La chute du jour… (suite : 26 à 30) par Emmanuel M. Simard…

7 avril 2016

(Suite…)

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26.

Ils courent sur le tapis créosoté de la forêt. Ennuitée par une brume noire onctueuse. Le fils retient l’horloge à l’intérieur de sa chemise tout en alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecguidant la mère et son enfant qu’elle porte en son sein. Les yeux chignent encore. Mais le grognement du feu enterre les sons de la douleur. Le fils la tient d’une main. Évite les arbres écorcés. Les carcasses carbonisées des moutons.

— La rivière Médéric… Vite !

Ils fêlent le décor par leur course. Le bébé sanglote. Épuisé. Il émet de courts hoquets.

Le fils se retourne afin de prendre état de la mère et de l’enfant. Une roche obstrue son pied. S’enfarge. S’affale.

Il entend la déchirure de sa chemise. Il entend l’horloge s’en échapper. Embrasser le sol.

— Médéric ?… Ça va ?…

Elle le tire pour qu’il se relève. Sa main insiste. Mais le fils reste échoué par terre. Près de son horloge. La vitre craquée. Le boîtier fendu.

— Médéric !… Vite !… Relève-toi !…

À peine les doigts frôlent le bois de l’objet. À peine comprend-il ce qu’il vient de se passer. Que la mère le remet sur pied et l’expédie au-devant d’elle.

— La rivière !… Dépêche-toi !…

Ses harangues se perdent dans la pierre. Le fils les esquive. Et observe l’objet qui se disside de lui. Choisissant le repos éternel. Parmi la broussaille incendiée et les pierres incandescentes. Le fils reprend la tête. La boucane enveloppe l’horloge.

27.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecLe bord rocailleux les pousse près du lit de la rivière. La mère avance à tatillon. Le fils dévisage le courant. Dans sa poche il palpe le ruban ocre. La mère s’immobilise. Le cherche d’un regard inexistant.

— Médéric ! Viens… Vite !

Ses rétines propulsent la scène. Les tourbillons. Les poumons qui boivent. Et son corps pubescent en bataille contre les tréfonds.

Le brasier explose. La chemise prend feu. Le dos est crinière rougissante. Les mollets les cuisses pénètrent de furie l’eau froide. Il se lance à l’eau. La mère reste plantée là. La voix s’enroue. S’affole.

— Médéric… Médéric… T’es où ?…

Éteint il nage jusqu’à elle. Attrape sa main. D’un pas insécure elle le suit. Et l’eau dévore les épaules. Le courant est agité. Les remous d’un ocre tomenteux érodent les racines à découvert des aulnes penchés sur la rivière. Le fils saisit le bras de la mère et l’accroche à une branche. Il fait de même. Ils se tiennent en équilibre. Ballottés par le souffle de la rivière.

De temps en temps le fils arrose la mère et l’enfant et lui-même. Surtout les cheveux et les parties qui dépassent parfois de l’eau. Il surveille les feuilles embrasées tombant du ciel. Parfois il immerge sa tête entière. Parfois il tapote la tignasse tourbeuse de la mère tentant d’étouffer les tisons.

Maintenant derrière eux il contemple la nature maigrir sur de sourdes et troublantes psalmodies colorée d’un vermillon pris en galops éperdus.

28.

Elle tient le bébé dans ses bras. Qui commencent à trembler. L’enfant est une pierre soudée à son poitrail. Ses pleurs se distancent.

Le fils ne les voit presque plus tellement l’épaisse fumée noire absorbe tout. Il lui touche l’épaule pour indiquer qu’il est toujours présent. La mère allonge sa main libre vers son visage. Les doigts le supplient de parler. De grogner ou de gémir. Elle effleure la peau sale. Encrassée. Devine les pourtours. Les pommettes saillantes hautes dans la figure. Le nez qu’elle coince entre son pouce et son index. Doux flottement de l’air et du temps. La mère ne voit nulle part. Elle regarde la surface de ses paupières. Le fils les ferme lui aussi. Les caresses effacent les feux flottants.

L’index se rend ensuite à la lèvre supérieure. Elle en redessine les contours. L’inférieur également. Ses petits crayons boudinés vont au menton. Remontent par le chemin des mâchoires vers les oreilles de choux-fleurs. Enfourche les dents de sa main dans les boucles. Elle sent sur sa peau certains filaments brûlés. Durs comme des fusains.

— Quelqu’un a dit dans la cave à patates que c’était de notre faute…

Elle fourrage la tête.

— Qu’on priait mal le Bon Dieu… Qu’on faisait trop de folies… Ils pensent que Dieu veut nous punir ?

Elle touche le front. Plissé de fatigue.

— Punir… punir de quoi… d’être des Hommes… Notre seul péché si tu veux savoir… c’est qu’on parle trop des fois…

Elle ricane.

— Et c’est moi qui dis ça…

Les mains sont douces sur sa peau.

— J’aimerais que ces gens t’aient vu aller aujourd’hui mon garçon…

Elle plaque un baiser sur son pouce et l’imprime sur sa joue.

— Merci…

29.

Le jour s’enfuit. La noirceur efface les silhouettes. Toutes ensevelies sous les lourds charbons flottants. Nuit sans lune. La mère somnole. Le fils s’accroche plus fort à la branche.

Le calme reprend la parole sur les terres qui se reposent. Le grand feu est maintenant maigre. Des tisons brillent encore dans la forêt. Comme des clins d’œil de la nature.

Le fils entend la rivière se remettre en musique.

Dans l’abîme saccagé un arbre s’échoue sur le sol. Le boucan réveille la mère. Elle ne sent plus son bras. Elle le frictionne de l’autre. Celui accroché à la branche. Sa tête se crispe de douleur.

— Médéric… je sens plus mon bras… Médéric…

Et la main bifurque vers l’enfant. Et la main constate le terrible. L’enfant ne bouge plus. Son thorax ne se gonfle plus. Il est gelé. Par endroits un bleu foncé a pris d’assaut les bras les jambes. La mère arrache un hurlement perçant du fond de sa gorge enrouée. Elle tousse. La morve fuse des narines. Elle crie.

Les lèvres bleuies du fils veulent dire. Veulent conforter. Mais elles bloquent. Devant l’horreur. Il tente de la prendre dans ses bras. La mère se débat. Elle garde fusionné à elle le corps inerte. Elle ne veut rien entendre. Le fils y va d’une autre tentative. Elle s’éloigne. Brusque enragée. Et elle perd pied sur une roche huileuse tapissant le fond de la rivière. Le fils nage vers elle. L’eau froide l’ankylose. Le courant la mange elle et l’enfant.

Le fils sanglote. Étouffe la crise. Les bombes du dedans. Le poing refermé en boule vient cogner le crâne impuissant. Le temps se recueille. Et le fils fait demi-tour. Grimpe aux abords de la rivière. S’extirpe en rampant. La force le lâche. Son ventre vient dormir sur le lit de cendres.

30.

Médéric marche à travers la fumée. À travers la forêt étique. Brisée de morsure. Au loin il aperçoit un roc. Il s’approche. Ses pas traînent sur le sol.

Dans le roc une cavité. Il entre.

Ses mains longent les parois encore chaudes. Ses yeux s’habituent peu à peu à la pénombre. Médéric avance encore. Lentement. Il remarque alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecsur le sol des restes humains. À moitié calcinés. Il les scrute. Les yeux égarés. Figés sur les os et les lambeaux de chair. Médéric détourne le regard. Et sort.

À la sortie il rencontre à quelques mètres de lui un orignal. Les bois qui se faufilent entre les branches. Médéric remarque que son poil dégueule une pluie d’eau sale. Il sort de la rivière.

Les yeux noirs s’amarrent aux siens. Ils s’observent un moment. Et l’orignal tourne la tête. Il regarde au loin. Il continue sa marche.

Médéric observe à son tour le paysage désolé. Il plonge dans sa poche pour en ressortir le ruban de sa sœur. Et l’attache à une branche et le fixe.

— M… M… Mer….ci…

Il le touche encore. Et quitte les lieux. S’enfonce dans les bois.

FIN


Emmanuel M Simard : La chute du jour… (suite : 21 à 25)

6 avril 2016

La chute du jour, par Emmanuel Simard…

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21.La mère et le fils observent des bouts de peaux jaunies tomber. Poussées par les crachats de vents et la maigre averse. Qui couvent la terre. alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecComme un pesant manteau. Des relents de soufre incrustent les fibres de bois des maisons. La mère tend la main vers les épaules du fils. Le toise du regard. Il ne bouge pas. Ses yeux inquiets demeurent fixés sur le rideau ocre qui flotte devant lui.

Perçant les rayons de l’aube la mantelure citrine recouvrant une partie du sol semble haleter. Naître et mourir aussitôt. Le jour et la nuit se chevauchant en une succession lapidaire de lumières et de ténèbres. La pluie jaune cesse. Mais maraude encore les toits. La mère se retourne. Attaque de sa prunelle le crucifix ornant le cadre de la porte d’entrée. Les hommes eux transpercent l’haleine poisseuse et coupent vers les champs à l’orée des bois préparer des feux abattis.

22.

Le feu erre. Le feu se lamente. Le feu explore lui aussi toutes les contrées possibles. Il avance. Déchiquetant les ciels de dizaines de fumerons. Remplaçant la volupté des nuages. Le feu est nuit. Et arrive comme des alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecballes. Retenant le paysage dans ses nombreux jupons d’ombres. Et là des milliers de couleuvres appliquées et besogneuses. Sifflant la sève bouillante des arbres. Cri éternel fusant des fourrés des clairières des marais asséchés. Fanatiques et enragées les flammes cautérisent de fausses blessures. Elles tirent les langues sur la verdure et à la mort qu’elles fabriquent elles-mêmes désormais.

Le fils voit une partie du toit écroulé. Il ne voit pas sa mère dans la chambre. Les flammes édentent les murs et cassent les vitres. Le fils secoue la tête d’effroi. Il s’avance près de la cuisine ennoircie. Au ciel il remarque les nuages opaques occupant tout l’espace. Ses pieds tâtonnent le sol. Ses pupilles s’habituent aux ténèbres.

Il la découvre face contre terre.

Un morceau de charpente émietté sur l’échine. Le visage ébloui par le sang. Qui coule parmi la suie des oreilles. Des narines. Des yeux. Le fils a un hoquet. Ses paupières s’écarquillent et dorment un instant. D’un sommeil éclaté. Le temps s’enfourne lentement à l’intérieur du brasier vorace avalant la maison.

Et une foudre orange l’écarte de la scène. Reculant d’un pas il remarque sur le mur latéral toujours debout l’horloge du père. Ensorcelé. Il va vers l’objet intact. Le décroche. Et l’installe contre son abdomen. Caché par sa chemise.  Il fait demi-tour et passe la porte. S’éjecte dans la forêt embraisée.

23.

Le mouton s’égosille dans la forêt crevée de grondements sourds. La motte de laine échevelée se faufile entre deux branches. Elle crame sur son dos alors que la vie le traverse toujours. L’animal paniqué et aveuglé par les flammes percute une pierre. Le fils l’aperçoit expirer ses derniers bêlements. Contre le sol et les roches anthracite. Lacérés de runes sauvages produites de suie.

Sur ses vêtements il sent la chaleur. La brûlure latente. Ses chaussures de babiche forment une route à travers le volcan enragé. Et la terre tremble sous l’agitation torrentueuse des flammes. Ses pas se pointillent. Passent entre les centaines de minarets verts peuplant autrefois une forêt dense et froide et belle.

Un homme sort d’un épais nuage de fumée. Surprend le fils. Court vers lui. Terrorisé. Une boule de feu remplace ses cheveux. Les vêtements brûlent aussi. Dans ce tumulte orangé le fils perçoit l’odeur de chair cramée. Qui se dégage de l’homme. Du dos arraché d’ignescence.

L’homme hurle quémandant de l’aide. Se jette sur le fils tombant sous son impact. Une bouillie violente s’éparpille de la bouche de l’homme. Le fils se secoue pour sortir de l’étreinte gênante. L’homme est lourd. Lourd de mort. Et son regard tombe sur une pierre. Il la rejoint étirant son bras. Les doigts la touchent à peine. Les cris de l’homme continuent d’araser l’ouïe du fils distinguant maintenant que de faibles grondements. Qu’une bouche qui s’ouvre et qui se referme. Il étire une fois de plus son bras envers la pierre. Il s’étire jusqu’à disloquer son épaule. Et la touche et l’arrache du sol et la fait naître au creux de sa paume sec. Il frappe. Deux fois. À la tempe.

Il le fait rouler sur le côté. Se sauve plus loin. Ne prend pas le temps de regarder derrière. En chemin il tâte l’horloge. Les bouts de doigts disent qu’elle tient toujours bon.

24.

Les images saintes le vissent sur place. Il les remarque de loin. Plaquées à la porte de la maison. Imprimées sur deux petits morceaux d’étoffe noire. Deux autres siègent aux fenêtres. Attachées par des rubans de coton. Ici le feu est calme. Il ronge lentement. Il se délecte. Contigu à la maison la cave à patates égare des pleurs d’enfants. Le fils approche aux abords de la porte. Il remarque un autre scapulaire accroché à sa poignée. Cousu sur le tissu dentelé une image de Jésus portant sur sa main un cœur luminescent. En dessous de l’image le fils lit une inscription.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecCOR JESU

MISERERE NOBIS

Il ne sait pas ce que cela veut dire. Il entrouvre la porte. Et découvre dans la pénombre une douzaine de personnes assises par terre. Une femme apeurée l’aperçoit. Et lui crie de rentrer. Ce qu’il fait derechef. La femme l’ausculte. Vérifie s’il est brûlé.

— Ne t’en fais pas… T’es en sécurité ici… Jésus nous protège…

Elle remarque au toucher la bosse à l’intérieur de sa chemisette. Elle déboutonne le vêtement. Découvre l’horloge. Intriguée elle la dépose près de lui. Il fait non de la tête et la reprend dans ses bras.

— Où est ta mère ?… Ton père ?…

Le fils est muet. Il tourne la tête. Étudie l’endroit.

Sur chaque côté de la cave des centaines de patates pourrissantes dans des paniers faits de lattes de bois. Au fond de la pièce une femme allaite son bébé. Il remarque le sein affaissé et le visage tortillé de fatigue. Le bébé semble calme. Trois hommes à genoux prient dans un coin. Assistés d’un curé. Éparpillés sur le plancher des enfants larmoyants sales de suie étreints par leurs pères et mères. Il revient à la femme qui l’étreint à son tour.

— Comment t’appelles-tu mon enfant ?

Il ne répond rien. Le curé fait un signe de croix et se relève de sa génuflexion. Il vient au fils.

— Il va bien ?

— Oui… mais il parle pas… Je lui pose des questions mais il répond rien… Vous le connaissez Monsieur le curé ?

Tout en l’observant la main s’écroue à la tête emmêlant les cheveux du fils. Il efface les larmes séchées et la boue sur la figure.

— Bien sûr que je le connais… C’est Médéric… Médéric à Marcellin Gagnon…

Il fixe le fils.

— Médéric ?… Médéric ?… Réponds-moi…

Le fils s’efface à l’intérieur du cadran de l’horloge. Sur ses aiguilles noires. Fixées désormais à quinze heures.

— Il doit être sous le choc ce pauvre enfant… Faites-le assoir… Donnez-lui un peu d’eau… Il doit en rester dans la cruche…

La femme s’exécute. Le fils garde près de lui l’horloge comme la mère donnant à boire à son enfant. La femme s’amène avec de l’eau qu’il boit en petits traits. Tous l’observent. D’un œil éclaboussant de compassion. Lui fixe la mère et l’enfant.

25.

Tout bas. À peine perceptible. Un homme parle à un autre.

— Mon cheval s’est cambré… j’ai essayé de le tirer vers moi mais la seule chose à quoi il pensait… c’était de partir au galop… le feu lui faisait assez peur… je l’ai traîné avec moi un bout…mais j’ai ben vu qu’il souffrait… le feu était pris après ses flancs… y’a donné un dernier coup… pis j’ai lâché la corde… je pouvais pas le laisser souffrir de même… Il est parti se perdre dans le fin fond des bois… C’était une belle bête…

Les deux hommes méditent.

— As-tu vu Josaphat ?

— Non…

Le fils les regarde discuter.

Une vieille femme égraine un chapelet. Son tablier toujours collé  à son ventre gonflé. Flasque. Ses lèvres gigotent la prière en murmures alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecindistincts. Le fils remue son regard vers une autre femme qui s’applique sur les bras et sur le visage une purée nauséabonde provenant des patates avariées. La mère à l’enfant le fixe. Lui sourit. Elle ne nourrit plus son bébé. Il dort maintenant dans ses épais langes. D’une main elle fait signe qu’il vienne la retrouver. Il détourne le regard. Et s’enfonce dans les paniers à patates.

Près de lui une fillette pleure dans les bras d’un garçon plus vieux. Il encastre sa tête dans ses bras croisés appuyés sur ses genoux. Adjacent à l’entrée un jeune homme se met à tousser. Traversant les interstices de la porte la fumée s’infiltre dans la cave.

— Le feu… le feu…

— Faut sortir !…

Le jeune homme en panique ouvre la porte et s’expulse dehors. Emboucanant de ce fait la pièce entière. Les gens se lèvent de terre et s’emportent vers l’unique sortie. La mère à l’enfant suit le courant. Le bébé hurlant. S’étouffant. Crachant. Le fils s’extirpe du plancher. Glisse dans ses poches de pantalon une demi-douzaine de patates. La mère le prend par l’épaule et enfourne son visage sans sa robe. Ses pupilles intoxiquées vomissent des larmes enfumées. Elle passe le bébé au fils.

— Allez sort Médéric… Reste près… Je te rejoins…

Le fils grimpe les trois échelons de l’escalier menant à l’extérieur. Il se réfugie tout près de la trappe avec le bébé enrubanné dans sa chemise. Collé à l’horloge. Il écrase une patate et graisse le visage de l’enfant.

La mère monte. À sa sortie un courant d’air violent nourrit l’arrogance du feu. Et décuple les flammes explosant sur sa pleine figure. Le fils va vers elle. Déplante son corps à moitié dans la trappe. Elle beugle. Déjecte ses souffrances. Sa frayeur.

— Mon bébé… mon bébé…

Le fils lui tend l’enfant qu’elle serre contre elle.

Le visage est lambeaux. Chairs violacées. Le fils met en purée une deuxième patate et l’applique sur ses plaies.

— Médéric c’est toi… c’est toi !…

Il touche sa main.

— Je vois rien Médéric… je vois plus rien…

Il l’aide à se relever. Elle tente malgré sa vive douleur de réconforter l’enfant. Sur leur gauche des milliers de floches de feu détruisent la maison aux scapulaires.


Emmanuel M Simard : La chute du jour… (suite : 16 à 20)

5 avril 2016

La chute du jour…  par Emmanuel M. Simard…

16.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecLe fils empiffre son nez de ruban. L’infrangible odeur terre toujours le tissu.  De fleurs et de frais printemps. De ses cheveux noirs. Du doux parfum de sa peau.

La teinte ocre lui est à peine perceptible dans l’obscurité. Mais il connaît la couleur. Il peut la toucher. Le fils faufile le ruban entre ses doigts. Le alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecdos fondu au sommier il croit discerner une ombre près de lui. Une froideur. Il sent le regard d’une silhouette. Ou n’est-ce que les chuchotis de l’aurore. Le vent qui chamaille les arbres. L’aube qui perce les frêles taches laiteuses du ciel. D’une lumière tiède et candide. Il lâche le ruban. La nuit rangée de sa fourrure épaisse de ténèbres transige ce vieux pacte signé avec le jour. Le fils quitte le lit. Sur le bout des pieds les orteils frôlent le plancher. Fuient vers l’entrebâillement de la porte. Il reconnaît l’ombre du père. Qui franchit les limites de la maison. Avalé par les bois.

17.

Les lattes du plancher grincent des murmures à l’intérieur de sa tête. Les murmures deviennent hurlement. Au moment où le corps veut tomber le père les bras en croix retrouve son équilibre. D’entre les murs du couloir le menant vers la chambre.

