Un conte de Noël de Jean-Marc Ouellet…

18 décembre 2016

Le petit renne qui détestait Noël

 

Cette histoire me vient de mon grand-père. Elle lui avait été racontée par son père qui l’avait lui- alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, québecmême entendue de la bouche du Père Noël. Je comprends vos soupirs sceptiques. Mais en vérité, le vieil homme en vacances qui la lui avait racontée par un soir de juillet au bar d’une auberge du Vieux-Québec, portait de longs cheveux blancs, une longue barbe blanche et s’y connaissait en affaires du Pôle Nord. De plus, le lendemain de leur étrange rencontre, à son réveil, mon arrière-grand-père n’avait plus son pied bot. Mais ça, c’est une autre histoire.

Nous savons tous que le cheptel de rennes du Pôle Nord comprend cent cinq spécimens, dont cent, chaque année, sont attelés au traîneau du Père Noël pour le grand périple de la nuit de la Nativité. Ces bêtes ne sont pas éternelles. Elles vivent cent ans. Le lendemain de Noël, alors que le plus âgé, à cent ans et après quatre-vingt-quinze périples autour du monde, rejoint ses ancêtres au paradis des rennes, un nouvel animal naît. À l’époque des événements, pendant leurs cinq premières années, les plus jeunes se préparaient pour la tâche qui leur serait attribuée à leur cinquième Noël. Pendant leur formation, ils s’entraînaient fort. Ils couraient dans l’herbe, la boue, le sable et la neige, bien sûr, afin d’être fin prêts pour le grand jour.

Or, cette année-là, celle de la transcendance du légendaire Rudolf au nez rouge, un renne difforme naquit. On l’appela Hudor. En fait, il n’était pas si difforme. Il ne lui manquait qu’un sabot, mais pour un renne, un renne du Père Noël de surcroît, cela équivalait à une catastrophe. On évoqua plusieurs hypothèses pour expliquer le drame. On accusa d’abord la fée Carabosse de s’être vengée de la Fée des glaces pour une histoire d’échange de baguettes magiques qui avait mal tourné. On soupçonna aussi le magicien d’Oz, mais on s’est finalement souvenu de son absence de pouvoirs. On songea à Voldemort, le méchant sorcier qui haïssait les humains moldus. L’hypothèse fut cependant rapidement rejetée, le lutin Philominatoriophus invoquant la nature romanesque du personnage. On finit donc par accepter le rôle injuste du destin dans l’évènement, les principales questions s’imposant rapidement : qu’allait-on faire de l’avorton, et surtout, quel avenir attendait Noël sans une relève adéquate ? Au fil d’années de moqueries et de questionnements, Hudor se sentit rejeté. On l’accusait d’être inapte à la tâche, que handicapé comme il était, il ne pourrait jamais franchir les centaines de milliers de kilomètres indispensables au droit de retrouver les anciens au paradis des rennes. En effet, lors des entraînements, Hudor chutait, traînait à l’arrière, sanglotait, sous les sarcasmes de ses congénères. Les lutins-entraîneurs hochaient la tête de découragement. Ils soupiraient. Même le Père Noël s’inquiétait. Que devrait-il faire quand le tour d’intégrer l’équipe du petit malformé viendrait ? Hudor aussi se le demandait. Chaque nuit de Noël, quand l’aîné des apprentis s’éloignait pour la première fois avec l’équipage, le jeune renne au moignon soupirait. Lui, il ne pourrait jamais vivre cette aventure. Il se sentait rejeté et l’arrivée de Noël lui rappelait amèrement sa différence, une différence qui le privait de la joie d’aimer la Fête. Cette aversion atteignit son paroxysme un mois avant le Noël de sa cinquième année quand, pour le bien de l’équipe et de la fête de Noël, un comité spécial réunissant les lutins-entraîneurs, deux représentants des rennes et le Père Noël lui-même choisit d’écarter Hudor et d’intégrer plutôt dans l’équipe le renne de quatrième année. Humilié, l’exclu renâcla, brailla, grogna. Sous les quolibets de ses compagnons, il décida de fuir. Errant seul dans la toundra enneigée, il ragea, souhaita la fin de la harde et surtout, la disparation de la fête de Noël. Un jour, alors qu’il se tenait au sommet d’un pic et qu’il exhortait les dieux d’être enfin justes avec lui, il perdit pied et tomba dans le vide. Imaginant l’autodestruction, on aurait pu le retrouver au fond du gouffre. C’était sans compter le miracle.

Le soir même, quand Hudor réintégra la harde, c’était la panique. On lui apprit qu’au lendemain de Noël, pour la première fois dans l’histoire connue, aucun renne n’était né. Ainsi, dans la cinquième année qui suivrait, il n’y aurait pas de remplaçant du Vénérable, comme on appelait l’aîné de la troupe. Plusieurs fois, les lutins-entraîneurs se réunirent. On soupçonna les dieux de les punir pour avoir rompu avec la tradition le Noël précédent en intégrant un renne de quatrième année. Les dieux leur en voulaient sans doute et envisageaient peut-être d’éliminer Noël et, par le fait même, de dissoudre le troupeau. Or, pendant les mois d’incertitudes qui suivirent, Hudor trima dur. Il s’entraînait avec les autres et, en solitaire, il peaufinait son secret. Le 1er décembre vint enfin. Le comité spécial se réunit de nouveau. Il avait peu de choix. Soit ils apaisaient les dieux en permettant à Hudor d’intégrer l’équipe au risque de retarder le périple, soit ils optaient encore pour le renne de quatrième année, un animal paresseux, plus ou moins prêt pour la tâche. Les lutins-entraîneurs ayant remarqué la hargne du handicapé, c’est non sanstraineaunuit réticences et avec de fortes discussions qu’ils désignèrent Hudor. Le soir de Noël, on l’attela donc à l’arrière des quatre-vingt-dix-neuf autres membres de l’équipe. Nerveux, le Père Noël lança enfin le signal. L’équipage s’ébranla sur la neige. Sur le traîneau, les cadeaux remuèrent et se fixèrent à leur place définitive. Confiant, Hudor jouissait. Enfin, il démontrerait sa valeur. L’équipage n’avait pas franchi le dixième kilomètre quand, tout doucement, l’équipage se souleva. Les sabots quittèrent la surface de la neige et de la glace. Stupéfaits, les rennes s’agitèrent. Leurs pattes battaient à tout vent pour redescendre sur le plancher des rennes. En vain. Infailliblement, l’attelage se hissait dans les airs et plus les pattes s’agitaient, plus vite l’équipage filait dans les cieux. Surpris, apeuré au début, le Père Noël comprit enfin. Il abaissa les yeux vers le petit renne installé en queue de peloton. Concentré sur une activité intérieure intense, Hudor avait les yeux fermés. Il sentit sans doute le regard porté sur lui. Un instant, il rouvrit les yeux, tourna la tête et, resplendissant de bonheur, fit un clin d’œil au vieil homme.

On dit que cette nuit-là, pendant des heures et des heures, un long rire grave résonna dans le ciel. On dit aussi que, depuis cette nuit magique, Noël ne fut plus jamais le même. Mais ça, c’est une autre histoire.

Joyeuses Fêtes à tous ! alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, québec

© Jean-Marc Ouellet 2016

Notice biographique

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Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, Jean-Marc Ouellet pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, il signe une chronique depuis janvier 2011 dans le magazine littéraire électronique « Le Chat Qui Louche ». En avril 2011, il publie son premier roman, L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis Chroniques d’un seigneur silencieux aux Éditions du Chat Qui Louche. En mars 2016, il publie son troisième roman, Les griffes de l’invisible, aux Éditions Triptyque.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Noëlissimement vôtre… Ou : La complainte de le Mère Noël…, par Sophie Torris…

23 décembre 2015

Balbutiements chroniques

Monsieur Le Chat,

Je préfère vous dire la vérité tout de suite. Je ne suis pas Sophie Torris. Je lui ai refilé un pot de vin pour qu’elle me donne sa place le temps d’une chronique.chat qui louche maykan alain gagnon francophonie L’écriture n’est pas ma tasse de thé, mais j’en ai trop gros sur la patate. Il me fallait d’une manière ou d’une autre prendre la parole et cracher le morceau. Je ne suis pas du genre soupe au lait d’habitude, mais là, il y a un os. Trop, c’est trop !

My name is Christmas, Marie Christmas.

La mère Noël, c’est moi. It’s me. Soy yo. Det är yag. Ni mimi. Es ist mir e tutte le lingue !  Je suis la mère Noël, citoyenne du monde. Je ne vais pas vous faire un dessin. Trop rouge, trop ronde, trop gentille. Et comme j’ai de la bouteille et bien je vais m’en servir un petit verre pendant que vous, Le Chat, vous boirez mes paroles. Minuit chrétien ou pas, c’est l’heure solennelle pour mettre les pieds dans le plat, et je tiens à vous la jouer bien salée avant de me mettre à sucrer les fraises.

Je n’irai donc pas avec le dos de la cuillère puisque tout est en train de tourner en eau de boudin. Nous nageons bel et bien en pleines bacchanales. Car oui, Noël est le temps par excèsllence de toutes les incontinences. Je ne vous raconterai pas de salades, c’est devenu du grand n’importe quoi.

Ého ! Jouez hautbois ! Raisonnez quelqu’un !

Ne me dites pas que le marchand de sable est passé. Ce n’est pas l’heure de faire dodo. Et ne comptez pas sur moi pour m’en aller sifflant, soufflant dans les grands sapins verts, comme si de rien n’était.

La mère Noël a les boules. Permettez qu’elle enguirlande.

Prêt Le Chat ? On s’tire une bûche, on a du pain sur la planche. Qui, selon vous, mérite de se prendre le premier sapin ? Où commencent les excès, les outrances, les débordements, les abus, les orgies, les exagérations, les… ? Stop ! Et voilà que je surabonde moi aussi ! C’est la fin des haricots, j’ai le synonyme en rang d’oignon. Suis-je contaminée ? Les carottes sont cuites. Il me faut dénoncer au plus vite.

Voyez-vous, monsieur Le Chat, je me demande comment on peut encore attendre Noël avec impatience quand on ne nous laisse plus le temps de le rêver ? Quand on nous le brade, à trop bon marché, bien avant l’heure ? Quand, un soir d’Halloween, on ne trouve déjà plus dans les rayons des grands magasins qu’un maigre butin de bonbons gluants sous des tonnes de décoration de Noël en kit chinois ? Quand, en tête de gondole, les calendriers de l’Avent se vendent comme des p’tits pains deux mois avant Noël parce qu’on veut saisir la bonne aubaine d’un 2 pour 1 ?  Quand, en un soir de fringale, on boulotte sans culpabilité aucune, les deux premières semaines de chocolat du premier calendrier en se disant que, de toutes les façons, on en a un deuxième ?

J’en pleure mes madeleines quand je me souviens du temps où la nuit de Noël était elle-même un cadeau. Les souliers alignés devant la cheminée et la course joyeuse et fraternelle des pieds nus autour du sapin. Ça sentait bon la résine, la dinde pleine de farces et la famille. Et le plus petit, si fier, qui devenait si grand sur les épaules du père, bras tendus vers la cime, accrochant l’inaccessible étoile. Ça valait son pesant de cacahouètes, n’est-ce pas, Le Chat ?

Sur les microsillons, Tino Rossi faisait l’unanimité. Aujourd’hui, tout le monde y va de son chant mélodi-eux. L’artiste chante Noël pour mettre du beurre dans ses épinards. Et comme ils veulent tous le beurre et l’argent du beurre, disons qu’il finit par naître beaucoup le divin enfant et que le 25 décembre, on n’a plus du tout envie de fêter son avènement. Juste le goût de claquer le beignet à celui qui entonne une fois de trop l’hymne des cieux.

Glo-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-ri-haaaaaaaaargmmmff !

