En marge de l’écriture, (1), par Alain Gagnon…

10 juin 2017

Texte, et magies du texte…

 1. En marge, nous trouvons ce qui est hors de la page attestée.  En frange.  À la périphérie.  Blanc du alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecpourtour.  Espace de frontière, où l’on gribouille parfois, où l’on annote — glose.  Ce qui n’appartient pas en vrai au texte, ni à l’ouvrage, mais s’ouvre aux notules anarchiques.  Ce qui est isolé, épargné par ce mouvement compulsif des yeux, de gauche à droite.  Ce qui promet d’autres récits, d’autres aires où s’ébaudiront les mots.  Où loge ce qui est réflexions sur, pensées sur.

Périphérie où s’élabore l’impossible à dire ou ce que l’on dira demain.

2. Écrire : se prolonger, donner une extension à sa voix.  Espoir de parler au-delà des déserts à tous ces proches sans visage et lointains.  Chaque jour rallumer le feu de la solidarité non sectaire, celle qui singulièrement s’évase au-dessous et au-dessus des mots.  Tenter de se reconnaître et de reconnaître les autres absents.

3. Comme moyen de création, d’expression, le texte suffit.  Il ne suffit pas à la finalité de l’écriture, mais comme outil, il suffit.  Déposons nos opinions, nos appétences humanitaires, nos bons sentiments, nos intentions, nos plans, nos drapeaux, nos engagements à la porte de l’officine : le texte ira cueillir tout ça, de par son propre dynamisme — il ira chercher mieux que tout ça, tout ça en mieux.

4. La question la plus fréquente lors de rencontres où l’on a velléité d’écriture : Parfois j’ai de bonnes idées.  Il me semble détenir les matériaux pour écrire de grandes choses, de sacrées bonnes histoires… Tout est là, dans ma tête !  Je m’assois, ouvre l’ordi, puis plus rien.   Rien ne se passe.  Le vide !  Pourquoi ? Et voilà, c’est le problème : la richesse.  On se présente embourbé de préjugés, de désirs et d’opinions – même les mieux fondées.  On est trop riche.  L’espace n’appartient plus au texte, il ne peut respirer.  Il étouffe mort-né.  Qu’on le laisse vivre, le texte !  Il en sait plus que soi.

(Chants d’août, Éd. Triptyque)

Notice biographique

Auteur prolifique, d’une forte originalité thématique et formelle, Alain Gagnon, ce marginal de nos lettres, a alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecpublié, à l’hiver 2011, Le bal des dieux, son trente-septième ouvrage. À deux reprises, il a remporté le Prix fiction-roman du Salon du Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, soit en 1996 et en 1998, pour ses romans Sud et Thomas K. Il a également remporté, à quatre reprises, le Prix poésie du même Salon : en 2004, pour son recueil de poèmes Ces oiseaux de mémoire, en 2006, pour L’espace de la musique, en 2009, pour Les versets du pluriel et en 2012 pour Chants d’août. En 2011, il avait obtenu le Prix intérêt général pour son essai Propos pour Jacob.  Il a été le président fondateur de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES-CN) et responsable du projet des collectifs Un Lac, un Fjord, 1, 2 et 3. Il déteste la rectitude politique et croit que la seule littérature valable est celle qui bouscule, dérange, modifie les paysages intérieurs – à la fois du créateur et des lecteurs. De novembre 2008  à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé et de directeur littéraire aux Éditions de la Grenouille bleue, une nouvelle maison liée aux Éditions du CRAM, qui se consacrait à la littérature québécoise.  Il continue de créer et gère présentement un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Esprit, création, demi-dieux, par Alain Gagnon…

29 avril 2017

Dires et redires…

L’Esprit est un, sans temps ni lieu. Autosuffisant. Pour lui, passé et futur ne sont pas. Il est. Il existe. Il est le Je suis. Sans comparable. Tout motchat qui louche maykan alain gagnon francophonie pour le décrire montre l’insuffisance du langage, de la partie congrue qui voudrait nommer le tout incommensurable auquel elle appartient.

Les religions, les philosophies, ont tenté de le définir, d’élaborer sur sa nature, ses qualités, ses volontés mêmes. Ces efforts, sans doute nécessaires, ont souvent mené à des confrontations entre croyants, à des drames, à des déchirements promus par l’intérêt et la vanité, qui n’étaient certes pas voulus par l’Esprit divin.

Comment – et pourquoi – cet être immobile dans sa perfection est-il devenu Source et s’est-il déployé en espaces infinis, où règnent le temps et la spatialité, et où ses créatures s’agitent ? Comment et pourquoi est-il passé de l’un au multiple ? Je n’en sais rien. Nous n’en savons rien.  Au mieux, retrouve-t-on quelques hypothèses sur la naissance des mondes, dont certaines sont devenues dogmes, articles de foi.

1) Dieu aurait voulu se contempler à distance : il se serait donné des points de vue sur lui-même en disséminant des consciences à travers le grand Univers.

2) L’excès d’amour en Dieu aurait débordé (si l’on peut déborder de l’infini) et donné naissance à des êtres quasi semblables à lui, qui, sans être aussi puissants, pouvaient entretenir avec leur Source une relation d’affection dans la liberté.  Certains de ces êtres premiers auraient abusé de leurs pouvoirs et de cette liberté, se seraient efforcés d’imiter le Père en se projetant eux-mêmes dans des créations à leur image, dont certaines, notamment la nôtre, présenteraient des lacunes évidentes.  Ces rebelles auraient ainsi entraîné une myriade de planètes, d’humanités, dans une aventure qui les éloignerait de plus en plus du divin et les enfermerait dans une situation matérielle et morale de plus en plus aliénante, dévolutive.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonie3) D’autres croient que l’Esprit s’est projeté dans le mental et la matière pour se réintégrer ensuite, grâce aux choix moraux d’amour et de service (don de soi) que peuvent effectuer les êtres à conscience réfléchie de tous les univers.  Ces êtres libres, devenus demi-dieux ou demi-déesses, retourneraient vers leur Source dans un corps de lumière, après s’être façonné une âme immortelle dans les épreuves de l’espace et du temps.