La mère peigne ses cheveux. Elle l’observe reptant jusqu’au lit. Flageolant à tous les trois pas. Une musique aveugle. Entrelacée des bruissements de la brosse fendant la tignasse. Elle soupire. Le père retire ses pelures de lainage. L’arbre défeuillé. Il tire les couvertures. Et les habite de son corps assourdi. La mère dépose sa brosse. Ramène elle aussi la couette.

— Marcellin ?…

— Humm…

— J’aimerais… qu’on retourne en ville…

Silence.

Le père se relève. Une série de mots mâchonnés dévalent sur la langue épaisse.

— Pourquoi tu veux retourner en ville Céline… Pourquoi ?… Je suis déjà mort…. Pis tu voudrais me tuer une autre fois…

Empesé il se déplante du lit. Revêt sa chemise et sort.

— Où tu vas ?…

— Nulle part…

18.

Le soleil lègue à l’immense cohérie que forment les champs et les arbres ses lances de lumière. À la lisière des bois un homme en compagnie de deux autres forme plusieurs buttes de branches mortes. Des piles de longs doigts crochus lézardant le sol sec. Brûlé de chaleur. Un autre homme jette des feuilles rouge et jaune et orange sur le dessus des branchages. Des souches à moitié décomposées viennent couver les amoncèlements.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecL’un craque une allumette et enflamme les tas de ramille. D’épais lacets gris emmitouflent le ciel comme de fins cheveux sur la joue. L’un des hommes brasse les feux d’abattis avec une branche plus robuste. Il attise les braises déjà chaudes. Un troisième homme accoutré d’une chemise dont les manches roulées enserrent ses biceps apparaît par l’est du champ. Il sied sur le dos d’un cheval au sombre brun. Tirant un couple d’arbres nécrosés.

— Belle bête mon Amable !…

— C’est vrai… une bonne bête… laisse-moi te dire une chose… Est capable…

L’homme lance une main amicale sur la crinière de la bête. Ils décrochent les troncs et les jettent dans les brasiers. Crachant de ce fait des pelures noires dans le ciel.

— Le fond de l’air est sec en sacrefice… on aurait dû attendre qui mouille avant de faire les feux…

— Arrête de mémérer Roland… y’est pas parti pour venter…

Ils travaillent autour des feux. S’occupent à ce qu’ils ne débordent pas. L’un encastre ses longs bras sur le manche de sa pelle et regarde les autres.

— J’ai entendu dire que Marcellin avait disparu ?

— Ouais… sa femme l’a pas vu depuis à peu près deux semaines…

— Eh miséricorde… je pense à la pauvre Céline… elle doit pas en mener large… en plus avec la mort de leur fille…

Ils marmottent des flaques de mots. Dégoulinant des lèvres serrées et dures. Amable tire sa pipe de la poche de son pantalon. Une pincée de tabac s’enfouit à l’intérieur. Et il gratte l’allumette.

— Faudrait ben aller lui offrir de notre aide…

— M’a aller faire un tour cette semaine… le petit Médéric va tu mieux ?

— J’ai entendu dire que oui…

— Pauvre enfant…

Couvrant le silence des hommes les feux crépitent. Envoyant aux cieux cendrés de brume et de pleurs des messages.

19.

Et les feux d’abattis ronflent encore. Et le vent arrive enceint de bourrasques. Projetant une haleine tiède sur les braises éparpillées parmi les filaments d’herbe.

Et plusieurs violences viennent des airs. D’impétueux courants venus alimenter les flammes. De l’Ouest les vents poussent les cendres encore chaudes sur la chaussée et sur les champs et sur les racines hors terre. Les braises respirent. Rougissantes. Clignotantes. Sous ce dôme chargé de nuit. Et de brillances disparates. Un feu vif prend la terre. Otage de brûlures. De troncs de branches cramées.

Des maisons se réveillent et des hommes en sortent.

20.

Amable descend de son cheval. Produisant une nuée blonde de poussière à l’atterrissage. Sa main enserre la sangle de cuir et tire l’animal avec alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec lui sur le chemin battu les menant vers la maison. Cinquante pas plus loin à proximité de la grange il remarque le fils qui s’occupe d’un veau. Près du jeune homme deux vaches ruminent dans l’herbage jauni par le soleil. L’atmosphère s’enfle peu à peu d’une délicate bise provenant du Nord.

Il attache le cheval à l’un des poteaux de l’escalier qu’il monte ensuite. Le revers de son poing vient mordre le bois rêche et massif. Des pas approchent. La mère entrouvre. Encadre son visage suintant encollé de fins filins noirs.

— Bonjour Mame Gagnon.

Elle reconnaît les traits de l’homme. Et tire la porte un peu plus.

— Qu’est-ce j’peux faire pour vous ?…

— Pas grand-chose… je voulais jusse vérifier si vous manquez de rien…

— Non… ça va…

Amable reste sur le pan de la porte. Le cuir de ses godasses cloué au parquet. Il essore son front à l’aide de sa manche.

Je prendrais ben un verre d’eau…

Il la fixe.

— Si je vous dérange pas toujours ?

Elle l’invite à entrer. Elle regarde son chapeau attaché à ses mains.

— C’est un beau chapeau…

— Ben merci… ça s’appelle un Stetson… Mon frère est aux États voyez-vous… il est venu en visite le mois dernier… pis il m’a donné ça en cadeau… j’étais assez content… tout le monde dit que j’ai d’l’air d’un vrai cowboy !

Elle soulève la cruche. Prend une tasse ébréchée. La rempli et lui tend.

— Il est allé sur un ranch… vous savez… on a de la famille aux États…

Ses lèvres lippues trempent au ras du liquide frais. Il boit en rasade.

— Y’a pas mal d’Indiens là-bas… comme icitte…

La mère emplit à nouveau la tasse. Amable la vide d’un trait. Et s’approche d’elle afin de lui remettre. La mère paralysée devant le comptoir reste en silence. Les yeux s’en vont et reviennent de la forêt. Cueillir des réponses. Elle lui indique avec la tête de déposer la tasse sur la table. Amable s’avance de nouveau. Trouble sa nuque d’un lent baiser. Le coin des yeux tisse des larmes qui roulent sur les joues grelottantes. Elle se raidit.

— Allez-vous-en… allez-vous-en…

Les doigts épais se délestent de la tasse. Les jambes reculent. Une à une. Le corps se retourne et machinalement la main remet le chapeau couvrant le chef. Le cadre de porte dessine en contre-jour la silhouette squelettique du fils. Amable sort.

Le fils scrute la mère. Lui aussi ses yeux sont revenus. Lui aussi sans réponse.


Emmanuel M. Simard : La chute du jour… (11 à 15) suite…

4 avril 2016

La chute du jour (suite…)

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11.

La lourde couette en plume d’oie l’enveloppe jusqu’au menton. Le fils grelotte. La sueur couvre son front glabre et luisant. Les perles qui s’en alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecdétachent scintillent au gré de la flamme orangée de la chandelle comme de riches bijoux. Le fils parle en mélopées indistinctes. Sur les murs il susurre aux visions de le quitter. Aux loups blancs dévorant les chandelles de suif et aux chauves-souris  flirtant dans ses cheveux de suie. Il les somme de partir mourir ailleurs. Il hurle. S’agite dans le lit. Excavant ses bras chauves des couvertures il fend l’air. Engage un combat perdu d’avance. Une lampe engraisse les murs du corridor d’un faible halo de lumière. À mesure que l’éclat parvient à la chambre des pas résonnent tout juste derrière. La mère pousse la porte entrebâillée et dépose sa lampe sur le chevet. Elle pose sa main sur le front bouillant du fils et lisse ses cheveux vers l’arrière le calmant aussitôt. La flamme de la chandelle et de la lampe découpe nettement dans la pièce obscurcie sa silhouette généreuse sur le mur campant la tête du lit. La mère suit de ses minces amandes bleues le contour noir de son corps. Ce chemin la mène vers le crucifix. Elle tend le bras et le décroche du clou où il pend depuis la construction de la maison. Dans ses mains fines et délicates le Sauveur semble costaud et robuste bien que ce soit tout à fait le contraire. Elle place la croix au pied du lit. En joignant les mains ses genoux viennent embrasser les madriers de pins. À son tour elle bredouille une suite d’exhortations sacrées. D’urgentes prières. Sur la respiration sifflante du fils. Glissant dans le feu de son affliction inconsciente. La mère se relève et remet le Christ en place. Ses lèvres calent un lourd baiser sur les joues carmin du fils.

12.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecLe père engloutit la soupe d’orge que la mère vient de mettre devant lui. Sur la table près du bol un morceau de lard salé. La lumière de lampe à huile crépite sur le gras blanc moelleux. Il empoigne le morceau au creux de sa paume. L’autre main fouille dans son pantalon. En tire un couteau avec lequel il coupe des carrés de lard qu’il plonge au fond de sa soupe. Ensuite un morceau de pain plus dure que tendre transperce la couche translucide de graillon recouvrant le liquide. Il brasse avec le pain foncé comme un morceau de charbon la mixture ocre. La mère se sert un bol. S’installe en face du père. Elle avale une première cuillerée.

Le père fait glisser un peu d’eau dans sa gorge nouée. Noie sa cuillère dans le mélange tiède. Mord dans un moignon de lard. Du bout de ses doigts il la fait nager comme un poisson mort au bout d’une ligne de pêche. Il lâche l’ustensile. Se lève. Ancre ses bretelles sur ses épaules charnues. Marchant vers l’armoire massive faite de planches.

Il prend son tabac. Sa pipe. Sa fiasque. Ses deux doigts jaunis pincent une prise de feuille brune séchée. Il bourre le talon de couleur cuivré. Dans le poêle à bois il pige un tison incandescent. Qu’il fait sautiller dans sa main. Il lui fait embrasser la cheminée de la pipe. Il tire. Retiré dans le ricochet des flammes du poêle lutinant sur l’entrebâillement de la porte. Bordé par les grincements de la chaise de bois. Et les tics tacs de l’horloge. La gorgée d’alcool vient à ses lèvres. Le brûle. Un peu.

— Tu voudrais pas un thé à place ?

Dans la chaise berçante il fait non de sa tête embroussaillée de poils et de cheveux dépeignés. Chamarré par les lacets gris voluptueux. Il boit. La mère mange peu. Ne termine pas son repas. Elle se hisse au-dessus de la table. Rassemblant les couverts remarque les places vides. Ses deux ovales virides se peignent de brumes véloces. De filets pourpres. Les larmes vont s’évanouir sur la vaisselle sale. Le père perd le nombre des lampées. Fixant les braises se consumer.

13.

La mère coupe sa chevelure. Par terre les crins s’entassent. Forme une marée brune. De sa paire de ciseaux coutumière la mère tranche les alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecmèches bistrées. Elle se mouve face à lui. Découpe ses touffus accroche-cœurs. Se penche pour mieux en vérifier la symétrie. Le fils ne dit rien. Fixe le rempart de forêt. Elle frotte de manière délicate le dessus du crâne. Le dépoussière de l’excédent de cheveux. Elle vérifie la plaie sur la tête. Rosâtre. Désenflée.

La mère remet ensuite les ciseaux dans la poche de son tablier. Happe le balai accoté sur les montants de la porte et pousse les restes de tignasse en dehors du porche.

Déchire les murs émeraude le son d’un cheval. Clapotant sur le sentier de boue durcit. Sur la voiture la mère aperçoit un homme. Vêtu d’un complet noir. D’une chemise blanche. Ponctué d’un nœud papillon noir. Il conduit son cheval à quelques mètres de la maison. Valise en main il descend. Il ôte son chapeau. L’appuie sur sa poitrine.

— Je vous offre mes sympathies Mame Gagnon…

Un sourire contrit caresse le visage caviardé. La mère invite le médecin à monter les marches. Il salue le fils. Blême. Vide.

— Il fait plus de fièvre ?…

La mère fait non de la tête.

— Mais il parle plus Docteur… y’a pas dit un mot depuis qu’il s’est réveillé…

Le médecin ausculte le crâne du fils. Tatillon il inspecte la plaie.

— Ici ça semble bien…

Le stéthoscope colle au dos. Comme pour se concentrer le médecin abaisse la tête vers le plancher. Il grommelle des indications à lui-même. Retire le stéthoscope.

Le médecin se place devant le fils. Bougeant un crayon de droite à gauche. Mais les prunelles s’enlisent dans l’orbite. Mince couche de frasil sur l’eau. La parole claustrée. Parmi les sapins les feuillus de l’immensurable forêt l’entourant comme les murs d’un cachot.

Le médecin remballe ses affaires. Réajuste son nœud papillon. Replace son chapeau.

— Le corps est bien… mais l’esprit semble encore sous le choc… laissez-lui du temps… si ça persiste au bout de deux trois semaines rappelez-moi… je vous mettrai en contact avec des médecins de la grand’ ville…

La main compresse l’épaule en guise de compassion.

— Laissez du temps au temps…

Il sourit. Et remonte sur la voiture. Le cheval renâcle. Frotte ses sabots.

— Attendez. Docteur !…

Elle trottine jusqu’à lui emplissant sa main de deux pièces de monnaie.

— Pour le dérangement…

Il la salue du chapeau. Les lanières de cuir viennent fouetter le cheval. Qui se met en marche sur le sentier.

14.

L’odeur le harponne dès l’entrée. Un remugle faible mais tenace de décomposition. Et les yeux se scellent aux huit couleuvres pendues au mur. Tête vers le bas. Capitonnant la cabane de leur corps longiligne. Raide. Certaines ont la gueule ouverte. Et il voit leur fourche de chair grisâtre et il voit leurs crocs cannelés au fond de la mâchoire et il voit leurs billes éteintes et il voit leurs narines closes. Enfléché par la crainte il se coupe du tableau. Drosse ses deux yeux noirs sur le reste de la pièce. À droite accoté au mur le bède enveloppé d’une peau d’ours. Des dizaines de livres en flaque dessous. Au centre un poêle à deux ponts. Marqué de la griffe Galbraith. À gauche une pièce sans porte enluminée par le soleil. D’où un homme émerge. Crâne lisse. Lunette à monture ronde collée au visage. Costaud.

— Ah… c’est toi Médéric…

L’homme remarque près de ses jambes une hache et dans ses mains un paquet enveloppé d’un morceau de tissu carrelé. L’homme désencombre le fils. Déballe le paquet et y découvre un pain. Le dépose sur le bède. Il tâte du bout du pouce la lame de la hache.

— Ton père a fait un beau travail… tu remercieras ta mère aussi pour le pain…

L’homme repart vers la pièce éclairée et en sort presque immédiatement. L’horloge aux creux des bras. Le fils l’accueille contre son sein. L’homme l’écoute tictaquer.

— C’est beau le temps qui passe…

Le fils allonge un regard égaré. Maculé d’aube et de vent.

— Tu parles pas fort mon homme ?!…

Il baisse la tête sur la vitre de l’horloge corrodée par son reflet. L’homme tapote son tapis noir de cheveux.

— Parle si t’as des mots plus forts que le silence… sinon reste en silence… Y’a trop de monde qui dise des folleries.

Le fils retourne sur ses pas. Et quitte l’homme.

15.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecLe père fond au plus profond des bois. La mère debout sur la galerie le regarde s’éloigner. Disparaître à l’intérieur du mur forêt. Il marche. Se souciant guère des branches qui pleurent sur son visage. Qui le fouettent. Crayonnant de minces raies rougissantes.

Le père avance. Au passage ses pieds heurtent de vieux arbres dégoisés. Pourrissant sur ce tapis de mousse réséda devenu leur tombeau. Il voit. Mais ne voit pas. Les oiseaux qui le sifflent. Les écureuils coursant sur le tronc des feuillus. Le soleil qui nourrit les jeunes pousses. Le père foule le sol. Jusqu’à la clairière. Jusqu’au cèdre penché. Où il laisse ses doigts flirter sur l’écorce. Le bras de chemise essuie les yeux. Des yeux brumeux qui perçoivent les jeunes branches rafler le plancher sec.  Le père se distance d’un pas de l’arbuste. Le manche de la hache empoigné danse autour de son corps éploré. Il exécute un demi-cercle. Et la lame s’enfonce dans l’épiderme de l’arbre. Il tire la lame du tronc. Et recommence.

L’arbre vomit des éclats de bois. Les coups de hache secs et stridents forment des voix écho qui beugle à la forêt. Se fusionnent à cette percussion mortuaire les pleurs ravalés du père. La hache s’arrête. Se couche près de la blessure. Le père étire ses bras jusqu’au tronc. Et pousse. Les craquements violents du bois embaument un instant la forêt des sifflements et reniflements du père. Il s’agenouille près de la dépouille verte. Et le vent l’effleure. Sur la joue. Ses épaules s’affaissent. Il s’abandonne. S’effondre. Sédiment gris accueilli par un lit de copeaux et de branches de cèdre arraché. Les larmes éclatées viennent aussi s’endormir. Entre le père et l’arbre débité.


Emmanuel M. Simard : La chute du jour (6 à 10)… suite

3 avril 2016

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec(Suite)

6.

L’œil noir de la vache. Scintille sur le brasillement continu de la lampe à l’huile. Que tiennent les mains haletantes du fils.

— Arrête de bouger Médéric… je vois pas clair…

Indistinctement. Les taches noires dansottent devant les yeux du fils. L’étable abrite deux autres vaches ruminant la paille. La troisième est étendue sur le sol de terre battue. Son vagin dégurgite une boue rouge et noir.

— Approche la lampe…

Le fils voit poindre deux pointes du vagin de l’animal. Le père les agrippe. Et les remorque vers lui. Par coups secs. De la sueur en naissance sur alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecson front scarifie son visage. Les mains imbibées du liquide amniotique. Une tête blanche informe suit avec les pattes. La vache mugit. La langue tressaille sur le plancher recouvert de paille.

— Elle a mal ?

Le père n’écoute pas. Il va expulser le corps du veau à l’air libre. Fuligineux. Enfumé d’effort. Il pénètre les chairs violacées de l’animal et débusque les pattes arrières et accueille de ses bras musculeux le veau et le couche plus loin et il utilise sa paume comme une louche et plonge à l’intérieur d’une barrique d’eau et lui verse dans les oreilles et lui remue la tête et le veau lèche sa patte. Les bras brouillés de sang coagulé il fonce sur la vache. Prend compte de son état.

— Approche… approche la lumière Médéric…

— Elle va mourir ?

— Laisse la lampe là… occupe toi du veau…

Le sang continue ses ribambelles écarlates. Perce en rivière la fente noire. Les meuglements se font plus distancés. Le fils laisse aller sa main tremblante sur le corps encore pâteux de l’animal. Il tourne le dos à la mare vineuse. Et la vache meurt.

7.

Les couvertures dévalent en cascade. Dorlotant les lattes du plancher. Le lit grince. La chambre anuitée gave les murs de gémissements. Le père souffle des brumes de fort au creux du cou de la mère. Chancelant par-dessus son corps  montueux. Il l’inonde de coups de bassin. Averse sueur et pluie en forme de râle. La mère s’accroche une main dans le montant du lit. Et mord sa main. Les yeux ne sont plus que des fines lames de plaisir. Le père enfonce une main à l’intérieur du corsage. Dégonde un sein puissant mais flasque. Décoré d’un mamelon presque ébène. Sur lequel sa bouche s’enharnache tel un poupon. Les doigts noirâtres s’enfoncent dans la chair rêche des fesses touffues. De la racine de ses cheveux charbon la sueur en gouttes son front lutiné de ridules. Le père sent remontant sa gorge les effluves d’alcool. Brûlure saumâtre fissurant l’œsophage.

Le père la pénètre. Plus durement. Empatte le sein pâle comme on pétrit du pain. Et.

Le sexe se fane. Liquéfié dans la matrice gluante de la mère époumonée.   Tranquillement. Il pivote sur le dos. Écrase sa masse égueulée d’alcool sur le matelas bourré de paille. Récupère les souffles perdus. La mère remballe sa poitrine. Visage rembrunit. Festonné de rêves d’hier. Elle fixe le plafond de latte. Une brise l’incommode. Et sa peau devient peau de poule. Elle se met sur pied. Va fermer l’unique fenêtre de la chambre. Lissant ses cheveux bouclés vers l’arrière. Elle revient s’asseoir sur le bout du lit. Le père revêt sa combine. Tire la couverture sous le menton. Crève la chambre de sa voix enrouée.

