La voix de l’ange, une nouvelle de Richard Desgagné…

La voix de l’ange

La mère à son fils

            Cher petit oiseau de mon cœur, disparu au milieu de toutes ces hirondelles ! Je revois ces pétales de roses que tuchat qui louche maykan alain gagnon francophonie lançais sur la foule et que j’ai reçus, moi, comme des dons des anges ! Qui t’a donné toutes ces fleurs ? Est-ce que le Bon Dieu t’avait parlé de ses projets avant de t’amener au paradis ? Si oui, pourquoi ne m’en as-tu jamais glissé un mot et quelques autres ? J’aurais empêché cela, je t’aurais retenu tout près de moi. Mais je dois te dire que c’était bien joli, ton ascension, et que j’ai été fière d’être ta mère. Ces choses-là n’arrivent pas tous les jours !

            Depuis ce temps, je regarde le ciel dans l’attente que tu redescendes pour me consoler de n’être presque plus rien. Sans ta sœur Caprine qui me soutient, je serais déjà morte et elle viendrait prier sur ma tombe. À ton retour – tu reviendras, n’est-ce pas ? – je te préparerai tout ce que tu aimes, des glaces, des chocolats, des laits de poule et j’irai te border dans ton lit et te conterai de nouvelles histoires. Comme tu dois avoir grandi !

            Dernièrement, j’ai consulté un mage qui m’a suggéré, mon minet, de te demander d’intercéder auprès de tes amis pour qu’ils me donnent une compensation substantielle. À moins que tu reviennes toi-même, auquel cas, ça me suffirait que tu sois là. Je ne veux rien, j’ai assez de sous ; je souhaiterais tout simplement devenir éternelle et ne plus avoir de soucis à me faire pour ma santé. Je serais si contente de jouir pour une fois de toutes les facultés de la vie ! Si j’étais éternelle, je serais sûre de te revoir si tu me donnais la possibilité de te reconnaître. Je ne connais pas les anges comme toi.

            Je vieillis, j’ai cinquante ans demain, et déjà on commence à mourir autour de moi, ce qui est très fâcheux pour ma santé. Comment sont les anges ? Ne te laisse pas abuser par eux qui sont capables de bien des tours. Lucifer a été longtemps l’ami de Dieu, puis un jour il s’est retourné contre lui.

            À quoi t’occupes-tu là-haut ? J’espère que tu t’amuses plus que moi sur le plancher des vaches, comme dit la nouvelle bonne. Tu as rencontré sans doute Maria Goretti, Gérard Raymond et la petite Bernadette Soubirou. J’espère qu’ils ne sont pas trop sérieux ou constamment en prière ! Tu t’ennuierais, mon mignon, toi qui aimes tant jouer ! Tu sais, j’ai beaucoup de succès avec ce livre que j’ai écrit et qui raconte ton aventure. Son titre est « La voix de l’ange », pour aider à me souvenir que tu chantais si bien ! Je passe souvent à la radio, à la télé, je donne des conférences, je suis invitée dans tous les Salons du livre et, le mois prochain, je serai à la Foire du livre de Francfort en Allemagne. Caprine m’accompagnera pendant tout mon séjour. Quoiqu’elle n’aime pas les voyages en avion, j’ai exigé qu’elle vienne avec moi, sans quoi je la déshériterai. Elle est tout ce qu’il me reste.

            J’ai l’intention de fonder une secte pour préserver ta mémoire sur cette terre et porter le plus loin possible ce que je ressens dans mon âme. J’ai de grandes choses à dire, des messages et des enseignements à donner. Je te ferai ériger une jolie statue de marbre d’Italie par un grand sculpteur que je connais et qui deviendra probablement mon assistant. À propos, je me marierai avec lui bientôt dans une basilique dorée habitée par les anges qui sont devenus tes compagnons. Tout s’arrange, tu le vois. Tu comprends bien, j’en suis sûre, que ta maman ne peut pas s’arrêter de vivre parce que tu es là-haut. C’est si facile de retourner dans le passé, de regretter ce qu’on aurait dû faire ! J’ai toujours été bonne mère. Tu te souviendras que j’ai dû vous élever seule après que ton père ait fui au Texas avec sa poule du casino. Il n’a pas réagi quand je lui ai annoncé ton départ, tu vois comme il est, le salaud. Pardon, mon petit, je sais que ce n’est pas un langage que vous utilisez au ciel. Je n’en ai pas d’autres quand je suis fâchée.