4) Certains nous estiment voués à une ignorance incontournable en ce qui a trait à nos origines, ainsi qu’à la raison d’être de l’humanité ou de nos vies individuelles.  Ils écoutent avec sympathie les tenants des diverses croyances et optent assez souvent pour un hédonisme utilitaire et soft, un peu similaire au carpe diem des épicuriens.

5) D’autres sont d’avis que l’Univers et la conscience résultent du hasard.  Nous serions ici, êtres pensants, par accident, par la rencontre accidentelle de probabilités multiples : aucune force intelligente ne l’aurait voulu ainsi.  Nos vies personnelles et le monde n’incluraient aucune finalité.  Des lois mécanistes, qu’auraient engendrées ces accidents originels, régiraient la nature d’où nous provenons et dans laquelle nous baignons.

Et nous pourrions allonger la liste…

Si tu te demandes ce que je crois — ou plutôt ce qui m’apparaît le plus intuitivement plausible, parmi ces hypothèses —, je te ferai une réponse de maquignon normand : un mélange de tout ça, la dernière exceptée.

(Propos pour Jacob, Éd. du CRAM)

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Force organisatrice et création…, par Alain Gagnon…

28 avril 2017

Dires et redires

Je n’ai pas l’intention d’énumérer les preuves de l’existence de Dieu, dont celle, célèbre jadis, du Moteur premier.  Elles m’apparaissent peu chat qui louche maykan alain gagnon francophonieconvaincantes.  Par souci d’être bref et concret, j’utiliserai plutôt une approche micro, soit le petit bout de la lorgnette.

Les phénomènes parfois étonnants, bizarres, excentriques, d’une complexité inouïe, que nous présentent les sciences naturelles, m’inclinent à présumer une Force intelligente (ou des forces intelligentes) à l’œuvre dans la nature.  Dieu aurait donné le coup d’envoi, et un aspect ou l’autre de la divinité soutiendrait, dans son déploiement, l’aventure cosmique, continuerait à expérimenter dans une débauche de formes — et de complications parfois inutiles — que la sélection naturelle, darwinienne ou néodarwinienne ne saurait à elle seule expliquer.

À titre d’illustrations.  Au fond des abysses vit une crevette qui, des ténèbres, lance des signaux lumineux pour attirer ses proies.  Comment la sélection darwinienne aurait-elle pu en arriver à la doter d’un tel organe ? Tu connais les colibris, ces oiseaux-mouches qui, l’été, viennent dans nos mangeoires.  Comment la sélection aurait-elle pu conférer à cette espèce son vol hélicoptère ?  Dans les eaux de l’océan Austral, on trouve le chat qui louche maykan alain gagnon francophoniepoisson des glaces qui vit dans des eaux fortement salines, à une température sous zéro degré Celsius.  Notre vertébré possède une caractéristique étonnante : son foie sécrète un antigel — ce qui empêche son sang de se congeler et de le transformer en popsicle.  Dans les rivières amazoniennes se prélasse le gymnote, cette anguille-pile des fonds vaseux.  Ses organes électriques, au nombre de deux, se situent dans les flancs, de la tête à la queue, et leur disposition rappelle une pile de Volta — sa tête servant de pôle positif, sa queue de pôle négatif.  Le gymnote émet à volonté des décharges électriques qui paralysent ses proies et peuvent même renverser un homme.  Et que dire de cette guêpe de cauchemar, l‘Hyménoptère Liris, qui paralyse un grillon et l’enfouit dans un terrier avant de pondre un œuf sur lui : la larve, à son éveil, disposera ainsi de chair fraîche à profusion.  L’injection, qu’elle fiche aux ganglions nerveux de sa proie, doit être accomplie avec une précision inouïe — pour l’immobiliser sans la tuer —, sinon, ce sera la famine assurée pour la progéniture.  Et j’en passe ; et des meilleurs.

Il ne peut exister qu’une ou des intelligences derrière tout ça.  Cette planète paraît un immense laboratoire, où des transporteurs de fluide vital semblent avoir expérimenté d’abondance, semblent avoir ajouté grandement à la danse initiale de Maya, cette représentation sensible, ondoyante et transitoire qu’offriraient à Dieu toutes ses créatures.

(Propos pour Jacob, Éd. de la Grenouille Bleue)

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Miles Davis et le laisser-écrire…, par Alain Gagnon…

18 mars 2017

Dires et redires
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Voilà ce que je répète [aux écrivains en devenir] : « Vous souhaitez écrire et ne savez par où commencer ?  Écrivez le premier mot, la première phrase : pour le reste, le texte s’autogérera adéquatement, si vous êtes honnêtes.  C’est-à-dire si vous ne le forcez à confesser des états d’âme ou des idéaux que vous souhaiteriez bien avoir et manifester. »

(Le chien de Dieu, Éd. du CRAM)

*

Miles Davis m’est d’un grand secours pour expliquer la notion d’inspiration et la nécessité pour un artiste de développer sa propre langue, sa propre musique. Davis joue les classiques du jazz (Porgy and Bess, Caravan…), mais une fois qu’on l’a entendu, on ne peut plus s’y tromper : il s’agit bien de Miles Davis, pas de Chet Baker ni de Louis Armstrong. Il joue de la trompette comme personne n’en a joué avant lui, il donne à la mélodie une couleur, une sonorité, une langueur – une autorité ! –, qui n’appartiennent qu’à lui.