Et pourtant, à minuit, le petit Jésus rassemble tout le gratin. Les églises débordent de bons sentiments. Les coqs en pâte s’y serrent comme des sardines. Ah qu’ils sont beaux, ah qu’ils sont charmants, ah que leurs grâces sont parfaites. Ô douce nuit, ô sainte nuit. Ils mangent le bon Dieu…. et caguent le Diable. Car ça donne de la conserve à la Saint-Vincent-de-Paul et des gros billets à la guignolée, mais, entre vous et moi, Le Chat, c’est du grand Guignol tout ça !  On a perdu nos  cœurs d’artichaut.

Pendant ce temps, mon époux descend du ciel avec ses jouets par milliers… – que dis-je ? – par millions – pour des enfants qui sont tous les jours pas sages et qui ne savent plus demander pardon. Et si par un malheureux hasard, il manque un cadeau à sa liste, le chérubin devient dur à cuire, le père reste comme deux ronds de flan, la mère pédale dans la semoule et la veillée, qui avait pourtant bien commencé, risque de devenir un four. Sans tambour ni trompette, param pam pam pam, au grand galop s’en va le traineau avec ses grelots.

Alors, l’estomac dans les talons, on finit par réussir à amadouer le petit en promettant qu’on mettra les bouchées doubles au Boxing Day. Rien d’excessif, vous en conviendrez, Le Chat, dans le fait d’aller faire le poireau quelques heures devant des magasins pris d’assaut et de braver un champ de chignons prêts à se crêper pour un 10 % de rabais.

On peut enfin casser la croûte en cassant du sucre sur le vieux monmononc’ Jean-Guy qui, entre deux vins, fait des yeux de merlans frits à la cousine belle à croquer de Montréal qui se laisse cuisiner le dos en pensant au jour où le vieux pingre mangera les pissenlits par la racine.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieNon ! Je ne mettrai pas d’eau dans mon bain, mon train-train… mon vin. Appelez-moi donc Nez Rouge, tiens ! J’ai un peu bu Le Chat, je l’avoue. Être la mère Noël de nos jours, ce n’est pas de la tarte, et à l’approche des fêtes de fin d’année, moi aussi j’ai tendance à abuser des nourritures terrestres. Ainsi soit-il. C’est peut-être cette fée des étoiles plus jeune que moi ou le recrutement de lutins qui tend à se féminiser ? Y’a de la coquine autour de sa bedaine, mon père Noël.

Parfois je crie, car ça penche un peu. C’est l’instant d’effroi. Puis je souris, car après tout, j’ai le cœur amoureux et le bout du nez froid. Ho di up, ho di up ohé, ohé du traineau !

Je rentre au pôle Nord, monsieur Le Chat. Quel sain défouloir que cet espace virtuel. Je ferme dès à présent ma boîte à camembert pour vous laisser peut-être, lecteurs, ajouter un grain de sel aux commentaires. Il faut faire choux gras de mes alarmes – voulez-vous ? – et ne pas hésiter surtout à contredire les excès de colère d’une vieille bonne femme trop rouge, trop ronde, trop gentille.

Marie Christmas

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieSophie Torris est d’origine française, québécoise d’adoption depuis 15 ans. Elle vit à Chicoutimi où elle enseigne le théâtre dans les écoles primaires et l’enseignement des Arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire. Parallèlement à ses recherches doctorales sur l’écriture épistolaire, elle entretient avec l’auteur Jean-François Caron une correspondance sur le blogue In absentia à l’adresse:http://lescorrespondants.wordpress.com/.

Un conte de Noël de Karine St-Gelais…

12 décembre 2015

Des traces dans la neige — une fiction tirée de faits…

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La dame…
Les cheveux au vent, les yeux larmoyants, une vieille sillonne son quartier bien-aimé. La neige fond sous ses pieds nus. Une seule pensée l’obsède, son réveillon, ses enfants et le chaud sourire de son mari. Comme un doux souvenir, un air qui résonne sans cesse dans sa tête, le tout devient une tendre obsession, comme la beauté de sa jeunesse. C’est pour cette raison qu’elle affronte le froid ce soir. Heureusement, une soirée douce s’annonce, sans rafales, qu’une simple neige qui chatouille ses épaules devenues rondes avec le temps. Elle rabat son châle de laine sur sa poitrine et le serre contre elle. Enfin, la maison qui hante ses rêves depuis quelque temps apparaît ! « Je suis de retour chez moi », se dit-elle tout bas.
Elle entend les rires et les chants qui ont ravi ses Noëls d’antan. Elle est émue. Un miaulement lui rappelle que ses pieds la font souffrir et que la lune est déjà haute dans le ciel. « Je vais être en retard », dit-elle au gros matou qui l’accueille en effleurant ses jambes frêles.
Elle s’avance sur la petite véranda et cogne timidement à la porte. Personne ne répond. « C’est la fête à l’intérieur. Ils doivent déjà manger les petits plats que j’ai passé des jours à préparer », pense-t-elle. Tourtière, pâtés, desserts et beignes maison lui réchauffent le cœur. Elle grelotte, ce qui lui donne le courage de cogner plus fort ! Enfin, elle croit voir une silhouette féminine arrivée dans le hall. C’est Thérèse, sa fille, son aînée. Son visage s’illumine, l’univers brille de nouveau dans ses yeux.
Les habitants de la maisonnée…
Isabelle ouvre la porte, s’exclame : « Oh, mon Dieu ! » Quelle surprise se tient avec peine et misère sur son perron enneigé ! Elle fait un signe à sa sœur Catherine qui arrive alertée par ses cris. Cette dernière prépare alors un café chaud et apporte une couverture. La musique et les éclats de rire s’arrêtèrent soudainement. La famille est bouche bée devant cette vision, on dirait un fantôme, un ange oublié dans la neige. Sa chevelure emmêlée, couleur poivre et sel, contraste avec son maquillage de mauvais gout. Elle porte une tenue chic, mais négligée. Ses pieds presque bleus et son regard vide ont vite fait d’alarmer les occupants qui s’agitent dans tous les sens pour venir au secours de cette âme perdue.

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— Allo, Thérèse, dit doucement la dame en caressant la joue d’Isabelle. Désolée d’être en retard, continue-t-elle…
Les fêtards se regardent d’un air perplexe. Cette dame semble vraiment les connaitre ? Isabelle l’amène avec elle et l’assoit délicatement.
— Ghislain a bien décoré le salon, comme toujours, ajoute la dame après quelques minutes d’hésitation, tout en goûtant le réconfort que lui procure son doux foyer.
Son dentier trop grand claque entre chaque mot qu’elle a peine à prononcer. Elle veut se lever. Isabelle la rassoit et joue le jeu.
— Reste là, maman, bien au chaud. Voici ton café, comme tu l’aimes. Lui dit Isabelle en la recouvrant avec tendresse.
— Merci, ma chouette, tu es gentille. J’ai eu une grosse soirée au travail.
— Tu as faim, maman ?
Sur ce, Catherine a compris qu’elle devait préparer une assiette à la gentille dame.
— Oui, merci. Hum ! Ça sent bon, répond-elle.
Isabelle arrête soudain son regard sur le bracelet de la dame. Un bracelet comme ceux de l’hôpital, blanc et cartonné. Elle sait bien que cette gentille dame ne travaille plus aujourd’hui. Le nom, Cécilia Tremblay, y est inscrit, mais commence à s’effacer. Le scénario devient plus évident pour la famille qui entre avec cœur dans le monde de la belle Cécilia qui croit être chez elle. La musique reprend, les pas de danse aussi, et le réveillon continue de plus belle. Cécilia tape des mains, chante, mange et boit de bon cœur. Dans le brouhaha, Éric, le conjoint d’Isabelle, lui avoue qu’il a appelé la police en allant à la salle de bain. Isabelle le remercie, sachant bien que quelqu’un devait chercher cette charmante vieille dame. La musique s’arrête de nouveau sous les coups qui résonnent dans le hall. La fête prend une pause. Cécilia, qui ne se doute de rien, demande qui a eu le culot d’arrêter la musique. Les policiers arrivent dans l’aire ouverte qui relie cuisine, salle à manger et salon. Cécilia, vieille, mais pas folle, se lève, prête à s’enfuir. Isabelle la prend doucement par les épaules et reprend le jeu.
— Maman, maman ! N’aie pas peur ! Tu es malade, tu as les pieds couverts d’engelures, il faut aller à l’hôpital.
— Non ! crie Cécilia. Pas en plein Noël, non ! s’agite la dame.
— Oui, Cécilia ! Il le faut, continue Éric avec autorité, espérant qu’elle reconnaisse en lui son Ghislain adoré.
— D’accord mon amour, dit-elle en se blottissant contre le torse d’Éric un peu surpris.
— C’est le plus beau des Noëls, ne cesse de marmonner madame Tremblay sur son départ.
— Au revoir, tout le monde. Je serai sur pieds pour venir fêter le Jour de l’An avec vous.
Étrangement, au Jour de l’An, une carte de souhaits atterrit dans la boite aux lettres d’Isabelle. À l’intérieur, un message de la part de l’infirmière de la Résidence d’à côté. Un mot de remerciement ainsi qu’une petite note explicative. L’infirmière y décrit la maison qu’a construite le mari de Cécilia dont Isabelle et Éric sont maintenant les heureux propriétaires. Tout s’explique. Ghislain est mort d’une crise cardiaque, très jeune. Thérèse ne parle plus à sa mère depuis plusieurs années, à la suite de querelles familiales. Malgré son Alzheimer, les souvenirs de madame Tremblay furent les plus forts ce soir-là et l’ont poussée à retrouver ses racines. Isabelle ouvre la porte d’entrée et arbore un sourire en voyant les traces de Cécilia dans la neige. Maintenant, à chaque réveillon, lorsque la famille entend cogner, un petit pincement au cœur les assaille.

Joyeux Temps des Fêtes ! Karine.

Notice biographique :

Karine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous avons aimé ce conte plein de fraîcheur et de naïveté enfantineschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophoniequ’elle nous offre.  Laissons-la se présenter.  « Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.  Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.  Au plaisir de vous rencontrer sur mon blog:http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey »

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Un conte de Noël de Jean-Marc Ouellet…

10 décembre 2015

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À l’heure de minuit…

(C’est avec un immense plaisir que nous accueillons cet ancien collaborateur que tous regrettent. A.G.)