Le fils à sa mère

            Maman, je te réponds comme je peux. Ce n’est pas facile d’écrire ici avec toutes ces occupations avec les anges, les saints et le Bon Dieu. Parfois, je m’endors en pleine réunion et je rêve à toi ; jamais bien longtemps, car mon ange gardien me réveille en me donnant des coups de coude dans les côtes. Le fameux jour où je suis monté au ciel et que j’ai lancé les pétales de roses, j’ai été le premier surpris. J’étais si bien sûr la terre, maman, je m’amusais, j’avais des amis et je t’aimais. Je n’ai pas compris ce qui m’arrivait et je ne le comprends pas encore.

            Le paradis n’est pas ce que l’on croit. C’est un lieu de travail éreintant. Si tu imagines qu’on est assis sur des nuages ou que ça sent bon, tu te trompes. On m’a appelé pour répondre aux prières des enfants et je suis en train d’apprendre comment il faut faire. Je me lève tôt, je bois un grand verre de lait et je m’en vais à la salle où je travaille avec les autres jusqu’à la nuit quand le concierge, qui n’aime pas le gaspillage, éteint les lumières. On n’entend que ça ici, maman ! Pas de gaspillage ! Pas de gaspillage ! Même le Bon Dieu n’arrête pas de dire qu’on n’a pas de temps à perdre. L’archange Gabriel (il est si grand qu’on dirait que ce sont ses pieds qui me parlent) m’a annoncé que si je travaillais avec acharnement, je pourrais aller te retrouver, alors je n’arrête pas. Vingt heures par jour, maman. Mais, comme je suis en bonne santé, ce n’est pas trop difficile.

            Des fois, je pars en promenade jusqu’au bout du ciel avec Gérard Raymond et Bernadette Soubirou, qui sont très drôles.  Maria Goretti est sérieuse comme le pape et a toujours peur de faire des péchés. Peccati ! Peccati ! Personne ne lui parle tellement elle est dans la lune. J’ai bien ri quand j’ai lu que tu me ferais élever une statue. J’espère que le sculpteur me dessinera un sourire sur les lèvres. C’est vrai que tu vas te marier avec lui ? Attends que je revienne, je voudrais tellement tenir la traîne de ta robe ! On pourrait inviter mes nouveaux amis. Oui ou non, maman ? J’ai permis à Gabriel de lire ta lettre. Il te déconseille de fonder une secte. Il dit qu’il y en a suffisamment et qu’il y a mieux à faire pour une femme de ton âge. Il donne toujours de bons conseils, tu devrais l’écouter.

            chat qui louche maykan alain gagnon francophonieQuand je serai là, on partira plutôt en voyage avec Caprine. On verra plein de paysages, de gens plus intéressants que les vieux saints qui ont toujours le chapelet à la main. Maman, j’ai hâte de manger des glaces, des chocolats et de boire des laits de poule. Je ne sais pas quand je reviendrai. Attends-moi, je serai là pour ton mariage. Demande à Caprine de ne pas jouer dans ma chambre ; chaque fois, elle met du désordre partout et je ne me retrouve plus. Demande-lui aussi de faire attention à mes albums de Mafalda et qu’elle ne les prête pas à son amie Jeanne qui a toujours les mains sales !

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieRichard Desgagné est écrivain et comédien depuis plus de trente ans. Il a interprété des personnages de Molière, Ionesco, Dubé, Chaurette, Vian, Shakespeare, Pinter, etc., pour différentes troupes (Les Têtes heureuses, La Rubrique) et a participé à des tournages de publicités, de vidéos d’entreprise et de films ; il a été également lecteur, scénariste et auteur pour Télé-Québec (Les Pays du Québec) et Radio-Canada (émissions dramatiques).  Jouer est pour lui une passion, que ce soit sur scène, devant une caméra ou un micro.  Il a écrit une trentaine de pièces de théâtre, quatre recueils de nouvelles, quatre de poésie, deux romans, une soixantaine de chroniques dans Lubie, défunt mensuel culturel du Saguenay-Lac-Saint-Jean.  En 1994, il a remporté le premier prix du concours La Plume saguenéenne et, en 1998, les deux premiers prix du concours  de La Bonante de l’UQAC. Il a publié, pendant cinq ans, des textes dans le collectif Un Lac, un Fjord de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES). Il est membre du Centre des auteurs dramatiques. Il a été boursier du ministère de la Culture du Québec et de la fondation TIMI.  Pour des raisons qui vous convaincront, tout comme elles m’ont convaincu, je tiens à partager avec vous cette nouvelle qu’il a la gentillesse de nous offrir.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/ )

 

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