Rilke, Staline et la grive, par Alain Gagnon…

6 mai 2017

Dires et redires…

J’écoute les poèmes de Rilke mis en musique et je colle de très vieilles photos de famille dans un album neuf.  Je revois toute mon enfance en sépia chat qui louche maykan alain gagnon francophonieet noir et blanc.  Presque tous sont morts.  Je me fais penser à Staline, le petit père des peuples.  À la fin de sa vie, il découpait des photographies d’enfants dans les magazines et les collait un peu partout autour de sa chambre, au Kremlin.  Hobby de tyran.

J’écoute les vers de Rilke, mis sur une musique, et je me souviens de cette petite Allemande, Priscilla, qui m’a offert ce disque.  Que fait-elle maintenant ?  Dans combien d’années la vie aura-t-elle tué (ou accru ?) le meilleur en elle ?  Dans combien d’années la vie l’aura-t-elle réduite ?

(Le chien de Dieu)

*

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieEt voici que du mélèze hachuré, à flanc de colline, la grive à flancs olive m’interpelle : — Je suis une grive, tu sais ; je ne suis pas la grive mais bien cette grive-là, solitaire dans le fouillis de mon univers qui n’est pas le tien, là.  Mon chant t’ignore, sache-le.  Il est aubade d’amour, cri de guerre ou de ralliement à la nichée, là.  Tu marches, voyageur, et, dans ta mémoire, musée de peines et de pitiés obscures, tu transportes mes notes et les rejoues sans cesse.  Pourquoi ?  Jusqu’à quel soir devrai-je chanter pour t’apprendre enfin la vacuité de mon chant pour toi, là, et qu’au-delà de mes mélodies absentes, tu oses cueillir la musique vraie, celle de tout temps vibrante pour toi, et qu’au plus intime tes apitoiements écrasent, là ?

(L’espace de la musique)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Kabbale, nature et esthétique, par Alain Gagnon…

27 mars 2017

Dires et rediresalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Le sujet en nous, toujours relié à l’Être par ce fil d’or qui, selon la Kabbale, unit encore l’humain à Dieu au cœur de la boue, du chaos, des pires turpitudes. Ce sujet, donc, contient le moi. Moi qui souffre de son ignorance et de son éloignement. Poésies et musiques seront donc souvent mélancoliques et sombres, avec, çà et là les embellies des rapprochements.

(Le chien de Dieu, Éd. du CRAM)

*

Il est aussi dans la nature de l’humain de triturer la matière jusqu’à ce qu’elle crache quelques-unes de ses lois physico-chimiques que ce bimane rendra opératoires. L’humain est à la fois l’inquisiteur et le transmutateur du réel. Il n’est ni anaturel ni antinaturel ; il est surnaturel. Par sa technique, il engendre une surnature. Il se recrée et, ce faisant, il devient créateur d’une réalité aussi tangible que ce qui était déjà, mais étrangère à ce qui était déjà. L’urbanité, (comme courant littéraire, anthropologique, esthétique) est la résultante de la technique, de cette surnature en émergence.

(Propos pour Jacob, Éd. de la Grenouille Bleue)

*

Esthétique et supramental — [Sur un troisième plan, à l’intérieur de la personnalité, on trouve] le supramental alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec(mental intuitif) qui régit l’intuition supérieure et dont les manifestations éthiques, religieuses, esthétiques sont plus subtiles — il n’appartiendrait qu’au règne hominal, et selon Sri Aurobindo, la mission de l’humanité consisterait à faire descendre la réalité supramentale au niveau de la matière et du mental ordinaire, et d’ainsi régénérer le monde[1]. En soi, on le voit à l’œuvre par l’émotion et la satisfaction qu’éveillent en nous la beauté, la bonté et la vérité. Certains transposeront ces ressentis éthiques et esthétiques dans la beauté que l’on crée : musique, peinture, architecture, poésie…   Le supramental ouvre sur l’infini et permet à l’humain d’appréhender sa surnature, ce qu’il peut devenir, et ce que l’humanité sera demain. Il est au-delà des mots, des définitions, ce qui rend difficile tout exposé à son sujet. Il s’éprouve, ne se prouve pas. Il s’expérimente à travers les intuitions déformées qu’il offre au mental ordinaire.

(Propos pour Jacob, Éd. de la Grenouille Bleue)


[1] Si on souhaite approfondir, lire de Aurobindo La Vie divine, (4 volumes), Albin Michel.

L’auteur…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon du Livre du Saguenay–alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecLac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998). Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013). Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011). En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010). Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet). On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL. De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue. Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Textes sacrés, nature et Braque, par Alain Gagnon…

3 mars 2017

Actuelles et inactuelles…

Les textes sacrés sont souvent des taches de Rorschach, ces images aux formes incertaines que les psychiatreschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec montrent à leurs patients pour faire ressortir les structures de leur personnalité.  Chacun y voit et y puise selon ses propres bibittes ou penchants ; et, dans le cas des textes sacrés, en tire valeurs, attitudes et comportements qui lui conviennent.

*

Dans un réseau social, quelqu’un souhaite que l’école reconnecte l’enfant à la Nature.

De quelle nature parle-t-on ici ?  Physique ?  Végétale ?  Animale ?  Mentale ?  Spirituelle ?  L’humain appartient à l’ensemble.  Si l’on veut sa vie réussie, il faut préparer le jeune à vivre et progresser à l’intérieur de toutes ces catégories.

*

Il y a peu, je terminais l’écriture d’un recueil de nouvelles fantastiques (Gloomy Sunday ou Le récit de Tasha Bonte).  J’y ai rédigé une brève introduction où j’exprime exactement ce que Marc Pasterger a lui-même écrit en préface de son ouvrage inexplicable, mais vraies, lu hier soir.  Coïncidence ?  Synchronicité ?

Mon texte :

En automne progresse le noir, progresse la nuit.  Le brumeux et le flou augmentent ; le mystérieux et l’insolite sortent des sous-bois et des sous-sols et se montrent à la lumière rare des jours gris.

Même si les heures lumineuses se tassent, si le royaume de l’obscur s’étend, il serait abusif de croire qu’il en résulte pour l’esprit affaiblissement et engourdissement.  Des ténèbres jaillit le clair ; et le regard inversé de l’humain peut profiter des jours sombres pour s’adonner à l’introspection, puiser en lui-même des intuitions fulgurantes ou quiètes qui lui ouvriront sur le réel des portes qu’il croyait jusque-là inexistantes.

Les récits que l’on tire de cet état d’esprit ont ce côté orbiculaire – in-finalisé – de plusieurs légendes innues ou inuites.  Le plafonnier n’éclaire pas tous les recoins de la pièce.  Les solutions totales des Maigret et des Sherlock Holmes en sont absentes.  La magie du clair-obscur survit à la dernière ligne du texte.  Le règne du non-dit et de l’indicible perdure, sans faste, mais assurément.  (Le récit de Tasha Bonte)

Et ma lecture d’hier :

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, QuébecRien ne me plaît davantage qu’un fait avéré laissant patauger l’homme de ce début de troisième millénaire nanti d’un savoir minuscule et d’une culture très parcellaire.  J’adore les histoires n’arborant pas une fin en béton sans discussion possible.  Je raffole des récits — authentiques — laissant la porte grande ouverte à l’imaginaire, à l’existence d’un autre monde, parallèle, invisible, différent, meilleur ou moins bon, et même un peu de tout ça à la fois !  (Marc Pasterger)

Ces textes me ramènent en mémoire une citation de Braque :  « Je ne cherche pas la finition, je tends vers l’infinition. »

L’auteur…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon chat qui louche maykan alain gagnondu Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet) ; récemment il publiait un essai, Fantômes d’étoiles, chez ce même éditeur .  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

 


De Maupassant, de Schopenhauer… par Frédéric Gagnon

5 janvier 2017

Des idées et des Livres

De Maupassant, de Schopenhauer et de quelques considérations scandaleuses…

Publié pour la première fois en 1885, Bel-Ami de Maupassant est un roman réaliste qui nous révèle les dessous du journalisme, de la politique et du capitalisme dans le Paris de la seconde moitié du XIXe siècle.

Frédéric Gagnon

 

Le personnage principal s’appelle Georges Duroy.  C’est lui, le Bel-Ami.   C’est un jeune homme pauvre, un ancien sous-officier.  Monté dans la métropole pour faire fortune, il travaille au bureau des chemins de fer du Nord et gagne un salaire de crève-la-faim.  Mais dès le chapitre premier, un hasard heureux se manifeste en la personne de Forestier, un ancien compagnon d’armes devenu journaliste.  Constatant l’impécuniosité de Duroy, Forestier décide de le prendre sous son aile.  Duroy deviendra ainsi reporter, chef des échos et enfin rédacteur politique à La Vie française, journal qui appartient à M. Walter, juif déjà fortuné qui deviendra cinquante fois millionnaire grâce à une transaction frauduleuse.

L’intérêt du roman repose en grande partie sur la carrière fulgurante de Bel-Ami, qui n’hésitera pas à se servir des hommes et des femmes dans une course qui le conduira au sommet de l’ordre social.  Ce personnage sans vergogne est une bête parfaitement adaptée aux tropiques d’un univers où tout s’achète, où tout se vend.  Georges Duroy est un égoïste, il ignore les remords et les conflits moraux ; c’est un monstre de désir, talentueux mais sans profondeur d’esprit ; il appartient à cette race qui obtient toujours les faveurs des femmes, de toutes les femmes.  Cette dernière remarque semblera peut-être odieuse ; ce qu’il faut savoir, c’est que Maupassant était grand lecteur de Schopenhauer, philosophe allemand qui publia en 1819 un ouvrage considérable, Le Monde comme volonté et comme représentation.  Or Schopenhauer soutient que l’univers entier est la manifestation d’une force désirante, qu’il nomme volonté, volonté

Guy de Maupassant

qui est une mais qui subit l’illusion de sa multiplicité dans le jeu des phénomènes.  La volonté étant donc l’essence de tout ce qui est, chacun dans ce monde (aussi bien l’homme qu’un arbre ou un animal) recherche les conditions optimales de sa propre existence, ce qui ne manque pas d’engendrer, vous l’aurez deviné, une lutte universelle dans laquelle sont engagés tous les individus.  Seul échappe à ce sort, qui se répète d’une génération à l’autre, le génie.  C’est là une personne singulière chez qui l’intellect l’emporte sur les forces instinctives, alors que normalement l’intellect est au service des instincts.  Saisi par la vision d’une Idée (eh oui ! Schopenhauer n’en était pas à un vice près, ce cher antimoderne croyait aux Idées de Platon), le génie enfante des œuvres qui font toute la grandeur de la culture humaine.  Mais si l’apport de cet être d’exception est inestimable, force est de constater que l’empire exclusif de l’intellect sur sa personne est contraire aux lois de la nature.  En fait, si le but de l’existence (comme le croient les darwinistes) était la seule survie, il faudrait admettre que ceux dont les facultés servent de puissants désirs sont de loin supérieurs au grand artiste qu’animent des visions transcendantes : le calculateur d’un entendement certain joue parfaitement son rôle dans cette tragi-comédie écrite d’avance que l’on nomme vie sociale.  Or voilà, Georges Duroy est dépourvu de toute grandeur morale ; mais il est ingénieux et doué d’un vouloir ferme, il sait tirer profit de circonstances et d’aléas dans lesquels, rétrospectivement, on voit un destin ; et la femme, sans doute si proche de la vie parce qu’elle donne la vie, cédera invariablement devant un tel individu, alors que son instinct l’éloigne de l’homme génial.