Le vieil homme est couché sur la table d’opération, calme, malgré la douleur. En traversant la porte, je fronce les sourcils. Quelques minutes plus tôt, alors que nous l’attendions, nous n’avions pu retenir quelques quolibets à propos de son nom. Han Pedro Friedrich Fitzgerald Hector Noël. Outre son interminable prénom, c’est son nom de famille qui nous amusait : Noël. Nous sommes le soir du 24 décembre. Toute l’équipe est de garde. Nous aurions préféré être avec nos proches, nous préparer au réveillon, festoyer, mais la vie est ainsi faite qu’on peut être malade une veille de Noël et que des soignants doivent être au poste.
Je suis donc là, interdit dans cette salle froide, loin de la chaleur familiale, de ma chérie, de mes enfants, devant ce vieil homme à la barbe immaculée qui lui retombe sur la poitrine, ce vieillard aux cheveux blancs, tellement longs et drus que le chapeau de salle d’opération échoue à les recouvrir. Je me tourne vers les infirmières, endigue un fou rire et leur lance un clin d’œil. Nous étions vraiment en présence du Père Noël ! Gardant ma contenance, je m’approche de l’homme, étendu et prêt pour sa chirurgie, une laparotomie pour une diverticulite perforée. Une idée rigolote me vient, une pensée que je m’abstiens de partager : pauvres petits enfants du monde qui n’auront pas de cadeaux ce soir. Je souris sous mon masque.
— Bonsoir, Docteur Ouellet, me dit-il lorsque j’arrive à ses côtés.
Présumant qu’il avait appris mon nom de la bouche d’un membre du personnel, je le salue à mon tour, me présente, lui pose les questions d’usage et lui explique la suite des choses. Je m’installe ensuite pour l’intraveineuse quand j’aperçois des larmes lui rouler sur les joues. Touché, je lui demande si quelque chose ne va pas. Ses yeux humides se tournent vers moi.
̶— Ça va, docteur. C’est juste que… c’est juste que… vous le savez sans doute, ce soir, normalement, ce serait un soir extraordinaire pour moi… C’est Noël… Qui distribuera les présents aux enfants sages du monde ?
Wow ! Il en a fumé du bon, ce monsieur ! Ce quidam se prend vraiment pour le Père Noël ! Mais bon. Je suis un professionnel. Alors… on ne contredit pas un patient malade, de surcroît, en délire.
̶— Ouais, c’est vrai. Ce n’est pas vraiment le bon moment pour être malade que je lui réponds comme j’aurais répondu à n’importe quel patient en cette veille de Noël.
J’installe donc l’intraveineuse, puis récupère les seringues de médicaments qui soulageront le spleen de mon monsieur Noël. J’amorce l’induction de l’anesthésie, mon patient tourmenté reste calme. Nos regards se croisent. Des yeux bons, affreusement tristes.
̶— Tout ira bien. Respirez bien, lui dis-je avec ma voix la plus rassurante possible.
̶— Moi, je sais que ça ira. J’ai confiance en vous. Je pleure pour mes pauvres petits qui n’auront pas leurs étrennes. C’est injuste pour eux.
Son délire est profond. La fièvre sans doute. Je suis prêt à jouer le jeu.
̶— Ah, vous savez… si je le pouvais, je vous remplacerais bien, affirmé-je, sans trop y réfléchir.
Il braque son regard dans le mien. Un sourire pointe à travers les poils de sa barbe. Tout en injectant le dernier médicament, je souris aussi. Pour lui démontrer toute ma compassion ̶ pour sa maladie, un peu pour son délire ̶ je lui touche le visage. Sa fièvre se répand à ma main, à mes bras, à mon sang. Puis s’éteint alors que monsieur Père Noël sombre dans l’abysse du sommeil pharmacologique.
Tout s’est bien déroulé. La chirurgie se termine deux heures plus tard, sans encombre. Chacun sera chez soi pour festoyer. Moi aussi, quoique moi, je ne ferai pas la fête. Je suis de garde. Par ailleurs, chez nous, c’est le 25 décembre que ça se passe. Mon Père Noël usurpateur sort sans encombre du néant et je quitte l’hôpital, le cœur bercé par le devoir accompli.
En arrivant à la maison, faisant le moins de bruit possible, je me glisse dans le lit où mon amoureuse dort comme une enfant. Le petit bec donné, je m’endors aussitôt.
chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, QuébecQuand je me réveille, mon cadran affiche minuit moins une. Mon amoureuse dort paisiblement. Au-delà de la fenêtre, une neige volage descend du ciel. J’ai soif. Je me lève, sors de la chambre, descends l’escalier et rejoins la cuisine où je me verse un grand verre d’eau que je bois tout en regardant par la fenêtre. Soudain, de mon grand érable, une masse sombre chute à travers les branches et s’affale sur le sol immaculé. Que se passe-t-il ? Ai-je rêvé ? C’est trop gros pour un écureuil, un chat ou un chien. De toute manière, les chiens ne grimpent pas aux arbres. Un raton laveur ? Non, la masse est trop grosse. Alors… ? Rien de mieux que d’aller voir. Toujours en pyjama, j’ouvre la porte arrière et m’approche de la chose. Elle se relève. Je me préparais à la poursuivre, mais la créature me fait face.
— Joyeux Noël, docteur Ouellet, me lance-t-elle d’une voix aigüe et nasillarde. Je dois travailler avec toi cette nuit. Après toutes ces années avec ce vieux grincheux, ça fera du bien.
Je ne le vois pas très bien. La blancheur de la neige ne suffit pas à révéler les détails. Il est petit, a l’air déformé avec de longs bras, et des jambes chétives. Il porte un t-shirt étriqué et des bermudas, mais ne semble pas avoir froid. Son visage est mi-humain, mi-animal. Plus ours que renard.
̶ Qui êtes-vous ? Et… que voulez-vous dire par travailler avec vous ? lui demandé-je.
Avec frénésie ̶ il bouge sans cesse, a tout d’un être hyperactif ̶ il fouille dans une poche de son bermuda, en sort une foule d’objets hétéroclites qui s’éparpillent dans la neige, sort enfin un bout de papier chiffonné, le déplie et me le passe. Je lis.

En raison de circonstances incontrôlables, je délègue ma tâche de minuit au docteur Jean-Marc Ouellet.
Han Pedro Friedrich Fitzgerald Hector Noël

̶— C’est bien toi, Jean-Marc Ouellet ? me demande la créature.
̶— Euhhh… Ouais, lui répondis-je en sortant de ma transe dubitative.
— Alors, quoi… ? Moi, c’est Koobi, valeureux et inestimable lutin de monsieur le Père Noël. Ce soir, tu voyages avec moi.
Je n’ai pas le temps de répliquer quoi que ce soit. Me voilà dans une carriole illuminée de milliers de lumières multicolores. Derrière, ondoyant dans les airs, une infinité de wagons portent des millions de paquets décorés. Devant, des centaines de rennes trépignent de la patte, la tête tournée en ma direction, le regard lumineux de la bête heureuse de vivre une nouvelle expérience.
̶— Allez, vous autres, bande de fainéants ! hurla la créature à mes côtés. Il faut partir !chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec
Dans un synchronisme parfait, les têtes rennoises se détournent vers l’avant et s’élancent vers les nuages.
Je me tourne vers le lutin.
̶— Vous n’étiez pas vert tout à l’heure ? lui demandé-je.
̶— Je voyage mieux en rouge, me répond-il sans plus de détails.
Me voilà donc parti vers je ne sais où, en compagnie d’un humanoïde colérique et hyperactif et des centaines de quadrupèdes traînant un train infini de carrioles à cadeaux. Je n’ai pas le temps de poser des questions, l’attelage s’immobilise au-dessus d’une cheminée.
— Tenez, voilà tes premiers présents, me dit Koodi le lutin, maintenant violacé, me tendant deux boîtes enveloppées de papier de circonstance.
̶— Et je suis censé faire quoi maintenant ?
̶— Pfffoouuu… soupire mon irascible compagnon. Bon. OK. Tu sautes dans la cheminée. C’est évident, il me semble !
Quoi répondre à ça ? Suis-je à une bizarrerie près ? Je vais donc sur le bord de la carriole, je prends un grand souffle, me ferme les yeux et saute. Il ne se passe rien. La sonnerie d’une horloge résonne. J’ouvre les yeux, je suis devant un arbre de Noël jouxtant un foyer. Je dépose les deux cadeaux sous l’arbre. Ils sont identifiés. L’un pour Marie-Anne, l’autre pour Charles. Je regarde autour. Sur un tabouret attendent un verre de lait et un biscuit. Je n’y touche pas. Je regarde l’heure indiquée par l’horloge grand-père. Minuit. Je me demande comment je reviens dans la carriole.
̶— Koodi ? murmuré-je.
Instantanément, je me retrouve auprès du lutin hyperactif. Il est orange maintenant.
̶— Bon, tu as enfin compris ? me lance-t-il avec impatience.
̶— Oui, je pense…
̶— As-tu bu le lait et mangé le biscuit ?
̶— Euhhh… non ?
— Ah, c’est pas vrai ! s’écrie le lutin, maintenant jaune. Qui m’a donné un remplaçant aussi insensible ? Comment crois-tu qu’ils vont se sentir, ces pauvres petits, quand ils percevront autant de mépris à leur égard, eux qui voulaient te faire plaisir et te remercier pour les cadeaux ? Hein, comment ?
— …
̶— La prochaine fois, tu prends tout, O.K. ?
̶— O.K., répondis-je, repentant.
Sans plus rien me dire, il invective encore les bêtes qui piaffent devant nous. Chez le voisin, encore une fois, au-dessus de la cheminée, Koodi bourru me tend un cadeau. J’en déduis qu’il n’y aura qu’un seul enfant à réjouir. J’apprends vite. La preuve, je saute tout de suite vers la cheminée. À sa hauteur, instantanément, je me retrouve dans le salon. Là, je repère le sapin décoré, y dépose le cadeau pour William. Avant d’appeler Koodi, j’engloutis le verre de lait – pas de biscuit à cet endroit ̶ puis lorgne l’horloge. Minuit. Encore minuit.
Et la tournée se poursuit, sans relâche, les rennes toujours joyeux, Koodi toujours grognon, et moi, y prenant goût, imaginant la joie des enfants, au matin, lorsqu’ils découvriront leurs étrennes. Je bois le lait, je mange le biscuit et je regarde l’horloge. Minuit. Toujours minuit. Comme si le temps de tous s’était figé dans le temps. Mon temps. À mon retour à la carriole de ma dixième visite, je demande à mon lutin préféré la source du phénomène, du gel du temps.
— Tu n’as jamais entendu parler de la magie de Noël, vous ? me réplique-t-il, en me tendant les cadeaux suivants.
— Euh… bien sûr…
— Alors, on continue !
chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, QuébecEt l’on continue, dans une course folle autour du monde. Et partout, il est minuit.
Je devrais être épuisé de tant de mouvement dans ma vie sédentaire, je devrais être repu de tant de lait et de biscuits, je devrais en avoir marre de mon lutin multicolore, or, je déborde d’énergie, j’attends avec impatience le moment de déposer le prochain cadeau, j’ai hâte au prochain verre de lait, au prochain biscuit, et mon compagnon m’est de plus en plus sympathique.
Enfin, nous atteignons la dernière cheminée, celle de ma maison, celle de ma famille. Pour la première fois de la nuit, Koodi sourit. Il me remet les trois derniers cadeaux. Je regarde les étiquettes. Catherine, Marc-Antoine, Jean-Christophe. Mes enfants. Soudain, je suis ému. Des larmes me viennent. Pour la première fois, je placerai moi-même des présents sous notre sapin. D’habitude, mon amoureuse s’en charge. Je regarde Koodi, le lutin grincheux.
̶— Ce fut fabuleux.
Je dépose les paquets sur le siège, et l’étreins avec force. Il se laisse faire un instant puis me repousse doucement.
̶—Je te place premier sur ma liste de remplaçants, docteur, me dit-il, les yeux rougis au sommet de son corps bleu azur.
̶— Tu seras toujours mon lutin préféré que je lui réponds avec le sourire.
̶— Normal, je suis le seul que tu connaisses, mon vieux, me réplique-t-il avec malice.
Je me retourne, m’apprête à m’élancer.
̶— Ah oui, j’oubliais ! Tu es le seul remplaçant qu’on a eu.
Les rennes hennissent en chœur. Je souris et saute.
Le silence règne au salon. L’arbre de Noël trône toujours devant la grande fenêtre. Ses lumières sont éteintes. À l’extérieur, il neige. Je regarde la photo de famille sur le mur. Je suis chez moi, avec ceux que j’aime. À leur tour maintenant. Je vais à la cuisine, y récupère un stylo. Sur l’étiquette de chacun des paquets ornés, sous le nom de mes enfants, je signe en deux mots : Père Noël. Avec délicatesse, je dépose ensuite les cadeaux sous l’arbre, juste à côté de ceux que ma conjointe a déjà placés. L’un après l’autre, je les caresse.
Je regagne mon lit. Mon regard croise les chiffres numériques de mon cadran. Minuit. Toujours minuit.
Au lever du soleil, je m’éveille. Mon amoureuse dort toujours. Je repense à mon rêve. Quelle aventure !
̶— Papa, Maman !
̶— Papa, Maman, le… !
̶— ‘Man, ‘Pa, le p… !
Mes enfants entrent en trombe dans la chambre, sautent sur le lit, les bras chargés d’un cadeau.
̶— Maman, Papa, le Père Noël est venu !
̶— Y nous a laissé un cadeau !
̶— ‘Pa, Man ! ‘Gardez. Des ‘adeaux du Pèr’ Noel ! lance le petit dernier.
Les enfants sont surexcités. Ils rebondissent sur le lit. Mon amoureuse émerge dans la cohue, gronde de sommeil.chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec J’essaie de calmer ma progéniture.
— Tout doux, tout doux, les mousses. Comme ça, vous êtes heureux de vos cadeaux ? Joyeux Noël…
̶— Mais papa ! Tu comprends pas. On a eu un vrai cadeau du vrai Père Noël ! Regarde !
Enseveli par les cris et les petits corps, j’attrape un des cadeaux, celui de ma fille, un paquet que je n’avais pas vu les jours précédents. Intrigué, je lis l’étiquette.

