Texte, et magies du texte…
(suite)
5. Faire confiance au texte. (Les mots attirent les mots, les phrases, les phrases…) Il est agile, cursif. Il a besoin d’air frais, de vent ; de notre pauvreté, de notre nudité. Il ne demande qu’à entraîner dans ses chevauches farouches. Laisser courir le texte comme court l’esprit, là où il veut. Il mène en des pays dont on ne saurait rêver, dresse sur les paysages intérieurs des idéaux plus fous que les plus fous idéalismes.
6. J’ai échappé le fil de ma narration… Impossible. Il n’appartient pas à l’auteur de le tenir. La trame repose dans le récit, et le récit respire dans le texte. Peut-être même les bouts en sont-ils noués. Le texte attend la nudité, la vacance. Le lien sommeille dans les hautes herbes des accumulations mentales – des peurs surtout, de ses vanités et de ses caprices d’auteur. …révéler l’art et cacher l’artiste… (Oscar Wilde) Sois humble. Humble et patient. Tais-toi.
7. Lors des premières rencontres avec des lecteurs, je parlais d’abord de moi, pour ensuite en venir à mes ouvrages. Un peu plus tard, je parlai d’abord de mes romans ou poèmes, pour en venir à ma biographie. Ce que je tente maintenant : parler des textes, de mes rencontres avec le texte en création, à l’interstice de la conscience et des mots, où la lucidité vacille, se cherche — c’est le plus difficile, le plus intime, le plus imprécis, le plus exigeant. C’est une tout autre aventure, et c’est cet hiatus que je voudrais combler, narrer, partager. Possible hors du poème ?
8. Le texte est un outil de connaissance de soi. C’est par cela qu’il vaut, comme la musique. Non une connaissance qui s’en tiendrait à une lucidité utilitaire, comme le voudraient la caractérologie ou les examens de conscience traditionnels — chercher ses failles, ses qualités, ses défauts… Une véritable connaissance de soi, comme la voulait ce Grec, Socrate. Une interrogation sur sa nature profonde, son appartenance au règne hominal : — Qu’est-ce un être pensant, à volonté plus ou moins libre et qui réfléchit ? — Qu’est-ce un être conscient de sa mort et qui se veut immortel ? — Qu’est cette conscience, ce mental, qui suscite les questions et accorde des réponses qui se réverbèrent en abîme, jusqu’à l’infini ? Quelles sont les sources de l’angoisse, du manque, du sentiment d’incomplétude ?
9. Le mot texte : du latin textus, tissu. On peut en faire un voile, dont la fonction sera d’occulter. Une tapisserie qui remémore et narre. Ou encore une voile de navire, à faseillement de voyage et d’espoir.
10. Il est dans la nature d’un poème de nager en marge du texte. Il vaut par son appartenance à la marge. Ne lui conviennent ni la grève ni l’abîme.
11. Notre langue d’ici, rocailleuse, hachurée et chuintante parfois. Trop pleine d’eau et de glaise. C’est pourtant de cette eau et de cette glaise que doit naître le texte, que doit surgir le chant.
[12. La seule façon de donner cohérence, un semblant de limpidité à ses rencontres avec le texte, c’est la reconnaissance de Dieu, de la transcendance en soi, au plus intime. Pas un de ces démons criminels, demi-fous et foudres de guerre qui hante plusieurs textes sacrés, mais le Dieu du silence, celui de la fidélité quiète à sa créature. Celui qui rehausse, synthétise, résume accorde sens à l’esthétique — et à son éthique.]
(Chants d’août, Éd. Triptyque)
Notice biographique
Auteur prolifique, d’une forte originalité thématique et formelle, Alain Gagnon, ce marginal de nos lettres, a publié, à l’hiver 2011, Le bal des dieux, son trente-septième ouvrage. À deux reprises, il a remporté le Prix fiction-roman du Salon du Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, soit en 1996 et en 1998, pour ses romans Sud et Thomas K. Il a également remporté, à quatre reprises, le Prix poésie du même Salon : en 2004, pour son recueil de poèmes Ces oiseaux de mémoire, en 2006, pour L’espace de la musique, en 2009, pour Les versets du pluriel et en 2012 pour Chants d’août. En 2011, il avait obtenu le Prix intérêt général pour son essai Propos pour Jacob. Il a été le président fondateur de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES-CN) et responsable du projet des collectifs Un Lac, un Fjord, 1, 2 et 3. Il déteste la rectitude politique et croit que la seule littérature valable est celle qui bouscule, dérange, modifie les paysages intérieurs – à la fois du créateur et des lecteurs. De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé et de directeur littéraire aux Éditions de la Grenouille bleue, une nouvelle maison liée aux Éditions du CRAM, qui se consacrait à la littérature québécoise. Il continue de créer et gère présentement un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche. On peut lui écrire directement à : alain.gagnon28@videotron.ca