  Je débute ainsi :

— Calme-toi, mon ange.  Ne t’en fais pas, Abby va s’en occuper…

La petite, intriguée, s’arrête immédiatement de pleurer et me lance : « Pourquoi ? Comment ? », les yeux toujours mouillés.

— Quand maman a acheté Abby, l’éleveur nous a avisés de ses pouvoirs spéciaux…

— Hein !  Ça ne se peut pas, me disent ses longs sourcils pointés vers le ciel.

— Eh oui ! ajoutai-je.  Abby a le pouvoir de manger les monstres.  C’est inné chez cette race de chien.

— Abby mange l’monstres, m’man ? interroge-t-elle de nouveau dans son dialecte d’enfant.

— Sais-tu comment elle fait ? lui demandai-je.

Elle me fait signe que non de sa couette toute croche.

Le jour, lorsque vous êtes à la garderie, Abby part en tournée pour sécuriser la maisonnée.  Elle renifle tous les recoins et repère immédiatement les êtres de la nuit.  Ils ont, pour elle, une odeur particulière que nous, nous ne percevons pas.  C’est aussi pour cela que ces chiens sont désignés pour accompagner les non-voyants.  Ces derniers sont leurs yeux et les guident sur la route.  Alors, pour nous, Abby fait la même chose.  La nuit, elle se transforme en chasseuse de monstres.  Elle les piste de très loin, de là sa couleur noire : les créatures sombres ne la voient pas.

Arielle regarde son agréable animal de compagnie avec un trop plein d’amour, c’est touchant.  Je sens qu’elle me croit dur comme fer.   J’en profite alors pour continuer :

— Tu sais, lorsque nous sommes allés la chercher à la pouponnière de la Bernoise, elle était la dernière de la portée.  Nous n’avons pas eu l’occasion de la choisir.  C’est comme si elle nous était destinée.  Depuis, elle est chargée d’une mission : nous protéger.  C’est maintenant son rôle de chien de famille.  Elle nous permet de dormir en toute quiétude.  Elle renifle aussi fort que le vent d’une tempête déchainée.  Son pouvoir lui vient de la fée des familiers.  Cette fée donne des dons aux animaux de compagnie, c’est pour cette raison que nous sommes si bien accompagnés.  Abigaïl surplombe ses sombres proies, elle se penche et ouvre sa grande gueule, d’où soudain s’échappe une poussière verte qui lui permet d’avaler l’affreux.

Ma petite me sourit de sa jolie frimousse, ce qui lui fait oublier les mauvais rêves de la dernière heure.  Elle se frotte le nez contre son doudou.  J’étais certaine qu’elle se recoucherait…  Mais non ! Elle se relève et me dit dans son jargon tout mignon :

— Elle fait quoi avec l’monstres après Abby ?

diablotin-pose-portableOups !  Cette question n’était pas prévue dans mon scénario…  Alors je me tourne vers Abby et lui demande secrètement de l’aide.  Elle se lève et semble avoir quelque chose dans sa gorge.  Je la vois essayer de s’en défaire en crachant comme un chat qui veut se débarrasser d’une boule de poil.  Nous l’entendons ensuite se diriger vers son plat d’eau et saper le précieux liquide comme une vieille le fait avec sa soupe.  Je souris et me retourne vers ma fille qui a de nouveau les yeux fripés de fatigue, et je lui dis :

— Comme ça, ma chouette, elle les recrache.  Mais généralement, elle fait cela dehors.  Elle avale les méchants diablotins et ensuite s’en débarrasse.