— Tu t’installes pas pour dormir ?

Il remarque enluminé par les reflets de la nuit les lèvres en pente et la tête basse. Le père s’installe sur le côté tournant le dos. Ramène les couvertures par-dessus l’épaule.  Les dernières attisées craquent dans le poêle. Les dernières chaleurs. Le flot quiet de sa voix s’esquinte sur la nuit.

— Ma cousine Violette… je peux pas m’empêcher d’y penser… qu’elle a juste à regarder Éphrème… drette dans les yeux… ses yeux noirs comme un ours… elle a juste à coller son sourire au sien… son Éphrème… pis neuf mois plus tard… elle enfante… elle… elle a un petit enfant dans ses bras… qu’elle berce… qu’elle pouponne… Je vous ai tu offensé mon Bon Dieu ?…

— Couche-toi don…

Sur la table de chevet une main tâtonne. Un chapelet s’enroule au poignet frêle. Et s’égraine.

8.

L’horloge trône sur la modeste crédence de planches de pin. Elle est au centre. Au travers diverses assiettes et divers couverts. Le cadran entouré de chiffres romains affiche onze heures trente-deux.

La mère approche du meuble. Elle étire son bras pour y cueillir des assiettes. Et remarque la disposition des aiguilles. Curieuse. L’ongle de son alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecindex tapote la vitre de la caisse. L’oreille venant se frotter au verre froid. La mère ouvre une petite boite de bois. Soudée au reste de l’horloge. Située dans sa partie inférieure. Une clé pendouille entre ses doigts. Délicate. Sa main ouvre le panneau du cadran. Introduit la clé. Et tourne. L’engrenage craque au rythme d’une dizaine de coups de poignet vifs. Elle cesse. L’oreille en proie à un minime tic-tac métallique. Rien. Le son dort.

— Marche plus ?

Derrière elle. La voix caverneuse du père.

— Non.

Il approche. Constate par lui-même. Se gratte la tête.

— Ton père nous en veut pour moé.

— Mêle pas les morts à ça…

Le père décroche l’objet. Le couche sur la table à manger avec autant de délicatesse qu’il l’aurait fait pour un nouveau-né. Il va à la porte. Étale son regard dans l’extérieur verdoyant plombé par le ciel carbonisé de soleil.

— Médéric ?! Lucette ?!

D’entre les arbres une silhouette émerge. Le fils court vers la maison.

— Ta sœur est où ?

— Chez les Tremblay… Elle joue avec Éva…

Va la chercher j’ai une commission pour vous autres…

9.

Les deux pointes d’épingle noires de l’oiseau la scrutent. Un ver sur le sol grenu. Se tortillant sous les flèches d’une chaleur drue. Elle s’accroupit. Remonte sa robe. Le tissu lèche les genoux menus. Donne sa croupe de carnation pâle à la nature opaque vert brun noir. Le fils entrevoit un filet jaune sourdre d’entre les jambes. Ses pas se boisent sur le tapis de brindille de mousse de branchailles. La fille se sent épiée. L’oiseau s’expédie au ciel. Elle se retourne en cris. Le fils court vers elle. L’index croisant ses lèvres. Signant le silence. Soulagée la fille s’assoit sur son séant. L’observe amusée. Silence.

— Tu veux encore voir c’est ça ?…

Le mouvement de sa tête est lent. Droite à gauche. Ralenti.

Elle se redresse et l’attrape par le bras et l’amène là où la forêt les vole de la lumière étarquée du matin. La fille se couche sur le dos. La flanelle de ses sous-vêtements encercle ses chevilles. Le fils examine la fente. Les quelques poils perdus sur le pubis.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecIl tend sa paume vers ce sexe inachevé. Repose sa main. Et le souffle se fait cadence. Le visage alourdi de bouffées de sang. Les yeux se closent, goûtent le moment. La fille se permet d’élancer le bras vers l’entrejambe du fils. Tâtant fiévreuse le sexe dur empanaché de veines dilatées. Le fils éjacule. Retrouve sa vision. Déracine sa main. Rongé malaisé. Il se sauve. La fille se relève et le suit.

10.

Et l’image incessante d’un bouillon dans la rivière surine sa rétine. Pétrifiée. Clouée. Par les images cauchemars. Ses mocassins de babiche restent fixés sur les pierres rondes et poreuses. Ocre striée de minces lignes noires. Peuplant les bords de la rivière. Derrière des infinitudes voilées d’arbres verts géants. L’emprisonne pour lui montrer la gamine. Qu’il voit maintenant valdinguer  dans les sillons d’eau pointue. Froide.

Il sent la main hurler de panique. Il voit les longs cheveux blonds s’assombrir d’eau pétrole. Il voit aussi le visage osseux s’enfouir dans le liquide écumeux. Revenir à la surface. Et s’enfouir de nouveau. Il voit peut-être aussi les poumons avaler l’eau noire. Et ensuite être recrachée par les narines. Vomit par la bouche. Elle crie. Ses pieds sur la pierre sèche bougeottent. Fébriles. Mais impuissants. Sa tête se dévisse en mouvements vifs. Cherchant une aide.  La main désespérée attrape une branche sur la rive. Son souffle jusque-là emprisonné dans son corps déborde de sa poitrine. Heurte sa langue. S’expulse dans l’air chaud dégagé par les rochers. Il rompt racine. Sautille sur les roches. Vers la branche de tremble dominant la surface de la rivière. Elle crie.

Dans la foulée il tord sa cheville entre deux pierres. Son corps se renverse vers l’avant. Son front éclate contre un billot pourri. Il arrive à toucher devant lui qu’un filet blanc visqueux. Le sang gerce le visage. Fuse de la plaie à la naissance du nez aux joues au menton. Elle crie. Il ne l’entend plus. Le torrent pousse le corps léger de la gamine.  Vers ailleurs. De la main disparaît la force. La main lâche prise. Le corps chétif s’enfuit. De dos vient percuter une pierre. Le regard s’abîmant au même moment d’inconscience. Coulant dans les profondeurs du courant.


Emmanuel M. Simard, Novella : La Chute du jour (1 à 5)

2 avril 2016

(Nous inaugurons cette semaine une succursale du Chat Qui Louche.  Ce Chat Qui Louche 2 publiera des novellas etalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec des romans feuilletons.  C’est avec La chute du jour d’Emmanuel M. Simard que nous lançons ce nouveau navire.  Vous en  reconnaîtrez des extraits déjà publiés dans notre premier Chat.  Vous reconnaîtrez aussi son monde à l’érotisme sourd et aux forces chthoniennes rampantes.  Et sa langue :  hachurée, désarticulée, poétique et sans fard.  Un univers sans pitié, sans cesse secoué par les volcans qui le sous-tendent. Alain G. — juin 2012)

LA CHUTE DU JOUR (1-2-3-4-5)

Emmanuel M. Simard

Maintenant seulement l’enfant s’est enfin défait de tout ce qu’il a été. Ses origines sont devenues aussi lointaines que l’est sa destinée et jamais plus tant que durera le monde il ne se trouvera des sols assez sauvages et barbares pour éprouver si la matière de la création peut être façonnée selon la volonté de l’homme ou si le cœur humain n’est qu’autre sorte de glaise. Cormac McCarthy, Méridien de sang

1.

La corneille croasse. Dans sa prison de branches d’arbre. Le bec pince les barreaux. Et les yeux noirs de l’oiseau. Paniqués. Perfore les rétinesalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec inquiètes du fils. Qui traîne près de son père.

Au bout de la corde la cage bringuebale d’avant arrière. La corneille instable enserre ses pattes dans les branches. Crache peur et haine. Déploie ses ailes noir charbon et tente de briser sa cage en prenant son envol. Cri rauque. Rage et violence. Le fils se raidit.

Au centre du champ le père s’arrête. Vis-à-vis un trou béant creusé à même la terre ensemencée. Un pied profond. Cinq de tour. Le père pose la cage. Évitant les coups de bec. Le fils en retrait observe son père. Coi. Immobile. Sachant qu’il devra le faire un jour.

Opérant un cycle calculé et rituel le père ouvre la cage de bois d’une mince fente. Assez étroite pour pénétrer sa main gantée. Saisit l’animal. Agressif. Qui picosse féroce ses longs doigts en joute. Le cou obturé d’une prise ferme la corneille reste sans mouvement. Avec l’autre main qu’il ancre sur le flanc et qu’il entoure jusqu’au croupion, il exerce une pression. Et il tord la corneille. Vieux torchon que l’on essore.

Le fils sursaute. Fermant sous le bruit sourd des os qui s’effrite du sang qui lâche des billes qui se révulsent ses yeux dégoûtés. La terre accueille la mort noire grisée de rouge. Malgré elle. Le père se penche pour défricher les plumes des ailes. Aider en s’accrochant aux scapulaires. Qu’il se résout à arracher complètement. Il garde les plus grosses plumes près de sa botte. Quand il en a assez il appelle le fils.

— Médéric… pique les autour du trou.

Les plumes collent à ses fines baguettes de peau. Légèrement paralysé, hypnotisé il fait le tour de la cavité. Darde la terre des calamus rose pâle.

Le père remue la dépouille afin de découvrir des plumes de bonnes tailles. Dessoude les plumes de la queue. Les tend au fils. Qui termine de faire le pourtour.

Le père pêche la carcasse désailée et la jette à l’intérieur de la cicatrice de glèbe. Il y jette aussi les ailes. Il ramasse la cage de branches. Invite le fils à le rejoindre. Contre leur dos la brise fraîche du matin les pousse vers la maison.

2.

À l’horizon l’air semble dense. Épaisse d’une brume cotonneuse. Les mains dans les poches de son froc il hume l’air. Pilassant le champ épierré. alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecLabouré. Engraissé.

La forêt au loin dans ses poumons. La terre fraîche. Huileuse. Fil sur la barbe mal taillée. Sur le bonnet qu’il a soudé à sa tête.

Le sol spongieux couine derrière son dos. Un baraqué arrive deux poches de jute barrées en bandoulière sur les épaules. L’homme passe un semoir au père. Qui vient lui serrer la main.

— Bonjour Monsieur Tremblay…

En réponse l’homme abaisse la tête. Et s’agenouille sur la terre glaireuse. L’index parcourt le corps courbé en un signe de croix pesé et senti. De son cou sort une croix. Qu’il touche d’un baiser. L’homme se remet sur ses jambes.

— Tu te signes pas Marcellin ?

Le père place la poche. Oreilles étrangères.

— Hey mon baptême… tu vas te signer… j’ai pas envie de perdre une récolte…

— Oui oui Monsieur Tremblay… oui oui… mais entre vous pis moi… Dieu a rien à faire là d’dans.

— Marcellin… pour l’amour du bon Dieu… veux-tu pas dire des affaires de même… j’te dis… vous autres les bûcheux… tous les mêmes… des blasphémateurs…

Le père part en un léger ricanement. Se signe en gestes rapides.

— Pis la famille va bien…

— Oui.

—  Céline va bien…? je voudrais pas faire mon comméreux… je l’ai vue au magasin général l’autre jour… je l’ai trouvée mal…

—    Faut pas vous en faire Monsieur Tremblay… Ma Céline pense à la ville pas mal ces temps-ci…

—   Elle veut pas partir toujours ?

—    Je sais pas… c’est une fille de ville je pense… la terre… c’est pas son fort…

—           Hey baptême… une belle terre comme la vôtre… si tu pars mon Marcellin… tu me fais signe… j’ai pas beaucoup d’argent… mais comme j’dis… y’a toujours moyen de moyenner…

—    Fatiguez-vous pas Monsieur Tremblay… on va rester…

Les deux hommes se séparent.

Le père retrousse la manche de sa chemise. Coule jusqu’au poignet sa dextre dans la mer de graine. Il entame la marche des semailles. Aux deux pas, le bras pendule répand entre les doigts les minuscules gouttes de pluie. Derrière ses enjambées de nouvelles cartes du ciel se tracent. En myriade de grains semence. Portés par le grésillement des graines tombant sur le sol et de la friction des bottes se frottant légèrement. Blasonné du rose des cieux ils avancent.

3.

L’œil en fatigue. Les rides passent. Sur le visage troué d’impatience. De la mère qui persifle des prunelles les autres femmes de la rivière. Et les marmots courant autour de leurs hanches sinueuses cachées sous leur jupon.

— Maman ! Maman ! Aidez-moi !­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­

La mère et la fille chacune à l’extrémité d’un grand drap. Qu’elles tentent de dresser sur les madriers ne cesse de se retourner sur lui-même de virevolter au gré d’un vent chaud du Sud. Elles secouent à l’unisson le tissu. Les plis se lissent. Et le drap vient pendre sur le banc à laver. La musique des sabots de bois blanc qui dansent sur les calots. Rebondie contre le métal des larges chaudrons alignés sur le bord de la rivière. Chaudrons où les morceaux de linge se noient.

Une femme gonflée du ventre bat d’une large palette de bois une lourde catalogne. Sa fille frappe aussi un drap. Elles chantonnent un air. Qui cadence chaque coup qu’elles octroient aux tissus.  Comme les tambours rugissants d’une galère Romaine.

Une dizaine de coups suffit à les enfiligraner dans un halo de poussière. Délogée la manivolle valsent sur les corps. Tourne dans l’air.

La mère ouvre un sac de jute. Déballe un tapis et une nappe. Elle se munit du battoir et commence à frapper le drap.

— Lucette occupe-toi du tapis puis de la nappe…

Elle hoche de la tête. Et se met à l’ouvrage.

La mère regarde la femme gonflée battre la catalogne. Elle regarde les gouttelettes sillonner sur le visage doucereux et regarde les joues rougir et regarde le ventre frémir.

— Mame Villeneuve vous allez vous tuer à travailler comme ça… vous portez une ­­petite créature après toute…

— Faites-vous en pas Mame Gagnon… je travaille toujours jusqu’à temps que je crève mes eaux…

La femme part en rires aigus. Et repousse la chansonnette du battoir. La mère lâche la palette par terre. Elle regarde sa fille.

Sur les pierres de la rivière elle cahote vers le chaudron fumant. Se penche. Ses seins pesants s’écrasent sur ses genoux. Les bras brassent d’une bûchette le feu emporté. Elle vient décrocher le drap qu’elle trempe aussitôt dans la mixture fait d’eau de la rivière et de lessi. Elle remue avec un long bâton. Laisse mijoter.

Plus tard Lucette aide sa mère à sortir le drap imbibé du chaudron. Ensemble elles le tortillent. L’excédent d’eau s’écoule en rideau sur les ronds galets. La mère fixe le drap sur les madriers et le bat à nouveau.

Tout le monde sur les lèvres de la rivière va dans la même chorégraphie. Et battre les tissus. Et brasser les tissus. Et tordre les tissus. Le bruit de leur psalmodie éreintée réverbère vers les pierres les arbres les bêtes tapis dans la forêt.

4.

Ils marchent avec le père. Ramassent des branches de cèdres. Et de sapin.

Le père tranche du pied quelques riches ramures. Le fils suit derrière sac de jute dans les mains. Entrouvert pour récolter  les branchages.

Le sentier clairsemé de feuilles, de branches. Sa robe brimbale vers les buissons brouillés de fleurs. Elle s’arrête pour en cueillir. Elle forme un bouquet rouge, blanc, touffu qu’elle attache avec le ruban de ses cheveux pétrole. Elle observe le père.

— ­J’ai presque hâte à l’hiver… pour que le linge sente bon !…

— Aide-nous donc un peu… au lieu de ramasser des fleurs…

— C’est pour maman…

Le fils soupire.

Et naissent sur sa rétine les mèches humides de ses cheveux noirs. Mèches qu’elle replace derrière son oreille. Lentement. Les joues lisses teintées en filigrane d’un petit lac rosé. Éclot aussi la nuque. Légère pente vaporée de duvet foncé. Et les seins qui pointent dans la robe. Qui pèsent sur son regard comme un mal de crâne. Il imagine le sexe. Noir. Plaie béante. Qui l’engouffre. Mais le père le chasse des rêveries.

— Si on a le temps… on va aller voir vos arbres… que le Père avait plantés quand vous êtes né… Ils doivent ben être rendus à quatre cinq pieds.

Ils répondent par l’affirmative. Vaquent à leur occupation. La fille et les fleurs. Le fils et les branches.

5.

Le fils sur le bout de sa chaise de bois. La fille la tête encadrée dans ses paluches délicates. L’homme se balance sur la chaise berçante. Fouillant sa vessie de porc débordant de tabac. Il bourre sa pipe.

— Voulez-vous nous raconter une histoire ?…

— Tu veux entendre quoi mon homme ?…

Il hausse les épaules. Lance un œil à sa sœur. Qui s’interroge de même.

— Je pourrais vous raconter l’histoire de l’Abbé Brébeuf…­

— Une histoire de prêtre ?…

— Écoute ben celle-là… c’est une de mes préférées….

Il allume la pipe d’une allumette. Il prend son temps.

L’odeur de soufre envahit la pièce. Et les volutes de fumées dessinent des lignes sinueuses sur le visage de l’homme.

— Au début des années 1640 Brébeuf est envoyé à la réserve de Sillery… tu sais avec les Indiens… pour les évangéliser… mais à la fin 40… Je pense…Brébeuf est capturé…

Les yeux s’écarquillent.

— Par qui ?…

— Par qui ? Par les Iroquois… Ces Iroquois-là… C’était pas du monde… ouf… Je vous jure que tu souhaitais mourir avant qu’ils te poignent…Croyez-moi…

— Qu’est-ce qui lui ont fait les Indiens ?…

L’homme observe alentour. La mère nettoie les couverts. Et le père il ne le voit pas.

L’homme fait signe à la fille de boucher ses oreilles. Ce qu’elle fait derechef.

— Fait que les Iroquois ont capturé L’abbé Brébeuf… en plus du monde de la mission Saint-Ignace et St-Louis…

— Il a pas essayé de se sauver…

— Ahh il aurait pu se sauver… mais il voulait rester avec ses fidèles…

La fille décolle la paume humide de ses mains des oreilles. Afin de recueillir d’infimes gouttes de l’histoire.

— Il paraît qu’on l’aurait accueilli au camp des Iroquois avec des roches pis des coups de bâtons… Figure-toi une centaine d’indiens fous qui te alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecdonne une volée… ça doit faire mal en p’tit péché… Fait que l’Iroquois toute peinturé l’attache à un poteau… Y’ont pris un chaudron d’eau bouillante et y’ont versé sur la tête… comme pour rire du baptême… Y’ont pris des petites haches qu’y ont chauffé à blanc et collé après sur son corps… son ventre… ses dessous de bras… sur les reins… Y’a des gens qui disent qu’on lui aurait arraché la peau des bras et des jambes… y’a rien qu’y ont pas fait ces indiens-là… mais le plus beau… je sais pas si je dirais ça comme ça… mais le plus beau c’est que pendant sa torture… Brébeuf a pas crié une miette… faudrait pas croire qu’il a hurlé… ou qu’il a demandé pitié… y’a pas dit un mot… c’est Dieu qui lui a donné cette force là… c’est sûrement pour ça que les Iroquois… après l’avoir brûlé vif pis scalpé…ils ont mangé son cœur…

— Pourquoi ?…

— Pourquoi ?… parce que les Indiens croyaient qu’ils allaient gagner les qualités de leur ennemi en faisant ça…

Les yeux dévorés de peur. Mais ébaubi de fascination le fils arbore un sourire lui fendant le visage. La mère surgit.

— Ç’a pas d’allure de raconter ça aux enfants mon cher monsieur !

— Faudrait pas vous offusquer ma chère madame… ce que je raconte c’est la vérité vrai… Pis je voudrais pas faire le contrarieux… Mais m’est d’avis que si t’es au courant que le monde est dur pis sans pitié… Tu mettras pas les pieds où il faut pas… Un homme averti en vaut deux…

— Oui mais ils sont encore jeunes pour entendre des choses comme ça… Voyons…

Il tire sur la pipe. Le grésillement du tabac brûlé embaume le silence canonné de malaise.