(Le chien de Dieu, Éd. du CRAM)

*

 

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecLe laisser-écrire — Depuis trois ans, je m’acharnais à un recueil de poèmes que je n’arrivais pas à conclure. Je m’y acharnais, car la substance me plaisait – plus encore !  : elle me convenait. J’y mettais trop d’efforts. Je m’efforçais de pousser ce nouveau matériel dans des formes empruntées à certains de mes ouvrages qui m’avaient apporté de la satisfaction. Bref, l’histoire des vieilles outres et du vin nouveau. Une citation de Stevenson, reprise par Borges, a provoqué une embellie : « La prose est la forme la plus difficile de la poésie. » Je l’avais lu il y a déjà quelques semaines et n’y portais plus attention, lorsqu’hier matin… Dans la nuit de dimanche à lundi, j’avais très mal dormi. Petit déjeuner au restaurant, puis je revenais paresser et laisser filer le dernier jour de ce congé pascal. Par discipline et monomanie, je me suis assis devant mon ordinateur et ai ouvert le dossier poésie sans aucune attente. Le miracle s’est produit. Le laisser-écrire a pris le dessus et je me suis mis à parcourir mes vers en les abolissant. En les remontant à la ligne supérieure, le curseur les transformait peu à peu en prose…  Et, bon dieu ! ça se tenait ! La ponctuation française suffisait à créer et à maintenir la musique !

Heureuse fatigue qui exige le repos de la raison raisonnante et laisse le champ libre à l’inspiration. Laisser l’Esprit souffler, édifier lui-même ses propres formes pour y étendre sa substance…

De là à déclarer le vers libre inutile dans son mimétisme de l’anecdote versifiée, il n’y a qu’un pas que je n’hésite pas à franchir.

(Le chien de Dieu, Éd. du CRAM)

L’AUTEUR…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecdu Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet).  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Poésie et dialectique, Alain Gagnon…

12 décembre 2016

Abécédaire sur Alice et quelques autres objets du devenir…

 

Songe de saint Joseph, de la Tour

 

Poésie (3) — Le poème se métamorphose constamment.  Non seulement d’un lecteur à l’autre, mais pour le même lecteur, à l’intérieur du même tour d’horloge.

Création continue.  Destin autonome de chaque vers, de chaque strophe, dans son rapport dialectique avec le discours intérieur du lecteur, au moment précis où son œil parcourt la page imprimée, de la gauche vers la droite.

Effarant !

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Politique et arrière-cour… par Alain Gagnon…

12 novembre 2016

Actuelles et inactuelles

Remèdes et politique — Il existe des remèdes trop forts. Théoriquement, ilschat qui louche maykan alain gagnon francophonie pourraient guérir une affection ; toutefois, l’état général du patient fait qu’il en mourrait. On s’abstient alors de les administrer. On attend que l’organisme soit en meilleure condition ou on offre un médicament de rechange.

De même en politique ? Certaines vérités ne sont pas bonnes à dire ? Elles traumatiseraient le corps social et causeraient plus de tort que le mal à dénoncer et guérir ? On les tait ; on se les confie sous le manteau ou autour d’une table entre esprits libres, mais faillibles — et timorés peut-être.

L’œil du poète — Dans mon enfance et mon adolescence, je chassais. En compagnie d’adultes, dont mon oncle Wilfrid. Lorsqu’on approchait d’un étang où reposaient pilets et sarcelles, ce dernier disait : « Ne les regardez pas droit dans les yeux. Regardez-les du coin de l’œil. Autrement, ils vont sentir qu’on est là. Ils vont se sauver. »   Il fallait donc regarder de biais. Ne pas les fixer.

Les poètes et les peintres regardent comme ça. Sans scruter. À la dérobée. Pour ne pas effrayer le sujet — ou l’inspiration. Pour en dire davantage sur les contours et les alentours.

Cour arrière — Toute une faune pour quelques dollars. Deux mangeoires, des alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, québecgraines diverses, et de tournesol, quelques arachides quotidiennes.

Les geais, surtout. Les plus bruyants – et de loin ! Qui non seulement piaillent et superposent leur bleu à celui du ciel, mais de plus exigent au petit matin que nous sortions dans le froid pour les nourrir, polissons.

Et ces mésanges, discrètes filles au bandeau noir. Elles se posent en silence, choisissent et retournent au bosquet où, on me dit, elles emmagasinent.

Toutes ces vies, ces joies animées qui nous côtoient et dont nous ignorons tout. Sauf ce qu’en disent les manuels.

L’auteur

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, québecdu Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet).  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).