Et pour être bien certaine qu’elle ne pose pas une autre question, je la devance en lui disant pour clore l’histoire que, par la suite, les monstres devenus une poussière verte servent de fertilisant pour Mère Nature.  Avec cette nuée magique, Dame Nature fait fleurir les fleurs, croître les arbres et rend l’eau de pluie potable pour les animaux…

Ma fille est une amoureuse de la nature et de tous ses enfants — et quand je dis « tous ses enfants », je parle autant du joli renard que des escargots, mon histoire l’a comblée.  N’ayant plus rien à redire, elle embrasse Abby venue nous asperger affectueusement de son dernier boire et elle se rendort sous son minois angélique.  Ouf ! Je retourne me coucher assez satisfaite de cette fiction un peu apparentée au film La ligne verte, version canine…

Je m’allonge en caressant ma belle dévoreuse d’êtres cauchemardesques jusqu’à ce que…

— Maman ! Oh ! Non ! C’est Louis maintenant !

Et c’est reparti pour une autre histoire.

— Viens-t’en, Abigaïl…

Notice biographique :

227320_1985432524583_1506387954_2115898_2279409_sKarine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous avons aimé ce conte plein de fraîcheur et de naïveté enfantines qu’elle nous offre.  Laissons-la se présenter.  « Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.  Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.  Au plaisir de vous rencontrer sur mon blog:http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey »

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Un récit d’enfance de Karine St-Gelais (suite)… » »

5 février 2014

Le Petit-Prince d’Adeline

Chez grand-mère, le soleil se levait toujours dans la fenêtre de la petite chambre bleue. La chambre des invités, la suite des rêves, comme elle aimait si bien la surnommer. Les draps sentaient l’air frais et tout l’amour qu’elle mettait, chaque jour, à les étendre sur son immense corde à linge qui surplombait le terrain en angle. Je l’entendais, de la chambre, réprimander Petit-Prince, son volatile de compagnie, qui se posait toujours près de son gâteau « radio » et de sa tarte au sucre blanc. Ces deux éléments trônaient sur le comptoir de la cuisinette et parfumaient le rez-de-chaussée, jusque dans ma couchette.

Petit-Prince était un adorable serin jaune, au chant angélique, qui enchantait Adeline, ma grand-maman. Tous les matins, il l’accompagnait pendant son récurage de casseroles et ses préparatifs interminables pour le dîner ou le souper à venir. Parfaite ménagère et cuisinière hors pair, ma grand-mère entretenait sa maison avec passion pour que nous nous y sentions confortables. Debout depuis l’aube, habituée de nourrir une ribambelle d’enfants, elle donnait vie à cette maisonnée. Une forcenée. Ronde, pas très haute et portant toujours un splendide brushing blond jauni, elle écoutait marmonner son vieux mari qui se berçait dans sa chaise, tout près. De temps à autre, elle passait la main sur ses jambes gonflées de varices bleues, conséquences d’une vie de service.

Grand-père Romuald sortait tout juste du lit ; il était vêtu de sa camisole blanche et de son short très court. Il nous dévoilait ses jambes maigrichonnes et blanches. Grand-mère lui lançait toujours gentiment que la semaine de la canne blanche était enfin arrivée… Cela me faisait sourire, et elle le savait. Je me levais toujours attirée par l’odeur sucrée du prochain repas. Les weekends en leur compagnie étaient aussi délicieux qu’un pain d’épice, aussi merveilleux qu’un voyage décapant dans un autre monde.

Mes yeux bleus criaient famine, tandis que grand-père essayait de chausser ses vieilles sandales de cuir, assis dans sa chaise de bois, sous la cage dorée de Petit-Prince. Ensemble, ils délimitaient la salle à manger du salon adjacent.

Je m’asseyais toujours à la même place, face à la fenêtre, dos contre le mur, pour mieux admirer le magnifique déjeuner que grand-mère m’avait amoureusement concocté. Aujourd’hui, on se demanderait pourquoi ces amoureux d’antan sont restés ensemble si longtemps malgré leurs différences ? Mais moi, je voyais deux personnes perdues qui avaient un ardent besoin l’une de l’autre et qui se complétaient par leurs qualités et manques respectifs.

— Bon matin, ma fille, me disait-elle doucement.