— Vous avez probablement raison ma chère dame… vous m’excuserez… les dernières familles ont pas été aussi généreuses que vous… on nous traite presque en mauvais quêteux…

Retors. La voix implose en lui.

— Je me demande où ce que le bon Dieu est rendu des fois…

— Dites pas des choses comme ça…

Subitement elle change de ton.

— Voudriez-vous une tranche de pain avec du sucre d’érable… j’ai cuit à matin… j’ai un beau pain frais…

— Je vous remercie ma bonne dame… faudrait que j’y aille…

L’homme se lève.

— Médéric… va chercher la veste…

Le fils décroche la veste. Il s’habille. Il sort. Part par le boisée. Cahin caha. La lumière suave de fin d’après-midi l’enveloppe. Le dos de l’homme et ses épaules charnues et épaisses portent un caisson de bois contenant ses outils. Le fils et la fille plaqués aux marches le regarde partir. Aussi la mère un linge entortillé à sa main. Quittant la bécosse le père jaillit de derrière la maison. S’avance vers lui. D’une voix portante et grave.

— Vous partez déjà ?… On pas eu le temps de se faire une partie de carte…

— C’est gentil… mais je me sens fatigué… j’ai encore de la route à faire… vous êtes content des réparations que j’ai faites sur vos cuillères pis vos couteaux…

— Certain… un beau travail !…

Le père l’observe. Attifé de monceaux de vêtements déchirés. De lainage tiraillé. Troué.

— Avez-vous peur de geler comment !…

— Les nuits sont encore fraîches vous savez

— Bah… mes semailles ont tenu… m’est d’avis que ça gèlera plus…

— Je crois aussi…

(…à suivre…)


Une nouvelle d’Emmanuel Simard…

31 août 2015

Les naufragés ont le mirage facile

Comment écrire le paradis quand tout nous pousse à écrire l’apocalypse. (Ezra Pound)

Une ben belle moto en tout cas….

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Emmanuel M. Simard

Merci d’être venu m’aider.

Rien là… Avec une belle petite paye de même.

Il brasse sa bouteille de bière devant ses yeux cernés.

Ta sœur est chez vous ?

Ouais…

J’ai une job de barmaid à lui offrir…

Elle a déjà une job…

Il essuie ses mains dans le chiffon visqueux. Il range ses outils dans son coffre en métal.

Avale subito le fond de sa bière. Vacillant il tente de placer la bouteille dans la caisse.

Une autre glisse entre ses doigts. La décapsule sur l’ouvre-bouteille vissé à une des poutres.

Je t’en prends une pour la route.

De dos il envoie la main.

Il se déscotche de la moto. Ses yeux amincis par l’alcool rencontrent la silhouette qui s’éloigne.

En contre-jour.

Éblouie par le disque lumineux en déclin.

*

Elle risque une cuillère de soupe. L’approche lentement. Lape le liquide du bout de ses lèvres charnues. Elle prend la miche de pain. En arrache un morceau qu’elle graisse de margarine.

C’est quand les tests?

Dans trois semaines.

Elle trempe son pain de soupe.  Le porte à sa bouche.

C’est à Québec?

Il acquiesce de la tête. Dépose son verre d’eau.

J’espère que les pilules vont marcher…

Inquiète toi pas… Steve l’a dit… si tu fumais la vieille… il le saurait même pas…

Elle souffle sur la soupe fumante. Il écrase des craquelins dans la sienne. Le métal cogne sur la vaisselle. Les regards s’entrecroisent. Elle sourit.

*

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, QuébecLa ville prend la nuit. Bredouille une lumière blafarde. Accrochée aux lampadaires d’aluminium bossés. Placardés d’affiches décapées. Le rétroviseur renvoie son regard sur les cuisses généreuses d’une jeune femme assise sur la banquette arrière.

Tu restes où déjà?

Proche du Centre d’achat… 330 rue Maltais.

La voiture prend un virage à droite.

Il continue d’épier le décolleté chaud et bronzé de la jeune femme. Et son ventre plat décoré d’un diamant au nombril. Emmaillotée d’une veste faite de poils hirsutes. La jupe bien remontée. Il devine malgré l’ombre la couleur de son sous-vêtement.

Grosse soirée ?

La jeune femme fait mine de ne pas l’entendre.

Il répète.

Un sourire forcé craque son visage.

Pas pire…

La voiture s’arrête devant un bloc appartement.

La jeune femme ouvre la portière. Fait claquer ses hauts talons sur le pavé. Elle le remercie. Lui dit au revoir.

Ses hanches se trissent vers l’immeuble. Rudoyant l’air de gauche à droite. Sous ses prunelles combustionnées.

*

Assis sur le bout d’un banc il est quelque peu penché vers l’avant. Les miroirs entourant la pièce lui renvoie son reflet. Camisole usée des Bulls de Chicago. Short noir en lycra. Près de lui une serviette de coton blanc. Un haltère de 25 livres dans la main droite.

Son biceps se gonfle d’acide lactique. S’échauffe. Le coude fléchit. La charge descend. Il pompe encore. Le biceps se gonfle à nouveau. De plus en plus les miroirs décèlent la souffrance dans son visage.

Tendu.

Contorsionné.

À la cadence de l’effort.

Il compte ses tractions.

……………………………8…9…10…11…12…13…14…15…

Il dépose l’haltère. Étire son bras. Masse son biceps et son triceps. Ainsi que les muscles de son avant-bras. Sa serviette vient lécher son visage trempé.

Il pige la fonte avec l’autre main.

Et y opère la même mécanique.

Des reflets interfèrent son champ de vision. C’est un groupe d’hommes et de femmes qui pédalent leur sang et leur sueur sur des bicyclettes stationnaires. Leur tête fixe le plafond où un téléviseur diffuse une partie de hockey.

C’est un trapu qui soulèvent une barre de fonte pour enfler ses trapèzes.

C’est une svelte qui monte des marches infinies.

C’est un obèse prisonnier d’une machine bien huilée qui gruge ses pectoraux et ses abdominaux.

Il les voit dans ce reflet.

Sans les voir.

Il compte ses tractions.

………….5…6…7…8…9…10…11…12…13…14…15…

Il dépose.

S’essuie.

Un rictus s’imprime sur son visage émacié et imberbe.

Il masse ses biceps.

Il remet l’haltère sur son socle.

S’éloigne vers l’une des nombreuses machines.

*

Elle découpe des crudités. Autour de la table de travail quatre autres consœurs préparent des plats. Une forte femme affairée au fourneau s’occupe d’un potage.

C’est un étalon je vous dis.

Qu’il la mette su’a table…

Ouais on pourra juger après…

Moi j’ai pour mon dire que c’est mieux une petite vaillante qu’une grosse vache…

Les femmes décapent les murs d’un rire grave. Profond.

Ahh mééé… Ginette… criss que tu parles mal…!

Ahh mééé. R’garde l’autre…

Son visage enregistre une série de sourires factices. Découpe de manière machinale les carottes et les céleris et les poivrons.

Une femme longiligne apparaît dans le cadre de porte. Elle lui fait signe de venir la rejoindre.

*

Le vent bourrasse les arbres rabougris sur le bord de la rivière. Rivière qui éructe des hectolitres litaniques. Torve et en colère. Au-dessus le ciel s’enrubanne de voiles noirs. Le tonnerre murmure. Une fine pluie gorge les craquelures de trottoir.

Il court dans ce malstrom famélique.

Dans son survêtement de coton il crève les décharges de vent.

*

La chambre est petite. Dans un coin une vieille dame se berce.

Amorphe.

Ne bouge presque pas.

Seuls ses pieds sculptés d’arthrite la propulsent vers l’arrière.

Elle s’assoit tout près.

La vieille dame ne la remarque pas.

Ses yeux pointent le plancher.

Inertes.

Tu veux écouter de la musique ?

Elle va au tourne-disque. Tire un vinyle de l’étagère. L’installe sur la platine. Le bras mécanique bouge. Encoche le diamant sur le disque.

Un roulis de piano parvient jusqu’à eux.

Bach sifflote.

La vieille dame lève les yeux vers la fenêtre.

*

Il sirote son café au bar. Il regarde dans le miroir lui faisant face la jeune femme arrivant sur scène. Un boa de plume virevolte autour de sa poitrine gorgée. Avance à pas calculés ses deux échasses surmontées de talons rouges. Elle caresse son sexe. Masse ses seins. Une musique sirupeuse dodeline sur son fessier.

*

Elle boit un thé maintenant froid. Elle pousse son regard à l’extérieur. Là où les voitures escriment le macadam. Elle se lève de sa chaise. Au comptoir elle lave la vaisselle. On cogne. Elle sèche ses mains. Va ouvrir.

Mon frère est au garage.

Je sais, je sais… mais c’est à toi que je voulais parler…

Elle garde la porte entrebâillée. Son œil taquin se peint sur ses hanches. Sur le galbe visible de son décolleté.

Ton frère m’a dit que t’as perdu ta job.

Elle fait oui de la tête.

Écoute… on cherche une barmaid au bar où je travaille…

Je sais pas…

Elle referme la porte.

Laisse-moi parler…

C’est pas trop mon genre ces places-là…

Non… écoute… tu pourrais faire du tip en viarge…

Il recule.

La salue.

*

File droit vers la salle de bain s’équipant au passage du journal de la veille laissé sur la table à café. Confortable sur la lunette il survole les gros titres. En lecture diagonale ses lèvres miment une série d’articles et de billets.

Un sourd craquement provenant du plafond déroute le silence.

Sur un rythme saccadé.

Continuel.

Frisant ses tympans il stoppe sa lecture. Dépose le journal sur le prélart tiède.

De clairs gémissements percent la pièce. Les craquements métalliques se font plus rapprochés.

Il se concentre. Ralenti sa respiration afin de mieux entendre.

Viennent en musique à ses oreilles.

Râlements.

Essoufflement.

Couinement.

Jouissance.

Il fixe toujours le plafond.

Plus rien.

*

Il laisse tomber son sac de sport. Emmitouflé dans une robe de chambre. Les cheveux encore mouillés de la douche. Elle s’approche de lui énervée.

Et puis ?

Ça bien été… l’instructeur a dit que j’avais fait un des meilleurs temps…

Elle se jette dans ses bras. L’encastre de ses bras minces. Un baiser tombe sur sa joue.

Il l’observe repartir vers sa chambre.

Tu sais t’es pas obligé de travailler là… Si je suis accepté… tu pourrais partir avec moi… avec la paye de l’armée… on en aurait assez pour vivre nos deux…

Pis maman ?

On pourrait la transférer avec nous autres…

Tu sais ce que j’en pense…

Il se râtelle le cuir chevelu. Replace ses cheveux poussiéreux.

Tu sors ?

Je travaille…

Pas la job que Claude t’a offert…

Elle ne répond pas. Trop occupée à se peinturlurer le visage d’ombre à paupière. De mascara.

Me semblait que c’était pas ton genre de place?

Un rouge à lèvre glisse sur ses lèvres charnues.

Faut ben travailler…

*

Égueulé d’alcool il titube sur le trottoir lézardé. Sa canadienne ouverte aux froids couteaux du Nordet. Sa tignasse à la merci du vent.

Sac mou.

Inerte.

Fissuré de bières et de forts.

Il atteint sa voiture. Fouille ses poches.

Deux gaillards vestonnés de noir le rejoignent.

L’un l’agrippe par derrière. Le pirouette sur la voiture.

Vociférations.

On t’a déjà averti… tu touches pas aux serveuses…

J’ai rien fait… c’est elle qui m’a frôlé…

C’est la dernière fois qu’on te le dit…

Il grogne d’affirmative. Les deux bonzes reviennent sur leur pas.

Fracas de moteur. Creusant de légers sillons dans la rue mouilleuse.

Les roues s’enfuient.

*

Il ouvre une lettre.

Il perçoit certains mots sur le papier.

Avons le regret…

Échoué le test médical…

*

Elle serre les cuisses.

Il l’étrangle. Dans le stationnement. Dans la voiture il file sur elle.

Elle se débat.

Il se défroque. Déchire sa culotte.

Il la frappe à la joue.

La pénètre.

Elle crie.

*

Il marche sur le viaduc. Passe devant un vieux garage où un édenté change les radiateurs. Une station-service aux couleurs d’une méga chaîne. Un restaurant de Fast-Food. Des maisons cloquées de vieillards amorphes.

Les coups de vent produit par les semi-remorques lui lacèrent le dos. Perpendiculaire à cette route un malstrom de rivière au torrent jaunâtre s’agite. Il passe sa main sur son visage engrêlé de poils hirsutes.

Une main tremblante.

Nerveuse.

Il descend vers le torrent.

Il sent une matraque s’abattre dans le bas de son dos. Sous l’impact son corps plie en deux. Un coup de genoux pulvérise sa mâchoire.

Le sang s’écoule par les narines éclatées. Il l’accroche de ses deux mains encordées de veinules boursouflées.

J’ai rien fait… c’est elle… c’est elle…

Il ne fait que pleurnicher.

Le sang goutte sur sa lèvre supérieure.

S’infiltre par les interstices de ses dents.

Mêlées aux sanglots des rafales de toux viennent brouiller ses dires.

Et il cogne son corps frêle comme un vulgaire poisson mort dans une barque.

Truffé d’angoisse.

De frayeur.

Ponctué de crachats.

Vomissures.

Il s’éloigne du corps gargouillant.

Chuintant de pleurs.

Il s’en va.

*

Elle l’observe. Longuement. Elle allonge un bras. Touche son épaule. La vieille dame se retourne.

Offrant un sourire irradiant.

La vieille dame touche sa joue bleutée. Plisse ses paupières d’oie.

Vous êtes qui ?

Elle va mettre le disque.

Les larmes de Bach.

La vieille dame se berce.

Originaire de La Baie, Emmanuel M. Simard détient un diplôme en art interdisciplinaire de l’Université du Québec à Chicoutimi. Il a écrit et réalisé une dizaine de courts métrages et a participé à divers festivals. Il tente aussi de se tailler une place dans le merveilleux monde de la télé. Il travaille à la publication de son premier roman. Dernièrement, il a publié de la poésie dans les revues Estuaire et Jet d’encre. Cette nouvelle est son troisième texte dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. AG


Rétrospective* : Le chant des cabanes… Une nouvelle d’Emmanuel M. Simard…

21 mai 2015

(Il y a quelque temps, Emmanuel Simard présentait sur ce blogue Le trou de la corneille, texte qui s’était attiré des commentaires très favorables.  La nouvelle d’aujourd’hui offre les mêmes caractéristiques linguistiques et stylistiques : concision et torsion de la langue dite habituelle en littérature ;  une même vision du monde où cruauté et poésie brute des personnages et objets familiers se côtoient.  Lisons aujourd’hui celui qui sera un de nos principaux auteurs québécois dans cinq à dix ans. AG) (publié en octobre 2010)

Le chant des cabanes…

Une boue glaireuse roule au rythme des roues qui tournent. Retombe sur le sol. Et propulsée à nouveau derrière les roues du tracteur ravageant le terrain avachi. Son chauffeur arbore une veste de laine grise. Casquette de marin noire. Et expulse la fumée de sa cigarette avec autant de force qu’un coup de grisou.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonie

Emmanuel M. Simard

Le tracteur fait marche arrière. Pepiche fait signe à l’homme de reculer encore. Chaque pression sur la pédale d’accélération produit un nuage fumeux, noir charbon. Trois touffes noires dans le ciel.

Encore deux pieds Romuald…

M’as-tu n’avoir assez pour la piner?

Oui, oui.

Romuald coupe le moteur. Descend. Un faible crachin se met à tomber.

As-tu eu des nouvelles de la police?

Non.

Criss regarde ça. Le mur est tout brûlé. Un beau clapoard  que j’ai changé l’année passée. Ciboire. Mes fenêtres sont toutes cassées.

Le vieil homme se rend à l’arrière du tracteur. Branche des fils. Rouge sur rouge. Jaune sur jaune. Vert sur vert.

Un chien en course. Pepiche le siffle. La bête se coltine dans ses jambes. La queue en fouet. La langue bien pendante. Pepiche caresse sa tête. Gratte le derrière de ses oreilles pointées.

Les p’tits criss. Tu penses-tu faire quelque chose. Mettre des caméras une clôture électrifiée, je sais pas.

Je voudrais ben mais l’argent manque.

Il suce sa cigarette de quelques bouffées furieuses. Il la pichenette au loin.

Bon tu m’aides-tu…

Pepiche tire des gants de travail des poches arrière de son jean. Les enfile. Chacun de leur côté, ils soulèvent le crochet d’attelage. Le déposent sur la boule crevée de rouille du tracteur. L’homme verrouille finalement le loquet avec un cadenas.

Pepiche retire ses gants. Romuald secoue ses mains sur sa veste grise. Replace sur sa couronne de cheveux blancs sa casquette de marin. Il escalade le tracteur. Démarre. L’engin pète de fulmination. Houille tassée. S’élevant dans un ciel abrité de nuages lourds d’eau.

Sti de temps de cul pareil? Deux semaines qui mouillent, criss. Y pourrait pas nous lâcher un peu.

La pluie c’est plus facile à ramasser que la neige en tout cas.

De la stie de neige. Parle-moi-z-en pas. J’en ai assez ramassé de la neige l’année passée. Maudit viarge.

Pepiche se contente de répondre d’un gloussement quasi inaudible.

Ouais. Bon… M’en vas. Faut que je redonne le tracteur à mon neveu après-midi. Faut pas je traîne. M’vas appeler quand j’aurai reçu la paperasse de l’assurance.

Les roues croquent le sol. Défigure la glèbe. Les jantes renvoient une diarrhée brune derrière la machine qui s’éloigne avec la cabane. Pepiche allume une cigarette. Joint le cortège bruyant qui dévale la pente avec derrière lui le chien.

*

Pepiche boit une gorgée de café. Le Cheminaud à l’intérieur voile son estomac bourré. Pour faire disparaître la sensation il aspire un filet de tabac de la cigarette qu’il vient d’allumer.

Il étudie l’état des fenêtres.

L’état du bois.

L’état de la truie.

Tuyauterie.

Réservoir.

Plancher.

Le chien renifle les alentours de la cabane. Pepiche lui tapote la tête. Un peu de cendre tombe sur le chien.

Pepiche se retourne. Regarde une photo pendue au mur.

Sa femme il y a bien des années. Battant le record du plus long esturgeon pêché dans la Baie. La fierté trouve route sur le visage lisse et rougi par le froid. Cintré d’un anorak beige avec l’esturgeon à ses côtés.

Énorme de cinq pieds sept pouces.

Cloué par la queue à sa main délicate mais puissante.

Pepiche juge le portrait attentivement. Le coin gauche de ses lèvres s’élève en sourire.

En retrait un jeune chien pointant le museau vers la prise.

Pepiche attrape le chien par son collier.

R’garde mon homme… c’est toi sur la photo…

Il lui tapote le crâne.

Il s’arrose le gosier de sa boisson brûlante. Embrume ses poumons d’une touche de sa cigarette. Sur la table embrouillée il inscrit sur une affichette les mots : À Vendre.

Pepiche regarde son travail. Écrase sa cigarette par terre. Il décroche la photo du mur. L’enfonce dans sa canadienne crottée d’huile à moteur.

*

Le chien est là. Couché à l’entrée du terrain. Pepiche grattouille ses oreilles. Il remonte l’allée avec lui.

Le chien retourne à sa niche.

Pepiche introduit son corps chancelant dans le salon encombré d’ombres. Des branches d’arbres rigolent à la fenêtre. Le vent pleure dans les fissures.

Une tempête enrobe tout.

Il dépose la photo sur la table. Il s’installe devant le téléviseur. Il tète une bière.

*

Les premiers rayons du soleil asperge de sa lumière tamisée mais puissante les berges attaquées d’une mince couche de glace.

Le ciel se baigne d’éclats orange et mauves frappant la route sinueuse tout en bas. Il tient à peine debout. Raclé par les violentes quintes du vent. Il entre dans la cabane.