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Lovecraft, Baudelaire et Guillemin, par Alain Gagnon…

21 septembre 2016

Dires et redires…

En préface à La couleur tombée du ciel de H. P. Lovecraft, Jacques Berger présente la vision pessimiste, sulfureuse du fantastique lovecraftien et conclut : « Des historiens alain gagnon, Chat Qui Louche, maykan, francophonie, littératurede la littérature arriveront sans doute à montrer pourquoi Lovecraft a choisi cette voie. La misère dans laquelle il a vécu toute sa vie, une mauvaise santé, un mariage malheureux y sont certainement pour quelque chose. Pourtant, il n’y a eu qu’un Lovecraft dans la littérature de tous les pays… Et c’est pourquoi toutes les explications données seront toujours nécessaires, mais jamais  « suffisantes ». Le « biographisme » est le nom que je donne à cette maladie de la critique qui consiste à réduire l’œuvre d’un artiste à ce qui, dans sa vie, peut être appréhendé et étiqueté comme faits – ce réductionnisme n’évalue, ne dévalue ou n’explique le contenu d’une œuvre qu’en fonction de l’histoire personnelle de son auteur. Proust a fort bien dénoncé ce mal, et de façon élaborée ; d’autres aussi. Henri Guillemin en a été atteint à un point à peine concevable et en a fait subir, entre autres, les effets pervers à Vigny.

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Coleridge

L’artiste – littérateur, musicien, peintre, grand politique… – est toujours indigne de ce qu’il produit. Certes, des thèmes, des obsessions, la langue, des manies stylistiques peuvent s’expliquer par l’histoire de vie ; ce n’est pas là l’essentiel. L’essentiel d’une œuvre, ce qui fait qu’elle compte, ne s’explique pas, ne se réduit ni au biographisme ni au psychologisme ; toute grande œuvre ne relève pas du personnel, mais du suprapersonnel. C’est par ce qui échappe aux contingences personnelles et aux facteurs historiques qu’une œuvre transcende le temps et pourra ainsi parler dans dix siècles à ceux qui la consulteront – je n’écrirai pas « feuilletteront », qui sait ce que la technique aura engendré comme support pour les œuvres dans dix siècles ! Combien y avait-il de rimailleurs à l’époque de Villon ? À l’époque de Coleridge ? Pourquoi ces deux-là nous parlent-ils encore ? Et Baudelaire ? S’il suffisait d’avoir été un orphelin à beau-père autoritaire, d’avoir bu de la bière et fumé du haschisch pour écrire L’invitation au voyage, les terrasses de la Grande-Allée et de la rue Saint-Denis dégorgeraient les Baudelaire.

Cette vision suprapersonnelle de l’art explique probablement cette timidité qu’on me reproche parfois à tort. On me dit audacieux, fonceur, bulldozerant lorsqu’il s’agit de brasser des affaires ou de mener des dossiers ; et on s’étonne de ma modestie un peu gauche lorsque j’en arrive à parler de mes livres. Et si c’était parce que j’ai un peu compris de quoi la littérature (et l’art) retourne ? Et si, en ce qui regarde la création littéraire, j’avais depuis longtemps échangé la vanité contre un orgueil lucide ?  (Le chien de Dieu)


Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

12 octobre 2015

Mon nom est Personnage

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L’auteur les a en lui depuis toujours, êtres latents, en suspens en devenir infime. Il les a en lui depuis qu’il sait écrire ; ils sont comme ces cadavres au fond de l’eau qui attendent un long moment avant de remonter à la surface, gonflés, boursouflés par le liquide, avides d’être analysés, identifiés, reconnus. Ils rêvent d’une seconde vie, une vraie, pas une de fantôme, une vie noir sur blanc que peu de choses pourront effacer, une vie où leurs contours enfin seront sortis de l’eau, pareils à ces épaves qui révèlent leur secret dès qu’elles touchent l’air. Ces spectres aquatiques ont des rêves de grandeur, de splendeur, de matière. Ils patientent sans mot dire dans une eau trop peuplée par d’autres formes troubles. L’auteur est cette eau profonde.
Il a par exemple depuis longtemps en tête l’idée d’une femme portant une cicatrice profonde, sur le visage ou sur le corps, pareille à une scarification qu’aurait creusée la vie sur sa peau. Cette femme nage dans les profondeurs de l’auteur depuis des années, depuis l’adolescence, cet âge diablement obscur où le corps et la peau, justement, attendent leur avenir. Il l’avait oubliée, cette drôle de créature marquée de bleu. Il l’avait laissée, lestée par son inconsistance, se nourrir et s’abreuver de tout ce qu’elle trouvait dans ces bas fonds, l’eau façonnant son corps, les obscurités verdâtres façonnant son esprit lorsque, prise d’une volonté n’appartenant qu’à elle, elle avait décidé, des décennies plus tard, de donner un grand coup de pied gracile dans le fond de l’abîme. Lentement son visage avait refait surface, suivi du corps meurtri, de la plaie encore bleue sur la jambe blafarde. L’auteur ne l’avait pas vu venir. Il l’avait oubliée : elle était dépassée par bien d’autres fantômes dans cette longue remontée vers la lumière, vers le monde, vers les pages et, le jour où il la vit pour la première fois, d’intenses souvenirs sortirent aussi de l’eau. La mémoire de cette idée qu’il avait eue, à l’âge ingrat, d’écrire sur une femme blessée, idée sans suite, idée aussitôt noyée sous une quantité d’autres, seulement quelques lignes griffonnées à la va-vite et rapidement déchirées par un auteur honteux de ne savoir écrire, ce souvenir-là redevenait solide, tangible, à portée de main et de doigts écrivants.
Les personnages sont ainsi : cadavres exquis presque effacés, ignorant ce qui les attend, une vie ou l’oubli, obligés de s’adapter aux sombres liquides dans lesquels on les saoule, obligés de survivre dans ces milieux hostiles pour espérer, un jour, sortir de l’eau et aller se brûler sur l’autel du roman. Ils sont nombreux dans les abysses. Ils attendent de devenir corps flottants. Noir sur blanc. Vivants, ressuscités.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge chat qui louche maykan alain gagnonDéclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade (roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