Ces considérations sur les rapports entre les sexes choqueront sans doute certains lecteurs.  Aux objections que l’on serait tenté de formuler,

Schopenhauer

j’opposerai ceci : répondez-moi en toute sincérité et dites-moi si ce ne sont pas les volontaires, et non les imaginatifs, les penseurs, qui ont le plus de succès auprès des dames.  Un réaliste, je n’en doute pas, admettra que nos motivations amoureuses sont souvent fort primitives.  Une jeune fille est excitée par la force d’un homme, puis elle lui trouve du génie ; un jouvenceau admire la beauté d’une femme, puis il croit lui trouver des vertus.  Voilà le genre de méprises dont les moralistes et les auteurs comiques pourront nourrir leur œuvre durant l’éternité.   Point de vue cynique, pensez-vous ?  Ne serait-ce pas celui de ce vieux Darwin dont la modernité vante sans cesse la théorie ?  En tout cas, c’est là une conception du sexe qui rejoint Maupassant et son philosophe préféré ; toutefois mon but, dans mes chroniques, n’est pas de convaincre, mais de susciter la réflexion.  Je vous l’ai déjà dit, je suis à peu près convaincu que nous sommes plongés dans un profond sommeil, un sommeil métaphysique.  Or je mise sur cette idée que l’interrogation passionnée des grands auteurs peut nous mettre sur le chemin de notre éveil.  Je crois, cependant, que leurs œuvres, même celles des plus grands, ne sont pas la Voie, mais le doigt qui nous indique la voie à suivre : à nous de savoir lire les signes.  Il va sans dire que les conclusions d’un Schopenhauer ou d’un Maupassant sont contestables, mais ce sont là des esprits d’une immense profondeur : on gagne toujours à les fréquenter.  Enfin, il ne faudrait pas passer sous silence ce fait que Guy de Maupassant est non seulement un fin observateur, mais également un très grand écrivain.  On ne louera jamais assez son style.  Sa phrase est généralement courte, souvent incisive ; en quelques traits, il nous permet de saisir un personnage, une situation.  Modèle d’économie, l’écriture classique de Maupassant ressemble aux mouvements gracieux de naïades qui dansent au-dessus du néant.  Légèreté et profondeur, tel serait le maître-mot de cet auteur (ce qui n’est pas sans rappeler Mozart).  Tout est si violent et immoral dans Bel-Ami, et pourtant tout est si aérien, si lumineux par la grâce d’une voix dont le chant est l’un des plus purs de la littérature française.  Il faut lire Maupassant, se pénétrer de ses phrases, et comprendre que le style n’est pas une vaine ornementation, mais une pensée singulière qui rayonne et vit en chacun de ses éléments.

Bel-Ami est une œuvre forte, une œuvre belle.  Guy de Maupassant nous montre la vie telle qu’elle est, et non telle qu’on la souhaiterait.  C’est en ce sens un maître, tout comme ce philosophe allemand qu’il admirait.

*

On retrouve Bel-Ami dans plusieurs collections de poche.  On peut se le procurer pour la somme modique de 3,95$ chez Pocket.

Les amateurs de cinéma seront sans doute heureux d’apprendre que Bel-Ami vient de faire l’objet d’une adaptation, aux États-Unis, mettant en vedette Uma Thurman (sortie prévue en 2011).

À ceux qui désireraient s’initier à la pensée de Schopenhauer, je ne saurais trop conseiller un recueil de textes intitulé Esthétique et métaphysique, paru dans la collection du Livre de Poche.  On retrouve, par ailleurs, Le Monde comme volonté et comme représentation chez Quadrige / PUF et, en deux tomes, dans la collection Folio Essais.


De Maupassant, de Schopenhauer et de quelques considérations scandaleuses…, par Frédéric Gagnon

9 juin 2016

Des idées et des Livres

Publié pour la première fois en 1885, Bel-Ami de Maupassant est un roman réaliste qui nous révèle les dessous du journalisme, de la politique et

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Frédéric Gagnon

du capitalisme dans le Paris de la seconde moitié du XIXe siècle.

Le personnage principal s’appelle Georges Duroy.  C’est lui, le Bel-Ami.   C’est un jeune homme pauvre, un ancien sous-officier.  Monté dans la métropole pour faire fortune, il travaille au bureau des chemins de fer du Nord et gagne un salaire de crève-la-faim.  Mais dès le chapitre premier, un hasard heureux se manifeste en la personne de Forestier, un ancien compagnon d’armes devenu journaliste.  Constatant l’impécuniosité de Duroy, Forestier décide de le prendre sous son aile.  Duroy deviendra ainsi reporter, chef des échos et enfin rédacteur politique à La Vie française, journal qui appartient à M. Walter, juif déjà fortuné qui deviendra cinquante fois millionnaire grâce à une transaction frauduleuse.

L’intérêt du roman repose en grande partie sur la carrière fulgurante de Bel-Ami, qui n’hésitera pas à se servir des hommes et des femmes dans une course qui le conduira au sommet de l’ordre social.  Ce personnage sans vergogne est une bête parfaitement adaptée aux tropiques d’un univers où tout s’achète, où tout se vend.  Georges Duroy est un égoïste, il ignore les remords et les conflits moraux ; c’est un monstre de désir, talentueux mais sans profondeur d’esprit ; il appartient à cette race qui obtient toujours les faveurs des femmes, de toutes les femmes.  Cette dernière remarque semblera peut-être odieuse ; ce qu’il faut savoir, c’est que Maupassant était grand lecteur de Schopenhauer, philosophe allemand qui publia en 1819 un ouvrage considérable, Le Monde comme volonté et comme représentation.  Or Schopenhauer soutient que l’univers entier est la manifestation d’une force désirante, qu’il nomme volonté, volonté

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Guy de Maupassant

qui est une mais qui subit l’illusion de sa multiplicité dans le jeu des phénomènes.  La volonté étant donc l’essence de tout ce qui est, chacun dans ce monde (aussi bien l’homme qu’un arbre ou un animal) recherche les conditions optimales de sa propre existence, ce qui ne manque pas d’engendrer, vous l’aurez deviné, une lutte universelle dans laquelle sont engagés tous les individus.  Seul échappe à ce sort, qui se répète d’une génération à l’autre, le génie.  C’est là une personne singulière chez qui l’intellect l’emporte sur les forces instinctives, alors que normalement l’intellect est au service des instincts.  Saisi par la vision d’une Idée (eh oui ! Schopenhauer n’en était pas à un vice près, ce cher antimoderne croyait aux Idées de Platon), le génie enfante des œuvres qui font toute la grandeur de la culture humaine.  Mais si l’apport de cet être d’exception est inestimable, force est de constater que l’empire exclusif de l’intellect sur sa personne est contraire aux lois de la nature.  En fait, si le but de l’existence (comme le croient les darwinistes) était la seule survie, il faudrait admettre que ceux dont les facultés servent de puissants désirs sont de loin supérieurs au grand artiste qu’animent des visions transcendantes : le calculateur d’un entendement certain joue parfaitement son rôle dans cette tragi-comédie écrite d’avance que l’on nomme vie sociale.  Or voilà, Georges Duroy est dépourvu de toute grandeur morale ; mais il est ingénieux et doué d’un vouloir ferme, il sait tirer profit de circonstances et d’aléas dans lesquels, rétrospectivement, on voit un destin ; et la femme, sans doute si proche de la vie parce qu’elle donne la vie, cédera invariablement devant un tel individu, alors que son instinct l’éloigne de l’homme génial.

Ces considérations sur les rapports entre les sexes choqueront sans doute certains lecteurs.  Aux objections que l’on serait tenté de formuler,

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Schopenhauer

j’opposerai ceci : répondez-moi en toute sincérité et dites-moi si ce ne sont pas les volontaires, et non les imaginatifs, les penseurs, qui ont le plus de succès auprès des dames.  Un réaliste, je n’en doute pas, admettra que nos motivations amoureuses sont souvent fort primitives.  Une jeune fille est excitée par la force d’un homme, puis elle lui trouve du génie ; un jouvenceau admire la beauté d’une femme, puis il croit lui trouver des vertus.  Voilà le genre de méprises dont les moralistes et les auteurs comiques pourront nourrir leur œuvre durant l’éternité.   Point de vue cynique, pensez-vous ?  Ne serait-ce pas celui de ce vieux Darwin dont la modernité vante sans cesse la théorie ?  En tout cas, c’est là une conception du sexe qui rejoint Maupassant et son philosophe préféré ; toutefois mon but, dans mes chroniques, n’est pas de convaincre, mais de susciter la réflexion.  Je vous l’ai déjà dit, je suis à peu près convaincu que nous sommes plongés dans un profond sommeil, un sommeil métaphysique.  Or je mise sur cette idée que l’interrogation passionnée des grands auteurs peut nous mettre sur le chemin de notre éveil.  Je crois, cependant, que leurs œuvres, même celles des plus grands, ne sont pas la Voie, mais le doigt qui nous indique la voie à suivre : à nous de savoir lire les signes.  Il va sans dire que les conclusions d’un Schopenhauer ou d’un Maupassant sont contestables, mais ce sont là des esprits d’une immense profondeur : on gagne toujours à les fréquenter.  Enfin, il ne faudrait pas passer sous silence ce fait que Guy de Maupassant est non seulement un fin observateur, mais également un très grand écrivain.  On ne louera jamais assez son style.  Sa phrase est généralement courte, souvent incisive ; en quelques traits, il nous permet de saisir un personnage, une situation.  Modèle d’économie, l’écriture classique de Maupassant ressemble aux mouvements gracieux de naïades qui dansent au-dessus du néant.  Légèreté et profondeur, tel serait le maître-mot de cet auteur (ce qui n’est pas sans rappeler Mozart).  Tout est si violent et immoral dans Bel-Ami, et pourtant tout est si aérien, si lumineux par la grâce d’une voix dont le chant est l’un des plus purs de la littérature française.  Il faut lire Maupassant, se pénétrer de ses phrases, et comprendre que le style n’est pas une vaine ornementation, mais une pensée singulière qui rayonne et vit en chacun de ses éléments.