Pepiche attrape dans sa boîte une épaisse bille de plomb. Dentée d’une vingtaine d’hameçons en son tour.

Pepiche attache le voleur au bout de sa ligne pourvue de douze hameçons. Espacés de quelques centimètres. Sur chaque crochet Pepiche pique un morceau de cœur de bœuf. Sur ses genoux. Talons aux fesses. Il plonge la ligne à l’intérieur d’un trou. Dans l’eau froide pourtourrée de glace bleue. Il débloque son moulinet. Détend la ligne jusqu’au fond. Il sent le leste dans son poignet. Il mouline un demi-mètre. Dépose sa canne sur un immense sceau contenant autrefois de la mayonnaise. Ses yeux fatigués de rafales scintillent sur le dernier œillet de sa canne à pêche. Il attend le frétillement. Signe d’une prise.

Plus tard il donne un coup.

Remonte cinq éperlans. L’un est complètement éventré. Pepiche le jette au chien tapi contre la truie.

Il le renifle.

Le lèche.

Pepiche libère les autres du métal.

Les lance dans le sceau.

Il nourrit encore ses hameçons. Abandonne sa ligne dans les noirceurs sous-marines d’où remontent des éclats de souvenirs. D’une femme qui claque la porte de la maison. De deux jeunes filles qui la suivent.

Pepiche mouline. Voit sa ligne léchée de givre.

*

Entre un homme large et pansu. Suivi d’une jeune fille. Pepiche lui serre la main. L’homme fait un tour complet sur lui-même. Étudiant chaque recoin de la cabane. La jeune fille joue dans ses tifs roux jetant des coups d’œil au chien.

Maudite belle cabane… combien tu disais ?

300 piasses… en plus… tu serais sur un beau spot…

Il pointe les sceaux presque pleins au rebord.

Fait même pas deux heures que je suis là…

L’homme rit.

Pourquoi t’a vends au juste ?

Pepiche hausse les épaules.

Changer d’air… je me suis construit un petit abri en bâche de plastique… ça devrait me suffire…

L’homme s’approche de la truie pour en prendre état.

Le chien grogne.

Jappe.

Ernest ! Couché !

L’homme sursaute.

Il est rendu vieux… il se comprend pus…

La petite balance ses pieds dans le vide. L’homme s’en approche et lui caresse la tête.

J’ai ben envie de te l’acheter… ma cabane tombe en ruine… plus rien à faire… je vais revenir te payer… ça marche?

Pepiche hoche la tête. Tend la main.

*

Les deux hommes sont grisés. Somnolent. Les bras vautrés sur leur ventre gonflé. La bouteille de Cheminaud est vide. Elle roule par terre. Effrayant le chien. Qui se soulève du plancher et se faufile à l’extérieur. Dehors la jeune fille figée observe le chien venir à elle.

*

Pepiche scrute le sol. Des traces de pas rageurs.

Celles du chien.

Et les siennes. Étroites et courtes.

Sur la neige cafouillée une lisière de sang.

Une touffe de cheveux roux.

De son pied il recouvre de neige cette cicatrice. Ouverte en plein ciel d’hiver.

*

Il descend l’escalier. Une arme pend le long de son bras mince et droit. Dans sa main tavelée de veines sommeille un calibre douze. Le canon est éraflé et moucheté de taches de rouille disparates. De petites rivières blanches parcourent la crosse de bois foncé. Dans l’autre main une cartouche verte.

Les marches qu’ils foulent sont recouvertes d’un tapis compact de couleur bourgogne. Ses bottes écrasent ce tapis dans un rythme lent, solennel, qui résonne partout dans la petite maison.

Il ouvre la porte.

Sort.

Il marche un moment dans une boue visqueuse. Il a un œil pour ce tracteur vert ravagé par l’usure. Pour cette grange délabrée. Ce silo à grain presque vide. La neige caressant toujours les champs. Il fixe aussi l’ourlet de son pantalon et un peu plus loin devant lui.

Il ne regarde plus le ciel.

Il en a que pour les petits cailloux.

Les flaques d’eau sale.

La boue.

Au loin les aboiements du chien se mêlent  aux sifflements du vent. Il avance. Casse l’arme. Insère une douille dans le canon. Un sourd cliquetis métallique s’ajoute autour des rafales lorsqu’il referme l’arme d’un vif mouvement.

Cent mètres plus loin. À l’orée des bois se trouve le chien. Attaché à un squelette d’arbre. Il gueule d’angoisse. Ses côtes sont bien saillantes. Ponctuées de trous sans pelage. Des coulisses de sang séché parcourent son cou jusqu’à la blancheur autrefois immaculée de son poitrail. Là où la corde frotte. Il avance. Le chien couine. Se débat autour de l’arbre. S’enroule dans sa corde. Il avance encore.

S’arrête.

Lève l’arme. Enfonce la crosse dans le creux de son épaule. Il met la bête en joue. Ferme les paupières sur ses yeux vitreux.

Tandis que l’écho de la balle perce son oreille le chien s’effondre sur la terre sale. Un bouillon de sang pisse de la jugulaire. Les nerfs du chien tressautent. Violemment. Il s’approche plus près de l’animal. À deux mètres. Il le regarde mourir. Il baisse l’arme.

Il regarde la bête ouverte. La cage thoracique explosée. La langue qui pend entre la mâchoire clouée de dents jaunâtres. Il dépose son arme. Pose une main sur le dos scarifié de l’animal. Il sent son dernier souffle dans sa paume moite. Il pousse sa langue, referme sa mâchoire.

Et il donne l’animal à la forêt où d’autres bêtes viendront s’en occuper.

Il ramasse son arme.

Il retourne chez lui.

Originaire de La Baie, Emmanuel M. Simard détient un diplôme en art interdisciplinaire de l’Université du Québec à Chicoutimi. Il a écrit et réalisé une dizaine de courts métrages et a participé à divers festivals. Il tente aussi de se tailler une place dans le merveilleux monde de la télé. Il travaille à la publication de son premier roman. Dernièrement, il a publié de la poésie dans les revues Estuaire et Jet d’encre, et deux textes dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche.



En librairie, Lumière en terre noire d’Emmanuel Simard…

11 mai 2015

Lumière en terre noire

« Père et mère coincés dans les artères », Lumière en terre noire investit un « je » fragile, happé par une mémoirechat qui louche maykan alain gagnon francophonie défaillante; celle de l’aïeul à qui l’Alzheimer arrache tous ses souvenirs pour les plonger « dans une eau plus vieille que le soleil ». À travers lui défilent des images morcelées, un lexique familial interrompu qui interroge la notion même de filiation dans « cette forêt infatigable » de l’histoire. Emmanuel Simard parvient à livrer un hommage puissant à ceux et celles qui « s’échappent loin pour entendre la lumière qui vient », coincés dans le corps des ombres.

 Emmanuel Simard


Rétro : Une novella d’Emmanuel M. Simard : La chute du jour… (extrait)

20 avril 2015

(Dans un style qui n’appartient qu’à lui, Emmanuel Simard nous présente un texte d’une force rare et d’une sombre beauté .  Une poésie qui ne peut laisser indifférent.)

Résumé et extrait

La chute du jour suit le parcours d’un jeune garçon qui tente de survivre dans les affres du Grand Feu de 1870, qui a chat qui louche maykan alain gagnon francophoniedévasté une partie du Lac-Saint-Jean et du Saguenay de l’époque.  Un cataclysme économique et social décrit de l’intérieur, à ras de conscience individuelle.

« Elle tient le bébé dans ses bras. Qui commencent à trembler. L’enfant est une pierre soudée à son poitrail. Ses pleurs se distancent.
Le fils ne les voit presque plus tant la fumée noire absorbe tout. Il lui touche l’épaule pour indiquer qu’il est toujours présent. La mère allonge sa main libre vers son visage. Les doigts le supplient de parler. De grogner ou de gémir. Elle effleure la peau sale. Encrassée. Devine les pourtours. Les pommettes saillantes hautes dans la figure. Le nez qu’elle coince entre son pouce et son index. Doux flottement de l’air et du temps. La mère ne voit nulle part. Elle regarde la surface de ses paupières. Le fils les ferme lui aussi. Les caresses effacent les feux flottants.
L’index se rend ensuite à la lèvre supérieure. Elle en redessine les contours. L’inférieur également. Ses petits crayons boudinés vont au menton. Remontent par le chemin des mâchoires vers les oreilles de choux-fleurs. Enfourche les dents de sa main dans les boucles. Elle sent sur sa peau certains filaments brûlés. Durs comme des fusains.
—  Quelqu’un a dit dans la cave à patates que c’était de notre faute…
Elle fourrage la tête.
— Qu’on priait mal le Bon Dieu ! Qu’on faisait trop de folies ! Ils pensent que Dieu veut nous punir.
Elle touche le front. Plissé de fatigue.
— Punir.  Punir  de  quoi ?  D’être  des  hommes ? Notre seul péché si tu veux savoir, c’est qu’on parle trop des fois.
Elle ricane.
— Et c’est moi qui dit ça.
Les mains sont douces sur sa peau.
— J’aimerais que ces gens t’aient vu aller aujourd’hui mon garçon.
Elle plaque un baiser sur son pouce et l’imprime sur sa joue.
— Merci. »

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieOriginaire de La Baie, Emmanuel Simard détient un diplôme en art interdisciplinaire de l’Université du Québec à Chicoutimi. Il a écrit et réalisé une dizaine de courts métrages, ayant participé à divers festivals (Regard sur le court métrage au Saguenay, Vidéaste Recherché). Il pratique également la peinture.  Il travaille à la publication de son premier roman, Triptyque baieriverain. Dernièrement, il a publié de la poésie dans les revues Estuaire et Jet d’encre.


Une nouvelle d’Emmanuel Simard…

2 décembre 2014

Les naufragés ont le mirage facile

Comment écrire le paradis quand tout nous pousse à écrire l’apocalypse. (Ezra Pound)

Une ben belle moto en tout cas….

chat qui louche maykan alain gagnon francophonie

Emmanuel M. Simard

Merci d’être venu m’aider.

Rien là… Avec une belle petite paye de même.

Il brasse sa bouteille de bière devant ses yeux cernés.

Ta sœur est chez vous ?

Ouais…

J’ai une job de barmaid à lui offrir…

Elle a déjà une job…

Il essuie ses mains dans le chiffon visqueux. Il range ses outils dans son coffre en métal.

Avale subito le fond de sa bière. Vacillant il tente de placer la bouteille dans la caisse.

Une autre glisse entre ses doigts. La décapsule sur l’ouvre-bouteille vissé à une des poutres.

Je t’en prends une pour la route.

De dos il envoie la main.

Il se déscotche de la moto. Ses yeux amincis par l’alcool rencontrent la silhouette qui s’éloigne.

En contre-jour.

Éblouie par le disque lumineux en déclin.

*

Elle risque une cuillère de soupe. L’approche lentement. Lape le liquide du bout de ses lèvres charnues. Elle prend la miche de pain. En arrache un morceau qu’elle graisse de margarine.

C’est quand les tests?

Dans trois semaines.

Elle trempe son pain de soupe.  Le porte à sa bouche.

C’est à Québec?

Il acquiesce de la tête. Dépose son verre d’eau.

J’espère que les pilules vont marcher…

Inquiète toi pas… Steve l’a dit… si tu fumais la vieille… il le saurait même pas…

Elle souffle sur la soupe fumante. Il écrase des craquelins dans la sienne. Le métal cogne sur la vaisselle. Les regards s’entrecroisent. Elle sourit.

*

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieLa ville prend la nuit. Bredouille une lumière blafarde. Accrochée aux lampadaires d’aluminium bossés. Placardés d’affiches décapées. Le rétroviseur renvoie son regard sur les cuisses généreuses d’une jeune femme assise sur la banquette arrière.

Tu restes où déjà?

Proche du Centre d’achat… 330 rue Maltais.

La voiture prend un virage à droite.

Il continue d’épier le décolleté chaud et bronzé de la jeune femme. Et son ventre plat décoré d’un diamant au nombril. Emmaillotée d’une veste faite de poils hirsutes. La jupe bien remontée. Il devine malgré l’ombre la couleur de son sous-vêtement.

Grosse soirée ?

La jeune femme fait mine de ne pas l’entendre.

Il répète.

Un sourire forcé craque son visage.

Pas pire…

La voiture s’arrête devant un bloc appartement.

La jeune femme ouvre la portière. Fait claquer ses hauts talons sur le pavé. Elle le remercie. Lui dit au revoir.

Ses hanches se trissent vers l’immeuble. Rudoyant l’air de gauche à droite. Sous ses prunelles combustionnées.

*

Assis sur le bout d’un banc il est quelque peu penché vers l’avant. Les miroirs entourant la pièce lui renvoie son reflet. Camisole usée des Bulls de Chicago. Short noir en lycra. Près de lui une serviette de coton blanc. Un haltère de 25 livres dans la main droite.

Son biceps se gonfle d’acide lactique. S’échauffe. Le coude fléchit. La charge descend. Il pompe encore. Le biceps se gonfle à nouveau. De plus en plus les miroirs décèlent la souffrance dans son visage.

Tendu.

Contorsionné.

À la cadence de l’effort.

Il compte ses tractions.

……………………………8…9…10…11…12…13…14…15…

Il dépose l’haltère. Étire son bras. Masse son biceps et son triceps. Ainsi que les muscles de son avant-bras. Sa serviette vient lécher son visage trempé.

Il pige la fonte avec l’autre main.

Et y opère la même mécanique.

Des reflets interfèrent son champ de vision. C’est un groupe d’hommes et de femmes qui pédalent leur sang et leur sueur sur des bicyclettes stationnaires. Leur tête fixe le plafond où un téléviseur diffuse une partie de hockey.

C’est un trapu qui soulèvent une barre de fonte pour enfler ses trapèzes.

C’est une svelte qui monte des marches infinies.

C’est un obèse prisonnier d’une machine bien huilée qui gruge ses pectoraux et ses abdominaux.

Il les voit dans ce reflet.

Sans les voir.

Il compte ses tractions.

………….5…6…7…8…9…10…11…12…13…14…15…

Il dépose.

S’essuie.

Un rictus s’imprime sur son visage émacié et imberbe.

Il masse ses biceps.

Il remet l’haltère sur son socle.

S’éloigne vers l’une des nombreuses machines.

*

Elle découpe des crudités. Autour de la table de travail quatre autres consœurs préparent des plats. Une forte femme affairée au fourneau s’occupe d’un potage.

C’est un étalon je vous dis.

Qu’il la mette su’a table…

Ouais on pourra juger après…

Moi j’ai pour mon dire que c’est mieux une petite vaillante qu’une grosse vache…

Les femmes décapent les murs d’un rire grave. Profond.

Ahh mééé… Ginette… criss que tu parles mal…!

Ahh mééé. R’garde l’autre…

Son visage enregistre une série de sourires factices. Découpe de manière machinale les carottes et les céleris et les poivrons.

Une femme longiligne apparaît dans le cadre de porte. Elle lui fait signe de venir la rejoindre.

*

Le vent bourrasse les arbres rabougris sur le bord de la rivière. Rivière qui éructe des hectolitres litaniques. Torve et en colère. Au-dessus le ciel s’enrubanne de voiles noirs. Le tonnerre murmure. Une fine pluie gorge les craquelures de trottoir.

Il court dans ce malstrom famélique.

Dans son survêtement de coton il crève les décharges de vent.

*

La chambre est petite. Dans un coin une vieille dame se berce.

Amorphe.

Ne bouge presque pas.

Seuls ses pieds sculptés d’arthrite la propulsent vers l’arrière.

Elle s’assoit tout près.

La vieille dame ne la remarque pas.

Ses yeux pointent le plancher.

Inertes.

Tu veux écouter de la musique ?

Elle va au tourne-disque. Tire un vinyle de l’étagère. L’installe sur la platine. Le bras mécanique bouge. Encoche le diamant sur le disque.

Un roulis de piano parvient jusqu’à eux.

Bach sifflote.

La vieille dame lève les yeux vers la fenêtre.

*

Il sirote son café au bar. Il regarde dans le miroir lui faisant face la jeune femme arrivant sur scène. Un boa de plume virevolte autour de sa poitrine gorgée. Avance à pas calculés ses deux échasses surmontées de talons rouges. Elle caresse son sexe. Masse ses seins. Une musique sirupeuse dodeline sur son fessier.

*

Elle boit un thé maintenant froid. Elle pousse son regard à l’extérieur. Là où les voitures escriment le macadam. Elle se lève de sa chaise. Au comptoir elle lave la vaisselle. On cogne. Elle sèche ses mains. Va ouvrir.

Mon frère est au garage.

Je sais, je sais… mais c’est à toi que je voulais parler…

Elle garde la porte entrebâillée. Son œil taquin se peint sur ses hanches. Sur le galbe visible de son décolleté.

Ton frère m’a dit que t’as perdu ta job.

Elle fait oui de la tête.

Écoute… on cherche une barmaid au bar où je travaille…

Je sais pas…

Elle referme la porte.

Laisse-moi parler…

C’est pas trop mon genre ces places-là…

Non… écoute… tu pourrais faire du tip en viarge…

Il recule.

La salue.

*

File droit vers la salle de bain s’équipant au passage du journal de la veille laissé sur la table à café. Confortable sur la lunette il survole les gros titres. En lecture diagonale ses lèvres miment une série d’articles et de billets.

Un sourd craquement provenant du plafond déroute le silence.

Sur un rythme saccadé.

Continuel.

Frisant ses tympans il stoppe sa lecture. Dépose le journal sur le prélart tiède.

De clairs gémissements percent la pièce. Les craquements métalliques se font plus rapprochés.

Il se concentre. Ralenti sa respiration afin de mieux entendre.

Viennent en musique à ses oreilles.

Râlements.

Essoufflement.

Couinement.

Jouissance.

Il fixe toujours le plafond.

Plus rien.

*

Il laisse tomber son sac de sport. Emmitouflé dans une robe de chambre. Les cheveux encore mouillés de la douche. Elle s’approche de lui énervée.

Et puis ?

Ça bien été… l’instructeur a dit que j’avais fait un des meilleurs temps…

Elle se jette dans ses bras. L’encastre de ses bras minces. Un baiser tombe sur sa joue.

Il l’observe repartir vers sa chambre.

Tu sais t’es pas obligé de travailler là… Si je suis accepté… tu pourrais partir avec moi… avec la paye de l’armée… on en aurait assez pour vivre nos deux…

Pis maman ?

On pourrait la transférer avec nous autres…

Tu sais ce que j’en pense…

Il se râtelle le cuir chevelu. Replace ses cheveux poussiéreux.

Tu sors ?

Je travaille…

Pas la job que Claude t’a offert…

Elle ne répond pas. Trop occupée à se peinturlurer le visage d’ombre à paupière. De mascara.

Me semblait que c’était pas ton genre de place?

Un rouge à lèvre glisse sur ses lèvres charnues.

Faut ben travailler…

*

Égueulé d’alcool il titube sur le trottoir lézardé. Sa canadienne ouverte aux froids couteaux du Nordet. Sa tignasse à la merci du vent.

Sac mou.

Inerte.

Fissuré de bières et de forts.

Il atteint sa voiture. Fouille ses poches.

Deux gaillards vestonnés de noir le rejoignent.

L’un l’agrippe par derrière. Le pirouette sur la voiture.

Vociférations.

On t’a déjà averti… tu touches pas aux serveuses…

J’ai rien fait… c’est elle qui m’a frôlé…

C’est la dernière fois qu’on te le dit…

Il grogne d’affirmative. Les deux bonzes reviennent sur leur pas.

Fracas de moteur. Creusant de légers sillons dans la rue mouilleuse.

Les roues s’enfuient.

*

Il ouvre une lettre.

Il perçoit certains mots sur le papier.

Avons le regret…

Échoué le test médical…

*

Elle serre les cuisses.

Il l’étrangle. Dans le stationnement. Dans la voiture il file sur elle.

Elle se débat.

Il se défroque. Déchire sa culotte.

Il la frappe à la joue.

La pénètre.

Elle crie.

*

Il marche sur le viaduc. Passe devant un vieux garage où un édenté change les radiateurs. Une station-service aux couleurs d’une méga chaîne. Un restaurant de Fast-Food. Des maisons cloquées de vieillards amorphes.