De joyeuses Fêtes à tous !

© Jean-Marc Ouellet 2015

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieJean-Marc Ouellet grandit dans le Bas-du-Fleuve. Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, il pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, de janvier 2011 à décembre 2012, il a tenu une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. En avril 2011, il publie son premier roman,  L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis un article, Les guerriers, dans le numéro 134 de la revue MoebiusChroniques d’un seigneur silencieux, son second roman, paraît en décembre 2012 aux Éditions du Chat Qui Louche.  En août 2013, il reprend sa chronique bimensuelle au magazine Le Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Un Noël de François Villon…

28 décembre 2014

(Spécial de Noël : VILLON !  Humanité profonde, musique de la langue et foi…  Il me convient pour cette fête chrétienne. AG)

François de Montcorbier dit Villon, né en 1431 à Paris, disparu en 1463, est le poète français le plus connu de la fin du Moyen Âge.
Écolier de l’Université, maître de la faculté des Arts dès 21 ans, il a d’abord mené au Quartier Latin une vie joyeuse d’étudiant indiscipliné. À 24 ans, il tue un prêtre chat qui louche maykan alain gagnon francophoniedans une rixe et s’enfuit de Paris. Amnistié, il doit de nouveau s’exiler un an plus tard après le cambriolage du collège de Navarre. Accueilli à la cour de Charles d’Orléans, le prince-poète, à Blois, il échoue à y faire carrière. Il mène alors une vie errante et misérable sur les routes. Emprisonné à Meung-sur-Loire, libéré à l’avènement de Louis XI, il revient à Paris après six ans d’absence. De nouveau arrêté dans une rixe, il est condamné à être pendu. Après appel, le Parlement casse le jugement et le bannit pour dix ans de la ville. Il a 31 ans. On perd alors complètement sa trace.
Villon connaît une célébrité immédiate. Le Lais, un long poème d’écolier, et le Testament, son œuvre maîtresse, sont édités dès 1489 – il aurait eu 59 ans. Trente-quatre éditions se succèdent jusqu’au milieu du xvie siècle1. Très vite prend forme une « légende Villon » constituée selon les époques de différentes images allant du farceur escroc au poète maudit.
Son œuvre n’est pas d’accès facile sans notes et sans explications. Sa langue ne nous est pas toujours accessible. Les allusions au Paris de son époque, son art du double sens et de l’antiphrase rendent souvent son texte difficile, même si l’érudition contemporaine a éclairci beaucoup de ses obscurités. Mais tel est son pouvoir verbal que, malgré ses difficultés, elle nous charme encore. (Wikipédia)

Ballade des Dames du temps jadis

Dites-moi où, n’en quel pays,
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine,
Echo, parlant quant bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté eut trop plus qu’humaine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?

Où est la très sage Héloïs,

chat qui louche maykan alain gagnon francophonie

Oeuvre de Brigitt Fleury

Pour qui fut châtré et puis moine
Pierre Esbaillart à Saint-Denis ?
Pour son amour eut cette essoine.
Semblablement, où est la roine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?

La roine Blanche comme un lis
Qui chantait à voix de sirène,
Berthe au grand pied, Bietrix, Aliz,
Haramburgis qui tint le Maine,
Et Jeanne, la bonne Lorraine
Qu’Anglais brûlèrent à Rouen ;
Où sont-ils, où, Vierge souvraine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?

Prince, n’enquerrez de semaine
Où elles sont, ni de cet an,
Que ce refrain ne vous remaine :
Mais où sont les neiges d’antan ?

Ballade des pendus

Frères humains, qui après nous vivez,chat qui louche maykan alain gagnon francophonie
N’ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A lui n’ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n’a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !


La magie des mots, par Francesca Tremblay…

27 décembre 2014

Le flocon de neige

 Il était une fois, un flocon de neige qui descendit du ciel…

 Un soir de décembre, quelques jours après le Saint Anniversaire, la neige tombait chat qui louche maykan alain gagnon francophonie lentement sur les toits des maisons et des voitures, faisant ombrage à la lumière qui s’efforçait de rappeler aux passants le chemin à suivre pour rentrer chez eux. Les immenses flocons tombaient comme dans une boule de verre que l’on aurait secouée dans tous les sens, semant une tempête silencieuse.

 Je me souviens de cette nuit comme si c’était hier. Le grand pin aux cocottes gelées caressait de ces longues branches aux plumes vertes les carreaux de ma fenêtre givrée. La solitude avait coutume de me faire frissonner et j’observais avec envie les voisins festoyer en famille. Je n’étais plus toute jeune, mais je persistais à croire en cette étoile qui brillait tout là-haut, derrière les ciels bas d’une nuit enneigée. Le cœur rempli d’espoir et de folie, j’avais fait un souhait étrange. En regardant le ciel, mon cœur s’emballa juste à la pensée d’avoir été mère. Mon vœu était d’autant plus impossible qu’absurde, puisqu’à mon âge, on ne pense plus au temps que l’on a devant soi. On pense plutôt à celui qui nous a filé si vite entre les doigts. Je demandai à ce bon vieux bonhomme barbu, qui la veille était descendu du ciel, un cadeau qui ne se place hélas pas sous le sapin. Un cadeau qui apaiserait mes tremblements d’un sourire. Cet enfant que je n’avais jamais eu… Ah oui ! J’ai prié aussi fort que pouvaient l’être les verres de whiskey de mon Irlandais de mari, Dieu ait son âme ! Et je me surpris à rire de moi. « Quelle folle ! fis-je, agenouillée à la fenêtre, mains jointes pour prier. Un enfant qui tomberait du ciel ! » En me relevant, la chanson de mes vieux os me rappela que la seule chose que j’avais gagnée avec les années, c’était de l’âge.

 Mon défunt mari et moi n’avions pas eu la chance de voir une marmaille pleine d’espérance et de joie descendre quatre à quatre les escaliers, lors des matins de Noël, afin de déballer ces cadeaux que nous n’achetions en fait que pour remplir ce vide autour de nous.

 Soudain, un bruit me fit revenir à la réalité. On frappait à ma porte. Hésitante, je refermai les pans de mon peignoir et j’allai tout de même vérifier. Quelle ne fut pas ma surprise de voir derrière cette porte un garçon emmitouflé dans une épaisse pèlerine grise !

 chat qui louche maykan alain gagnon francophonieJe jetai un coup d’œil aux alentours, pour voir si quelqu’un l’accompagnait, mais il semblait seul. Son visage était blanc comme le lait et ses joues rouges comme les pommes en automne. Il ne semblait pas frigorifié et j’en fus étonnée, car cette nuit-là, la fumée des cheminées dansait très bas sur nos têtes. Sur la galerie et les marches d’escalier, il n’y avait ni traces de pas ni l’ombre d’un père ou d’une mère. Cet enfant devait avoir été abandonné et errait dans les rues, à chercher quelque chose à se mettre sous la dent. Quelle horreur ! Un enfant ne devait pas avoir à emprunter de tels chemins de vie. Entendre miauler les chats errants sur le pas de ma porte pour quêter une arête de poisson me retournait, inutile de dire comment je me sentais devant cet enfant qui venait de nulle part. Je le pressai d’entrer et refermai la porte derrière lui.

 Comme il était beau ce petit ange qui me regardait. Ses grands yeux bleus me fixaient comme si le ciel avait choisi cette couleur parce qu’il l’avait regardé, lui aussi. Il semblait voir très loin en moi. Ce regard étincelant me fit croire que l’âme de ce garçon était bien plus vieille que je ne le croyais. Presque aussi vieille que le monde lui-même. Émerveillée, un sourire naquit sur mes lèvres.

 Je lui apportai une couverture pour apaiser la morsure du froid. Lorsque je revins avec la courtepointe de ma mère, sa petite bouche vermeille me gratifia d’un merveilleux sourire.

 Je l’aidai à se dévêtir. Quand je fis choir son capuchon, de blancs cheveux hirsutes apparurent. Quel drôle de couleur pour un enfant qui ne devait pas avoir plus de cinq ans ! Assis près du foyer, je lui posai un tas de questions qui restèrent, malgré mon insistance, sans réponses. Il continuait de me regarder. Ses courts cheveux blancs, ébouriffés, le rendaient adorable. J’ai bien vu qu’il ne comprenait pas un traitre mot de ce que je lui disais ! Soudain, son attention fut détournée. Médusé, il observait les décorations de Noël qui scintillaient, passant du rouge au bleu et du rose au jaune. Dans le but de lui délier la langue, et pensant bien faire, tandis qu’il scrutait les petits soldats accrochés aux branches du sapin, je lui préparai quelques bons biscuits faits la veille et un grand verre de lait chaud. Il devait mourir de faim. J’avais été bête de ne pas y avoir songé plus tôt.

 Lorsque je revins au salon avec le plateau de victuailles, je fus étonnée de constater son absence. Je l’appelai dans toutes les pièces de la maison en le surnommant : « garçon », puisque son prénom m’était inconnu. Aucune trace du petit bonhomme. Peut-être était-il reparti ? En ouvrant la porte, je ne perçus que l’épais tapis de neige.

 Le vide en moi me hurlait sa présence à nouveau.

 Lorsque je me suis assise à la place qu’il occupait quelques instants plus tôt, je constatai que mes pantoufles étaient humides. Mes pieds barbotaient dans une flaque d’eau. Je me souviens d’avoir levé les yeux vers le plafond pour découvrir la provenance de cette eau. Je ne trouvai pas de réponses à l’existence de cette mare près du foyer. Jusqu’à il y a quelques années. La réponse m’apparut alors aussi évidente que le nez au milieu de la figure.

 Aujourd’hui, le vieux pin gratte toujours à la fenêtre de ma chambre, comme un chat à la porte pour entrer. Alors que ma vie s’achève, chaque Noël, je pense encore à cet enfant qui est entré dans ma vie. Je crois que l’on exauça mon vœu ce soir-là. Je crois aussi avoir rencontré le plus magnifique flocon de mon existence et, depuis, le souvenir de son sourire me réchauffe l’âme.

 Il était apparu dans ma vie, un soir de décembre, tel un brin de neige qui se dépose chat qui louche maykan alain gagnon francophoniesur le bout du nez. Sans prévenir. La magie de Noël a su raviver ce cœur qui n’avait pas aimé depuis des années. Je souhaite, à tous ceux qui espèrent, un tel instant de magie, aussi fugace peut-il être. Les cœurs sont plus tendres lorsqu’à la vie on demande.

 Cette nuit-là, étendue sur le grand lit, la vieille femme fit un dernier souhait.

Tandis que les étoiles brillaient dans le firmament, ses paupières se fermèrent à jamais.

Il était une fois deux flocons de neige qui s’élevèrent vers le ciel, prenant la route qui mène vers l’éternel.

NOTICE BIOGRAPHIQUE

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieEn 2012, Francesca Tremblay quittait son poste à la Police militaire pour se consacrer à temps plein à la création– poésie, littérature populaire et illustration de ses ouvrages.  Dans la même année, elle fonde Publications Saguenay et devient la présidente de ce service d’aide à l’autoédition, qui a comme mission de conseiller les gens qui désirent autopublier leur livre.  À ce titre, elle remporte le premier prix du concours québécois en Entrepreneuriat du Saguenay–Lac-Saint-Jean, volet Création d’entreprises.  Elle participe à des lectures publiques et anime des rencontres littéraires.

Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté.  Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre.  Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

9 janvier 2014

Les mystères d’une étoileIriMoonVenus_1280

 Entre l’an 8 et l’an 4 avant notre ère, un enfant naît, un enfant qu’on appelle Jésus.  À la même époque, un phénomène astrologique se produit, un phénomène suffisamment insolite pour marquer les esprits.  Des sages d’Orient prennent la route, quittent l’Iran, leur origine supposée, parcourent les 1500 kilomètres qui les séparent de Bethléem, lieu de naissance du Christ annoncé.  Ils passent par Jérusalem, s’informent au roi Hérode : « Où est le roi des Juifs ? » Hérode n’aime pas.  Enfin à destination, ils déposent leurs offrandes au pied de l’enfant : l’encens, symbole de la divinité ; l’or, image de la royauté ; la myrrhe, résine aromatique utilisée pour les sépultures, prophétie du futur martyre du Christ.  Mathieu, dans son évangile, parle de mages, pas de rois.  L’Église à venir laisse néanmoins propager l’image de princes agenouillés au pied de l’enfant, symbole de l’autorité spirituelle sur le pouvoir temporel.  C’est la version évangélique, issue d’un seul texte.

Les mages d’orient ont-ils vraiment existé ?  L’Ancien Testament, notamment le Livre de Daniel, mentionne la venue d’un grand roi sur les terres de la Palestine.  « Qu’on revienne et qu’on rebâtisse Jérusalem jusqu’à un Prince Messie… »* Avec l’exil des juifs à Babylone, les lettrés perses sont au fait de leurs traditions et, donc, de l’éventuelle arrivée d’un grand roi en Galilée.  Il est fort plausible que des grands prêtres, férus d’astronomie, observant un phénomène céleste nouveau au-dessus de la Palestine, aient eu le goût d’aller voir de leurs propres yeux.

Si ce phénomène céleste a eu lieu, comment l’expliquer ?  Des scientifiques y ont réfléchi.  Une supernova, l’explosion d’une étoile, visible, parfois, pendant des mois à l’œil nu ?  Vers l’an mille, un tel phénomène est mentionné, notamment par des astrologues chinois.  Pas sous le règne d’Hérode.  Une étoile filante ?  Trop éphémère et banale pour justifier une caravane.  La comète de Halley ?  Impossible.  Elle a passé 66 ans trop tôt.  Les dates ne concordent pas.  Une autre comète, comme Ison, qui aurait « frôlé » la Terre le 26 décembre dernier, si elle ne s’était pas désintégrée en narguant le soleil ?  Aucune donnée à ce sujet.  Une conjonction particulière des planètes ?  Tiens, tiens.  On brûle.

Sept ans avant la naissance supposée du Christ, trois fois durant l’année, en juin, septembre et décembre, Jupiter et Saturne se sont approchées dans un étrange ballet qui n’a sûrement pas passé inaperçu.  Surtout qu’une longue tradition orientale liait certaines conjonctions de ces deux planètes à la naissance d’un empire, d’un maître ou d’un prophète.  Encore plus intéressant, celle de l’an 7 av. J.-C. survient dans la constellation des Poissons.  Or, à cette époque, chaque constellation réfère à une région du monde connu.  Et devinez quoi ?  Celle des poissons représente, entre autres, la terre de Palestine !

Ce n’est pas tout.  Quelques mois plus tard, autour du 20 février de l’an 6 avant J.-C., la lune et Mars rejoignent Jupiter et Saturne à l’ouest !

Tout concorde !  L’existence d’un phénomène céleste rare, son avènement durant le règne d’Hérode, autour de la naissance du Christ entre l’an 8 et l’an 4 avant notre ère, l’Église reconnaissant l’inexactitude du calendrier officiel.  Joseph Ratzinger, l’ancien pape Benoît XVI, dans son livre L’enfance de Jésus, concède en effet que le moine Dionysius Exiguus, qui a estimé au VIe siècle le début de l’ère chrétienne, « s’est à l’évidence trompé de quelques années dans ses calculs » et que « la date historique de la naissance de Jésus est donc à fixer quelques années auparavant ».

etoile_magesÉtrangement, aucun autre témoignage ne recoupe celui de l’évangéliste Matthieu.  Or, lettré parmi les disciples, il était peut-être le mieux outillé pour réaliser le miracle, pas seulement l’apparition d’une étoile passagère dans le firmament, mais bien sa concomitance avec la visite des mages d’orient et la naissance de son maître.

Ce soir, scrutez le couchant dans le firmament d’hiver ?  Imaginez-y un paquet de lumière inhabituel teinté d’orange sous l’effet de Mars.  Ensuite, soir après soir, le phénomène vous remue, vous séduit, vous hante.  Envoûté, accompagné de prêtres, de princes et de scientifiques, vous jugez, espérez presque, qu’il s’agisse d’un signe, du présage d’un miracle, ou du début d’une ère nouvelle.  Qui sait si 2014… ?

Bonne Année !

* Ancien Testament, Daniel 9 25

Source : http://www.lepoint.fr/societe/l-etoile-des-rois-mages-a-t-elle-existe-05-01-2013-1608842_23.php

© Jean-Marc Ouellet 2014

Notice biographique

Jean-Marc Ouellet grandit dans le Bas-du-Fleuve. Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, il pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, de janvier 2011 à décembre 2012, il a tenu une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. En avril 2011, il publie son premier roman,  L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis un article, Les guerriers, dans le numéro 134 de la revue MoebiusChroniques d’un seigneur silencieux, son second roman, paraît en décembre 2012 aux Éditions du Chat Qui Louche.  En août 2013, il reprend sa chronique bimensuelle au magazine Le Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Chronique ontarienne, par Jean-François Tremblay…

29 décembre 2013

Souhaits

Alors que j’écris ceci, un air de Noël joue à la radio et ma mère prépare son repas du 25 décembre. Dans 432295_10151130281416193_857073040_squelques heures, nous serons plusieurs réunis autour de la table, et le vin coulera à flots.

J’aimerais prendre un moment pour vous remercier sincèrement, vous chers lecteurs et lectrices du Chat Qui Louche. Votre fidélité, votre grand nombre et votre enthousiasme pour nos textes nous poussent tous et toutes à continuer et à développer nos styles différents et à tenter de toujours vous offrir un produit de grande qualité. Je suis honoré de faire partie de cette merveilleuse équipe.

L’année 2013 fut riche en changements pour moi. Je suis passé d’une sorte de déprime dans une ville étrangère à une extase en renouant avec l’un de mes premiers amours, le théâtre, et ce faisant, je me suis fait une foule d’amis et de contacts professionnels.

Pour 2014, je me souhaite plusieurs choses.

Je veux tout d’abord faire mon premier semi-marathon. Tout est prévu à cet effet ; ça sera le 23 février, dans ma ville de Peterborough, là où ma passion pour la course est née. Cela occupe toutes mes pensées et ma détermination est énorme.

Je songe également à suivre une formation pour devenir entraîneur et ainsi aider les gens qui veulent se remettre en forme, comme je l’ai fait. J’aimerais partager mon expérience. Cela me passionne énormément.

À ce sujet, je me souhaite un job. Quelque chose qui me permette de vivre et non de vivoter, et de cesser de me « faire vivre par ma blonde », ce qui est pratiquement le cas présentement. Il n’y a rien de mal là-dedans, au contraire. C’est le genre de sujet que j’évite avec les « vieux » dans le temps des fêtes, mais sinon, il faut vivre avec son temps. Mais j’aimerais simplement être plus indépendant financièrement. La vie de pigiste n’est pas toujours facile…

Je souhaite que des projets auxquels je me suis joint, tels que le magazine Muse et RZO, de croitre et de toucher le plus grand public possible.

fashion_scans_remastered-doutzen_kroes-muse-fall_2011-scanned_by_vampirehorde-hq-1Muse est un nouveau genre de magazine, qui veut faire appel aux lectrices et lecteurs  qui ne se reconnaissent pas dans les publications « pour femmes » sur le marché actuel. Si le projet, dans le moment en campagne de socio-financement sur Kickstarter, voit le jour, il se pourrait je que j’y joue un rôle comme rédacteur.

En ce qui a trait à RZO, je vous en ai parlé, il s’agit d’un regroupement de baladodiffusions québécoises, les meilleures sur le web, choisies et répertoriées pour vous. Je fais partie de l’équipe d’Horreur Gamer et ma participation  à ce projet s’est avérée être l’une des choses les plus positives qui me soient arrivées en 2013.

Et je souhaite que ma collaboration au Chat Qui Louche dure encore longtemps, car cette tribune qui me permet de partager mes passions et états d’âmes avec vous me tient beaucoup à cœur.
Joyeux temps des fêtes, et une heureuse année 2014 à chacun de vous.  Que vos souhaits les plus chers se réalisent !

Notice biographique

Jean-François Tremblay est un passionné de musique et de cinéma. Il a fait ses études collégiales en Lettres, pour se diriger par la suite vers les Arts à l’université, premièrement en théâtre (en tant que comédien), et plus tard en cinéma.  Au cours de son Bac. en cinéma, Il découvre la photographie de plateau et le montage, deux occupations qui le passionnent.  Blogueur à ses heures, il devient en 2010 critique pour Sorstu.ca, un jeune et dynamique site web consacré à l’actualité musicale montréalaise.  Jean-François habite maintenant Peterborough.   Il tient une chronique bimensuelle au Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Billet de Québec, par Jean-Marc-Ouellet…

26 décembre 2013

L’équation du Père Noël

Je l’avoue.  J’ai écrit au Père Noël.  Avec bonheur, et étonnement, je reçois tout juste sa réponse.  Je vous pere-noel-traineau-reines-lunela partage :

Très cher Jean-Marc,

Quel plaisir ce fut de lire ta lettre !  Je l’ai épluchée avec intérêt, et amusement.  Maintenant que l’allégresse de Noël s’apaise, et avant que les innombrables tâches nous mènent au prochain, je prends le temps de te répondre.

Tu es un sceptique, Jean-Marc !  Tu l’as pourtant écrite, cette lettre.  Ton cœur croit donc en moi.  Mais à l’instar de beaucoup d’adultes, tu as des réserves, des doutes.  

Tu as raison.  La science s’est évertuée à prouver mon existence.  Le philosophe Karl Popper a échoué.  L’astronome Carl Sagan aussi.  Attentifs à l’appel de leur cœur, intrépides, d’autres s’y sont ingéniés.  Sans succès.  En 1988, le jeune Vernon P. Templeman a prétendument confirmé l’impossibilité scientifique que j’existe.  Cela le prouve-t-il vraiment ?  Certainement pas.  L’absence de preuves n’écarte pas le fait.

Avec toi, je réviserai maintenant vos objections.

D’abord, sur la base d’un jouet par enfant qui fête Noël, ce qui ne m’empêche pas d’aimer les enfants musulmans, hindous, juifs et bouddhistes, je distribue 300 millions de jouets durant la nuit de Noël.  Oui.  300 millions.  À un kilo et 4 litres de volume en moyenne par jouet, j’emporte avec moi 120 milliards de litres de jouets pour un poids de 300 000 tonnes.  Impossible ! tu t’exclames.  Pas pour moi, Jean-Marc !  Pas pour moi.  Dans mes ateliers, nous renforçons les paquets et, dans le convoi, plaçons les plus lourds en dessous de telle sorte qu’ils ne puissent abîmer les autres.  Avec stratégie, nous les disposons pour qu’à chaque arrêt je puisse rapidement les retrouver.