Bel-Ami est une œuvre forte, une œuvre belle.  Guy de Maupassant nous montre la vie telle qu’elle est, et non telle qu’on la souhaiterait.  C’est en ce sens un maître, tout comme ce philosophe allemand qu’il admirait.

*   *

*

On retrouve Bel-Ami dans plusieurs collections de poche.  On peut se le procurer pour la somme modique de 3,95$ chez Pocket.

Les amateurs de cinéma seront sans doute heureux d’apprendre que Bel-Ami vient de faire l’objet d’une adaptation, aux États-Unis, mettant en vedette Uma Thurman (sortie prévue en 2011).

À ceux qui désireraient s’initier à la pensée de Schopenhauer, je ne saurais trop conseiller un recueil de textes intitulé Esthétique et métaphysique, paru dans la collection du Livre de Poche.  On retrouve, par ailleurs, Le Monde comme volonté et comme représentation chez Quadrige / PUF et, en deux tomes, dans la collection Folio Essais.

Notice biographique

Frédéric Gagnon a vécu dans plusieurs villes canadiennes, dont Montréal, Kingston et Chicoutimi.  Il habite aujourd’hui Québec.  Il a étudié, entre autres, la philosophie et la littérature.  À ce jour, il a publié trois ouvrages, dont Nirvana Blues, paru, à l’automne 2009, aux Éditions de la Grenouille Bleue.  Lire et écrire sont ses activités préférées, mais il apprécie également la bonne compagnie et la bonne musique.


Les couleurs de Virginie, par Virginie Tanguay…

11 février 2016

   Le printemps des berges

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Le printemps des berges

  Dans notre coin de pays, dès la fonte des neiges, les eaux se retirent des terres fertiles, sillonnent les vallées, pour rejoindre le bassin versant du lac Saint-Jean.  Quand le paysage printanier se dessine, à la vue de mon canot qui émerge de la neige, je me plais à imaginer le mode de vie de ceux qui sont passés bien avant moi… les Amérindiens.  Voici l’histoire de Yepa.

       Une tempête balayait tout sur son passage, laissant à découvert les carcasses d’animaux gelés.  À chaque instant, c’était le combat extrême entre les hommes et le froid.  Les plus forts allaient survivre.  Une jeune fille était venue au monde dans ces conditions difficiles de la saison morte.  Ses parents l’avaient nommée Yepa ou, en français, Princesse de l’Hiver.  Le clan « kwi’kwa’ju » (carcajou) accueillit cette enfant avec amour.  Les membres du clan portaient ce nom ; ils s’identifiaient à cet animal doté d’une habileté et d’une intelligence hors du commun.  (De nos jours, nous côtoyons rarement cette bête, mais jadis sa présence était indéniable sur tout le territoire du Québec.  Sa réputation le présente comme un animal rusé, des plus féroces.)  Ces nomades possédaient des outils rudimentaires, efficaces pour la chasse, la pêche, et des techniques d’approche subtiles.  Ils se déplaçaient en fonction de la quête de nourriture.

      Yepa se réveillait à la lumière du jour, le sourire aux lèvres, remerciant la terre de lui donner ses fruits.  Sa mère était décédée d’un mal inconnu lorsqu’elle avait dix ans.  Cette petite veillait au bien-être de ses frères et de ses sœurs.  L’amour maternel lui manquait.  Les femmes du clan chérissaient cette enfant, elle était attachante.  Jeune femme en devenir, elle dégageait une énergie positive qui rayonnait ; son père en était très fier !

        Chaque matin, au départ des chasseurs, Yepa veillait à ce que le feu ne s’éteigne pas.  Il fournissait la chaleur et cuisait les aliments.  Les poissons et les gibiers à plumes fumaient jusqu’à une tendreté et un goût impeccables.

         Lors des moments de détente, l’art occupait un rôle de premier plan.  D’authentiques sculptures de pierre et de bois décoraient les berges du Lac.  Yepa portait un collier qu’avait taillé son père.  Cette œuvre d’art, fait d’os de caribou, avait été créée pour protéger la belle et inspirer le respect pour les ressources qu’offrait la Nature.  Au couchant, Yepa s’étendait sur une roche plate près du rivage et s’endormait en écoutant le clapotis des vagues.  L’esprit vagabond, elle songeait à l’avenir des siens.

          Un matin d’automne, le clan Carcajou partit à la recherche de nouveaux territoires de chasse.  Les bagages furent réduits pour faciliter les déplacements.  Par mégarde, le collier si précieux de Yepa tomba dans les eaux noires du lac.  Désolée, elle se consola en se disant que c’était là le destin et qu’elle le porterait désormais dans son cœur.  À la file indienne, les canots d’écorce fendaient l’eau au rythme des avirons…

           D’aussi loin que je me souvienne, au printemps, une joie m’envahit et, enthousiaste, je pars à la recherche de fossiles, de trilobites et de pointes de flèches sur les berges et dans les eaux de mon lac.  Il arrive que mes démarches soient récompensées : l’été dernier, j’y ai découvert les fragments d’os d’un collier…

Notice biographique

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecVirginie Tanguay vit à Roberval, à proximité du lac Saint-Jean.  Elle peint depuis une vingtaine d’années.  Elle est près de la nature, de tout ce qui est vivant et elle est très à l’écoute de ses émotions qu’elle sait nous transmettre par les couleurs et les formes.  Elle a une prédilection pour l’aquarelle qui lui permet d’exprimer la douceur et la transparence, tout en demeurant énergique.  Rendre l’ambiance d’un lieu dans toute sa pureté est son objectif.  Ses œuvres  laissent une grande place à la réflexion.  Les détails sont suggérés.  Son but est de faire rêver l’observateur, de le transporter dans un monde de vivacité et de fraîcheur, et elle l’atteint bien.

Pour ceux qui veulent en voir ou en savoir davantage : son adresse courrielle :  tanguayaquarelle@hotmail.com et son blogue :virginietanguayaquarelle.space-blogs.com.  Vous pouvez vous procurer des œuvres originales, des reproductions, des œuvres sur commande, des cartes postales.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)



Ce matin-là… par Jean-Marc Ouellet…

10 janvier 2016

Ce matin-là

Depuis quelque temps, je marche en forêt. Une vieille forêt. Avec ses vieux arbres, ses chicots, ses mystères, sonalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec savoir. Le matin, avant le petit-déjeuner, une tasse thermos à la main et remplie de café, je marche, avec mon amoureuse, avec mes labradors. Parfois seul. J’enjambe les branches et les racines. Je hume l’air humide, imprégné de sapins, d’épinettes, de cèdres, de fougères, de fleurs sauvages, de pourriture, de toute cette nature de fibres et de sève comme de chair et de sang. J’écoute le gazouillis des oiseaux, le croassement des corneilles, le murmure du vent, l’écoulement de l’eau du ruisseau. Je m’arrête devant les pistes de lièvres et de cervidés. Je marche, marche, marche. Je sue, je vis. Sur le sentier qui me sépare de mes biens, de ce pour quoi j’échine pourtant mes jours, je m’enrichis du pouvoir des arbres, des bêtes sauvages, du vent, du ciel… Et je pense. Beaucoup. Car les insondables secrets de la nature engendrent un état d’âme riche en fantaisies et en illuminations. Les problèmes s’allègent, les réponses surgissent. « Penser, c’est chercher des clairières dans une forêt. » écrivait Jules Renard. Et penser dans la forêt, c’est enchâsser nos vies de jets de lumière. De l’ombre d’un arbre, des univers se créent. Et chaque arbre étant unique, imaginez l‘infini des possibles d’une promenade en forêt. Les pensées se bousculent donc. Les écureuils ne les voient pas. Mes labradors non plus. Malgré leur ouïe prodigieuse, ils ne les entendent pas. Mon amoureuse non plus, à moins que, parce qu’elles en valent la peine, je les lui partage. Les autres… Elles m’habiteront en exclusivité, me hanteront peut-être plus tard. Les arbres les sentent peut-être. Qui sait ? Je soupçonne même qu’ils en soient la source. De Gonzague St-Bris écrivait : « Lors de mes vagabondages dans les verdures éternelles, j’avais l’impression de lire l’univers et la forêt était pour moi la plus belle des bibliothèques. »
alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecAlors, je marche, et je pense. À quoi ? Eh bien… à tout. Au quotidien, à mon travail, à mes joies, à mes misères. Je pense à mon amoureuse qui me précède ou me suit, à mes enfants, à mes proches, à mes chiens qui gambadent à mes côtés. Des projets d’écriture germent. Je pense aux injustices, à la science, à l’ivresse d’être là, à cet instant, je pense à hier, à demain. Les motifs ne manquent pas, le pouvoir inspirant des arbres étant sans limites.
C’est donc un certain matin, le thermos de café penchant dangereusement alors que j’enjambais un chicot échoué à travers le sentier, qu’une pensée singulière traversa mon esprit. Pourquoi confiner des pensées en soi, dans l’éthérisme du je-ne-sais-où ? Pourquoi vivre, penser, si la vie n’est qu’un ramassis de secrets ?
J’ai le bonheur d’écrire. Et j’ai la chance d’avoir un bon ami qui publie des textes dans un blogue devenu magazine littéraire électronique, Le Chat qui louche, des textes qui sont lus. Un ami qui, deux fois déjà, m’a fait confiance. Jamais deux sans trois, dit l’adage.
Ce matin-là, mes pensées m’ont conduit à cet ami, à son blogue, à ma nostalgie du temps où j’y publiais des textes. J’ai donc pensé reprendre du service, une fois par mois, y graver ces impressions de matins de randonnées parmi les arbres.
Tout y passera. Réflexions, science, fiction…
Des secrets ?
Qui sait ?