Les coups de vent produit par les semi-remorques lui lacèrent le dos. Perpendiculaire à cette route un malstrom de rivière au torrent jaunâtre s’agite. Il passe sa main sur son visage engrêlé de poils hirsutes.

Une main tremblante.

Nerveuse.

Il descend vers le torrent.

Il sent une matraque s’abattre dans le bas de son dos. Sous l’impact son corps plie en deux. Un coup de genoux pulvérise sa mâchoire.

Le sang s’écoule par les narines éclatées. Il l’accroche de ses deux mains encordées de veinules boursouflées.

J’ai rien fait… c’est elle… c’est elle…

Il ne fait que pleurnicher.

Le sang goutte sur sa lèvre supérieure.

S’infiltre par les interstices de ses dents.

Mêlées aux sanglots des rafales de toux viennent brouiller ses dires.

Et il cogne son corps frêle comme un vulgaire poisson mort dans une barque.

Truffé d’angoisse.

De frayeur.

Ponctué de crachats.

Vomissures.

Il s’éloigne du corps gargouillant.

Chuintant de pleurs.

Il s’en va.

*

Elle l’observe. Longuement. Elle allonge un bras. Touche son épaule. La vieille dame se retourne.

Offrant un sourire irradiant.

La vieille dame touche sa joue bleutée. Plisse ses paupières d’oie.

Vous êtes qui ?

Elle va mettre le disque.

Les larmes de Bach.

La vieille dame se berce.

Originaire de La Baie, Emmanuel M. Simard détient un diplôme en art interdisciplinaire de l’Université du Québec à Chicoutimi. Il a écrit et réalisé une dizaine de courts métrages et a participé à divers festivals. Il tente aussi de se tailler une place dans le merveilleux monde de la télé. Il travaille à la publication de son premier roman. Dernièrement, il a publié de la poésie dans les revues Estuaire et Jet d’encre. Cette nouvelle est son troisième texte dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. AG

 

 


Le chant des cabanes… Une nouvelle d’Emmanuel M. Simard…

17 novembre 2014

(Il y a quelque temps, Emmanuel Simard présentait sur ce blogue Le trou de la corneille, texte qui s’était attiré des commentaires très favorables.  La nouvelle d’aujourd’hui offre les mêmes caractéristiques linguistiques et stylistiques : concision et torsion de la langue dite habituelle en littérature ;  une même vision du monde où cruauté et poésie brute des personnages et objets familiers se côtoient.  Lisons aujourd’hui celui qui sera un de nos principaux auteurs québécois dans cinq à dix ans. AG)

Le chant des cabanes…

Une boue glaireuse roule au rythme des roues qui tournent. Retombe sur le sol. Et propulsée à nouveau derrière les roues du tracteur ravageant le terrain avachi. Son chauffeur arbore une veste de laine grise. Casquette de marin noire. Et expulse la fumée de sa cigarette avec autant de force qu’un coup de grisou.

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Emmanuel M. Simard

Le tracteur fait marche arrière. Pepiche fait signe à l’homme de reculer encore. Chaque pression sur la pédale d’accélération produit un nuage fumeux, noir charbon. Trois touffes noires dans le ciel.

Encore deux pieds Romuald…

M’as-tu n’avoir assez pour la piner?

Oui, oui.

Romuald coupe le moteur. Descend. Un faible crachin se met à tomber.

As-tu eu des nouvelles de la police?

Non.

Criss regarde ça. Le mur est tout brûlé. Un beau clapoard  que j’ai changé l’année passée. Ciboire. Mes fenêtres sont toutes cassées.

Le vieil homme se rend à l’arrière du tracteur. Branche des fils. Rouge sur rouge. Jaune sur jaune. Vert sur vert.

Un chien en course. Pepiche le siffle. La bête se coltine dans ses jambes. La queue en fouet. La langue bien pendante. Pepiche caresse sa tête. Gratte le derrière de ses oreilles pointées.

Les p’tits criss. Tu penses-tu faire quelque chose. Mettre des caméras une clôture électrifiée, je sais pas.

Je voudrais ben mais l’argent manque.

Il suce sa cigarette de quelques bouffées furieuses. Il la pichenette au loin.

Bon tu m’aides-tu…

Pepiche tire des gants de travail des poches arrière de son jean. Les enfile. Chacun de leur côté, ils soulèvent le crochet d’attelage. Le déposent sur la boule crevée de rouille du tracteur. L’homme verrouille finalement le loquet avec un cadenas.

Pepiche retire ses gants. Romuald secoue ses mains sur sa veste grise. Replace sur sa couronne de cheveux blancs sa casquette de marin. Il escalade le tracteur. Démarre. L’engin pète de fulmination. Houille tassée. S’élevant dans un ciel abrité de nuages lourds d’eau.

Sti de temps de cul pareil? Deux semaines qui mouillent, criss. Y pourrait pas nous lâcher un peu.

La pluie c’est plus facile à ramasser que la neige en tout cas.

De la stie de neige. Parle-moi-z-en pas. J’en ai assez ramassé de la neige l’année passée. Maudit viarge.

Pepiche se contente de répondre d’un gloussement quasi inaudible.

Ouais. Bon… M’en vas. Faut que je redonne le tracteur à mon neveu après-midi. Faut pas je traîne. M’vas appeler quand j’aurai reçu la paperasse de l’assurance.

Les roues croquent le sol. Défigure la glèbe. Les jantes renvoient une diarrhée brune derrière la machine qui s’éloigne avec la cabane. Pepiche allume une cigarette. Joint le cortège bruyant qui dévale la pente avec derrière lui le chien.

*

Pepiche boit une gorgée de café. Le Cheminaud à l’intérieur voile son estomac bourré. Pour faire disparaître la sensation il aspire un filet de tabac de la cigarette qu’il vient d’allumer.

Il étudie l’état des fenêtres.

L’état du bois.

L’état de la truie.

Tuyauterie.

Réservoir.

Plancher.

Le chien renifle les alentours de la cabane. Pepiche lui tapote la tête. Un peu de cendre tombe sur le chien.

Pepiche se retourne. Regarde une photo pendue au mur.

Sa femme il y a bien des années. Battant le record du plus long esturgeon pêché dans la Baie. La fierté trouve route sur le visage lisse et rougi par le froid. Cintré d’un anorak beige avec l’esturgeon à ses côtés.

Énorme de cinq pieds sept pouces.

Cloué par la queue à sa main délicate mais puissante.

Pepiche juge le portrait attentivement. Le coin gauche de ses lèvres s’élève en sourire.

En retrait un jeune chien pointant le museau vers la prise.

Pepiche attrape le chien par son collier.

R’garde mon homme… c’est toi sur la photo…

Il lui tapote le crâne.

Il s’arrose le gosier de sa boisson brûlante. Embrume ses poumons d’une touche de sa cigarette. Sur la table embrouillée il inscrit sur une affichette les mots : À Vendre.

Pepiche regarde son travail. Écrase sa cigarette par terre. Il décroche la photo du mur. L’enfonce dans sa canadienne crottée d’huile à moteur.

*

Le chien est là. Couché à l’entrée du terrain. Pepiche grattouille ses oreilles. Il remonte l’allée avec lui.

Le chien retourne à sa niche.

Pepiche introduit son corps chancelant dans le salon encombré d’ombres. Des branches d’arbres rigolent à la fenêtre. Le vent pleure dans les fissures.

Une tempête enrobe tout.

Il dépose la photo sur la table. Il s’installe devant le téléviseur. Il tète une bière.

*

Les premiers rayons du soleil asperge de sa lumière tamisée mais puissante les berges attaquées d’une mince couche de glace.

Le ciel se baigne d’éclats orange et mauves frappant la route sinueuse tout en bas. Il tient à peine debout. Raclé par les violentes quintes du vent. Il entre dans la cabane.

Pepiche attrape dans sa boîte une épaisse bille de plomb. Dentée d’une vingtaine d’hameçons en son tour.

Pepiche attache le voleur au bout de sa ligne pourvue de douze hameçons. Espacés de quelques centimètres. Sur chaque crochet Pepiche pique un morceau de cœur de bœuf. Sur ses genoux. Talons aux fesses. Il plonge la ligne à l’intérieur d’un trou. Dans l’eau froide pourtourrée de glace bleue. Il débloque son moulinet. Détend la ligne jusqu’au fond. Il sent le leste dans son poignet. Il mouline un demi-mètre. Dépose sa canne sur un immense sceau contenant autrefois de la mayonnaise. Ses yeux fatigués de rafales scintillent sur le dernier œillet de sa canne à pêche. Il attend le frétillement. Signe d’une prise.

Plus tard il donne un coup.

Remonte cinq éperlans. L’un est complètement éventré. Pepiche le jette au chien tapi contre la truie.

Il le renifle.

Le lèche.

Pepiche libère les autres du métal.

Les lance dans le sceau.

Il nourrit encore ses hameçons. Abandonne sa ligne dans les noirceurs sous-marines d’où remontent des éclats de souvenirs. D’une femme qui claque la porte de la maison. De deux jeunes filles qui la suivent.

Pepiche mouline. Voit sa ligne léchée de givre.

*

Entre un homme large et pansu. Suivi d’une jeune fille. Pepiche lui serre la main. L’homme fait un tour complet sur lui-même. Étudiant chaque recoin de la cabane. La jeune fille joue dans ses tifs roux jetant des coups d’œil au chien.

Maudite belle cabane… combien tu disais ?

300 piasses… en plus… tu serais sur un beau spot…

Il pointe les sceaux presque pleins au rebord.

Fait même pas deux heures que je suis là…

L’homme rit.

Pourquoi t’a vends au juste ?

Pepiche hausse les épaules.

Changer d’air… je me suis construit un petit abri en bâche de plastique… ça devrait me suffire…

L’homme s’approche de la truie pour en prendre état.

Le chien grogne.

Jappe.

Ernest ! Couché !

L’homme sursaute.

Il est rendu vieux… il se comprend pus…

La petite balance ses pieds dans le vide. L’homme s’en approche et lui caresse la tête.

J’ai ben envie de te l’acheter… ma cabane tombe en ruine… plus rien à faire… je vais revenir te payer… ça marche?

Pepiche hoche la tête. Tend la main.

*

Les deux hommes sont grisés. Somnolent. Les bras vautrés sur leur ventre gonflé. La bouteille de Cheminaud est vide. Elle roule par terre. Effrayant le chien. Qui se soulève du plancher et se faufile à l’extérieur. Dehors la jeune fille figée observe le chien venir à elle.

*

Pepiche scrute le sol. Des traces de pas rageurs.

Celles du chien.

Et les siennes. Étroites et courtes.

Sur la neige cafouillée une lisière de sang.

Une touffe de cheveux roux.

De son pied il recouvre de neige cette cicatrice. Ouverte en plein ciel d’hiver.

*

Il descend l’escalier. Une arme pend le long de son bras mince et droit. Dans sa main tavelée de veines sommeille un calibre douze. Le canon est éraflé et moucheté de taches de rouille disparates. De petites rivières blanches parcourent la crosse de bois foncé. Dans l’autre main une cartouche verte.

Les marches qu’ils foulent sont recouvertes d’un tapis compact de couleur bourgogne. Ses bottes écrasent ce tapis dans un rythme lent, solennel, qui résonne partout dans la petite maison.

Il ouvre la porte.

Sort.

Il marche un moment dans une boue visqueuse. Il a un œil pour ce tracteur vert ravagé par l’usure. Pour cette grange délabrée. Ce silo à grain presque vide. La neige caressant toujours les champs. Il fixe aussi l’ourlet de son pantalon et un peu plus loin devant lui.

Il ne regarde plus le ciel.

Il en a que pour les petits cailloux.

Les flaques d’eau sale.

La boue.

Au loin les aboiements du chien se mêlent  aux sifflements du vent. Il avance. Casse l’arme. Insère une douille dans le canon. Un sourd cliquetis métallique s’ajoute autour des rafales lorsqu’il referme l’arme d’un vif mouvement.

Cent mètres plus loin. À l’orée des bois se trouve le chien. Attaché à un squelette d’arbre. Il gueule d’angoisse. Ses côtes sont bien saillantes. Ponctuées de trous sans pelage. Des coulisses de sang séché parcourent son cou jusqu’à la blancheur autrefois immaculée de son poitrail. Là où la corde frotte. Il avance. Le chien couine. Se débat autour de l’arbre. S’enroule dans sa corde. Il avance encore.

S’arrête.

Lève l’arme. Enfonce la crosse dans le creux de son épaule. Il met la bête en joue. Ferme les paupières sur ses yeux vitreux.

Tandis que l’écho de la balle perce son oreille le chien s’effondre sur la terre sale. Un bouillon de sang pisse de la jugulaire. Les nerfs du chien tressautent. Violemment. Il s’approche plus près de l’animal. À deux mètres. Il le regarde mourir. Il baisse l’arme.

Il regarde la bête ouverte. La cage thoracique explosée. La langue qui pend entre la mâchoire clouée de dents jaunâtres. Il dépose son arme. Pose une main sur le dos scarifié de l’animal. Il sent son dernier souffle dans sa paume moite. Il pousse sa langue, referme sa mâchoire.

Et il donne l’animal à la forêt où d’autres bêtes viendront s’en occuper.

Il ramasse son arme.

Il retourne chez lui.

Originaire de La Baie, Emmanuel M. Simard détient un diplôme en art interdisciplinaire de l’Université du Québec à Chicoutimi. Il a écrit et réalisé une dizaine de courts métrages et a participé à divers festivals. Il tente aussi de se tailler une place dans le merveilleux monde de la télé. Il travaille à la publication de son premier roman. Dernièrement, il a publié de la poésie dans les revues Estuaire et Jet d’encre, et deux textes dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche.



Emmanuel Simard…

28 septembre 2014

Présenter un écrivain/écrivant plein d’originalité et de promessechat qui louche maykan maykan2 alain gagnon est pour moi un privilège…

Emmanuel Simard possède une voix et des thèmes qui lui sont propres.  Ici, pour rendre l’émotion d’un enfant devant la cruauté du monde, il bouscule la syntaxe et la ponctuation.  Le lecteur doit fournir un effort dont il est récompensé.

Emmanuel nous raconte une façon de faire qui visait à effrayer les oiseaux, les éloigner des champs cultivés.  Ce récit cruel   nous montre le sort réservé à la corneille qui servait d’épouvantail.  Tout l’effet du texte tient au voisinage de la simplicité d’expression et de l’horreur.

Le trou de la corneille

La corneille croasse. Dans sa prison de branches d’arbre. Le bec pince les barreaux. Et les yeux noirs de l’oiseau.

Paniqués.

Perfore les rétines inquiètes du fils. Qui traîne près de son père.

Au bout de la corde la cage bringuebale d’avant arrière. La corneille instable enserre ses pattes dans les branches. Crache peur et haine. Déploie ses ailes noires charbon et tente de briser la cage en prenant son envol. Cris rauques. Rage et violence.

Le fils se raidit.

Au centre du champ le père s’arrête. Vis-à-vis un trou béant creusé à même la terre ensemencée. Un pied profond. Cinq de tour. Le père pose la cage. Évitant les coups de becs.

Le fils en retrait observe son père.

Coi.

Immobile.

Sachant qu’il devra le faire un jour.

Opérant un cycle calculé et rituel le père ouvre la cage de bois d’une mince fente. Assez étroite pour pénétrer sa main gantée.

Saisit l’animal.

Agressif. Qui picosse féroce ses longs doigts en joute.

Le cou obturé d’une prise ferme la corneille reste sans mouvement. Avec l’autre main qu’il ancre sur le flanc et qu’il entoure jusqu’au croupion il exerce une pression.

Et il tord la corneille. Vieux torchon que l’on essore.

Le fils sursaute. Fermant sous le bruit sourd des os qui s’effrite du sang qui lâche des billes qui se révulsent ses yeux dégoûtés. La terre accueille la mort noire grisée de rouge.

Malgré elle.

Le père se penche pour défricher du corps les plumes des ailes. Aidé en s’accrochant aux scapulaires. Qu’il se résout à arracher complètement. Il garde les plus grosses plumes près de sa botte. Quand il en a assez il appelle le fils.

Médéric… pique-les autour du trou.

Les plumes collent à ses fines baguettes de peau. Légèrement paralysé hypnotisé il fait le tour de la cavité. Darde la terre des calames rose pâle.

Le père remue la dépouille afin de découvrir des plumes de bonnes tailles. Dessoude les plumes de la queue. Les tend au fils. Qui termine de faire le pourtour.

Le père pêche la carcasse désailée et la jette à l’intérieur de la cicatrice de glèbe. Il y jette aussi les ailes.

Il ramasse la cage de branches. Invite le fils à le rejoindre.

Contre leur dos la brise fraîche du matin les pousse vers la maison.


Notice biographique :chat qui louche maykan maykan2 alain gagnon

Originaire de La Baie, au Saguenay, Emmanuel Simard détient un diplôme en art interdisciplinaire à l’Université du Québec à Chicoutimi. Il a écrit et réalisé une dizaine de courts métrages ayant participé à divers festivals (Regard sur le court métrage au Saguenay, Vidéaste Recherché) Il collabore à plusieurs projets télévisuels. Il pratique également la peinture.

Il travaille à la publication de son premier livre, Triptyque Baieriverain. Dernièrement, il a publié de la poésie dans les revues Estuaire et Jet d’encre et participe régulière à la Fanzine Fleur de rue.


Une nouvelle d’Emmanuel Simard… (reprise)

8 août 2014

Les naufragés ont le mirage facile

Comment écrire le paradis quand tout nous pousse à écrire l’apocalypse. (Ezra Pound)

Une ben belle moto en tout cas….

Emmanuel M. Simard

Merci d’être venu m’aider.

Rien là… Avec une belle petite paye de même.

Il brasse sa bouteille de bière devant ses yeux cernés.

Ta sœur est chez vous ?

Ouais…

J’ai une job de barmaid à lui offrir…

Elle a déjà une job…

Il essuie ses mains dans le chiffon visqueux. Il range ses outils dans son coffre en métal.

Avale subito le fond de sa bière. Vacillant il tente de placer la bouteille dans la caisse.

Une autre glisse entre ses doigts. La décapsule sur l’ouvre-bouteille vissé à une des poutres.

Je t’en prends une pour la route.

De dos il envoie la main.

Il se déscotche de la moto. Ses yeux amincis par l’alcool rencontrent la silhouette qui s’éloigne.

En contre-jour.

Éblouie par le disque lumineux en déclin.

*

Elle risque une cuillère de soupe. L’approche lentement. Lape le liquide du bout de ses lèvres charnues. Elle prend la miche de pain. En arrache un morceau qu’elle graisse de margarine.

C’est quand les tests?

Dans trois semaines.

Elle trempe son pain de soupe.  Le porte à sa bouche.

C’est à Québec?

Il acquiesce de la tête. Dépose son verre d’eau.

J’espère que les pilules vont marcher…

Inquiète toi pas… Steve l’a dit… si tu fumais la vieille… il le saurait même pas…

Elle souffle sur la soupe fumante. Il écrase des craquelins dans la sienne. Le métal cogne sur la vaisselle. Les regards s’entrecroisent. Elle sourit.

*

La ville prend la nuit. Bredouille une lumière blafarde. Accrochée aux lampadaires d’aluminium bossés. Placardés d’affiches décapées. Le rétroviseur renvoie son regard sur les cuisses généreuses d’une jeune femme assise sur la banquette arrière.

Tu restes où déjà?

Proche du Centre d’achat… 330 rue Maltais.

La voiture prend un virage à droite.

Il continue d’épier le décolleté chaud et bronzé de la jeune femme. Et son ventre plat décoré d’un diamant au nombril. Emmaillotée d’une veste faite de poils hirsutes. La jupe bien remontée. Il devine malgré l’ombre la couleur de son sous-vêtement.

Grosse soirée ?

La jeune femme fait mine de ne pas l’entendre.

Il répète.

Un sourire forcé craque son visage.

Pas pire…

La voiture s’arrête devant un bloc appartement.

La jeune femme ouvre la portière. Fait claquer ses hauts talons sur le pavé. Elle le remercie. Lui dit au revoir.