Tu l’as compris, je ne peux transporter tous ces jouets sur un seul traîneau.  Le convoi en comporte 300 000.  Tes calculs sont exacts.  Tirés par les derniers représentants de rennes d’une race particulière, capable de profiter d’un champ de force qui vous est inconnu, le convoi s’élève dans les airs et voyage à près de la vitesse de la lumière avec à sa tête, Rudolf, ce cher Rudolf, un mutant chez sa race, muni d’un nez rouge, senseur indispensable au convoi.  À cette vitesse, nous sommes loin de la vitesse du son dont tu me parles, et de la vitesse minimale obligatoire de 1290 km/sec, selon tes calculs, soit le Mach 3910.  À notre vitesse, vous ne pouvez nous voir et ce n’est pas les quelque 72 millions de kilomètres que nous parcourons de cheminée en cheminée qui posent problème.

Les prémisses de tes calculs prennent en compte l’incapacité habituelle à voler des rennes communément rencontrés sur Terre et les conditions usuelles qui régissent la physique terrestre.  Ainsi, tu estimes l’accélération de l’attelage à 800 millions de g, une force de 240 milliards de newtons devant être exercée par plus de 2000 millions de rennes.  C’est hautement fantaisiste, évidemment.  Mes rennes n’ont rien à voir avec ceux qui fréquentent vos terres.  Et qui te dit que votre physique s’applique à nos activités ?  Ne présume pas trop vite, mon garçon.

Comme je distribue les jouets sur plusieurs fuseaux horaires, ce n’est pas 12 heures dont je dispose pour effectuer ma tournée, mais bien 31 heures, soit l’équivalent de 762 cheminées à la seconde, ce qui, pour nous, sans me vanter, est une formalité.

J’ai été touché par ton inquiétude à propos de ma chute dans les cheminées.  Présentés comme tu le fais, les chiffres impressionnent.  M’élancer de 2,5 mètres en 250 microsecondes, et freiner, avec une décélération de 8 millions de g, peut sembler risqué.  Or, c’est faire abstraction de mon excellente condition physique, de mon imposante constitution et de mon léger embonpoint qui me protègent au moment de mon atterrissage dans l’âtre.

À propos des cheminées, il est vrai que jadis, elles étaient plus courantes, et plus grandes.  C’était le bon temps !  Mais on s’adapte.  Une faille existe dans chaque demeure.  De plus, tu as raison : je grignote en moyenne 10 g de friandises dans chaque foyer.  Je l’avoue, je suis un peu gourmand.  Il en résulte que j’engraisse un peu durant ma tournée.  Mais je ne gagne pas les 850 tonnes que tu as calculées !  Surtout pas en une seule nuit !  Tu devras revoir tes calculs, jeune homme !

Ta lettre est sévère.  Tu m’accuses même de violer les droits civiques en pénétrant illégalement dans les foyers, ne fussent que quelques millisecondes.  Tu oublies ceci, cher Jean-Marc.  Je ne vais nulle part où l’on ne m’attend pas.  Et là où je vais, on m’espère.  Je suis un invité, pas un intrus.

pnscienceJe ne critiquerai pas ici tes autres raisonnements ou équations incrédules.  Tonrenne_volant2 message est clair.  D’après toi, et ta supposée science, je viole les lois physiques connues, les lois de la zoologie, les lois de la circulation aérienne même.  Eh bien, tu as raison !  Je viole vos lois.  Pour la bonne raison qu’elles n’ont aucun pouvoir sur moi.  J’aime tous les enfants, tous les adultes aussi.  Tes savants calculs, ta science, ne tiennent pas compte du pouvoir de l’Amour, et du mérite d’être sage.  Ils n’expliquent pas les miracles, mon existence et mes dons.  Ils ne font pas le poids.  Pourquoi ?  Je vais te le dire, mon garçon.  Vos équations négligent un élément essentiel : la magie, Jean-Marc !  La magie de Noël !

Je ne peux conclure sans te souhaiter la plus belle des années en ce 2014 qui approche.  Que paix, sérénité et amour abondent.  Sois sage surtout.  Ton espièglerie et tes rêveries te jouent des tours parfois.  Je transmets le même message à tes lecteurs, qui, je n’en doute pas, liront cette lettre.  Je te connais.  Qu’ils se souviennent que le merveilleux ne réside pas dans les équations.  Dans 364 jours, durant la nuit, qu’ils surveillent le ciel, et ouvrent leur cœur.  Un miracle est si vite arrivé.

Ho !  Ho !  Ho !

 Père Noël

 Source : http://oncle.dom.pagesperso-orange.fr/humour/pere_noel/pere_noel.htm

© Jean-Marc Ouellet 2013

Notice biographique

Jean-Marc Ouellet grandit dans le Bas-du-Fleuve. Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, il pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, de janvier 2011 à décembre 2012, il a tenu une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. En avril 2011, il publie son premier roman,  L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis un article, Les guerriers, dans le numéro 134 de la revue MoebiusChroniques d’un seigneur silencieux, son second roman, paraît en décembre 2012 aux Éditions du Chat Qui Louche.  En août 2013, il reprend sa chronique bimensuelle au magazine Le Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Chronique ontarienne, par Jean-François Tremblay…

3 novembre 2013

La maladie de Noël…

En novembre 2012, la chaîne de pharmacies Shoppers Drug Mart a cessé temporairement de diffuser de la musique de Noël dans ses magasins pour cause de plaintes reçues de la part de ses clients, qui trouvaient cela trop tôt.

En ce qui me concerne, j’applaudis.  Mais rapidement sont arrivées d’autres plaintes sur la page Facebook de l’entreprise.  Des plaintes de gens qui déploraient cette décision et qui affirmaient, entre autres, qu’ils boycotteraient les magasins Shoppers si la musique de Noël n’était pas rétablie.

La compagnie a alors précisé que les airs des Fêtes reviendraient après le Jour du Souvenir, ce qui lui semblait raisonnable.  Et elle le fit, et tout rentra dans l’ordre.

Tout ce brouhaha inutile aurait été évité si notre société n’était pas aussi malade.  Je dis malade, car je ne peux qualifier autrement ce besoin que nous avons (et bien que j’écrive « nous », je ne m’inclus pas) de baigner dans l’esprit des Fêtes pendant plus de deux mois.

Chaque année, dès que l’Halloween est passée, on voit les magasins se remplir d’objets reliés à Noël ; la musique associée à cette fête nous provient de toutes parts ; et des milliers de gens « virent sur le capot » et tombent en mode des Fêtes beaucoup trop longtemps à l’avance.

Je comprends les motifs commerciaux qui amènent les maisons de disques à sortir la musique de Noël hâtivement (les disques destinés à cette période pleuvent ces jours-ci, comme à chaque année).  Ceci étant dit, je ne comprends pas les gens qui les écoutent avant le mois de décembre.  Ou plutôt, je crois les comprendre, mais je les plains.

Il faut mener une vie bien triste pour vouloir se bercer d’illusions et faire vivre Noël pendant des mois, voire à l’année – dans les cas extrêmes.  Serait-ce une sorte de maladie, ou plutôt un remède à un genre de dépression collective ?

Que peut-il se passer dans la tête d’une personne pour qu’elle prenne le temps d’écrire sur la page Facebook de sa pharmacie pour annoncer qu’elle n’y remettra plus les pieds si les haut-parleurs ne distillent plus de la musique de Noël ?  Pourquoi ce détail idiot vient-il chercher les consommateurs au plus profond d’eux-mêmes ?  Ce n’est que de la musique, pourtant.  Et Noël n’est qu’une fête de fin d’année, après tout…

Mais est-ce le cas ?  J’ai l’impression – hormis les gens qui célèbrent cette fête pour les raisons religieuses – qu’on accorde trop d’importance à Noël.  Je soupçonne qu’on s’en sert comme baume qu’on applique à une sorte de tristesse de l’âme.  Je connais des gens qui commencent à s’y préparer en août (en AOÛT !!!), et qui demandent, donc, à leurs enfants de préparer leurs listes de cadeaux quatre mois à l’avance.  Et je me demande : pourquoi ?  Qu’est-ce qui presse tant ?

Ces enfants deviennent alors les victimes cette « folie », des êtres qui devront grandir avec l’illusion que Noël, ça dure toute une saison, alors qu’en fait, ce n’est qu’un jour dans l’année.

Le Noël des campeurs ne m’a jamais posé de problème – sympathique  et inoffensive pratique qui ne m’affecte pas du tout –, mais de se mettre dans l’esprit des Fêtes pendant quatre mois (ou plus) est tout à fait ridicule, selon moi.  J’aurais tendance à dire comme tous ces débatteurs qui parlent de religions ces temps-ci : « Si vous voulez fêter Noël en avance, faites-le en privé.  Mais n’imposez pas votre musique ou votre délire des Fêtes à tout le monde ! »

N’allez pas pleurer sur la place publique parce que votre pharmacie retire sa musique de Noël pendant quelques semaines, par respect pour les gens qui ont encore un pied dans la réalité.  Et si vous souhaitez décorer votre maison de bonshommes de Noël du sous-sol au grenier des mois en avance, fine !  Mais ne cherchez pas mon approbation, vous ne l’aurez pas.

À mes yeux, vous souffrez de la mystérieuse maladie de Noël, et j’ignore quel remède pourrait vous en guérir.

Sur ce, je retourne à mes monstres, mes films d’horreur et ma musique Halloween dont je vais continuer de profiter encore pendant quelques semaines…

Notice biographique

Jean-François Tremblay est un passionné de musique et de cinéma. Il a fait ses études collégiales en Lettres, pour se diriger par la suite vers les Arts à l’université, premièrement en théâtre (en tant que comédien), et plus tard en cinéma.  Au cours de son Bac. en cinéma, Il découvre la photographie de plateau et le montage, deux occupations qui le passionnent.  Blogueur à ses heures, il devient en 2010 critique pour Sorstu.ca, un jeune et dynamique site web consacré à l’actualité musicale montréalaise.  Jean-François habite maintenant Peterborough.   Il tient une chronique bimensuelle au Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Rétro : Chronique d’humeur, par Jean-Pierre Vidal…

10 avril 2013

Métaphore d’espoir

J’ai toujours détesté Noël. Sans doute parce que cette fête aura été mon premier exemple d’unanimité obligatoire. Tout le monde aime Noël, n’est-ce pas ? Dès ma prime adolescence, je rétorquais dans ma tête : pas moi ! Mes raisons ont changé, mais ma détestation demeure, encore avivée par la confiscation qu’a opérée le discours marchand de tout ce qui est convivial, festif et même familial. Je vous épargnerai donc les couplets sucrés sur le poupon qui sauve le monde, la fête de la lumière, la famille, les amis, les cadeaux, la joie, que sais-je encore ?

Non, décidément, ma métaphore d’espoir n’est pas Noël. C’est plutôt un autre de ces signes des temps que les gens d’un certain âge, devenus progressivement, comme moi, anthropologues amateurs, se plaisent à observer avec la gourmandise de qui s’apprête à disparaître (longue ascèse, cela) et se sent donc de moins en moins concerné.

Dans ce regard, parfois amusé, souvent rageur, que je porte sur la société, l’apparition d’une nouvelle métaphore, sans doute promise à une circulation virale, comme tout ce qui nous arrive par la voie des médias, est toujours un plaisir renouvelé.

Celle qui, ces temps-ci, me met en joie, est apparue plusieurs fois sur les ondes et sa plus belle illustration nous est venue du ministre des Transports du Québec. Monsieur Moreau a en effet invoqué récemment, à propos de l’échangeur Turcot et du fait, critiqué par plus d’un, que les firmes qui avaient établi les devis et cahiers de charges des travaux seraient tout de même invitées à participer à l’appel d’offres, un exemple culinaire, où les devis étaient devenus les ingrédients et l’appel d’offres la recette. Le ministre des Transports gourmands disait en substance que donner la liste des uns ne devrait pas interdire d’appliquer l’autre.