Je remarquai le magnifique gâteau blanc, enrobé de meringue, tout juste sorti du four. Elle m’avait préparé mon gâteau préféré, son merveilleux gâteau « radio ». Ne se souvenant plus du nom de ce somptueux dessert, elle l’appelait ainsi, étant donné qu’elle avait obtenu la recette d’un cuisinier à la radio.

— Deline ! criait affectueusement grand-père, le souffle rauque. Ton oiseau n’a pas chanté ce matin ?

— Pourtant, je l’ai nourri comme d’habitude. Ça doit être son espèce de toupet jaune-brun qui lui tombe sur les yeux et l’empêche de gazouiller autant qu’il le devrait, répondait-elle.

— Deline ! criait de nouveau Romuald en retenant sa respiration pour passer sa chaussure gauche.  Bon sang ! Mes bas sont maintenant orange !

— Quoi !

— On dirait que le tapis du salon est plus foncé qu’hier ? disait mon grand-père.

— Oui ! C’est vrai, je l’ai « teindu », je trouvais qu’il avait perdu un peu de sa fraîcheur. Je trouve aussi qu’il est beaucoup trop long, Romuald.

De nature économe, ce couple bien assorti, malgré les apparences, n’avait pas les moyens de changer le tapis du salon qui avait presque l’âge de mon père. Même si je n’avais que treize ans, je comprenais la complicité qui les unissait dans le mariage depuis tant d’années. J’étais une spectatrice subjuguée. Je me délectais de leurs répliques uniques. Ma grand-mère me rappelait avec tendresse, pendant son repassage, que j’aurais dû encore « catiner » à mon âge. Un verbe de son jargon qui signifiait qu’elle souhaitait secrètement me voir encore jouer à la poupée. Une douce façon de me dire que je grandissais un peu trop vite à son goût.

L’avant-midi était passé. Romuald et moi nous bercions sur le balcon, croyant inhaler l’odeur des terrains avoisinants frais tondus. Soudain, Romuald remarqua encore quelque chose d’étrange à travers la grande fenêtre du salon. Une autre péripétie époustouflante se préparait…

— Deline !

— Quoi ?

— Ton serin !

— Quoi, mon serin ?

— Petit-Prince est chauve !

— Je sais ! Je lui ai coupé le toupet après dîner.

— Quoi ?

J’étais complètement attentive.  Cette charmante grand-maman, dans son innocence, avait cru que le petit duvet frontal de son Petit-Prince était de trop…  Mais, depuis le délicat toilettage, Petit-Prince ne chantait finalement plus du tout. Probablement gêné par sa nouvelle coiffe, que reflétait  le petit miroir de sa cage suspendue. Mon grand-père eut la brillante idée de proposer à Deline de téléphoner à la tribune téléphonique d’un certain vétérinaire qui répondait aux questions des auditeurs en direct…

C’est ce qu’elle fit. Et tout le quartier put entendre l’animateur des ondes rire à s’en fendre l’âme en écoutant l’histoire horrifiante de Petit-Prince, le serin de Mme Adeline qui était inquiète de la santé mentale de son charmant compagnon, normalement si porté sur la mélodie.

« Il ne chante plus, monsieur le vétérinaire », lui lançait-elle sans retenue, d’un ton austère.

Par cette prestation farfelue, ma grand-mère devînt et demeura une légende à Grande-Baie.

Mes grands-parents étaient pour moi un théâtre traditionnel à eux seuls. Je jouissais régulièrement de ces curieux polichinelles qui me racontaient, à leur façon, l’histoire de leur petite contrée, de leur insolite rencontre.

Je revenais tout juste à l’intérieur avec Romuald, jeu de cartes à la main. Lorsque grand-père fût estomaqué par quelque chose d’autre qui attira son attention…

— Deline !

— Quoi !

—  Le tapis !