© Jean-Marc Ouellet 2016

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieJean-Marc Ouellet grandit dans le Bas-du-Fleuve. Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, il pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, de janvier 2011 à décembre 2012, il a tenu une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. En avril 2011, il publie son premier roman,  L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis un article, Les guerriers, dans le numéro 134 de la revue MoebiusChroniques d’un seigneur silencieux, son second roman, paraît en décembre 2012 aux Éditions du Chat Qui Louche.  En août 2013, il reprend sa chronique bimensuelle au magazine Le Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Identité et nature, par Alain Gagnon…

13 novembre 2015

Actuelles et inactuelles…

La quête d’identité — Je suis borné, c’est bien connu. Physiquement, on m’a dédié une borne-hommagechat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec comme auteur, le long de la rivière Chicoutimi. Intellectuellement, il est des modes dans l’air du temps que je n’arrive pas à déchiffrer et qui, si elles motivent plusieurs, me laissent d’une froideur hargneuse.
Ainsi, hier à la radio d’État, une écrivaine dans la quarantaine parlait d’un roman pour l’écriture duquel elle s’était rendue à Lisbonne afin de retrouver son identité… Déjà, dans les années 70 et 80, on claironnait dans les chapelles littéraires que le seul objet valable de la littérature écrite ici devait être la recherche et l’expression de la québécitude. Je n’y ai jamais rien compris. Tout comme à ceux qui ânonnaient sur cette question des fins de semaine entières dans le Nord de Montréal.
Aujourd’hui, cette quête est devenue plus individuelle, ce qui ne la rend pas mieux fondée. Elle donne lieu à un amoncèlement de bluettes nombrilistes, rédigées par des adolescents près de la retraite, qui se promènent, éternels orphelins, dans un Québec en désintégration – ou dans le monde, aux frais de la princesse, c’est-à-dire à même nos impôts.
Une identité ne se cherche pas ; elle s’éprouve à travers ses œuvres. On ne peut chercher son identité ; on ne peut que la créer.
On ne capture pas le vent. Ou encore : l’homme le plus fort ne peut se soulever en tirant sur le siège de la chaise où il est assis.

*

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québecchat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, QuébecL’art rupestre ou pariétal étonne. On s’extasie avec raison devant les œuvres, entre autres, de Lascaux : — Que d’expressivité ! Que de raffinement ! Comment des primitifs ont-ils pu ?…
Et s’il ne s’agissait pas de prélude d’un art, de primitivisme ? Mais bien d’une finale tragique, d’un art de dégénérescence, de fin de cycle ? De copies et reliquats malhabiles d’un art florissant, éclos des dizaines ou des centaines de millénaires auparavant, fruit d’une civilisation dont nous ne pouvons appréhender la grandeur ? Civilisation de ces ancêtres sublimes et quelque peu effrayants que l’on retrouve dans les mythologies et les auteurs de fiction fantastique ? Lovecraft, Jean Ray, Poe…

*

Un village où la nature reprend ses droits… — Voilà ce que l’on retrouve en bas de vignette d’une photo oùchat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec la verdure recouvre les rues et les maisons d’un village abandonné. Image et commentaire rousseauistes. La nature existe pour produire de la conscience, hisser le mental au niveau du supramental et, pour cette fin, l’humain est encore son meilleur agent conscient, connu de nous, sur cette planète – malgré ses failles et ses dérives. Lorsqu’elle écrase les ouvrages humains sous ses feuillages, elle agit par automatisme ; elle ne révèle ni n’affirme aucune primauté du machinal sur le conscient. Elle est l’outil de l’Intelligent Design et ses droits sont ceux de l’Esprit en évolution.

L’auteur…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon chat qui louche maykan alain gagnondu Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet) ; récemment il publiait un essai, Fantômes d’étoiles, chez ce même éditeur .  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Abécédaire : Le romantisme, par Alain Gagnon…

17 juin 2015

Abécédaire sur Alice et quelques autres objets du devenir… 

 

Romantiques — Les poètes romantiques étaient – sont encore !  – les victimes d’une folie douce. D’agréable fréquentation, mais des illusionnés profonds.  Voir dans la Nature une confidente ou une marâtre ; y percevoir de l’empathie ou de l’indifférence hautaine.  Lamartine, Musset, Hugo, Vigny…  De merveilleux magiciens, mais de méchants ébahis !

Ce poème de Friedrich Nietzsche exprime clairement ma pensée :

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie

Nietzsche

Un voyageur va dans la nuit,

va d’un bon pas ;

vallée tortue et longue montée,

il les emprunte.

La nuit est belle, il va sans trêve

et sans relâche.

Où mène sa route ? Il n’en sait rien.

Un chant d’oiseau traverse la nuit :

« Hélas, oiseau, qu’as-tu fait là ?… »

Et le voyageur reproche à l’oiseau de l’avoir distrait de sa quête, de sa douleur, de l’avoir consolé… Et l’oiseau lui répondra qu’il n’a cure du voyageur, qu’il appelait une femelle dans les hautes branches et qu’il n’a cure de sa peine.

Deux mondes qui se compénètrent et s’ignorent. Influent involontairement l’un sur l’autre, toutefois.

La Nature ne prend sens, pour nous, que si nous la sortons du bucolique, de l’idyllique, de l’élégiaque ; si nous n’y cherchons point un sein tiède où nous réconforter.  Nous la découvrons alors source de nos besoins et pourvoyeuse du nécessaire à les combler.  Elle nous a également munis de ces caractéristiques spécifiquement hominales : la capacité pour le sujet humain de se prendre comme objet et de travailler à sa propre cocréation – de se finir, de se parachever ; et de finir et de parachever, en la surmontant, la Nature même, notre mère.  Est-elle la génitrice qui a enfanté, dans l’ignorance, des rejetons qui la briseront, la materont, la transformeront au point où elle ne se reconnaîtra plus ? Ou un tel aboutissement dialectique est-il inhérent à son être, à une planification rectrice du devenir ?  Par tempérament, j’incline vers la seconde proposition.

Mais, dans un cas comme dans l’autre, il m’apparaît insensé d’attendre de sa part empathie ou compassion.

Hors la tragédie, tout est babiole.


Le romantisme : Abécédaire…(62)

30 septembre 2014

Abécédaire sur Alice et quelques autres objets du devenir…

Romantiques — Les poètes romantiques étaient – sont encore !  – les victimes d’une folie douce. D’agréable fréquentation, mais des illusionnés profonds.  Voir dans la Nature une confidente ou une marâtre ; y percevoir de l’empathie ou de l’indifférence hautaine.  Lamartine, Musset, Hugo, Vigny…  De merveilleux magiciens, mais de méchants ébahis !

Ce poème de Friedrich Nietzsche exprime clairement ma pensée :

 

chat qui louche maykan maykan2 alain gagnon

Nietzsche

 

 

Un voyageur va dans la nuit,

va d’un bon pas ;

vallée tortue et longue montée,

il les emprunte.

La nuit est belle, il va sans trêve

et sans relâche.

Où mène sa route ? Il n’en sait rien.

Un chant d’oiseau traverse la nuit :

« Hélas, oiseau, qu’as-tu fait là ?… »

Et le voyageur reproche à l’oiseau de l’avoir distrait de sa quête, de sa douleur, de l’avoir consolé… Et l’oiseau lui répondra qu’il n’a cure du voyageur, qu’il appelait une femelle dans les hautes branches et qu’il n’a cure de sa peine.

Deux mondes qui se copénètrent et s’ignorent. Influent involontairement l’un sur l’autre, toutefois.

La Nature ne prend sens, pour nous, que si nous la sortons du bucolique, de l’idyllique, de l’élégiaque ; si nous n’y cherchons point un sein tiède où nous réconforter.  Nous la découvrons alors source de nos besoins et pourvoyeuse du nécessaire à les combler.  Elle nous a également munis de ces caractéristiques spécifiquement hominales : la capacité pour le sujet humain de se prendre comme objet et de travailler à sa propre cocréation – de se finir, de se parachever ; et de finir et de parachever, en la surmontant, la Nature même, notre mère.  Est-elle la génitrice qui a enfanté, dans l’ignorance, des rejetons qui la briseront, la materont, la transformeront au point où elle ne se reconnaîtra plus ? Ou un tel aboutissement dialectique est-il inhérent à son être, à une planification rectrice du devenir ?  Par tempérament, j’incline vers la seconde proposition.

Mais, dans un cas comme dans l’autre, il m’apparaît insensé d’attendre de sa part empathie ou compassion.

Hors la tragédie, tout est babiole.


Le romantisme, par Alain Gagnon…

19 juillet 2014

Abécédaire sur Alice et quelques autres objets du devenir…

Romantiques — Les poètes romantiques étaient – sont encore !  – les victimes d’une folie douce. D’agréable fréquentation, mais des illusionnés profonds.  Voir dans la Nature une confidente ou une marâtre ; y percevoir de l’empathie ou de l’indifférence hautaine.  Lamartine, Musset, Hugo, Vigny…  De merveilleux magiciens, mais de méchants ébahis !

Ce poème de Friedrich Nietzsche exprime clairement ma pensée :

 

Nietzsche

 

 

Un voyageur va dans la nuit,

va d’un bon pas ;

vallée tortue et longue montée,

il les emprunte.

La nuit est belle, il va sans trêve

et sans relâche.

Où mène sa route ? Il n’en sait rien.

Un chant d’oiseau traverse la nuit :

« Hélas, oiseau, qu’as-tu fait là ?… »

Et le voyageur reproche à l’oiseau de l’avoir distrait de sa quête, de sa douleur, de l’avoir consolé… Et l’oiseau lui répondra qu’il n’a cure du voyageur, qu’il appelait une femelle dans les hautes branches et qu’il n’a cure de sa peine.