13 septembre 2015

Pure fictionchat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec

Après tout, cher, très cher lecteur, est-ce vraiment si grave si tout ce qui s’est écrit ici-bas n’est pas totalement, absolument, indéniablement VRAI ? Non. Qu’importe la réalité quand la fiction fait bien son boulot. Quand la fiction est tellement pleine de crédibilité qu’on lui donnerait le bon dieu sans confession, le monde sans demander son reste.
Crois, cher lecteur. Crois ce que je t’ai fait croire, crois ce qui est vrai dans ces lignes, crois les errements de l’auteur, ses errances aussi, son inadaptation au monde parfois, car cela, je te l’assure, cela ne ment pas.
Nous sommes dans une fiction, ami, et pourtant, on dirait que j’existe, non ? N’existes-tu pas ? Ne sommes-nous pas, toi et moi, deux êtres de chair, de sang, de matière grise ? Deux êtres de mots. Pouvons-nous douter, lecteur, de notre véracité à nous ? Ma foi, peut-être. On peut douter oui. Alors, finalement, nous ne sommes pas plus vrais, toi et moi, qu’une fiction. Nous ne sommes pas plus faux que la réalité.
Peut-être que la seule chose vraie, diablement vraie, la seule chose qui ne supportera pas le soupçon, c’est bien ce drôle de lien qui se fait entre nous, entre mes doigts et tes yeux, entre ma voix d’encre et ton oreille coquillage, entre ces pages et tes mains qui les tournent. Ce lien s’est établi dès que tes beaux yeux se sont posés sur ce monde, sur cet auteur que je prends soin de faire vivre sans complaisance et avec empathie néanmoins. Ce lien, lecteur, ce lien puisque tu es encore dans ces lignes, ce lien est absolu. Irréfutable. Tu aimes ou n’aimes pas ces pages. Tu les as feuilletées peut-être un peu vite, sans grande conviction. Tu tombes sur une phrase qui te plaît ici ou là. Tu es plongé peut-être pour la deuxième, énième fois dans ces lignes. Tu prends peut-être des notes. Tu te dis peut-être que ces pages sont vides de sens et de style. Tu as tellement de possibilités, lecteur, tellement de pouvoir finalement. Tellement de mondes à ouvrir dépendent de ta bonne volonté, de ta bienveillance ou de ta curiosité. Tu es un abysse et ces lignes, ces mots noirs ne rêvent que de plonger dans ton cœur.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge chat qui louche maykan alain gagnonDéclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade (roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

20 juin 2015

Métier de bouche

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Le corps de l’auteur est, à l’instar de celui du roi, une drôle d’entité. Il est souvent pensé que l’auteur se résume à sa tête, son esprit, son cerveau, que son corps finalement pourrait se réduire à ses mains, ses doigts qui courent désespérément sur le clavier comme ils le feraient sur le monde.
L’immobilité quasi totale de l’auteur lorsqu’il écrit participe à l’échafaudage de cette idée. Le cul sur une chaise, le dos droit ou voûté, la tête penchée vers le clavier, l’écran, le carnet, seules ses mains en effet se meuvent, autant pour écrire que pour s’adonner à quelque diversion. Tapoter sur la table, se gratter le front, l’oreille, le genou, suspendre un index en l’air comme si on voulait sentir le sens du vent alors que rien ne souffle : lorsqu’il écrit, le corps de l’auteur s’efface, pris totalement par l’abyssal travail. Il pourrait ne pas avoir de corps. Il pourrait n’être qu’une tête, reliée par des fils à des mains et cela, semble-t-il, pourrait suffire. Il en serait heureux. Mais le corps fait partie de ces éléments difficiles à nier, impossibles à faire disparaître sans y laisser sa peau.
L’auteur a donc un corps, et cet organisme, qui continue de vivre lorsque seules la tête et les mains s’agitent, ce corps comme un poids mort éprouve un curieux besoin. Il veut dériver. Il ne peut se contenter de respirer, battre du cœur, fonctionner normalement. Il VEUT des échappatoires à la statique torture de celui qui écrit. Les mains ont soif d’évasion, la bouche veut plus que de l’air.

Rester assis pendant des heures alors que les jambes pourraient courir dans des champs, alors que les bras pourraient se livrer à une danse autre que celle, tarentelle pourtant endiablée, qui se joue sur le clavier, demeurer dans l’immobilité alors qu’à l’intérieur tout bout, tout s’agite, tout VEUT vivre : la chose est difficile, impossible, parfois insupportable. Alors les dérivatifs se présentent sous différentes formes, prenant le plus souvent le séduisant visage de l’addiction.
L’auteur fume. L’auteur boit. Tant qu’il s’agit de cigarettes et d’eau, le mal est moindre. Il arrive cependant que les cigarettes soient chargées de substances, que l’eau devienne café ou alcool. La bouche comme unique évasion. La bouche avide de téter autre chose que le monde inexistant que l’auteur s’acharne à faire exister.
Alors le cendrier se gonfle de noirceur. Alors les verres ou les bouteilles ou les tasses s’accumulent. On voit l’auteur se lever d’un coup, aller faire chauffer de l’eau, se servir un énième café ou thé ou autre, le siroter, le laisser refroidir, le boire, oublier qu’il l’a bu, regarder sa tasse vide d’un air interdit (mon roman vient de boire, ce n’est pas possible autrement !) et continuer le manège infernal de l’homme presque immobile qui a besoin d’action. La bouche se pose sur tout ce qui peut se boire, se fumer, tout ce qui dévie la respiration. La bouche veut du chaud, du feu, du glacé, elle veut juste, le temps d’une gorgée ou d’une bouffée de tabac, vivre tout en gardant le silence, parler autrement que par les doigts. Il est ainsi fréquent que l’auteur développe une addiction ou plusieurs, à la manière du peintre qui, le pinceau dans une main et le mégot dans l’autre, s’absente tellement du monde qu’il n’y est relié que par ses pauvres doigts. La cigarette souvent se fume toute seule, oubliée dans une réalité que le rêve recouvre, devenue autonome par la grâce de l’auteur qui, peut-être, cherche à se foutre le feu. Comme si cette fumée extérieure pouvait compenser les nombreux incendies qui se jouent en lui lorsqu’il écrit, lorsqu’il crée un monde noir sur blanc plus inflammable que tout.
Ainsi la corporalité de l’auteur en action se résume en une bouche, d’incendie.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge chat qui louche maykan alain gagnonDéclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade (roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Les brumes des commencements, par Alain Gagnon…