Ses hanches se trissent vers l’immeuble. Rudoyant l’air de gauche à droite. Sous ses prunelles combustionnées.

*

Assis sur le bout d’un banc il est quelque peu penché vers l’avant. Les miroirs entourant la pièce lui renvoie son reflet. Camisole usée des Bulls de Chicago. Short noir en lycra. Près de lui une serviette de coton blanc. Un haltère de 25 livres dans la main droite.

Son biceps se gonfle d’acide lactique. S’échauffe. Le coude fléchit. La charge descend. Il pompe encore. Le biceps se gonfle à nouveau. De plus en plus les miroirs décèlent la souffrance dans son visage.

Tendu.

Contorsionné.

À la cadence de l’effort.

Il compte ses tractions.

……………………………8…9…10…11…12…13…14…15…

Il dépose l’haltère. Étire son bras. Masse son biceps et son triceps. Ainsi que les muscles de son avant-bras. Sa serviette vient lécher son visage trempé.

Il pige la fonte avec l’autre main.

Et y opère la même mécanique.

Des reflets interfèrent son champ de vision. C’est un groupe d’hommes et de femmes qui pédalent leur sang et leur sueur sur des bicyclettes stationnaires. Leur tête fixe le plafond où un téléviseur diffuse une partie de hockey.

C’est un trapu qui soulèvent une barre de fonte pour enfler ses trapèzes.

C’est une svelte qui monte des marches infinies.

C’est un obèse prisonnier d’une machine bien huilée qui gruge ses pectoraux et ses abdominaux.

Il les voit dans ce reflet.

Sans les voir.

Il compte ses tractions.

………….5…6…7…8…9…10…11…12…13…14…15…

Il dépose.

S’essuie.

Un rictus s’imprime sur son visage émacié et imberbe.

Il masse ses biceps.

Il remet l’haltère sur son socle.

S’éloigne vers l’une des nombreuses machines.

*

Elle découpe des crudités. Autour de la table de travail quatre autres consœurs préparent des plats. Une forte femme affairée au fourneau s’occupe d’un potage.

C’est un étalon je vous dis.

Qu’il la mette su’a table…

Ouais on pourra juger après…

Moi j’ai pour mon dire que c’est mieux une petite vaillante qu’une grosse vache…

Les femmes décapent les murs d’un rire grave. Profond.

Ahh mééé… Ginette… criss que tu parles mal…!

Ahh mééé. R’garde l’autre…

Son visage enregistre une série de sourires factices. Découpe de manière machinale les carottes et les céleris et les poivrons.

Une femme longiligne apparaît dans le cadre de porte. Elle lui fait signe de venir la rejoindre.

*

Le vent bourrasse les arbres rabougris sur le bord de la rivière. Rivière qui éructe des hectolitres litaniques. Torve et en colère. Au-dessus le ciel s’enrubanne de voiles noirs. Le tonnerre murmure. Une fine pluie gorge les craquelures de trottoir.

Il court dans ce malstrom famélique.

Dans son survêtement de coton il crève les décharges de vent.

*

La chambre est petite. Dans un coin une vieille dame se berce.

Amorphe.

Ne bouge presque pas.

Seuls ses pieds sculptés d’arthrite la propulsent vers l’arrière.

Elle s’assoit tout près.

La vieille dame ne la remarque pas.

Ses yeux pointent le plancher.

Inertes.

Tu veux écouter de la musique ?

Elle va au tourne-disque. Tire un vinyle de l’étagère. L’installe sur la platine. Le bras mécanique bouge. Encoche le diamant sur le disque.

Un roulis de piano parvient jusqu’à eux.

Bach sifflote.

La vieille dame lève les yeux vers la fenêtre.

*

Il sirote son café au bar. Il regarde dans le miroir lui faisant face la jeune femme arrivant sur scène. Un boa de plume virevolte autour de sa poitrine gorgée. Avance à pas calculés ses deux échasses surmontées de talons rouges. Elle caresse son sexe. Masse ses seins. Une musique sirupeuse dodeline sur son fessier.

*

Elle boit un thé maintenant froid. Elle pousse son regard à l’extérieur. Là où les voitures escriment le macadam. Elle se lève de sa chaise. Au comptoir elle lave la vaisselle. On cogne. Elle sèche ses mains. Va ouvrir.

Mon frère est au garage.

Je sais, je sais… mais c’est à toi que je voulais parler…

Elle garde la porte entrebâillée. Son œil taquin se peint sur ses hanches. Sur le galbe visible de son décolleté.

Ton frère m’a dit que t’as perdu ta job.

Elle fait oui de la tête.

Écoute… on cherche une barmaid au bar où je travaille…

Je sais pas…

Elle referme la porte.

Laisse-moi parler…

C’est pas trop mon genre ces places-là…

Non… écoute… tu pourrais faire du tip en viarge…

Il recule.

La salue.

*

File droit vers la salle de bain s’équipant au passage du journal de la veille laissé sur la table à café. Confortable sur la lunette il survole les gros titres. En lecture diagonale ses lèvres miment une série d’articles et de billets.

Un sourd craquement provenant du plafond déroute le silence.

Sur un rythme saccadé.

Continuel.

Frisant ses tympans il stoppe sa lecture. Dépose le journal sur le prélart tiède.

De clairs gémissements percent la pièce. Les craquements métalliques se font plus rapprochés.

Il se concentre. Ralenti sa respiration afin de mieux entendre.

Viennent en musique à ses oreilles.

Râlements.

Essoufflement.

Couinement.

Jouissance.

Il fixe toujours le plafond.

Plus rien.

*

Il laisse tomber son sac de sport. Emmitouflé dans une robe de chambre. Les cheveux encore mouillés de la douche. Elle s’approche de lui énervée.

Et puis ?

Ça bien été… l’instructeur a dit que j’avais fait un des meilleurs temps…

Elle se jette dans ses bras. L’encastre de ses bras minces. Un baiser tombe sur sa joue.

Il l’observe repartir vers sa chambre.

Tu sais t’es pas obligé de travailler là… Si je suis accepté… tu pourrais partir avec moi… avec la paye de l’armée… on en aurait assez pour vivre nos deux…

Pis maman ?

On pourrait la transférer avec nous autres…

Tu sais ce que j’en pense…

Il se râtelle le cuir chevelu. Replace ses cheveux poussiéreux.

Tu sors ?

Je travaille…

Pas la job que Claude t’a offert…

Elle ne répond pas. Trop occupée à se peinturlurer le visage d’ombre à paupière. De mascara.

Me semblait que c’était pas ton genre de place?

Un rouge à lèvre glisse sur ses lèvres charnues.

Faut ben travailler…

*

Égueulé d’alcool il titube sur le trottoir lézardé. Sa canadienne ouverte aux froids couteaux du Nordet. Sa tignasse à la merci du vent.

Sac mou.

Inerte.

Fissuré de bières et de forts.

Il atteint sa voiture. Fouille ses poches.

Deux gaillards vestonnés de noir le rejoignent.

L’un l’agrippe par derrière. Le pirouette sur la voiture.

Vociférations.

On t’a déjà averti… tu touches pas aux serveuses…

J’ai rien fait… c’est elle qui m’a frôlé…

C’est la dernière fois qu’on te le dit…

Il grogne d’affirmative. Les deux bonzes reviennent sur leur pas.

Fracas de moteur. Creusant de légers sillons dans la rue mouilleuse.

Les roues s’enfuient.

*

Il ouvre une lettre.

Il perçoit certains mots sur le papier.

Avons le regret…

Échoué le test médical…

*

Elle serre les cuisses.

Il l’étrangle. Dans le stationnement. Dans la voiture il file sur elle.

Elle se débat.

Il se défroque. Déchire sa culotte.

Il la frappe à la joue.

La pénètre.

Elle crie.

*

Il marche sur le viaduc. Passe devant un vieux garage où un édenté change les radiateurs. Une station-service aux couleurs d’une méga chaîne. Un restaurant de Fast-Food. Des maisons cloquées de vieillards amorphes.

Les coups de vent produit par les semi-remorques lui lacèrent le dos. Perpendiculaire à cette route un malstrom de rivière au torrent jaunâtre s’agite. Il passe sa main sur son visage engrêlé de poils hirsutes.

Une main tremblante.

Nerveuse.

Il descend vers le torrent.

Il sent une matraque s’abattre dans le bas de son dos. Sous l’impact son corps plie en deux. Un coup de genoux pulvérise sa mâchoire.

Le sang s’écoule par les narines éclatées. Il l’accroche de ses deux mains encordées de veinules boursouflées.

J’ai rien fait… c’est elle… c’est elle…

Il ne fait que pleurnicher.

Le sang goutte sur sa lèvre supérieure.

S’infiltre par les interstices de ses dents.

Mêlées aux sanglots des rafales de toux viennent brouiller ses dires.

Et il cogne son corps frêle comme un vulgaire poisson mort dans une barque.

Truffé d’angoisse.

De frayeur.

Ponctué de crachats.

Vomissures.

Il s’éloigne du corps gargouillant.

Chuintant de pleurs.

Il s’en va.

*

Elle l’observe. Longuement. Elle allonge un bras. Touche son épaule. La vieille dame se retourne.

Offrant un sourire irradiant.

La vieille dame touche sa joue bleutée. Plisse ses paupières d’oie.

Vous êtes qui ?

Elle va mettre le disque.

Les larmes de Bach.

La vieille dame se berce.

Originaire de La Baie, Emmanuel M. Simard détient un diplôme en art interdisciplinaire de l’Université du Québec à Chicoutimi. Il a écrit et réalisé une dizaine de courts métrages et a participé à divers festivals. Il tente aussi de se tailler une place dans le merveilleux monde de la télé. Il travaille à la publication de son premier roman. Dernièrement, il a publié de la poésie dans les revues Estuaire et Jet d’encre. Cette nouvelle est son troisième texte dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. AG

 

 


Emmanuel Simard… (Reprise de 2010)

17 juillet 2014

Présenter un écrivain/écrivant plein d’originalité et de promesse est pour moi un privilège…(AG)

Emmanuel Simard possède une voix et des thèmes qui lui sont propres.  Ici, pour rendre l’émotion d’un enfant devant la cruauté du monde, il bouscule la syntaxe et la ponctuation.  Le lecteur doit fournir un effort dont il est récompensé.

Emmanuel nous raconte une façon de faire qui visait à effrayer les oiseaux, les éloigner des champs cultivés.  Ce récit cruel   nous montre le sort réservé à la corneille qui servait d’épouvantail.  Tout l’effet du texte tient au voisinage de la simplicité d’expression et de l’horreur.

Le trou de la corneille

La corneille croasse. Dans sa prison de branches d’arbre. Le bec pince les barreaux. Et les yeux noirs de l’oiseau.

Paniqués.

Perfore les rétines inquiètes du fils. Qui traîne près de son père.

Au bout de la corde la cage bringuebale d’avant arrière. La corneille instable enserre ses pattes dans les branches. Crache peur et haine. Déploie ses ailes noires charbon et tente de briser la cage en prenant son envol. Cris rauques. Rage et violence.

Le fils se raidit.

Au centre du champ le père s’arrête. Vis-à-vis un trou béant creusé à même la terre ensemencée. Un pied profond. Cinq de tour. Le père pose la cage. Évitant les coups de becs.

Le fils en retrait observe son père.

Coi.

Immobile.

Sachant qu’il devra le faire un jour.

Opérant un cycle calculé et rituel le père ouvre la cage de bois d’une mince fente. Assez étroite pour pénétrer sa main gantée.

Saisit l’animal.

Agressif. Qui picosse féroce ses longs doigts en joute.

Le cou obturé d’une prise ferme la corneille reste sans mouvement. Avec l’autre main qu’il ancre sur le flanc et qu’il entoure jusqu’au croupion il exerce une pression.

Et il tord la corneille. Vieux torchon que l’on essore.

Le fils sursaute. Fermant sous le bruit sourd des os qui s’effrite du sang qui lâche des billes qui se révulsent ses yeux dégoûtés. La terre accueille la mort noire grisée de rouge.

Malgré elle.

Le père se penche pour défricher du corps les plumes des ailes. Aidé en s’accrochant aux scapulaires. Qu’il se résout à arracher complètement. Il garde les plus grosses plumes près de sa botte. Quand il en a assez il appelle le fils.

Médéric… pique-les autour du trou.

Les plumes collent à ses fines baguettes de peau. Légèrement paralysé hypnotisé il fait le tour de la cavité. Darde la terre des calames rose pâle.

Le père remue la dépouille afin de découvrir des plumes de bonnes tailles. Dessoude les plumes de la queue. Les tend au fils. Qui termine de faire le pourtour.

Le père pêche la carcasse désailée et la jette à l’intérieur de la cicatrice de glèbe. Il y jette aussi les ailes.

Il ramasse la cage de branches. Invite le fils à le rejoindre.

Contre leur dos la brise fraîche du matin les pousse vers la maison.


Notice biographique :

Originaire de La Baie, au Saguenay, Emmanuel Simard détient un diplôme en art interdisciplinaire à l’Université du Québec à Chicoutimi. Il a écrit et réalisé une dizaine de courts métrages ayant participé à divers festivals (Regard sur le court métrage au Saguenay, Vidéaste Recherché) Il collabore à plusieurs projets télévisuels.Il pratique également la peinture.

Il travaille à la publication de son premier livre, Triptyque Baieriverain. Dernièrement, il a publié de la poésie dans les revues Estuaire et Jet d’encre et participe régulière à la Fanzine Fleur de rue.


L’œuvre des glaciers d’Emmanuel Simard… »

10 février 2014

Prix Découverte du Salon du Livre 2012 : L’œuvre des glaciers d’Emmanuel Simard…

Opinion du jury :

L’œuvre des glaciers est un recueil introspectif et non conformiste dépeignant un univers sombre et tourmenté qui ne laisse pas indifférent. Une voix forte y résonne, assurément prometteuse dans sa démesure, heureux présage d’une carrière littéraire qui prend son envol avec cette première publication pleine d’intensité et d’authenticité. C’est une écriture organique qui s’y découvre : sans compromis, pure, vraie. Dans cette esthétique de fulgurance, de sensualité, de passion, de violence et de destruction, Emmanuel Simard fait entendre ce timbre poétique qui lui est particulier, d’une implacable dureté dans sa quête du sacré, créant du beau avec du laid. L’auteur s’amuse avec la forme, invite à la dérive des idées, à la fragmentation. D’une spontanéité et d’une logique qui rendent le texte inimitable, ses métaphores inusitées déstabilisent, décontenancent, percutent et choquent. Le lecteur est constamment chamboulé, renversé, stupéfait par la vision du monde marginale du poète qui écrit sans filet, sans balise, ne suivant que ce rythme primitif, instinctif, qui cadence sa pensée. Sa prose libre, qui se lit dans un mélange d’étonnement et d’admiration, témoigne d’un ressenti impressionnant, d’un imaginaire fastueux, d’une émotivité renversante qui ne s’embarrasse pas de convenances. Bref, les images percutantes et le souffle de cette publication sont révélateurs d’un talent manifeste, laissant deviner un bel avenir en littérature pour le jeune auteur.

Rédactrice : Sandra F. Brassard

Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/


Rétrospective* : Emmanuel Simard…

29 avril 2013

Présenter un écrivain/écrivant plein d’originalité et de promesse est pour moi un privilège…

Emmanuel Simard possède une voix et des thèmes qui lui sont propres.  Ici, pour rendre l’émotion d’un enfant devant la cruauté du monde, il bouscule la syntaxe et la ponctuation.  Le lecteur doit fournir un effort dont il est récompensé.

Emmanuel nous raconte une façon de faire qui visait à effrayer les oiseaux, les éloigner des champs cultivés.  Ce récit cruel   nous montre le sort réservé à la corneille qui servait d’épouvantail.  Tout l’effet du texte tient au voisinage de la simplicité d’expression et de l’horreur.

Le trou de la corneille

La corneille croasse. Dans sa prison de branches d’arbre. Le bec pince les barreaux. Et les yeux noirs de l’oiseau.

Paniqués.

Perfore les rétines inquiètes du fils. Qui traîne près de son père.

Au bout de la corde la cage bringuebale d’avant arrière. La corneille instable enserre ses pattes dans les branches. Crache peur et haine. Déploie ses ailes noires charbon et tente de briser la cage en prenant son envol. Cris rauques. Rage et violence.

Le fils se raidit.

Au centre du champ le père s’arrête. Vis-à-vis un trou béant creusé à même la terre ensemencée. Un pied profond. Cinq de tour. Le père pose la cage. Évitant les coups de becs.

Le fils en retrait observe son père.

Coi.

Immobile.

Sachant qu’il devra le faire un jour.

Opérant un cycle calculé et rituel le père ouvre la cage de bois d’une mince fente. Assez étroite pour pénétrer sa main gantée.

Saisit l’animal.

Agressif. Qui picosse féroce ses longs doigts en joute.

Le cou obturé d’une prise ferme la corneille reste sans mouvement. Avec l’autre main qu’il ancre sur le flanc et qu’il entoure jusqu’au croupion il exerce une pression.

Et il tord la corneille. Vieux torchon que l’on essore.

Le fils sursaute. Fermant sous le bruit sourd des os qui s’effrite du sang qui lâche des billes qui se révulsent ses yeux dégoûtés. La terre accueille la mort noire grisée de rouge.

Malgré elle.

Le père se penche pour défricher du corps les plumes des ailes. Aidé en s’accrochant aux scapulaires. Qu’il se résout à arracher complètement. Il garde les plus grosses plumes près de sa botte. Quand il en a assez il appelle le fils.

Médéric… pique-les autour du trou.

Les plumes collent à ses fines baguettes de peau. Légèrement paralysé hypnotisé il fait le tour de la cavité. Darde la terre des calames rose pâle.

Le père remue la dépouille afin de découvrir des plumes de bonnes tailles. Dessoude les plumes de la queue. Les tend au fils. Qui termine de faire le pourtour.

Le père pêche la carcasse désailée et la jette à l’intérieur de la cicatrice de glèbe. Il y jette aussi les ailes.

Il ramasse la cage de branches. Invite le fils à le rejoindre.

Contre leur dos la brise fraîche du matin les pousse vers la maison.


Notice biographique :

Originaire de La Baie, au Saguenay, Emmanuel Simard détient un diplôme en art interdisciplinaire à l’Université du Québec à Chicoutimi. Il a écrit et réalisé une dizaine de courts métrages ayant participé à divers festivals (Regard sur le court métrage au Saguenay, Vidéaste Recherché) Il collabore à plusieurs projets télévisuels. Il pratique également la peinture.

Il travaille à la publication de son premier livre, Triptyque Baieriverain. Dernièrement, il a publié de la poésie dans les revues Estuaire et Jet d’encre et participe régulière à la Fanzine Fleur de rue.


L’œuvre des glaciers d’Emmanuel Simard…

2 octobre 2012

 

Prix Découverte du Salon du Livre : L’œuvre des glaciers d’Emmanuel Simard…

Opinion du jury :

L’œuvre des glaciers est un recueil introspectif et non conformiste dépeignant un univers sombre et tourmenté qui ne laisse pas indifférent. Une voix forte y résonne, assurément prometteuse dans sa démesure, heureux présage d’une carrière littéraire qui prend son envol avec cette première publication pleine d’intensité et d’authenticité. C’est une écriture organique qui s’y découvre : sans compromis, pure, vraie. Dans cette esthétique de fulgurance, de sensualité, de passion, de violence et de destruction, Emmanuel Simard fait entendre ce timbre poétique qui lui est particulier, d’une implacable dureté dans sa quête du sacré, créant du beau avec du laid. L’auteur s’amuse avec la forme, invite à la dérive des idées, à la fragmentation. D’une spontanéité et d’une logique qui rendent le texte inimitable, ses métaphores inusitées déstabilisent, décontenancent, percutent et choquent. Le lecteur est constamment chamboulé, renversé, stupéfait par la vision du monde marginale du poète qui écrit sans filet, sans balise, ne suivant que ce rythme primitif, instinctif, qui cadence sa pensée. Sa prose libre, qui se lit dans un mélange d’étonnement et d’admiration, témoigne d’un ressenti impressionnant, d’un imaginaire fastueux, d’une émotivité renversante qui ne s’embarrasse pas de convenances. Bref, les images percutantes et le souffle de cette publication sont révélateurs d’un talent manifeste, laissant deviner un bel avenir en littérature pour le jeune auteur.