De l’horloge à la table

Quel changement d’avec la métaphore horlogère qui jusque-là, dans la bouche des grandes-gueules rouleuses de globes oculaires des médias, nous ramenaient toujours à des nécessités d’exactitude, de précision, de prétendue vérité des choses et, en fin de compte, à la facilité imbécile du temps qui n’en finit plus de n’être que de l’argent. Et si nous allions enfin quitter ces éternelles pendules à remettre à l’heure, cette heure qu’il fallait toujours donner juste ? Si le dieu grand horloger que nous avait légué le XVIIIe siècle était enfin crevé, de sa belle mort, et que ressuscite enfin, de ses cendres de notaire ou d’actuaire, le grand Pan ou quelque dieu rabelaisien de la bonne chère et de l’amour goulu de la vie qui ne se chiffre ni ne se minute ?

Dans le mot convivial, il y a convive, et dans commensal, ce mot qui sert d’enseigne à une chaîne de restaurants végétariens, on entend une vieille expression latine qui veut dire : « faire table commune ». Depuis que l’homme a découvert le feu, il mange en famille ou en groupe. Pas de civilisation sans ces repas pris en commun, quelles que soient, par ailleurs, la délicatesse des mets et l’habileté des chefs.

Mais si nous entrons maintenant dans l’ère de la métaphore culinaire après celle de la métaphore horlogère, c’est aussi peut-être parce que notre conception du temps est en train de changer. Et c’est cela aussi qui me réjouit l’âme.

Le temps des cuisines est, en effet, un temps humain, c’est-à-dire variable, élastique, organique même : aucun poulet ne met jamais le même temps à cuire. Aucun four n’est assez calibré pour garantir le même temps que celui qu’annonce la recette et aucune recette n’a le front d’oublier de placer le mot « environ » avant son minutage.

Dans les cuisines, le temps vit sa vie, comme nous. Il prend le temps d’être lui-même, dans toute la diversité qui le constitue. Même dans les restaurants, il n’a que faire de l’esclavage économique, de la folie du rendement, de l’obsession d’une exactitude machinique. Monsieur Pressé et son ami Monsieur Limportant attendront que leur poularde ait pris le temps de se dorer à point. Pour leur faire honte.

Le slow food nous est venu d’Italie, comme la fourchette et une bonne partie de ce que nous appelons l’art, qu’il s’agisse de peinture, de musique ou de cet art plus récent, dit paysager, qui compose les campagnes et les collines comme des tableaux.

Le retour du temps humain

La vie ralentie, la vie enfin revécue, empoignée à bras le corps, aimée, jouie et réjouie plutôt que consommée, nous viendra peut-être enfin, loin de l’injonction productiviste de soi-disant lucides, de ces jeunes, de plus en plus nombreux, qui décrochent, qui sortent des parcours de rats qu’on les a contraints de subir dans les labyrinthes de ces laboratoires sociaux où des savants fous plus ou moins économistes, plus ou moins moralistes ou théologiens veulent nous enfermer, pour le plus grand bien des ploutocrates malades qui leur servent de maîtres.

Combien ne voyons-nous pas, heureusement, ces temps-ci, de jeunes, cloutés ou non, tatoués ou non, qui préfèrent se restreindre, rouler un train plus modeste, oublier les signes extérieurs de richesse ou de statut, pour s’occuper mieux de leurs amours, de leurs enfants, de leurs passions et de tout ce qui ne se monnaye pas mais se vit, tout simplement, généreusement, en toute gratuité, en toute ingénuité.

C’est à ceux-là que je crois, plutôt qu’aux abrutis (foin de rectitude politique) que les médias nous montrent passant la nuit dehors pour la joie lamentable d’être les premiers à acheter la dernière bébelle électronique pourtant destinée à se vendre à des millions d’exemplaires en l’espace de quelques heures. Candide plutôt que Pavlov ! Le temps plutôt que l’argent ! La vie plus que la production ! Mon royaume et ses richesses pour un cheval qui caracole et me sauve !

Et si nous allions ainsi, tranquillement, pacifiquement, humainement, vers l’instauration universelle, pour remplacer celui que les conservateurs ont mis à mal, d’un registre des âmes à fleurs ?

Joyeuses fêtes à toutes et à tous !

Notice biographique
PH.D en littérature (Laval), sémioticien par vocation, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis l’ouverture de l’institution, en 1969. Fondateur de la revue Protée, il a aussi été chercheur et professeur accrédité au doctorat en sémiologie de l’Université du Québec à Montréal. Il a d’ailleurs été professeur invité à l’UQAM (1992 et 1999) et à l’UQAR (997).

Outre de nombreux articles dans des revues universitaires et culturelles, il a publié deux livres sur Robbe-Grillet, un essai dans la collection « Spirale » des éditions Trait d’union, Le labyrinthe aboli ; de quelques Minotaures contemporains (2004) et deux recueils de nouvelles, Histoires cruelles et lamentables (Éditions Logiques 1991) et, cette année, Petites morts et autres contrariétés, aux éditions de la Grenouillère.

Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). Il a préfacé plusieurs livres d’artiste, publie régulièrement des nouvelles et a, par ailleurs, commis un millier d’aphorismes encore inédits.

Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec, Société et Culture.


Chronique d’humeur, par Jean-Pierre Vidal…

27 décembre 2012

Noël quand même

Au risque de casser un party qui, de toute façon, se déroulera bien sans moi, je dois confesser ici mon exécration de Noël.  Le mot n’est pas trop fort.  Car j’haïs effectivement cette période, comme on dit, « pour me confesser », c’est le cas de le dire.

Mes raisons sont multiples, certaines, j’en conviens, relevant du psychanalyste que je n’ai pas, mais d’autres frappent désormais quiconque indifféremment.  Parce qu’elles tiennent à ce qu’on pourrait appeler l’air du temps, ce Zeitgeist dont, il y a un peu plus d’un an, les indignés du square Victoria rappelaient justement l’importance.

Pour revenir un peu sur mon histoire personnelle, qui par bien des traits coïncide avec celle de chacun d’entre nous, chrétiens occidentaux, j’ai commencé à détester Noël, l’année, il y a maintenant un demi-siècle ! où je n’ai plus cru en Dieu.  J’ai coutume de dire, en me fendant d’un aphorisme, que je me fais de lui une idée trop haute pour y croire.

Cette idée trop haute en tout cas ne se satisfait pas de ce gentil distributeur de confiseries pour l’âme que nous présentent toutes les sectes plus ou moins protestantes et le catholicisme lui-même, maintenant saisi par le populisme complaisant qui prend notre âme pour de la guimauve.  Et je refuse d’autant plus son adoration qu’elle se fait désormais par des rituels bonbons célébrés dans une langue indigente et s’accompagne d’obligations peu contraignantes, dignes de la simple commodité que nous l’avons fait devenir.  On a les dieux qu’on mérite.

Le vieillard gâteux qui préside aux fêtes de Noël n’est pas loin de Mercure, le dieu latin du commerce dont Noël est assurément le royaume incontesté.  On y est submergé par un déluge de bons sentiments, de décorations kitsch et de musique nanane.  Au moins sur ce plan, nos amis anglo-saxons ont-ils coutume de faire une place à une autre musique de Noël, moins tartignolle et moins sucrée que celle déversée par les médias du « temps des fêtes », comme on l’appelle : à Noël, ils assistent nombreux à des exécutions du Messie de Haendel en chantant tous ensemble les chœurs.  Nous, pendant ce temps-là, gloussons aux mélodies sentimentales de quelque sirupeux crooner américain ou tressautons à la ridicule interprétation rock de Noël d’un chanteur pop en mal de disque d’or.  Et nous retrouvons fièrement nos valeurs à la courte messe de minuit de huit heures, moins fatigante que celles de la tradition.

Mais la raison sans doute la plus impérieuse pour laquelle je déteste Noël, c’est sa convivialité forcée et l’obligation qui nous est faite d’y participer, dans la plus parfaite hypocrisie.

Je ne supporte pas cette unanimité factice dont la publicité fait le moteur de sa persuasion en parvenant à nous convaincre qu’elle existe et que ses messages l’atteignent : les plus vieux se souviendront de la trouvaille ingénieuse d’un de nos publicitaires : « tout le monde le fait, fais-le donc ».  Tout le monde aime Noël.  Ben non, pas moi !  Et je suis persuadé que je suis loin d’être le seul.  Mais chut ! n’écœurons pas le bon peuple !

Répétons plutôt ici le seul message qui vaille la peine d’être relancé dans cette cacophonie de vœux pieux et de sentiments de confiserie, ce message ancestral qui est au cœur de toutes les religions du livre et qui peut se décliner en hébreu, en grec, en latin, en arabe et même en farsi, sans oublier le français, cette langue devenue très secondaire : paix sur la terre aux hommes de bonne volonté, dont je suis sûr que vous êtes, vous qui me lisez.  Souhaitons-nous que leur nombre s’accroisse au moins un peu dans l’année qui vient.

Le tollé suscité jusque dans les rangs les plus fanatiques de ces joyeux innocents du Tea Party par l’insondable stupidité du vice-président de la National Rifle Association me laisse à penser que nous sommes peut-être sur la bonne voie.

Mais ce sera long, mes frères.

Notice biographique

PH.D en littérature (Laval), sémioticien par vocation, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis l’ouverture de l’institution, en 1969. Fondateur de la revue Protée, il a aussi été chercheur et professeur accrédité au doctorat en sémiologie de l’Université du Québec à Montréal. Il a d’ailleurs été professeur invité à l’UQAM (1992 et 1999) et à l’UQAR (1997).
Outre de nombreux articles dans des revues universitaires et culturelles, il a publié deux livres sur Robbe-Grillet, un essai dans la collection « Spirale » des Éditions Trait d’union, Le labyrinthe aboli ; de quelques Minotaures contemporains (2004) et deux recueils de nouvelles, Histoires cruelles et lamentables (Éditions Logiques 1991) et, cette année, Petites morts et autres contrariétés, aux éditions de la Grenouillère.  De plus, il vient de publier Apophtegmes et rancœurs, un recueil d’aphorismes, aux Éditions Le Chat Qui Louche.
Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). Il a préfacé plusieurs livres d’artiste, publie régulièrement des nouvelles et a, par ailleurs, commis un millier d’aphorismes encore inédits.
Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec, Société et Culture.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

14 décembre 2012

Ange

 Je suis excitée.  C’est Noël !  Encore cette année, comme l’an dernier, comme les autres années.  Bientôt, plus d’ordinaire, je sortirai de la noirceur, je me ferai belle.  Maman me prendra, me caressera, je brillerai.  Comme je serai belle parmi les autres !  Parfois, c’est Papa qui vient, qui m’empoigne de ses grosses mains rugueuses.  Je l’aime, Papa.  Toujours, l’air émerveillé, il cesse les jérémiades, il me regarde, me câline, m’installe.  Et sourit.

Je pourrais être heureuse, je suis belle, on m’aime.  Or, un malaise me ronge.  J’aurais voulu être une autre.  Ange.  Voilà celle que j’aurais voulu être.  Depuis le début, depuis cette première fois où je l’ai aperçue.  J’aimerais être à sa place, être la plus jolie, qu’on me regarde la première.  Trop souvent, des étrangers entrent, ne me remarquent pas, moi, perdue parmi les autres.  Ils s’émerveillent pour Ange, la complimentent.  Pourquoi elle et pas nous, les autres ?  Pourquoi pas moi ?  Comme elle, j’aimerais être la vedette, le point d’attraction, celle de toutes les attentions.  Je sais que Maman et Papa m’aiment bien.  Ils me chouchoutent, comme les autres.  Ils m’aiment autant qu’ils aiment Ange, je le sens.  Alors, pourquoi les autres m’ignorent-ils ?

Je peine à l’avouer, mais je connais la réponse.  Elle est belle, Ange.  Splendide même !  Je ne peux le nier.  Longiligne, moins ronde que moi, les bras étendus, la robe éclatante qui descend jusqu’à ses pieds.  Elle a une certaine présence, Ange.  C’est indéniable.  Moi-même, je suis envoûtée.  Toujours, je l’observe, je l’admire.  Le jour, le soir, la nuit.  Ange m’obsède, je l’envie.