Deux mondes qui se compénètrent et s’ignorent. Influent involontairement l’un sur l’autre, toutefois.

La Nature ne prend sens, pour nous, que si nous la sortons du bucolique, de l’idyllique, de l’élégiaque ; si nous n’y cherchons point un sein tiède où nous réconforter.  Nous la découvrons alors source de nos besoins et pourvoyeuse du nécessaire à les combler.  Elle nous a également munis de ces caractéristiques spécifiquement hominales : la capacité pour le sujet humain de se prendre comme objet et de travailler à sa propre cocréation – de se finir, de se parachever ; et de finir et de parachever, en la surmontant, la Nature même, notre mère.  Est-elle la génitrice qui a enfanté, dans l’ignorance, des rejetons qui la briseront, la materont, la transformeront au point où elle ne se reconnaîtra plus ? Ou un tel aboutissement dialectique est-il inhérent à son être, à une planification rectrice du devenir ?  Par tempérament, j’incline vers la seconde proposition.

Mais, dans un cas comme dans l’autre, il m’apparaît insensé d’attendre de sa part empathie ou compassion.

Hors la tragédie, tout est babiole.


Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

17 avril 2014

Une artiste nommée Terre

  La Terre est magnifique ! Grandiose. Des paysages insolites, des couleurs hallucinantes ! Des tableaux sublimes rio-cano-cristales-river-of-five-colours-columbia-6qui nous émeuvent. Les deux pieds sur Terre, nous regardons, avons le cœur chamboulé. La beauté crée du bonheur à l’intérieur. Je l’ai déjà écrit. David Hume a d’ailleurs souligné que « la beauté des choses existe dans l’esprit de celui qui les contemple. » La beauté est personnelle, et connexe au bonheur. L’âme triste ne reconnaît pas le beau, et la beauté souffle de la lumière dans la tristesse.

La Terre est belle donc. Parce qu’elle est diversifiée, nous surprend. Francis Bacon écrivait : « Toute beauté remarquable a quelque bizarrerie dans ses proportions. » C’est en effet par ces « bizarreries » que la Terre nous éblouit. Si vous avez voyagé, vous avez peut-être admiré la Vague aux Coyotes au Vermillon Cliffs National au Colorado. Ou le Grand Orismatic Spring au parc américain de Yellowstone. Ou encore les terres aux sept couleurs de Chamarel sur l’Île Maurice. Des lieux mythiques parmi tant d’autres, des lieux vénérés pour leur beauté. *

Les pieds bien posés au sol, nous nous extasions. Or, il est rare que nous ayons la chance de voir la Planète bleue du ciel. Bien sûr, nous avons à l’esprit la majesté de la Terre aperçue de l’espace. Le bleu des océans, le brun des continents, le blanc des pôles et des sommets nous fascinent, nous intimident. Un malaise nous envahit, nous nous sentons petits.

TchadD’un peu plus près, la Terre se transforme en artiste, crée des tableaux qui n’ont rien à envier aux Picasso et Michel-Ange de ce monde. Des clichés de ces chefs-d’œuvre regorgent sur le site de l’Agence spatiale européenne, des clichés des Envirosat, Kompsat-2 et autres satellites, des clichés qui révèlent ce que nous savions déjà : la Majesté de la Planète bleue.

Une image vaut mille mots. Je vous propose donc les 15 000 mots en images du portail web du Nouvel Observateur dans une sélection de 15 photos des œuvres inédites de cette artiste brillante, trop souvent négligée, ou méprisée : la Terre.

Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/galeries-photos/photo/20131009.OBS0333/grand-format-la-terre-vue-depuis-l-espace.html

 © Jean-Marc Ouellet 2014

Notice biographique

Jean-Marc Ouellet grandit dans le Bas-du-Fleuve. Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, il pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, de janvier 2011 à décembre 2012, il a tenu une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. En avril 2011, il publie son premier roman,  L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis un article, Les guerriers, dans le numéro 134 de la revue MoebiusChroniques d’un seigneur silencieux, son second roman, paraît en décembre 2012 aux Éditions du Chat Qui Louche.  En août 2013, il reprend sa chronique bimensuelle au magazine Le Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Billet de L’Anse-aux-Outardes, par Claude-Andrée L'Espérance…

13 avril 2014

L’autre versant de la montagne…

La montagne m’attendait.  J’aurais pu faire mes bagages.  Partir sans même me retourner.  Mais la montagne m’attendait.DSCN2174

Ses mots à lui avaient tranché

« Je ne sais pas comment te le dire…  Mais depuis quelque temps, j’ai une copine qui, bientôt, viendra s’installer chez moi. »

Et le soir même, me laissant seule dans sa grande maison, il était allé la rejoindre.

« Un de perdu, dix de retrouvés ! »

S’était exclamée une amie en apprenant la nouvelle.  Propos qui se voulaient rassurants, mais qui ne firent qu’exacerber ma peine.  Et, étendue sur mon lit, incapable de trouver le sommeil, j’avais passé la nuit à regarder s’afficher les minutes et les heures au cadran lumineux du radio-réveil.  Puis l’aube était venue.  Et dans la clarté de l’aube, la montagne qui, derrière la maison, m’attendait.

Dans la montagne, point de chemin.  À peine la trace d’un petit sentier.  Qui va en louvoyant à travers la forêt et disparaît au pied des crans*.  Ensuite, il faut grimper.  Et, tant bien que mal, tenter de s’agripper à la pierre tout en cherchant des points d’appui.  Et pendant que j’amorçais péniblement ma montée, mon chien, lui, courait devant.  Loin devant.

J’avais commencé l’ascension, le corps brisé, la tête lourde.  Quand, parvenue à mi-chemin, je sentis se dissiper ma fatigue et s’alléger ma tête.  Sans doute le fait de voir la maison peu à peu s’éloigner puis disparaître dans la vallée n’y était pas étranger.  Car j’atteignis le sommet dans un état second.  Et là, en regardant à mes pieds se dévoiler le paysage, j’eus soudain envie de m’envoler.

Sur le sommet de la montagne, point de chemin.  Pas même la trace d’un petit sentier.  Mais une forêt de conifères, parmi lesquels disséminés, quelques bouleaux et peupliers.  Est-ce l’odeur des épinettes ou le vert tendre des jeunes feuilles toutes baignées dans la lumière de ce précieux matin de mai qui vint à bout de ma raison ?  Car soudain mue par l’obsession de découvrir d’autres points de vue, j’errai là-haut un long moment.  Sans découvrir d’autres points de vue.  Que l’infini de la forêt…  Et pendant que mon chien courait devant.  Loin devant.  Moi, incapable de revenir sur mes pas, je commençais à m’inquiéter.

montagneJ’errai encore un long moment quand, au hasard, je découvris juste à mes pieds un filet d’eau.  Dévalant l’autre versant de la montagne, un petit ruisseau.  Et bientôt dans la forêt au gargouillis de ses eaux et au bruit feutré de mes pas vint s’ajouter dans le lointain le grondement sourd d’un moteur.  D’abord une scie.  Puis plusieurs scies qui, dans un concert improvisé, semblaient se donner la réplique.

Quelques traces sur le sol me menèrent à un abattis.  Arbres tombés, branchailles** et cordes de bois***, j’avançais à tâtons à travers ce fouillis quand un premier bûcheron se tourna vers moi.  Puis un deuxième.  Et un troisième…  L’un après l’autre, saluant mon passage d’un regard, d’un signe de tête, d’un sourire ou de quelques mots gentils.  L’un d’eux prit même la peine d’écarter quelques branches de mon chemin.

Étaient-ils quatre, cinq ou six ?  Sept, huit, neuf ou dix ?  Je ne sais plus.  Mais je me souviens pourtant très bien que c’est le dernier, le tout dernier des bûcherons rencontrés sur mon chemin, qui m’escorta vers la sortie.

 * Cran : rocher à fleur de terre

** Branchailles : branches d’arbres jonchant le sol

*** Corde de bois : amas de bois débité et empilé régulièrement

Notice biographique

Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée à la fois par les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, àdscn025611 force d’y vivre, ont fini par en prendre la couleur. Installée aux abords du fjord du Saguenay, en marge d’un petit village forestier et touristique, elle partage son temps entre sa passion pour l’écriture et le métier de cueilleuse qui l’entraîne chaque été à travers champs et forêts.  Elle est l’auteure des photographies qui illustrent ses textes.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Billet de L’Anse-aux-Outardes, par Claude-Andrée L'Espérance…

16 février 2014

Sous la glace, il y a l’eau vive

Sur la page blanche, il y a des jours où les mots viennent et disparaissent.  Des jours où parfois onDSCN5180 s’empresse à y tracer de fausses pistes.  De fausses pistes en fausses pistes.  Autant de mots que l’on biffe. Mais à quoi bon noircir des pages pour aussitôt les raturer  ?  Et on se dit, dans ces moments, que le silence vaudrait bien mieux que tout ce mal à être au monde.  Quand on a peine à balbutier.

De marées hautes en marées basses, passent les jours, passent les nuits, j’attends la suite en me disant que sous la glace, il y a l’eau vive.

« Les jours rallongent, dit mon voisin.  On a déjà passé le cap. » Le cap de quoi ?  Je n’en sais rien. Peut-être le point de non-retour.  Ce doux moment où l’on constate, à voir plus tôt se pointer l’aube, qu’il n’est désormais plus possible de vivre l’hiver à rebours.

« Les jours rallongent », dit mon voisin.  C’est ce qu’il me répète chaque année.  Au même moment ou à peu près.  Réplique suivie d’un long silence et de nos regards qui se portent vers le fjord et vers le rivage.

Et moi, de marées basses en marées hautes, en attendant la suite, je m’empresse à sitôt chausser mes raquettes pour dans les bois faire les cent pas.  Et aller lire dans la neige toutes ces histoires racontées. Toutes ces empreintes qu’avec le temps et l’habitude j’ai appris à interpréter.  Jusqu’à en percevoir l’animal.  Jusqu’à en imaginer sa démarche.  Un pas de course, un pas léger.  Là, le renard s’est arrêté.  Au pied d’un arbre, une cache, un terrier ?  Souris sylvestre ou campagnol ?  Dans la forêt, un peu plus loin, le pas plus lourd, l’empreinte plus large du coyote.  Et là-bas sous les noisetiers, imprimées dans la neige fraîche, les ailes, la queue en éventail d’une gélinotte, l’instant d’avant son envolée.  Tous ces parcours qui se croisent comme autant d’histoires sans paroles.