Rédactrice : Sandra F. Brassard

Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/


Emmanuel M. Simard publie un recueil de poèmes…

2 avril 2012

Emmanuel M. Simard lancera le 6 avril prochain aux Éditions Poètes de Brousse

L’œuvre des glaciers…

À l’occasion d’un Cinq à Sept,  au Bar à Pitons, 110 Price-Ouest, Chicoutimi !

Extrait :

Mon dos contre la terre sèche, l’étoile dans le ciel,

le songe meurt dans les branches,
l’impossible nuit au cœur
et me guide vers les champs.
Je titube, je cherche un coupable

Notice biographique

Originaire de La Baie, Emmanuel Simard détient un diplôme en art interdisciplinaire de l’Université du Québec à Chicoutimi. Il a écrit et réalisé une dizaine de courts métrages, ayant participé à divers festivals (Regard sur le court métrage au SaguenayVidéaste Recherché). Il pratique également la peinture.  Il travaille à la publication de son premier roman, Triptyque baieriverain. Dernièrement, il a publié de la poésie dans les revues Estuaire et Jet d’encre.  En octobre 2011, il lançait aux Éditions Le Chat Qui Louche une novella La Chute du jour : http://www.editionslechatquilouche.com/


Livres à vous procurer aux Éditions du Chat Qui Louche…

9 octobre 2011

Les Éditions du Chat Qui Louche vous offrent ces ouvrages à prix plus que modiques… 

Suffit de cliquer sur l’adresse suivante : http://www.editionslechatquilouche.com/


Pascale Bourassa nous offre une novella intitulée : Une couleur dans le noir…

Résumé

 Dans un style qui n’appartient qu’à cette auteure, Une couleur dans le noir raconte l’histoire d’une adolescente en crise qui tente de faire le deuil de sa mère morte dans sa tendre enfance. Elle essayera tant bien que mal de créer des liens avec sa belle-mère ainsi qu’avec son père qui noie son désespoir dans l’alcool pour oublier sa première épouse.  L’adolescente vivra les prémices d’un premier amour avec un jeune homme dont elle deviendra enceinte. Elle devra prendre la difficile décision de garder ou de rejeter cet enfant et finira par l’accepter en hommage à sa mère morte.

Notice biographique

Pascale Bourassa est née au Lac-Saint-Jean. Elle a fait des études en création littéraire et obtenu une maîtrise en 2001 à l’UQAM. Elle avoue avoir été influencée par la grande Anne Hébert dont elle admire les œuvres. Son écriture s’inscrit en partie dans le mouvement psychanalytique. Pascale Bourassa s’inspire des gens qui l’entourent. La psychologie humaine la fascine. Elle adore aussi voyager et découvrir de nouveaux pays, de nouvelles cultures. Elle habite maintenant l’Alberta et montre une prédilection pour les grands espaces sauvages de l’Ouest.

En 2009, elle publiait son premier roman : Le puits, aux Éditions de la Grenouille Bleue.

Alain Gagnon nous offre un recueil de nouvelles : L’iceberg de Lou Morrison…

Résumé

Lou Morrison est maire d’un petit village de la Basse-Côte-Nord. Tout baigne dans la tranquillité.  Un jour, un iceberg dérive jusqu’au rivage. Commotion et quiproquo : débarquement de la faune médiatique et publicitaire.  Bien malgré lui, monsieur le maire est aux prises avec un scandale de pot-de-vin. Les bien-pensants de toutes allégeances se déchaîneront et attaqueront dans tous les médias ce maire de l’arrière-pays qui, croit-on bien à tort, aurait vendu, par esprit de lucre, l’iceberg à une distillerie de vodka de Toronto…  Mis en accusation par tous, y compris son épouse et son fils, Morrison réglera le tout : il dynamitera de nuit le monstre de glace, ce qui lui permettra de retrouver la quiétude et de déambuler à nouveau le long du littoral nord-côtier.

Et il en est ainsi de tous les personnages baroques qui peuplent ce recueil. Visages anonymes de la foule, des situations insolites, mais plausibles, à portée de nos quotidiens, les entraînent dans des tourbillons échevelés. Chaque nouvelle fait rire ou grincer des dents — sous le burlesque, la critique sociale s’y fait précise et sévère… Nous reconnaissons des personnages de notre univers et nous nous y reconnaissons.

Notice biographique

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction-roman du Salon du Livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean pour Sud (1996) et Thomas K (1998), deux romans parus aux Éditions de la Pleine Lune. À trois autres reprises, il a reçu le Prix poésie du même Salon pour Ces oiseaux dmémoire (Loup de Gouttière, 2003), L‘espace dla musique (Triptyque, 2005) et Les versetdu pluriel (Triptyque, 2008). En 2011, il remportera le Prix Intérêt général pour un essai paru aux Éditions de la Grenouille Bleue : Propos pour Jacob. Depuis 2009, il gère et alimente un blogue, LChat qui louche, qui est devenu un véritable magazine littéraire électronique, regroupant plusieurs collaborateurs de renom (http://maykan.wordpress.com/).

Bibliographie partielle :  Aux Éditions du CRAM/Grenouille Bleue : Kassauan(roman), 2008.  Chroniques d’Euxémie, (nouvelles), 2008.  Cornes, (roman), 2009. Le chien de Dieu (carnets), 2010. Propos pour Jacob, (essai), 2010.  Aux Éditions Triptyque : Lélie ou la vie horizontale, (roman), 2003. Jakob, fils de Jakob, (roman), 2004. L’espace de la musique, (poèmes), 2005.Le truc de l’oncle Henry, (roman), 2006.  Les versets du pluriel, (poèmes), 2008.  Chants d’août, (poèmes), 2011.   Au Loup de Gouttière : Ces oiseaux de mémoire, (poèmes), 2003. Chez Lanctôt Éditeur : Almazar dans la Cité, (roman), 1999.  Le ruban de la Louve(contes), 2000.   Aux Éditions de la Pleine Lune : Sud, (roman), 1995. Thomas K, (roman), 1997.

Emmanuel Simard nous offre une novella : La chute du jour…

La chute du jour suit le parcours d’un jeune garçon qui tente de survivre dans les affres du Grand Feu de 1870, qui a dévasté une partie du Lac-Saint-Jean et du Saguenay de l’époque.

Et les feux d’abattis ronflent encore. Et le vent arrive enceinte de bourrasques. Projetant une haleine tiède sur les braises éparpillées parmi les filaments d’herbe. Et plusieurs violences viennent des airs. D’impétueux courants venus alimenter les flammes. De l’Ouest les vents poussent les cendres encore chaudes sur la chaussée et sur les champs et sur les racines hors terre. Les braises respirent. Rougissantes. Clignotantes. Sous ce dôme chargé de nuit et de brillances disparates, un feu vif prend la terre. Otage de brûlures. De troncs de branches cramés.

Des maisons se réveillent et des hommes en sortent.

Notice biographique

Originaire de La Baie, Emmanuel Simard détient un diplôme en art interdisciplinaire de l’Université du Québec à Chicoutimi. Il a écrit et réalisé une dizaine de courts métrages, ayant participé à divers festivals (Regard sur le court métrage au Saguenay, Vidéaste Recherché). Il pratique également la peinture.  Il travaille à la publication de son premier roman, Triptyque baieriverain. Dernièrement, il a publié de la poésie dans les revues Estuaire et Jet d’encre.

Dany Tremblay, en collaboration avec Martial Ouellet, nous offre un roman-nouvelles :Le Miroir aux alouettes…

Miroirs aux alouettes entraîne le lecteur à Baie-Sainte-Catherine, village au bord du fleuve Saint-Laurent et le fait entrer tour à tour dans l’intimité de dix personnages.

Dix histoires. Dix façons de voir le monde.

Rita a passé sa vie à Baie-Sainte-Catherine, Marie y séjourne quelques heures, M a quitté le village il y a longtemps. Dans Miroirs aux alouettes, on rencontre aussi Coq l’œil et Clara, deux êtres complexes dont les chemins se croisent, et Coralie, contrainte d’aller vivre là-bas. Leurs vies à tous se recoupent et se transforment au contact les unes des autres.

L’originalité de Miroirs aux alouettes tient également dans la présence des Intermèdes de Martial Ouellet, lui-même originaire de Baie-Sainte-Catherine. Les intermèdes, plus réels que fictifs, témoignent d’événements et de lieux passés, avant le tourisme aux baleines, avant l’industrialisation, avant même la naissance de la terre. Ils sont l’équivalent des entractes au théâtre. Sur une note à la fois humoristique et philosophique, ces courts textes arrachent des sourires tout en émettant de grandes vérités.

Notice biographique

Dany Tremblay a vécu son adolescence et  le début de sa vie d’adulte à Chicoutimi. Après un long séjour dans la région de Montréal, où elle a obtenu une maîtrise en Création littéraire à l’UQAM, elle s’est de nouveau installée au Saguenay où elle partage son temps entre l’écriture et l’enseignement de la littérature au Collège de Chicoutimi. Au début des années 80, elle s’est mérité le troisième prix de la Plume Saguenéenne en poésie ; en 1994, elle est des dix finalistes du concours Nouvelles Fraîches de l’UQAM. Organisatrice de Voies d’Échanges, qui a accueilli, deux années de suite, une vingtaine d’écrivains à Saguenay, elle est aussi, à deux reprises, boursière du CALQ. Elle s’est impliquée dans l’APES-CN dont elle a été présidente de 2006 à 2008. Depuis presque dix ans, elle pratique l’écriture publique avec les Donneurs de Joliette, fait partie des lecteurs pour le Prix Damase-Potvin et celui des Cinq Continents.

À ce jour, elle a publié des nouvelles dans plusieurs revues au Québec, a coécrit avec Michel Dufour Allégories : amour de soi amour de l’autre publié en 2006 chez JCL et Miroirs aux alouettes, roman-nouvelles, publié en 2008 chez les Équinoxes, ouvrage auquel a participé Martial Ouellet.  En 2009 et 2010, elle fera paraître successivement, aux Éditions de la Grenouille Bleue, deux recueils de nouvelles : Tous les chemins mènent à l’ombre (Prix récit : Salon du Livre du SLSJ en 2010) et Le musée des choses.

Dominique Blondeau nous offre un roman : Des trains qu’on rate

Résumé de l’intrigue

Priscilla et Patrice, couple dans la jeune cinquantaine, se reposent amoureusement dans leur lit, un samedi matin qui est celui de la veille de Pâques. Soudain, le téléphone sonne. Patrice se lève pour répondre, c’est sa mère qui lui annonce que son frère jumeau, Francis, est mort, il s’est suicidé. Celui-ci sera enterré le mardi après le long week-end pascal. Priscilla et Patrice devront assister aux obsèques.

L’action va se dérouler durant ces quatre jours, du samedi au mardi. Le chagrin qu’a éprouvé Priscilla à la mort de son père, il y a plusieurs années, chagrin qu’elle a mal assumé, va prendre ici toute son ampleur et occasionner beaucoup de questions sur cet homme qu’elle a mal connu. Son père avait cinquante ans quand elle est née… On assistera aussi au questionnement de la mère de Patrice et de Francis sur sa famille à elle, sur son mari et ses jumeaux. Patrice n’échappera pas non plus à certaines réminiscences concernant son père, son frère et lui-même.

C’est un roman intimiste et intériorisé sur les deuils que nous portons en nous, une sorte de huis clos qui se passe dans la maison familiale et autour. Les repas ont aussi beaucoup d’importance dans cette histoire. Ils sont décrits comme la métaphore d’une possible réconciliation entre les personnages. Un narrateur intervient parfois sous la forme neutre du ON, qu’on retrouve dans le titre qui est une phrase du roman. Ce ON est aussi un humble hommage à l’écrivain portugais José Saramago.

Notes bibliographiques

Installée au Québec depuis 1969, Dominique Blondeau, romancière et nouvellière, a été lauréate du Prix France-Québec/Jean-Hamelin pour son roman Un Homme foudroyé. Entre autres ouvrageselle est aussi l’auteure de Les Feux de l’exil, Fragments d’un mensonge, Alice comme une rumeur, Éclats de femmes et Larmes de fond, ces cinq derniers livres publiés aux éditions de la Pleine Lune. En 2002, les éditions Trois-Pistoles ont édité son essai,Des grains de sel, dans la collection «Écrire». Elle a fait paraître des nouvelles dans plusieurs revues et collectifs et, en 1997, elle a été lauréate du Prix de la Meilleure Plume au concours XYZ. La revue de la nouvelle. Son treizième roman Une île de rêves a été publié en 2004 chez VLB éditeur. En 2008, elle a publié un recueil de nouvelles, Soleil et cruautés, dans Internet, sur le site Lulu. En 2007, elle a créé un blogue surtout consacré à la littérature québécoise, Ma page littéraire(http://dominiqueblondeaumapagelitteraire.blogspot.com/)

Danielle Dussault nous offre un roman : Camille ou la fibre de l’amiante

Résumé de l’intrigue

Jamais n’a-t-on abordé le sujet de la vie dans les mines d’amiante autrement que sous l’angle de la politique ou de la syndicalisation. Si on y a généralement occulté le caractère psychologique propre à la vie souterraine, j’y ai vu, pour ma part, une occasion rêvée d’approcher le sujet en m’inspirant du décor lunaire de Thetford-les-Mines. Ici entrent donc en scène des personnages qui séjournent dans un lieu de montagnes blanches et de sable accumulé, une ville génératrice d’une histoire pourtant meublée.

Sur fond de décor lunaire que composent les montagnes de sable, La maison des treuils dessine un portrait en mosaïque de six personnes vivant à Thetford-les-Mines durant un demi-siècle de son histoire. À tour de rôle, Ludger et sa fille Camille reviennent à Thetford-les-Mines. Elle, après quelques années d’éloignement, lui, après trente ans d’exil. Ils ne se connaissent pas. Ludger a été chassé de la ville par les hommes des mines, faussement accusé de tentative de meurtre. Toute sa vie, Camille a guetté le retour de l’absent. La jeune femme se demande si elle ne sera jamais libérée de l’exil intérieur auquel l’a condamnée l’absence du père. Pétris par l’attente ou la révolte, prisonniers tantôt du mutisme de la ville, tantôt d’un chagrin d’amour inavoué, ces personnages apprennent que les blessures secrètes de l’âme se transmettent d’une génération à l’autre. Mais qu’à la différence du silence qui tue, la parole de vérité parfois libère.

Bien que le livre s’inspire de faits historiques, les personnages qui se racontent ici depuis un point de vue intérieur n’ont jamais existé. Ils sont pure fiction. Pourquoi parler de l’amiante et du tissu social que n’ont pas manqué de constituer les mines ? À l’origine de ce projet d’écriture, il y a une image très inspirante : une photographie du début du siècle montrant quelques gobeuses à l’ouvrage, femmes vouées à la tâche de détacher la laine de ce qu’on appelle la roche mère, détacher donc la fibre de la roche d’amiante. C’est cette fibre, cette émotion viscérale, cette essence matérielle, qui colle à l’âme des personnages de ce roman et, par un simple prolongement de la pensée, elle sert à établir un lien avec la fibre maternelle. Legs refilé d’une génération à l’autre, elle est la marque d’une culpabilité multiforme qui pousse autant à l’exil qu’à la révolte, autant à la honte qu’à la logique du bouc émissaire. Quant au mot amiante qui signifie « pur » en grec, ou plus exactement « sans souillure », il est digne d’être réhabilité ici aux yeux de la poésie. Le feu, faut-il le rappeler, n’attaque pas l’amiante ; les personnages qu’on voit évoluer dans ce roman sont à la recherche d’une purification sans équivoque.

Notes bibliographiques

L’écrivaine et musicienne Danielle Dussault publie des nouvelles, de courts récits et des romans. Elle a travaillé pour le cinéma, la télévision et le théâtre. Elle a remporté le prix Alfred-Desrochers en 2003 pour son récit L’imaginaire de l’eau paru à L’instant même. Elle a aussi obtenu la mention d’honneur du concours Robert-Cliche pour Camille ou la fibre de l’amiante publié chez VLB en 2000, réédité en 2011 aux Éditions Le Chat Qui Louche. À travers un parcours d’écriture singulier, qui oscille entre imaginaire et onirisme, elle manie les paradoxes et les atmosphères intimistes dans un souci de transparence.

Danielle Dussault donne des ateliers d’écriture et a dirigé la publication d’un recueil de nouvelles,Écritures du désert, qui regroupe un ensemble de textes arabes et québécois. Elle est en train d’écrire un spectacle de chansons intimistes, Carpe diem, qui servira de base à l’écriture d’un scénario de film. Elle est également en train de produire un récit, temporairement intitulé Les robes du jour, à partir de dix chansons qui forment l’intrigue de l’œuvre. Danielle Dussault habite Thedford Mines au Québec.

Clémence Tombereau nous offre des billets : Fragments

Présentation de l’ouvrage

Aux confins des errances se trouvent toujours les mots (le plus grand risque étant de ne pas trouver les bons).

Glorifier un lieu, sublimer les sensations, emberlificoter les sentiments dans des manières toutes félines : les mots tendent vers l’alchimie.

Transcender la réalité. La rendre meilleure ou pire ou simplement la traduire.

Les fragments et nouvelles regroupés ici n’ont d’autre dessein — immodeste, il est vrai — que de parer le réel d’un enchantement chamarré, d’une étrangeté sourde. Des ambiances brumeuses enveloppent des personnages qui côtoient l’humanité, qui frôlent l’horizon et flânent dans l’abîme. L’évasion se veut reine et l’ailleurs illusionne les sens, cependant qu’une imagination nimbée d’un halo bleuté dévoile, dans le clair-obscur du monde, une réalité au-delà des apparences. La possibilité pour le lecteur de lire dans le désordre ces extraits de vie lui offre une aisance libre de toute contrainte. Ne reste qu’à savourer ces poussières d’existence…

Notes bibliographiques

Clémence Tombereau est née à Nîmes en 1978. Après des études de Lettres classiques, elle a enseigné en lycée pendant cinq ans, avant de se rendre au Portugal pour mener une vie partagée entre l’enseignement et l’écriture. Elle vit désormais à Milan, où l’écriture continue d’être sa principale activité.

Finaliste du Prix Hemingway en 2005, lauréate du concours littéraire organisé par le blogue Vivre à Porto, elle a également participé à la revue Rouge Déclic (numéro 2) et nourrit quotidiennement un blogue : http://clemencedumper.blogspot.com/

Sylvie Vignes nous offre des souvenirs sous forme d’abécédaire : Encrine

Présentation

Encrine, dont le manuscrit a reçu en France le prix André Ferran 2009, est à l’origine une commande de son fils Joël qui n’a pas eu le temps de vraiment connaître son grand-père maternel, Lucien Nizard. La forme de l’abécédaire s’est imposée pour égrener les souvenirs tendres ou tragiques et retenir les arcanes majeurs d’un passant considérable.

Notes bibliographiques

Sylvie Vignes est maître de conférences HDR à l’Université de Toulouse-le Mirail. Titulaire d’une thèse de troisième cycle sur Julien Gracq et d’une thèse nouveau régime sur Jean Giono, elle a consacré la plupart de ses travaux universitaires à ces deux auteurs. Coorganisatrice, avec Jean-Yves Laurichesse, du colloque international « Jean Giono, la mémoire à l’œuvre » en mars 2008, et en janvier 2010 du Colloque du Centenaire Julien Gracq avec Patrick Marot, elle participe actuellement, avec une dizaine de collègues, au Dictionnaire Gionoà paraître aux éditions Garnier. Ses autres publications – communications, articles et ouvrages de critique littéraire – concernent essentiellement la littérature française (Éric Holder, Claude Pujade-Renaud, Pierre Michon, Marie Nimier…) et québécoise (Aude, Roland Bourneuf, Louis Hamelin, Monique Proulx…) au tournant du siècle neuf.