Raymond Bertin parle de Sud d'Alain Gagnon

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Cahier spécial Vol: 9 NO: 56 21 décembre 1995 22

Revue de l’année

L’Amérique dans le roman d’ici et d’ailleurs
Le rêve américain
Bertin, Raymond

Est-ce hasard des choix de lecture ou tendance générale? J’ai été confronté à ce rêve de l’Amérique mythique qui semble revenir en force. Amérique des grands espaces, du nord au sud, promesse de richesse et de liberté. Rengaine alourdie, en cette fin de siècle, du bémol majeur des valeurs qui s’effritent, des cassures sociales, raciales, la pauvreté, la violence, le temps qui balaie le rêve. Et là-dessus, le nom de Dieu qui investit la quête littéraire, tel l’ultime retour de valeurs apaisantes.

Noël Audet a donné le coup d’envoi avec son beau roman, Frontières ou Tableaux d’Amérique (Éd. Québec/Amérique), qui explore ce continent de Kuujjuaq à Rio de Janeiro, en passant par Montréal, l’Ouest canadien, New York et Mexico. Il y fait vivre des personnages ­ superbes portraits de femmes! ­ brisés par le rêve américain, qui n’a pas, pour eux, tenu ses promesses. On retrouve l’illustration nuancée d’une Amérique douce et dure ­ où se côtoient, sous le soleil lumineux d’une île paradisiaque, réfugiés cubains et militants racistes du KKK, riches et pauvres, Blancs et Noirs, jeunes et vieux, athées et croyants ­ chez Marie-Claire Blais, dont le magnifique Soifs (Éd. Boréal) est l’un des sommets de l’année littéraire.

Dans Sud (Éd. La Pleine Lune), Alain Gagnon tisse des liens inattendus entre le Québec et une certaine région du sud des États-Unis, la Géorgie, où trois personnages aux identités disparates seront liés par le destin. Quant à Marc Degryse, il poursuit, avec Le Navire d’Acoma (Éd. Québec/Amérique), la quête au long cours entreprise dans son premier roman, Érick, l’Amérique (Éd. Québec/Amérique, 1993). Sur les traces de Kerouac et des hippies des années soixante-dix, il ne trouve que désillusions et un rêve que la poussière du temps a anéanti.

L’Amérique, nous en sommes aussi, nous de la province francophone… et on ne sort pas facilement l’Amérique du Québécois. Les personnages de Michael Delisle (Helen avec un secret, Éd. Leméac) prouvent bien que l’Amérique est partie de nous, que nous sommes métissés et avons des parentés de toutes identités en Amérique. Et peut-être verra-t-on chez André Major (La Vie provisoire, Éd. Boréal) ou chez Yvon Rivard (Le Milieu du jour, Éd. Boréal) que ce grand territoire américain est nôtre. Qu’il s’agisse de la République dominicaine ou de la Floride, où plusieurs s’apprêtent à faire un saut salutaire, plus que lieux d’évasion, ces refuges, qui, dans le roman, ramènent toujours le narrateur à lui-même, nous permettent de nous refaire une identité.

Mais peut-être cela n’est-il pas nouveau. Il semble pourtant, à travers le Brésil brutal, violent et amoureux de l’ironique Sergio Kokis (Negão et Doralice, Éd. XYZ), ou à travers l’Extrême-Sud d’écrivains sud-américains comme Ernesto Castro (Ceux des îles, Éd. Phébus) et Francisco Coloane (Le Guanaco, Éd. Phébus), ou la Colombie plus vraie que nature du Français Christian Lehmann (L’Évangile selon Caïn, Éd. Seuil), que nous n’en finissions plus de découvrir l’Amérique.

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