20 juin 2015

Dires et redires…

Plusieurs des mythes se recoupent sur ces points : il y a eu un début à notre Univers, à la Terre et à l’humanité.  chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonieIl y a eu une faute (ou des fautes) avant, pendant ou après ce commencement.  Il y a eu divergences d’opinions (ou rebellions) entre créateurs — ou entre un Créateur premier et plusieurs sous-créateurs.  Des êtres appartenant à des niveaux d’existence que nous pouvons difficilement appréhender, se seraient révoltés, auraient conspiré, se seraient livrés à des expérimentations sur les espèces végétales, animales, et humaine.  (Franchement, dans le cas des hommes, j’ignore si c’était dans le but de les améliorer ou de les asservir, d’en faire des esclaves minimalement raisonnables.  Pour ces deux fins, peut-être ?)

Tout ceci serait advenu dans un passé indéfinissable.  Dans les brumes des commencements, on pressent des drames dont résulterait notre pénible condition sur cette planète qui peut nous apparaître le royaume de la cruauté et de la mort.

L’un de mes premiers souvenirs d’enfant : sur le parquet se traîne péniblement un mille-pattes.  Accrochés à l’insecte qui se convulse, des dizaines de fourmis le dévorent vivant.  J’offre également, en guise d’exemple, cette scène dont je fus témoin et que j’ai insérée dans mon roman Lélie ou La vie horizontale :

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonieEt lui revint l’image de ces eaux mortes, où expiraient des centaines de milliers d’arbres, ce réservoir récent qu’il avait visité avec Eugène, le jour même de sa rencontre avec Belle Rabbitskin.  Entre les troncs et les racines du rivage, un goujon agonisait.  Des sangsues s’agrippaient à ses branchies et à sa gueule, à ses chairs palpitantes encore, et son corps se gonflait et s’affaissait de respirations saccadées, pour prolonger de quelques minutes encore la vie de ce corps où les sangsues formaient des dizaines de soleils rougeâtres…  Voilà ce qu’ils appellent Dieu…  Et ce soir-là, la veille, il a aussi songé à l’Autre et à tous ses dires, et, affolé soudain, il a bondi vers la fenêtre la plus proche, et il a hurlé de terreur, mais personne ne pouvait l’entendre.  Il se retrouvait seul pour sonder la nuit.  Il est monté alors.  Il le savait, le sommeil viendrait dru.

Et cette même nuit lui a amené un rêve, à lui qui ne rêve jamais.  Il a rêvé de l’Homme, de l’homme d’humanité.  Au temps des commencements, l’homme est descendu du ciel, géant.  Une femme géante — la Femme Aude ou sa véritable jumelle — le tenait par la main.  Ils se sont allongés pour faire ce que font les hommes et les femmes, et la lèpre est advenue : vaste moisissure verte qui a recouvert les forêts, les océans et les lacs — même les déserts de sable et de glace.  Et du fond du sommeil le plus noir et le plus lumineux, l’Autre répétait : Il va nous falloir faire la paix avec tous les animaux et avec les arbres.  Peut-être que pour ça, il nous faudra être morts, s’entendait balbutier Médéric.[1]

La citation est longuette, mais Médéric exprime efficacement l’horreur d’exister.  Lorsque l’on considère le monde dans ses fondements, la vie dans ses fondements ultimes, tout n’est qu’entredévoration perpétuelle, domination, soumission, souffrances permanentes du vivant.  Manger ou être mangé.  Je ne vis que par la mort d’autres organismes, animaux ou végétaux — les végétariens ou végétaliens ne peuvent s’en tirer à bon compte.  Chacune de mes respirations élimine combien d’animalcules aux muqueuses ?  Mes globules blancs chassent et phagocytent les bactéries sans trêve.  Un jour, mes leucocytes se reposeront, diminueront en nombre ou en vigueur.  Les micro-organismes auront tôt fait de répandre l’infection et de me réduire à la pourriture de la tombe.

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Kali

Toutes les espèces, du tigre carnassier à l’herbivore et au tendre agneau, vivent ainsi, implacables et cruels.  Les animaux et les plantes s’entredévorent dans l’innocence.  L’humain, qui devient conscient et vrille ses yeux sans ciller dans la réalité du monde, demeure stupéfié.  Puis il se demande :  Qui a donc pu concevoir et élaborer tout ça ?