Mais je ne sais quel animal, pattes dans la neige et ventre au sol, s’est glissé jusqu’à la rivière.

Fortes marées de la nouvelle lune.  Les eaux ont envahi la baie.  La rivière fait entendre un murmure. Mais bientôt, des battures, les eaux vont se retirer.  De marées hautes en marées basses, passent les jours, passent les nuits.

Quand la nuit tombe, quelquefois, un petit animal farouche, sur la galerie de la maison, subrepticement vient se nourrir des graines que l’on donne aux oiseaux.  Nerveux, il se déplace par bonds ou bien à petits pas furtifs.  Comme s’il était toujours en fuite.  Actif la nuit comme le jour, on l’a affublé de plusieurs noms : polatouche, assapan, écureuil volant.  Chez moi il s’est présenté il y a peu et depuis, chaque soir, je l’attends.  Et les soirs où il ne se montre pas, j’avoue humblement qu’il me manque.  Pourtant, parfois, il suffit que je me demande s’il viendra pour le voir aussitôt apparaître.  Alors, immobile, je l’observe.  Sauf quand, trop occupée, j’oublie.

DSCN5183Et c’est ainsi qu’un certain soir où, à ma table, j’errais sans but.  De fausses pistes en fausses pistes.  À en noircir la page blanche.  Juste au moment où je m’apprêtais à en biffer chacun des mots.  J’eus l’idée de lever la tête pour un moment apercevoir derrière la vitre du salon les grands yeux noirs, les grands yeux ronds de l’animal qui me regardait…

Et moi, de retour sur la page noircie de toutes ces lignes entremêlées, là où l’instant d’avant je n’avais cru repérer que quelques fausses pistes, j’ai, tout à coup, vu, un à un, les mots se placer autrement et la page enfin s’animer.

Notice biographique

Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée àla fois par les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, àdscn025611 force d’y vivre, ont fini par en prendre la couleur. Installée aux abords du fjord du Saguenay, en marge d’un petit village forestier et touristique, elle partage son temps entre sa passion pour l’écriture et le métier de cueilleuse qui l’entraîne chaque été à travers champs et forêts.  Elle est l’auteure des photographies qui illustrent ses textes.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Les couleurs de Virginie, par Virginie Tanguay…

12 novembre 2013

Renouveau

      Je perçois la vie comme un jeu où nous sommes les acteurs ayant le privilège d’écrire notre scénario.  Il est possible, à chaque moment, d’être le maître de ses désirs et de s’adapter à son environnement.  Tout au long de notre parcours de vie, il y a des obstacles parfois difficiles à surmonter.  Un événement triste pour quelqu’un peut sembler anodin pour un autre.  Cela dépend de notre perception.  Je choisis de voir le bon côté des choses.

 En cette douce matinée, une écharpe de neige recouvre la campagne.  Ce blanc pays, qui revient à chaque fin d’automne, fait valser les flocons et dessèche les roseaux.  La dormance s’installe et la clarté du jour s’amoindrit.  C’est à ce moment précis que la féerie me comble de joie.  Même si la température est souvent incommodante, elle m’énergise.

 La première neige offre des paysages sous un nouveau jour, bénéfique pour l’inspiration et la création d’œuvres d’art.  Également, elle rappelle à plusieurs d’entre nous un souvenir.  Pour ma part, elle coïncide avec le jour de notre naissance, à mon frère jumeau et moi.  À ce que l’on dit, nous étions enlacés l’un à l’autre.  Nous avions décidé de vivre malgré un pronostic de mort, vu notre prématurité.  Donc, pour moi, les tempêtes qu’apporte l’hiver sont un symbole de chaos qui se résorbe.  J’apprécie la blancheur de notre belle province.

  Profondément enraciné, l’arbre, dès les premiers frimas, s’adapte pour survivre à l’hiver.  Tranquillement, l’énergie vitale n’est plus destinée aux feuilles, car elles mourront de toute évidence.  Après avoir présenté ses multiples couleurs, les pétioles se détachent et le sol accueille les feuilles évanouies.

 Les animaux sauvages ont un instinct puissant et sont débrouillards.  Les ours noirs hibernent dans leur tanière tapissée de plantes ligneuses.  À l’abri des rafales et dans l’obscurité de leur hutte, les castors se blottissent.  Nues et inoffensives, les grenouilles des bois trouvent refuge sous les litières forestières.  Ayant le luxe de pouvoir voler, les oiseaux migrateurs fuient vers des lieux plus exotiques.  Décidément, dame nature travaille fort pour qu’il y ait harmonie.  Je suis choyée de passer l’hiver dans le confort de mon foyer.

 Dans quelques mois, je réaliserai que les pierres non loin des berges luisent sous un soleil ardent, que les ruisseaux inondent les plaines, que les hirondelles rentrent au bercail et qu’une bruine rafraîchit ma peau.  J’entendrai l’écho du coassement des grenouilles qui voudront s’accoupler, et pointeront les pousses tendres des arbres.  Que c’est beau la vie !


Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

3 octobre 2013

Le grain de Terre

  

Terre au loin sous les anneaux de Saturne

Où étiez-vous le 19 juillet dernier ?  Au travail ?  En vacances, chez vous, au chalet, sous d’autres cieux ?  Vous ne vous en souvenez pas ?  Eh bien, moi, je vais vous le dire où vous étiez !  Regardez la photographie ci-contre.  Vous étiez là, sur ce minuscule point de lumière, juste au-dessus de la flèche.  Sur la Terre !

Pas de truquage.  Une photo de notre planète à partir d’un point de vue inédit, unique, tout près de Saturne et de ses mythiques anneaux à 1400 millions de kilomètres de nous.  Cliché saisi par la sonde Cassini avec un appareil datant des années 1990 (la sonde nous a quittés en 1997) et rendu public par la NASA.  Imaginez : en zoomant à l’infini, nous pourrions nous y observer dans le bouchon de circulation, sur le terrain de golf ou à la plage.  De quoi se sentir petit.

L’univers est immense, et nous sommes minuscules, des grains de sable agités et belliqueux dans la jungle florissante et paisible de la nature.  Nous regardons le ciel, n’y remarquons que quelques fades nuages glissant sur une coupole bleu uniforme, nous croyons que la limite du monde est là, juste au-dessus de notre tête.  Dans son poème Le Couvercle, Charles Baudelaire a écrit : « Le Ciel !  Couvercle noir de la grande marmite où bout l’imperceptible et vaste humanité. » Inconscients de notre insignifiance dans l’univers, présumant de la suprématie de notre état, nous forgeons un quotidien égoïste, trop souvent au mépris de l’autre.  « Le néant, c’est l’univers sans moi. » écrivait le poète et écrivain français, André Suarès.  Nous vivons notre propre univers, un microcosme passager, fragile, indécis, restreint, pendant que l’univers s’éternise dans la cohérence et l’ordre.  « Il n’existe que deux choses infinies, l’univers et la bêtise humaine… mais pour l’univers, je n’ai pas de certitude absolue. » ironisait Albert Einstein.

L’humanité est bête.  Son désordre étonne puisque sa raison lui attribue des avantages irréfutables.  Bernard le Bovier de Fontenelle disait : « Si la raison dominait sur terre, il ne s’y passerait rien. » Sans aucun doute !  Quelle sérénité ce serait !  En lieu et place, le gâchis est manifeste, un fatras que l’humanité s’ingénie à infliger à la nature, si ordonnée, si harmonieuse.  Motivée par sa propre jouissance, elle fait fi de son insignifiance, ne communique plus avec ce qui la dépasse.  Pourtant, il suffit de si peu.    « Je ne puis regarder une feuille d’arbre sans être écrasé par l’univers. » témoignait Victor Hugo.  Pendant ce temps, l’univers insondable se rit de l’humanité.  Pourquoi s’intéresserait-il à un grain de lumière dans l’immensité ?  « L’avenir de l’humanité n’a d’intérêt que vu d’en bas », disait le grand dramaturge Bertolt Brecht.

Nous sommes humains !  Êtres prodigieux, doués de raison.  Mais limités, imprévisibles.  Nous sommes des électrons libres dans l’infini.  Retrouvons notre orbite, participons à l’Harmonie, avant qu’Elle nous néantise.

Et pour les nombrils du monde incrédules : scrutez le point lumineux sur le cliché.

Vous apercevez-vous ?

Source : http://sciencesetavenir.nouvelobs.com/espace/20130723.OBS0679/en-images-la-terre-vue-depuis-saturne.html

© Jean-Marc Ouellet 2013

Notice biographique

Jean-Marc Ouellet grandit dans le Bas-du-Fleuve. Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, il pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, de janvier 2011 à décembre 2012, il a tenu une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. En avril 2011, il publie son premier roman,  L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis un article, Les guerriers, dans le numéro 134 de la revue MoebiusChroniques d’un seigneur silencieux, son second roman, paraît en décembre 2012 aux Éditions du Chat Qui Louche.  En août 2013, il reprend sa chronique bimensuelle au magazine Le Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Billet de Milan*, par Clémence Tombereau…

1 septembre 2013

Joute céleste à l’Île chienne

L’œil regarde sans trop voir. Des volutes blanchâtres s’effilochent lentement, fumée imperceptible rayant l’azur placide.

Invité par la mer vers laquelle il coule avant de s’y noyer, l’œil se détourne alors. Il délaisse les cieux et la paupière cille, subjuguée de lumière.

Le bleu marine miroite, se casse en mille vaguelettes qui clapotent méticuleusement, ornées çà et là d’une timide crête d’écume. Sur les galets somnolents, l’eau vient et se retire, laissant entendre de drôles d’applaudissements luisants. Un bruit rond qui marie le liquide à la pierre. Un roulis de cailloux.

Rassasié, affligé par la réverbération des rayons sur les ondes, le regard cherche un repos et retourne vers la montagne mate, veloutée, sûr de s’ancrer dans du dur. Les laiteuses traînées se sont métamorphosées.