Je hais me croire jalouse.  Je tâche de me convaincre.  Chacun son importance, chacun son rôle.  Moi aussi, je contribue à la beauté de Noël.  Pourtant, il y a ce vide, je ne me sens pas à la hauteur.  Je rêve de sommet, d’être la préférée des invités de la maison.  Chaque décembre, je suis déçue.  Année après année, c’est Ange.  Toujours Ange.

Enfin, Maman approche.  Voilà mon tour.

Quelque chose ne va pas.  Maman n’est pas la même.  Une ombre assombrit son visage, obscurcit son regard.  Elle me saisit, sa main tremble, des larmes roulent sur ses joues.  Que se passe-t-il ?  Où sont les sourires, les taquineries ?  C’est Noël, Maman !  Ris !  Chante !  Danse !  Elle ne rit pas, ne chante pas, ne danse pas.  Une aura de tristesse.  Je ne comprends pas.  Où est Papa ?  Je veux voir Papa.  Il ne vient pas.

Ange-noelLa main hésite.  Elle m’accroche.  Le crochet vacille, devient funambule, se détache.  Je chute.  Le sol approche, je m’affole, j’ai peur.  Quelque chose d’affreux arrive, quelque chose de merveilleux se produit.

Kling-slink-slink!!! Mille morceaux roulent sur le sol.  Les tessons rouges s’immobilisent sur le bois d’érable.  Épars.

Maman sanglote.

Ne pleure pas, Maman.  Ta préférée est heureuse.  J’étais une boule parmi les autres.  Je suis un ange maintenant.

© Jean-Marc Ouellet 2012

Notice biographique

Jean-Marc Ouellet a grandi sur une ferme du Lac-des-Aigles, petite municipalité du Bas-du-Fleuve, puis à Québec. Après avoir obtenu un diplôme de médecine de l’Université Laval, il a reçu une formation en anesthésiologie. Il exerce à Québec. Féru de sciences et de philosophie, il s’intéresse à toutes les  littératures, mais avoue son faible pour la fiction. Chaque année, depuis le début de sa pratique médicale, il contribue de quelques semaines de dépannage en région, et s’y accorde un peu de solitude pour lire et écrire. L’homme des jours oubliés, son premier roman, a paru en avril 2011 aux Éditions de la Grenouillère. Depuis janvier 2011, il publie un billet bimensuel dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Texte de l'écrivaine Dominique Blondeau…

9 décembre 2009

Dominique Blondeau a eu la gentillesse de répondre à ma demande, d’où ce texte critique, percutant, exotique, hors-tradition (pour une majorité de lecteurs) sur la Fête de Noël.

L’imposture de Noël

Comment parler des fêtes de fin d’année quand elles ne font pas partie d’une enfance ? Je n’ai aucun souvenir de jouets mais celui d’oranges parfumées que j’allais cueillir dans l’orangeraie du voisin. L’océan, plus loin, bourdonnait à mes oreilles, le soleil se mirait dans les branches mauves ou roses des bougainvillées. Aucune trace du père Noël… Il a fallu que je m’exile pour ouvrir grands les yeux sur une tradition qui n’a pas préoccupé mes jeunes années. Mon étonnement a été d’autant plus vif que la neige devait faire partie du décor scintillant. Messe de minuit dans des églises illuminées pour honorer la prestigieuse circonstance. Jésus n’est-il pas né dans un pays oriental, un pays aux nuits glaciales mais si chaud durant les heures diurnes ? Je me demandais ce que la neige avait à voir avec la naissance de ce petit bonhomme. L’imposture commençait… Elle était dommageable, l’abondance de la nourriture contrariant mes papilles gustatives. Je n’avais connu que des repas sobres, au goût de miel, de fruits. De poissons, de coquillages. Pourquoi manger le bœuf censé réchauffer l’enfant divin dans sa mangeoire ? Bien sûr, dans l’église de la ville, priaient de bons chrétiens, ils suppliaient un nouveau-né que la paix continuât ; c’était lui donner beaucoup de responsabilité, entouré qu’il était d’une mère de quinze ans, petite moricaude aux cheveux frisés que les pères du christianisme, pour se l’approprier, ont dépeinte si souvent blonde aux yeux bleus. Et ce vieillard de quarante ans, Joseph, père supposé de l’enfant, Myriam ayant été décrétée vierge par le concile de Latran, sept siècles après la mort de l’homme Jésus. Que de questions je me posais face à l’agitation que provoquait cette fête que je jugeais plutôt païenne. Il eût été réconfortant de solenniser la naissance de l’auguste enfant dans le silence et l’humilité, leçon que personne n’a retenue : les gens autour de moi devaient célébrer pour eux-mêmes…Que reste-t-il de cet heureux événement qui devait sauver le monde de tous les péchés ? Si peu, sinon une religion fabriquée de toutes pièces par des admirateurs de Jésus, après sa mort. Là encore, ce fut l’imposture généralisée, aucun écrit de Jésus n’habilitant ce qu’avaient avancé les onze fanatiques de l’époque. Et ceux qui devinrent plus tard les serviteurs zélés d’une religion aujourd’hui en faillite. Que j’eus de la chance d’échapper au délire collectif d’une fête qui ne signifie plus que des promesses écrites sur des cartes virtuelles ! Cela dure une semaine, le temps que j’aspire la fragrance entêtante du mimosa de mon adolescence, que se déroule l’image fleurie des jacarandas bleus brisant la teinte indigo du ciel qu’une cigogne sillonne avant d’aller se poser sur quelque ruine d’un minaret de pisé rose, témoin d’une civilisation aussi ancienne que le christianisme. Sans un enfant pour en éprouver l’authenticité !

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

Installée au Québec depuis 1969, Dominique Blondeau, romancière et nouvellière, a été lauréate du Prix France-Québec/Jean-Hamelin pour son roman Un Homme foudroyé. Entre autres ouvrages, elle est aussi l’auteure de Les Feux de l’exil, Fragments d’un mensonge, Alice comme une rumeur, Éclats de femmes et Larmes de fond, ces cinq derniers livres publiés aux éditions de la Pleine Lune. En 2002, les éditions Trois-Pistoles ont édité son essai, Des grains de sel, dans la collection «Écrire». Elle a fait paraître des nouvelles dans plusieurs revues et collectifs et, en 1997, elle a été lauréate du Prix de la Meilleure Plume au concours XYZ. La revue de la nouvelle. Son treizième roman Une île de rêves a été publié en 2004 chez VLB éditeur. En 2008, elle a publié un recueil de nouvelles, Soleil et cruautés, dans Internet, sur le site Lulu. En 2007, elle a créé un blogue surtout consacré à la littérature québécoise, Ma page littéraire — vous en trouvez le lien dans la colonne de droite de ce blogue.


Conte de Michel Samson…

7 décembre 2009

La semaine dernière, j’ai demandé des textes tournant autour du thème de Noël ou du temps des Fêtes à des auteurs que j’estime.  Michel a été l’un des premiers à répondre.  On retrouve dans  ce conte son attachement pour la pensée bouddhiste et l’Asie, ainsi que la simplicité formelle qui le caractérise.

Nativité

Michel Samson

Quelques moustiques voltigent dans l’ombre oubliée par la lueur de l’unique chandelle allumée. La nuit, à peine tombée, ne parvient pas à chasser la moiteur qui s’attache à nos corps fatigués après les longues méditations assises. Le silence règne entre lui et moi, parfois perturbé par des chants d’oiseaux sur l’autre rive du fleuve qui rêve ou encore par l’appel des geckos en quête d’insectes, à quelques pas de nos zafu(1).

Aujourd’hui, le maître n’a rien dit.

Je me suis d’abord glissé dans son silence avant de m’installer dans le moment présent. Ma méditation s’est ainsi tissée par l’adjonction d’instants qui s’amarraient les uns aux autres. Je me suis égaré souventes fois dans les méandres des pensées parasites et pourtant, à chaque occasion, je suis parvenu à revenir au souffle tranquille et profond de mon assise.

Je suis paisible. Je suis montagne. Je suis immobilité.

Le maître déglutit et cela fait un bruit curieux. L’idée me vient que l’humain n’habite plus son environnement et que les bruits qui en émanent se révèlent étrangers à l’essence même de la nature. J’en suis là dans cette curieuse opinion quand le maître parle enfin.

« Raconte-moi comment vous célébrez la Nativité dans ton pays. »

La montagne s’écroule, vole en éclats ! L’immobilité n’est plus qu’apparences alors que les images surgissent et balaient les vestiges de mon assise tranquille. Un chaos truffé de souvenirs lointains s’empare de mon esprit : odeur du sapin, seuil givré de la porte d’entrée, plainte du papier multicolore se déchirant, vapeurs alcoolisées au coin des bouches adultes, décorations scintillantes, saveurs des pâtés, géométrie compliquée des boîtes de présents, rires cristallins des petites sœurs, regard pétillant du parrain, une main sur mon épaule… un contact avec mon enfance… ma mère, sa main sur mon épaule…

Devant moi, immobile, le maître attend alors que le fleuve, imperturbable, poursuit son cours paresseux.

Je cherche les mots, les phrases qui pourraient exprimer l’indicible.

Comment cerner le temps enfui, le matérialiser, le commenter ? Comment expliquer ce qui n’est plus depuis longtemps, ce qu’on a tenté d’effacer, d’arracher de l’âme sans jamais y parvenir ? Comment dire l’enfance sans trahir sa vérité propre, sans éradiquer à jamais les racines du regret ?

Mes Noëls valsent, échangent leurs souvenirs, leurs émotions, leurs plaisirs en un tourbillon d’atomes libres engagés dans une course folle : atteindre la masse critique. Avant que tout ne s’anéantisse, ne disparaisse dans une gigantesque décharge d’énergie pure, je tente d’inverser le processus.

J’entrouvre les lèvres, sans rien dire, sans rien laisser échapper d’autre qu’un long soupir.

Je persévère et comprends soudain la question ! Une fois de plus, je me suis laissé entraîner loin du moment présent, loin, très loin sur la piste des souvenirs personnels, les souvenirs de ce moi encombrant qui place l’ego devant toutes choses. Les Nativités de mon passé n’ont rien à voir avec la réponse à la question du maître.

« La Nativité, il y a longtemps que presque plus personne ne la célèbre chez moi. C’est le solstice d’hiver qu’on fête en réalité, par le biais de la surconsommation ; Noël n’est plus que l’occasion d’afficher ses capacités financières. »

Ainsi ai-je parlé.

Le maître n’a pas rétorqué ; pourtant je sais qu’il a perçu le véritable message quand une larme a roulé sur ma joue. La Voie n’a rien de facile et, parfois, même le «ici et maintenant» doit, pour quelques instants, céder la place aux manifestations de l’âme.

Peu à peu, mon souffle retrouve sa cadence initiale.

Près du fleuve, les montagnes naissent et meurent.

1. Coussin de prière.

L’AUTEUR d’Ombres sereines : Michel Samson est né et a grandi à Arvida. Après un bac en Littérature française à l’UQAC, il a poursuivi des études littéraires (maîtrise) à l’université Laval. À vingt-quatre ans, il se retrouve enseignant au collégial. C’est un passionné. Très vite il lui est apparu que parler de littérature à ses élèves demeurait insuffisant. Ateliers d’écriture, cours de production littéraire et d’écriture dramatique se sont donc succédé. Il a également collaboré à l’écriture de plusieurs pièces de théâtre et touché à la mise en scène. Si de nombreux facteurs ont contribué à forger son style, les voyages se sont avérés un puissant déclencheur du besoin d’écrire. Voyages en Europe et, surtout, l’exploration d’une Asie qui le fascine. C’est ce monde lointain qui fraie son chemin à travers ses mots.