Il ne peut admettre qu’un Dieu infini, un Dieu d’amour, ait pu donner substance à une telle horreur.  Le Dieu premier, la Source de l’Être ne peut qu’être différent, dans ses attributs, de ce que montre la création.  Cette répulsion de l’humain conscient provient d’un manque, de la divergence apparente entre ce qu’est le monde et ce qu’il devrait être pour satisfaire ses propres critères de bonté, de justice, d’amour.  Ces critères de référence, si l’humain les possède, il les a bien reçus, acquis d’une provenance ou d’une autre, d’une cause ou d’une autre, et ce n’est certes pas de la Nature (Natura naturans[2]), vraisemblablement mère de toute cruauté, à ce que l’on perçoit.  Il faut bien que l’homme conscient ait puisé quelque part ce point de comparaison qui engendre chez lui la révolte et l’effroi.  Sinon, il serait, tout comme les animaux, instinctif, souffrant dans sa chair parfois, mais sans douleurs morales.

À mon avis, le seul fait que l’humain soit en quête d’un univers plus éthique, prouve une source de l’éthique (Dieu) ; tout comme le seul fait que l’humain souhaite l’immortalité, incline à croire à sa propre immortalité, présente ou future.  Il ne saurait désirer ce qu’il ne peut atteindre, comme individu ou comme espèce.  Ainsi, la soif est la meilleure preuve de l’existence de l’eau.  Si tu as soif, c’est que ton organisme tire son origine de l’eau et que, pour ce, cet élément est essentiel à ta survie.  De même, la pulsion qui pousse l’humain, sous toutes les latitudes et en tous les temps, à se créer ou à rechercher un être supérieur, est la meilleure preuve de l’existence de Dieu.

Les grandes mythologies, la cruauté observable qui sous-tend le monde sensible, ainsi que les impératifs moraux inhérents au règne hominal, me portent à croire que cet univers, où l’homme se sent étranger, n’est pas celui voulu par Dieu.  Que des rebelles — anges ou démons — auraient joué aux démiurges, élaboré des créations locales selon leurs fantaisies ou leurs volontés dévoyées, et de ces fautes, nous souffrons, humains exilés dans un univers auquel nous nous adaptons de par notre nature animale, et que nous déplorons de par le divin qui nous habite.

(Propos pour Jacob, Éd. du CRAM)


[1]Alain Gagnon, Lélie ou La vie horizontale, Montréal, Les Éditions Triptyque, 2003, p 85, 86.

[2] La Nature qui se crée et qui crée le monde sensible.


Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

14 mars 2015

Sur les auteurs

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 Il s’endort en pensant à ce qu’il va écrire.  La vie d’un auteur peut se résumer ainsi : penser à ce qu’il va coucher sur la page, y repenser, savoir ce qu’il effacera, gardera, améliorera – la première action sera la plus fréquente, l’effacement comme pure création.  La vie, la vraie, la solide, la réelle, ne se tient qu’en marge de cela, sorte de palimpseste discret quoique nécessaire.  L’auteur vit, parle, se lie aux autres, mais s’agitent toujours sur l’écran lumineux de cette pantomime agréable quelques ombres chinoises : les mots à venir, le personnage latent, la drôle de réalité à créer.  L’écriture a ceci de particulier que le gros de son acte créatif se fait hors de l’action propre.  On n’écrit jamais tant que lorsqu’on n’écrit pas.

Sous la douche, en marchant, en rêvant, on écrit.  Et la confrontation à la page blanche n’est qu’une formalité qu’on se contraint à accomplir, sinon tout reste dans la tête et on ne lit pas encore très clairement dans les cerveaux.

Il y a toujours des reliquats, des romans inachevés, des personnages orphelins, qui errent au cœur des dossiers sur l’ordinateur, qui vacillent entre les lignes et attendent désespérément qu’on vienne gracieusement continuer leur existence, les remplir de mots comme on remplit de plumes certains édredons douillets, ou de paille les animaux morts.

Ils attendent.  En silence.  Ils ne pleurent pas.  Ils sont seulement bloqués, à l’arrêt, leur action suspendue au fil du bon vouloir de l’auteur, ne lui en veulent même pas.  L’auteur y pense parfois.  En s’endormant, il les voit sur la page qui attend depuis des mois, qui dépassée dans la course à la vie par un autre roman en cours. Il y pense, se dit que, tout de même, ce mec mériterait bien de continuer son histoire.  Puis le sommeil se pose sur l’esprit, le couvre de toutes ces rêveries inconscientes, chamarrées, divertissantes.  Le lendemain, le personnage est oublié, on se consacre aux autres, ceux qui en toute subjectivité méritent qu’on les écrive.

Certains esprits à l’imagination fertile pensent que ces personnages délaissés s’adonnent à quelque fantaisie, entre les lignes, dans le blanc de la page, continuent l’action sans le démiurge et, si jamais il prend l’envie à l’auteur de les reprendre, de continuer ce roman là, les personnages rapidement reviennent en arrière, se figent de nouveau là où on les avait laissés.  Un, deux, trois soleils !

L’auteur, parfois, en retournant vers un de ces textes en suspens après une longue période d’absence ou d’abstinence, sera surpris, ne se souviendra plus d’avoir écrit ces dernières lignes.  Il se dira alors que sa mémoire lui joue des tours, relira depuis le début, se familiarisera de nouveau avec sa création et se persuadera que, oui, tout de même, c’est bien lui qui avait fait naître ces lignes.  L’oubli ne s’apparente pas à une inexistence des choses.

Il ne faudrait pas croire que les livres s’écrivent tout seuls, dans le silence lourd des machines éteintes.