Les premiers temps, ce ne sont que des chatouillements doux, de ces jeux tendres où l’on se frôle sans oser s’affronter. Des frémissements timides en guise de prémices. Quelques oiseaux téméraires viennent gifler de leurs ailes l’air maintenant épais. Gonflé, le vent s’invite à la joute céleste qu’il compte bien gagner. Indolemment, les montagnes frissonnent et les hostilités sont plus qu’entamées. Les éléments se rangent en ordre de bataille.

Gorgées d’eau et grises désormais, les nuées filandreuses s’accrochent ardemment à la roche, semblent y laisser des plumes, des voilettes chenues.

Les monts déchiquetés, peu à peu, dissipent leurs contours, se nimbent de brouillard, jeunes mariées brunes empesées dans leur voile.

Dans un solide silence les masses vaporeuses s’agglutinent, caracolent pour écraser la terre de leur douceur factice.

Un grondement terrible sonne l’hallali d’un assaut tumultueux. Le silence s’enfuit, rapide vers d’autres horizons.

Les éléments s’assaillent. L’œil abasourdi et l’oreille assourdie se font les spectateurs d’un enfer naturel. Le ciel et la pierre s’entrechoquent sans merci ; chacun vient fracasser son armure sur l’autre.

Nul vainqueur ici.

Ciel, terre et mer s’en retournent dos à dos.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née  à Nîmes en 1978. Après des études de lettres classiques, elle a enseigné le français en lycée pendant cinq ans.  Elle vit actuellement à Milan, en Italie.  Finaliste du prix Hemingway en 2005, lauréate cette année du concours littéraire organisé par le blogue Vivre à Porto, elle a contribué à la revue littéraire Rouge-déclic (numéro2) et elle nourrit régulièrement un blogue que vous que vous auriez intérêt à visiter :http://clemencedumper.blogspot.com/  (Clémence Tombereau vient de publier aux Éditions du Chat Qui Louche Fragments, un recueil de billets que vous pouvez vous procurer en version numérique pour un prix plus que modique à l’adresse suivante :http://www.editionslechatquilouche.com/)


Chronique d’humeur, par Jean-Pierre Vidal…

9 janvier 2013

Les sauvages ordinaires et la richesse

« Quand le naturel l’emporte sur la culture, cela donne un sauvage ; quand la culture l’emporte sur le naturel, cela donne un pédant.  L’exact équilibre du naturel et de la culture produit l’honnête homme. »  Confucius

Le vieux sage chinois du VIe siècle avant Jésus-Christ répartissait là l’humanité en trois catégories dont il semble, à regarder nos sociétés, que la première soit en passe de prendre le dessus sur les deux autres, réduites désormais à la portion congrue.  Encore faut-il bien préciser, pour éviter toute ambiguïté, que l’honnête homme dont parle Confucius, ce n’est pas celui que n’inquiètera jamais la Commission Charbonneau, mais cet idéal, d’abord de la Renaissance, puis des Lumières qui reprenait l’idéal grec de l’homme kalos kagathos, « beau et bon ».  Évidemment beau et bon dans son âme et son intelligence, qu’alliez-vous donc penser, égarés que vous êtes par la réputation des Grecs ?

De ces trois catégories, celle des pédants est pratiquement en voie d’extinction, car pour être pédant, il faut au moins avoir quelques connaissances un peu hors du commun puisqu’on veut, justement, épater le commun.  Celles de nos contemporains qui pourraient mériter ce qualificatif semblent se rétrécir année après année, l’école et les médias contribuant résolument à cet amenuisement.  La pédanterie a, de nos jours, complètement changé de sens.  Nul n’est pédant parce qu’il connaît le nom de tous les animateurs dynamiques qui sourient plus ou moins vrai sur tous les réseaux de télé en animant des shows débiles, ou parce qu’il connaît le nombre de buts comptés par tel ou tel la saison dernière.  En vérité, on est désormais pédant lorsqu’on sait qui était saint Jean-Baptiste ou qu’on ne croit pas pouvoir voir la Russie depuis l’Alaska, comme une certaine inénarrable candidate américaine s’en disait naguère capable.

Et je sais de quoi je parle, moi qui ai mis fin à ma carrière d’enseignant parce que je commençais à voir de la haine, oui, de la haine, dans les yeux de certains étudiants à qui je voulais, quelle idée !, apprendre quelque chose qu’ils n’auraient trouvé ni dans les médias ni dans l’air du temps.

Le complot involontaire

De cet état des choses humaines, en ce début de l’an 2013, nul n’est nommément responsable, pas même la finance ou les méchantes multinationales.  Certes, elles y sont l’une et les autres pour beaucoup, puisqu’un ignorant est toujours le meilleur acheteur, surtout dans le domaine culturel.  Mais si elles ont leur part de responsabilités dans l’ignorance galopante qui nous submerge, c’est sans concertation, sans décision claire et franche en ce sens.  Si complot il y a, c’est plutôt celui des circonstances, pente fatale, biais funeste qu’insensiblement a pris notre civilisation.

Seule notre lâcheté ou notre indifférence donnent raison à ces soi-disant lucides qui prétendent que cette évolution est inévitable, qu’elle est conduite par l’épreuve des faits et qu’il faut, par exemple, réduire davantage encore nos misérables états, déjà confits en impuissance, pour que ceux qui nous tiennent par le portefeuille aient pleine licence de nous dominer encore plus.  La liberté n’est plus que celle d’exploiter sans entraves ni freins.  Et l’on veut nous faire croire que du bien-être, de la connaissance, de la culture, de l’art même naîtront tout naturellement de cette bride lâchée.

Car nous sommes bien à l’ère orwellienne des paradoxes présentés comme des évidences, des pétitions de principe assimilées à des faits, des idéologies données pour réalités indépassables.

En ces temps de fêtes où l’on fait des bilans et où des résolutions se prennent, il est également coutume d’épingler les bourdes, les erreurs et les ridicules des gens des médias tels que les médias eux-mêmes les ont enregistrés pour nous en faire complaisamment rire.  Mon blooper à moi, pour cette fin d’année, est attribuable à une journaliste de Radio-Canada, déclarant sans rire, et je cite textuellement, car ce genre de choses ne saurait s’inventer, que tel site Internet s’est donné pour but de « démocratiser la consommation, un rabais à la fois ».  Je ne savais pas que la consommation était un sport d’élite et demandait donc à être démocratisée.  Il me semble, au contraire, que la porte close qu’on veut ainsi défoncer est déjà démesurément ouverte et que vouloir démocratiser la consommation, c’est un peu comme vouloir diviniser Dieu ou rendre la culture de masse plus accessible : on appelle ça voler au secours de la victoire.

Et la résistance passive

Heureusement, on assiste à la résistance passive des populations ; au moins de celles des pays riches qui ne veulent plus travailler comme le répète constamment Lucien Bouchard, tout simplement parce qu’elles ne veulent pas engraisser encore par leur travail ceux qui sont déjà gras dur ; parce qu’elles ne veulent pas, non plus, payer un prix extravagant pour les dettes qu’on les a presque forcées de faire, comme une maladie vénérienne incurable dont on paierait presque toute une vie le bref instant de plaisir qui nous l’a fait contracter.  Certains biens, en effet, présentés comme indispensables, mais surtout rendus irrésistibles par la publicité, atteignent leur date de péremption avant même qu’on ait fini de les payer.  La jouissance est d’autant plus courte que le prix à payer en est durable.

Peut-être qu’à force de démocratisation, la machine économico-médiatico-politique qui broie les individus va devoir ralentir ou même s’arrêter, faute de consommateurs pour la faire tourner : chômeurs, faillis, licenciés, dégraissés de tous les pays n’auront même plus besoin de s’unir pour mettre cette civilisation à bas, comme les prolétaires d’autrefois rameutés par Marx et Engels.  Il leur suffira d’être ce qu’ils sont et d’être de plus en plus nombreux à l’être pour que la branche du crédit et de la consommation, sans laquelle notre société n’aurait plus d’assise, se retrouve complètement sciée.  Par ceux qui nous avaient installés dessus !

J’entends dans tout cela comme un concert de casseroles qui poserait les questions des étudiants et de ceux, dont je suis, qui les ont appuyés : qui, au juste, devrait faire sa juste part ?

Et surtout, qu’entend-on par « créer de la richesse » ?  Et qu’est-ce donc, pour nous, que la « richesse » ?

S’il est des questions qu’on peut, à bon droit, dire « de civilisation », c’est bien celles-là.

Notice biographique

PH.D en littérature (Laval), sémioticien par vocation, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis l’ouverture de l’institution, en 1969. Fondateur de la revue Protée, il a aussi été chercheur et professeur accrédité au doctorat en sémiologie de l’Université du Québec à Montréal. Il a d’ailleurs été professeur invité à l’UQAM (1992 et 1999) et à l’UQAR (1997).

Outre de nombreux articles dans des revues universitaires et culturelles, il a publié deux livres sur Robbe-Grillet, un essai dans la collection « Spirale » des Éditions Trait d’union, Le labyrinthe aboli ; de quelques Minotaures contemporains (2004) et deux recueils de nouvelles, Histoires cruelles et lamentables (Éditions Logiques 1991) et, cette année, Petites morts et autres contrariétés, aux éditions de la Grenouillère.  De plus, il vient de publier Apophtegmes et rancœurs, un recueil d’aphorismes, aux Éditions Le Chat Qui Louche.

Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). Il a préfacé plusieurs livres d’artiste, publie régulièrement des nouvelles et a, par ailleurs, commis un millier d’aphorismes encore inédits.

Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec, Société et Culture.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Billet de l’Anse-aux-Outardes, par Claude-Andrée L’Espérance…

6 janvier 2013

Nous aurons au nord une fenêtre aveugle

Le vent du nord dans la maison vide.  Sous nos pas, des éclats de verre.

À la fenêtre, un carreau éclaté.  Faudra y mettre un carton noir.  Dans le poêle, des fumées âcres, des cendres grises, du bois encore humide, le feu qui hésite, s’étouffe et s’éteint.  Et le froid qui se glisse à travers le silence et les mots.

Tu dis : « Je vais chercher du bois sec. »

Des bûches de bois et des brindilles, des pages de journaux chiffonnés, une allumette entre mes doigts engourdis.  Brûle le bois.  Brûlent les jours.