— Quoi ! Le tapis ? Ah oui, je rêvais d’un tapis à poil court, alors je suis allé chercher ta tondeuse pour le raccourcir…

Je connus le plus extraordinaire fou rire que peut expérimenter une préadolescente. Moi et grand-père, sans le savoir, nous étions délectés, non de l’odeur du gazon frais coupé, mais plutôt de la tonte inattendue du tapis fraîchement lavé et recoloré.

J’avais une grand-maman exceptionnelle.  Je ressentis cruellement son départ.

Une petite vie, de petites misères et un cœur gros comme la Terre la définissaient.  Il manque aujourd’hui un arcane majeur à notre bonheur.

Qu’est devenu Petit-Prince ?

Les ragots voudraient qu’il ne se soit jamais remis de cette aventure. Et même si notre Adeline n’est plus de ce monde, lorsque je vois un oiseau se poser un peu trop près, je m’interroge toujours sur sa provenance…

Notice biographique :

Karine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous avons aimé ce second récit plein de fraîcheur et de naïveté enfantines qu’elle nous offre.  Laissons-la se présenter.

« Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.

« Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.

« Au plaisir de vous rencontrer sur mon bloghttp://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey33.wordpress.com »


Rétrospective : Un récit d’enfance de Karine St-Gelais…*

9 décembre 2013

L‘usine qui crochissait les bananes…

(Hommage à Romuald, mon grand-père paternel.)

Cher grand-papa, un invétéré raconteur et inventeur de mots saugrenus. Il savait comment me prendre au piège et me laisser languir sur un ravageur « peut-être », ou un fracassant « et si c’était vrai »…

J’avais tout près d’une dizaine d’années, le regard de l’innocence toujours pendu sous mes sourcils en accents circonflexes. Une incroyable naïveté me caractérisait. Grand-papa Romuald aimait beaucoup se jouer de moi.

Ce matin-là, j’étais anxieuse et un peu fatiguée d’une nuit passée à rêver de cette journée. Sur la route qui nous menait, moi, grand-père Romuald et papa Germain, vers Tadoussac, je somnolais sur le siège arrière confortable, regardant le magnifique paysage du Fjord qui s’allongeait. Le bruit sourd de la vielle Tempo blanche de grand-père alourdissait doucement mes paupières. Soudain, apercevant à travers la fenêtre une usine, tout près de Sacré-Cœur, grand-père, entre deux songes maritimes, me sortit du sommeil.

— Ben oui, Germain, voyons, tu ne te souviens pas de l’énigmatique usine qui crochissait les bananes ? En voici justement une excellente réplique à la québécoise.

Comme il savait si bien le faire, il venait de piquer ma curiosité. De son long bras frêle, il pointait une grosse usine qui lui semblait déserte. J’en oubliai alors les baleines bleues, celles avec des bosses, ainsi que les petits et les grands Rorquals, pour en savoir plus sur cette mythique usine…

— De quoi parles-tu, grand-papa ? lui demandai-je.

— Ben voyons, Catherine, tu ne connais pas l’usine qui crochissait les bananes ?  Et je dis crochissait, car malheureusement, aujourd’hui, elle n’existe plus. Je te raconte.

Il y a longtemps…

Il débutait toujours ainsi, cet homme amaigri par la vie que je trouvais si amusant. De cette façon, il se protégeait d’éventuelles représailles et plissait son front dégarni pour appuyer ses dires. Mon père cachait son envie de rire derrière ses taches de rousseurs.  Je le voyais dans le rétroviseur.

Entre l’équateur et la mer des Bermudes, débuta-t-il, se trouvait une île qui supportait une immense usine, en constante production. Jour et nuit y travaillaient des hommes à la peau sombre. Leur dos était brûlé par le soleil des après-midis sans parasol. Les splendides bananes arrivaient, cordées et en nombre exponentiel, dans les sous-sols de ce gratte-ciel. Ils crochissaient ces fruits. Parce qu’au départ, petite Catherine, les bananes arrivent droites ;  non croches comme tu les vois régulièrement à l’épicerie. Et, bien sûr, une de ces usines a essayé de s’implanter ici, dans notre magnifique région.