Ce soir, sur ton visage endormi, un rai de lune.  Bientôt, à la faveur d’un rêve, sur tes traits de vieillard, un enfant.  Un jeune enfant qui prend chair et qui s’anime.  Debout au milieu du sentier, muet, immobile, il regarde la neige tomber.  Et la neige tombe, tombe et tombe jusqu’à former écran entre nous et le ciel.  Et la neige tombe, tombe et tombe jusqu’à plus d’horizon, jusqu’à plus de traces, jusqu’à plus d’histoire.  Parcours, tracés, empreintes, bientôt dans la neige tombée, il n’y a plus rien à lire, plus rien.  Et nous voici, tous les deux au milieu du sentier, cherchant en vain des traces de l’enfant.

Tu dis : « Tu vois bien, il n’y a jamais eu d’enfant, à force d’insomnies nos rêves ont déserté nos nuits, le jour ils nous rattrapent… »

Et moi je n’entends plus que le vent qui souffle la neige à travers le clair-obscur de tes mots.

Le silence dans la maison vide.  À la fenêtre au carreau éclaté, tu as posé un carton noir.  N’entre plus, conquérant, ni le jour, ni la nuit, ni le vent du nord.

Dans le poêle se consume lentement le cœur d’un arbre.  Brûle le bois.  Brûlent les jours.  Un peu du monde à notre table où tu as étalé le journal.

Tu dis : « Comme autrefois la route des fourrures et celle des chercheurs d’or, bientôt tous les chemins mèneront vers le Nord. »

De l’eau bouillie dans la théière sur quelques feuilles de thé innu*.   Trop loin ce Nord aux aurores boréales.  Trop loin ce Nord aux nuits d’alcool et d’enfants inquiets.

Tu dis : « Bientôt les dieux qui nous dévorent se montreront exigeants.  Terra incognita, il n’y a plus désormais de terres à découvrir, mais des continents enfouis sous les continents.  Sur les cartes les boussoles continueront de pointer vers le nord, mais ce sera le Nord des Compagnies, le Nord des stratèges militaires, le Nord des nouvelles routes maritimes. »

Dehors, sous le couvert des aulnes une perdrix cherche sa pitance.  Dans l’air glacé, nos souffles nous précèdent et nos pas nous mènent à l’abattis.  Passage des bêtes et gestes des hommes.  Chemins et champs repris en friche.  Enfouis sous la neige, quelques arbres tombés.  Éparpillés çà et là, à travers l’abattis, pour la suite de l’histoire, de petits monticules de bois vert.

Dans la neige nos pieds traceront de mémoire un chemin…

_______________________

* Lédon du Groenland.

Notice biographique :

Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée à la fois par les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, à force d’y vivre, ont fini par en prendre la couleur. Installée aux abords du fjord du Saguenay, en marge d’un petit village forestier et touristique, elle partage son temps entre sa passion pour l’écriture et le métier de cueilleuse qui l’entraîne chaque été à travers champs et forêts.  Elle est l’auteure des photographies qui illustrent ses textes.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Chronique des idées et des livres… par Frédéric Gagnon

1 février 2011

Des idées et des Livres

De Maupassant, de Schopenhauer et de quelques considérations scandaleuses…

Publié pour la première fois en 1885, Bel-Ami de Maupassant est un roman réaliste qui nous révèle les dessous du journalisme, de la politique et

Frédéric Gagnon

du capitalisme dans le Paris de la seconde moitié du XIXe siècle.

Le personnage principal s’appelle Georges Duroy.  C’est lui, le Bel-Ami.   C’est un jeune homme pauvre, un ancien sous-officier.  Monté dans la métropole pour faire fortune, il travaille au bureau des chemins de fer du Nord et gagne un salaire de crève-la-faim.  Mais dès le chapitre premier, un hasard heureux se manifeste en la personne de Forestier, un ancien compagnon d’armes devenu journaliste.  Constatant l’impécuniosité de Duroy, Forestier décide de le prendre sous son aile.  Duroy deviendra ainsi reporter, chef des échos et enfin rédacteur politique à La Vie française, journal qui appartient à M. Walter, juif déjà fortuné qui deviendra cinquante fois millionnaire grâce à une transaction frauduleuse.

L’intérêt du roman repose en grande partie sur la carrière fulgurante de Bel-Ami, qui n’hésitera pas à se servir des hommes et des femmes dans une course qui le conduira au sommet de l’ordre social.  Ce personnage sans vergogne est une bête parfaitement adaptée aux tropiques d’un univers où tout s’achète, où tout se vend.  Georges Duroy est un égoïste, il ignore les remords et les conflits moraux ; c’est un monstre de désir, talentueux mais sans profondeur d’esprit ; il appartient à cette race qui obtient toujours les faveurs des femmes, de toutes les femmes.  Cette dernière remarque semblera peut-être odieuse ; ce qu’il faut savoir, c’est que Maupassant était grand lecteur de Schopenhauer, philosophe allemand qui publia en 1819 un ouvrage considérable, Le Monde comme volonté et comme représentation.  Or Schopenhauer soutient que l’univers entier est la manifestation d’une force désirante, qu’il nomme volonté, volonté

Guy de Maupassant

qui est une mais qui subit l’illusion de sa multiplicité dans le jeu des phénomènes.  La volonté étant donc l’essence de tout ce qui est, chacun dans ce monde (aussi bien l’homme qu’un arbre ou un animal) recherche les conditions optimales de sa propre existence, ce qui ne manque pas d’engendrer, vous l’aurez deviné, une lutte universelle dans laquelle sont engagés tous les individus.  Seul échappe à ce sort, qui se répète d’une génération à l’autre, le génie.  C’est là une personne singulière chez qui l’intellect l’emporte sur les forces instinctives, alors que normalement l’intellect est au service des instincts.  Saisi par la vision d’une Idée (eh oui ! Schopenhauer n’en était pas à un vice près, ce cher antimoderne croyait aux Idées de Platon), le génie enfante des œuvres qui font toute la grandeur de la culture humaine.  Mais si l’apport de cet être d’exception est inestimable, force est de constater que l’empire exclusif de l’intellect sur sa personne est contraire aux lois de la nature.  En fait, si le but de l’existence (comme le croient les darwinistes) était la seule survie, il faudrait admettre que ceux dont les facultés servent de puissants désirs sont de loin supérieurs au grand artiste qu’animent des visions transcendantes : le calculateur d’un entendement certain joue parfaitement son rôle dans cette tragi-comédie écrite d’avance que l’on nomme vie sociale.  Or voilà, Georges Duroy est dépourvu de toute grandeur morale ; mais il est ingénieux et doué d’un vouloir ferme, il sait tirer profit de circonstances et d’aléas dans lesquels, rétrospectivement, on voit un destin ; et la femme, sans doute si proche de la vie parce qu’elle donne la vie, cédera invariablement devant un tel individu, alors que son instinct l’éloigne de l’homme génial.

Ces considérations sur les rapports entre les sexes choqueront sans doute certains lecteurs.  Aux objections que l’on serait tenté de formuler,

Schopenhauer

j’opposerai ceci : répondez-moi en toute sincérité et dites-moi si ce ne sont pas les volontaires, et non les imaginatifs, les penseurs, qui ont le plus de succès auprès des dames.  Un réaliste, je n’en doute pas, admettra que nos motivations amoureuses sont souvent fort primitives.  Une jeune fille est excitée par la force d’un homme, puis elle lui trouve du génie ; un jouvenceau admire la beauté d’une femme, puis il croit lui trouver des vertus.  Voilà le genre de méprises dont les moralistes et les auteurs comiques pourront nourrir leur œuvre durant l’éternité.   Point de vue cynique, pensez-vous ?  Ne serait-ce pas celui de ce vieux Darwin dont la modernité vante sans cesse la théorie ?  En tout cas, c’est là une conception du sexe qui rejoint Maupassant et son philosophe préféré ; toutefois mon but, dans mes chroniques, n’est pas de convaincre, mais de susciter la réflexion.  Je vous l’ai déjà dit, je suis à peu près convaincu que nous sommes plongés dans un profond sommeil, un sommeil métaphysique.  Or je mise sur cette idée que l’interrogation passionnée des grands auteurs peut nous mettre sur le chemin de notre éveil.  Je crois, cependant, que leurs œuvres, même celles des plus grands, ne sont pas la Voie, mais le doigt qui nous indique la voie à suivre : à nous de savoir lire les signes.  Il va sans dire que les conclusions d’un Schopenhauer ou d’un Maupassant sont contestables, mais ce sont là des esprits d’une immense profondeur : on gagne toujours à les fréquenter.  Enfin, il ne faudrait pas passer sous silence ce fait que Guy de Maupassant est non seulement un fin observateur, mais également un très grand écrivain.  On ne louera jamais assez son style.  Sa phrase est généralement courte, souvent incisive ; en quelques traits, il nous permet de saisir un personnage, une situation.  Modèle d’économie, l’écriture classique de Maupassant ressemble aux mouvements gracieux de naïades qui dansent au-dessus du néant.  Légèreté et profondeur, tel serait le maître-mot de cet auteur (ce qui n’est pas sans rappeler Mozart).  Tout est si violent et immoral dans Bel-Ami, et pourtant tout est si aérien, si lumineux par la grâce d’une voix dont le chant est l’un des plus purs de la littérature française.  Il faut lire Maupassant, se pénétrer de ses phrases, et comprendre que le style n’est pas une vaine ornementation, mais une pensée singulière qui rayonne et vit en chacun de ses éléments.

Bel-Ami est une œuvre forte, une œuvre belle.  Guy de Maupassant nous montre la vie telle qu’elle est, et non telle qu’on la souhaiterait.  C’est en ce sens un maître, tout comme ce philosophe allemand qu’il admirait.

*   *

*

On retrouve Bel-Ami dans plusieurs collections de poche.  On peut se le procurer pour la somme modique de 3,95$ chez Pocket.

Les amateurs de cinéma seront sans doute heureux d’apprendre que Bel-Ami vient de faire l’objet d’une adaptation, aux États-Unis, mettant en vedette Uma Thurman (sortie prévue en 2011).

À ceux qui désireraient s’initier à la pensée de Schopenhauer, je ne saurais trop conseiller un recueil de textes intitulé Esthétique et métaphysique, paru dans la collection du Livre de Poche.  On retrouve, par ailleurs, Le Monde comme volonté et comme représentation chez Quadrige / PUF et, en deux tomes, dans la collection Folio Essais.