Me souvenant de photos de bananiers, exhibant leurs bananes déjà croches, je restais perplexe. Il continuait de me regarder fixement, à travers cette horrible paire de lunettes carrée qui lui pendait au bout du nez…

— Hein ? m’exclamai-je. Voyons ! J’ai déjà vu des bananiers, et les bananes suspendues sous leurs feuilles étaient déjà courbées.

— Où as-tu vu cela, Catherine ?

— À LA TÉLÉ !

— Bien voilà ! Il ne faut pas tout croire ce que l’on voit à la télé, mon enfant. Oui ! Oui ! C’est grand-papa qui te le dit ! Les bananes arrivent droites, et les employés les crochissent, une par une.

J’étais en grande réflexion et dans l’obligation de me ranger de son côté, vu que je n’en avais jamais vu en vrai.

Le magnifique paysage continuait de défiler, lustré d’un magnifique soleil d’été. L’odeur infecte du poisson commençait à se faire sentir à travers la glace entrouverte du conducteur, mon papa, le meilleur complice que pouvait avoir Romuald. L’eau fraîche et vivante reflétait le ciel comme un immense miroir bleu. C’était une journée venteuse qui nous renvoyait le parfum du grand rivage. Nous étions tout près de ces immenses mammifères marins qui accompagnaient mes rêves des derniers jours.  J’étais dans un état d’euphorie indescriptible. Grand-papa, d’un sérieux désarmant, attendait toujours ma riposte de petite fille embrouillée, avant d’embarquer dans l’immense paquebot…

— Ben voyons ! Hein, ça se peut papa ?

— Ben oui ! Hein, Germain, que ça se peut ?  Tu es venu, tout petit, la visiter avec moi et ta mère. Aujourd’hui, ils injectent un produit dans la banane qui fait jaunir sa peau et retrousser automatiquement ses extrémités, car au départ elle est droite et bleue.

Oh, là ! C’en était trop.

Ce que je ne voyais pas, c’était l’envie de mon père de s’esclaffer, du haut de ses cinq pieds et dix pouces, en voyant mon air ébahi. Mais il restait de marbre, supportant de son mieux l’histoire de cette usine bizarre, au milieu de nulle part, pour travailler nos superbes bananes domestiques, avant leur arrivée au Canada.

L’après-midi se passa sans encombre, et la vue des baleines m’enchantait.  J’étais comblée par tant de beautés sauvages.

Au retour, alors que mes doigts fouillaient la chair d’un homard, dans un chaleureux petit restaurant des Escoumins, grand-papa tenait toujours le même discours, tenait encore mordicus à ses pieux mensonges…

— Tu sais, Catherine, si tu manges trop de bananes maintenant, le produit à l’intérieur peut t’intoxiquer !

— Comment ça ? fis-je.

— Bien, tu pourrais attraper la maladie de la banane en folie…  Ce n’est pas dangereux, jeune fille, t’inquiète pas ! Mais, elle déclenche le syndrome de la peau trop courte. Comme la banane, tes orteils vont retrousser.

— Hein ! m’exclamai-je, réveillant les clients de la table voisine qui avaient le nez enfoncé dans leurs généreuses langoustes. Heureusement, le restaurant était empreint d’une ambiance à la bonne franquette, et tous riaient de bon cœur.

C’était trop pour papa qui s’étouffa avec une gorgée d’eau… Et moi, j’entrepris une sérieuse remise en question…

— Ça se peut pas !

— Et si c’était vrai ?… extravagua mon cher grand-père.

Notice biographique :

Karine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous avons aimé son récit plein de fraîcheur et de naïveté enfantines.  Et ce rappel de ces paysages tadoussaciens convient en ce printemps qui discrètement annonce l’été…   Laissons-la se présenter.

« Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.

Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.

Au plaisir de vous rencontrer sur mon blog http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey33.wordpress.com


Un récit de Karine St-Gelais…

9 août 2013

La rose bleue

  La rose bleue me rappelle mon arrière-grand-mère.  Je me souviens qu’au salon funéraire son cercueil entier en était assiégé.  Une façon étrange de lui envoyer des ondes de bonne chance, un merci pour ses bons conseils, l’impossible rose bleue, la Charles-de-Gaulle.  Sa flagrance typique est à la fois somptueuse et séduisante.  On dit que la rose idéale doit avoir une corolle haute et des pétales pointus.  Bien que l’on en ait créé de presque toutes les couleurs, le bleu semblait et reste toujours impossible à obtenir.  C’est pourquoi une rose de cette couleur symboliserait l’inaccessible, la beauté, d‘amour, la pureté…   Qualités que possédait mon arrière-grand-maman.

Laissez-moi vous raconter une histoire, un récit tout simple, rare et passionnée…  Du temps où les roses n’étaient pas encore bleues, ni fanées, ni colorées.  Mais étaient fraîches et vierges, comme la chance, comme les anges, comme les nuages qui filent dans le firmament sage.  Laissez-moi vous toucher et flirter avec votre cœur.

Dans un espace maintenant oublié, nous partons en voyage, nous vivrons en images les années 1900, un étonnant retour arrière…

Il y a fort, fort longtemps, le 3 octobre 1922, une rose Blanche est née.  Eh oui, c’était son nom.  Sa mère l’a nommée ainsi, cette jolie petite fille des prés, car cette année-là le début d’octobre était déjà blanc.  Un temps frais et exaltant.

Puis, le temps passa, et dans une petite maison, sans auto pour rouler, ni télévision pour s‘énerver, ni téléphone pour communiquer, vivait une famille de treize enfants.  Blanche – qui est la plus âgée – doit tricoter et participer aux tâches ménagères, soigner ses sœurs et ses frères, une seconde nature chez elle, une dure pénitence.  Ils mangent ce que papa a trouvé la veille : des siffleux et des écureuils qui perdent vie dans un ragoût de feuilles.  Elle fait aussi bouillir de la gomme de sapin pour soulager la grippe du petit dernier.  Elle bât ensuite la neige froide comme des œufs de poule qui auraient été trop chers pendant ce dur hiver qui assiège la famille Erluison, – patronyme qui veut dire « les nobles ».

À seize ans, sans instruction, mais portant un cœur généreux, Blanche enterrera les jumeaux dans le jardin familial, les derniers nés de sa pauvre mère fatiguée.  Celle-ci, a rendu son âme au ciel dans la même journée, sans souffle divin pour la consoler.  Que d’amertume glissa alors sur le visage en détresse de Blanche !  Ce même soir, elle ne put dormir et fila dans l’arôme des aiguilles qui bourraient le matelas de sa couchette.  Son père, le cœur serré, suivit sa douce moitié quelques jours après le service funèbre improvisé, peu de jours après que la famille eût couché la mère dans un lit de roses sauvages, ses fleurs préférées, qui étonnamment violacèrent sous le clair de lune.  Des roses presque bleues l’accompagnèrent donc vers le paradis des anges.

Devenue orpheline, Blanche entra au couvent et donna quelques années à Dieu, sans savoir que celui-ci avait préparé pour elle un tout autre destin.  Lorsqu’elle en sortit, une parente l’accueillit.  Celle-ci avait un frère qui tomba follement amoureux de Blanche.  Elle était délicate, pâle, fragile comme un flocon de neige en début d’hiver…  Mais aussi jolie et tendre, comme une fleur de printemps.  Il la demanda en mariage plusieurs fois, jusqu’à ce que la rose blanche cède.  Étienne était riche et de bonne famille, un bon parti lui aurait susurré sa parente.  Elle voyait en lui son salut, un moyen mérité de prendre du repos.

Deux semaines avant son mariage, une amie l‘invita au cinéma du coin.  Les deux jolies dames passaient sous les yeux insidieux des soldats, tout juste arrivés de la Deuxième Guerre.  Leurs regards ne se détachaient pas des deux filles au grand chapeau et à la chair tiède.  L’un deux, plus intrépide, pista Blanche par son parfum de gelée d’Éden.  Un réel coup de foudre, elle ne se souvient pas du film, elle n’a que d’yeux que pour lui, son Albert.

Le lendemain, ébranlée, elle demanda un sursis de deux mois à son futur mari.  Étienne fût dévasté d’apprendre qu’il allait la perdre ; c’en était terminé de ses rêves.  Sans Blanche, sa vie n’avait plus de sens.  Elle le retrouva pendu sur la véranda.  Il fixait le vide et semblait attendre désespérément le printemps.  Le soleil s’était définitivement couché sur la guerre, mais pas pour Blanche, dont l’avenir s’annonçait tumultueux, incertain.

Quelques semaines plus tard, le visage tiré, Blanche  maria son Albert.  Mais qui dit culpabilité, dit maladie qui ronge en silence.  Après une fausse couche, pas longtemps après ses vœux, Blanche connut un autre deuil : des jumeaux mort-nés.  La douleur était telle, qu’elle bascula dans le passé.  Elle pleura dans les bras de sa mère pourtant défunte et berça en rêve ses poupons, en allés.  Trop d’anges l’entouraient.  La seule chose qui la retenait encore, c’était l’amour, son Albert.

Un jour elle se leva, prise d’inspiration, elle laissa ses enfants morts à l’infirmière et retourna vers son Albert qui lui construisit la maison de ses rêves qui contenait salon illuminé par trois grandes baies vitrées et un salon de barbier pour son mari.  Et à tout cela s’ajoutait une pouponnière.  Blanche était l’une des premières femmes à offrir les services d’une pouponnière familiale ici, au Québec.  Elle y accueillait des petits de médecins, d’avocats…  De professionnels ou de gens en moyens.  Elle leur vouait un amour inconditionnel.

Albert trouvait très étrange que pas un seul nourrisson ne pleure.  Jamais !  Sa femme avait un don, un don rare, les bras d’un ange.  Ils vécurent heureux et eurent enfin trois enfants, bien à eux, qui leur donneront huit petits-enfants.

Un jour qu’elle était bien assise devant son Dieffenbachia (la plante des sourds et muets), une survivante du temps de sa douce mère, ses rides se creusèrent devant cette vivace maintenant aussi molle qu’un céleri oublié au réfrigérateur.  La chaleur accablait Blanche comme jamais et, soudain, elle sentit ses forces la quitter…

Un cancer, le pire châtiment que le corps peut se faire.  En peu de temps, Blanche perdit sa pouponnière, son indépendance, sa santé.  Albert, heureux survivant de deux pontages et d’une opération à cœur ouvert, lui resta toujours fidèle.  Même, croyez-le ou non, il est toujours jaloux de celui qui appelle Blanche tous les matins depuis quinze ans pour le bonjour matinal…  Ils demeurèrent amants jusqu’à 90 ans.  L’amour n’a pas d’âge ni de corps.  Il mourut le premier.  Elle embrassa son front froid, elle entendit son dernier souffle, lui caressa la joue.  Sa main dans la sienne elle appela les anges de son passé, et le rejoignit peu après au Paradis qu’elle s’était promis.

Notice biographique :

Karine St-Gelais est une écrivante en devenir.  Nous avons aimé ce récit plein de fraîcheur qu’elle nous offre.  Laissons-la se présenter.  « Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des souvenirs de l’enfance.  Je suis mariée, J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.  Au plaisir de vous rencontrer sur mon blogue : http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey »

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