Attablé dans un café.  Seule compagnie : la machine – ou le carnet.  Contexte ambiant : vague brouhaha de personnes qui parlent, boivent des cafés ou des jus, brouhaha feutré cependant, car ici on sait être discret, à moins que ce ne soit l’auteur qui, par la force ahurissante et dérisoire de son esprit, parvient à créer la fameuse bulle qui atténue les bruits – sorte de boule Quies géante délicatement introduite dans l’oreille du monde.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge chat qui louche maykan alain gagnonDéclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade(roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

18 janvier 2015

Lexique des corps flottants !

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Ils flottent à la surface de sa vaste imagination. Ils flottent, drôles de corps pleins de promesses, pleins de sens – ils ne sont pas morts. Ils n’émettent aucun son et en contiennent tant, en attente, latents, prêts à sonner, à signifier, prêts à changer le monde – vœu pieux.

Assise sur une rive, rêveuse, elle les regarde, tous ces corps, amoureuse et embêtée. Lesquels choisir ? Desquels se priver ? Les prendre tous est impossible : cela ne voudrait rien dire, une énumération, un dictionnaire, et encore…

Attraper les plus sensés, les plus musicaux, ceux qui frappent et la tâche, assurément, se pare du costume sombre de l’insurmontable.

Il faut pourtant. Les aimer tous et devoir en choisir, en préférer certains. Préférer – cela est inhumain.

Alors, lentement, il faut se déchausser, se dévêtir, inspirer un grand coup comme si on voulait naïvement avaler le monde. Et plonger. La peau prend tout son sens.

Y aller. S’amuser avec l’un, le saisir, le faire tourner entre ses doigts, l’observer sous ses délicates coutures, le presser et voir que, finalement, passés les premiers émois que provoque l’apparence, ce petit corps ne donne pas grand-chose – pas assez. En snober d’autres, trop simples ou trop complexes, pas assez justes. Superflus.

Nager. Sous la ligne de flottaison, les oublier. Puis remonter vers eux, l’esprit rendu plus clair par la fraîcheur liquide. Se décider. Choisir. Allez ! Ne pas avoir peur. Des mots.

Ses mains en saisissent plusieurs. Pas si nombreux finalement. Beaucoup resteront là, flottant à la surface à peine troublée de sa vaste imagination.

Elle sort de l’eau, ruisselant d’une sorte de certitude galvanisante. Ils sont entre ses mains. Elle va les assembler. La phrase idéale verra le jour, incognito, sur cette rive oubliée. La phrase idéale. Les mots évidents. Illisibles peut-être. Personne ne lira. Le monde entier lira.

Les mots dans les poches, mieux que des pierres, mieux que des corps flottants.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge chat qui louche maykan alain gagnonDéclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade(roman) aux Éditions Philippe Rey.

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Poésie et laisser-écrire : Abécédaire…(47)

21 septembre 2014

Abécédaire sur Alice et quelques autres objets du devenir…

Poésie (4) — Écrire le vers avec la sûreté et la spontanéité gestuelles de l’homme qui, instinctivement, après avoir dérapé sur la glace, rétablit son équilibre, chat qui louche maykan maykan2 alain gagnonbalançant torse et bras vers l’arrière, de côté, vers l’avant…  Toute hésitation en cet instant (toute réflexion) détruirait l’économie générale des volumes en mouvement dans l’espace.

L’harmonie du poème pose la même exigence : l’intuition ne laisse aucune place à la pensée discursive, argumentaire, sinon elle n’est plus.

Comme les muscles et les réflexes de l’athlète, l’intuition du poète se prépare par la pratique et l’étude de son style, et du style des autres.  Toutefois, lorsque naît le poème, il ne peut prendre plus de recul que le funambule sur sa corde entre deux gratte-ciel.  Ses gestes-mots doivent s’enchaîner sans interruption et former sur-le-champ musique ; la réalisation du laisser-écrire est à ce prix.  Et le laisser-écrire est la seule façon de mettre en branle d’autres ressources en soi que ce moi quotidien, analyste et calculateur, qui, dans le monde des réalités immédiates, peut réussir de grandes choses…  – autres que la poésie.

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Poésie et laisser-écrire, Alain Gagnon…

4 juillet 2014

Abécédaire sur Alice et quelques autres objets du devenir…

Poésie (4) — Écrire le vers avec la sûreté et la spontanéité gestuelles de l’homme qui, instinctivement, après avoir dérapé sur la glace, rétablit son équilibre, balançant torse et bras vers l’arrière, de côté, vers l’avant…  Toute hésitation en cet instant (toute réflexion) détruirait l’économie générale des volumes en mouvement dans l’espace.

L’harmonie du poème pose la même exigence : l’intuition ne laisse aucune place à la pensée discursive, argumentaire, sinon elle n’est plus.

Comme les muscles et les réflexes de l’athlète, l’intuition du poète se prépare par la pratique et l’étude de son style, et du style des autres.  Toutefois, lorsque naît le poème, il ne peut prendre plus de recul que le funambule sur sa corde entre deux gratte-ciel.  Ses gestes-mots doivent s’enchaîner sans interruption et former sur-le-champ musique ; la réalisation du laisser-écrire est à ce prix.  Et le laisser-écrire est la seule façon de mettre en branle d’autres ressources en soi que ce moi quotidien, analyste et calculateur, qui, dans le monde des réalités immédiates, peut réussir de grandes choses…  – autres que la poésie.

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Gilgamesh et Bergman, par Alain Gagnon…

5 juin 2014

Abécédaire sur Alice et quelques autres objets du devenir…

Gilgamesh — J’ai souvenir qu’après avoir travaillé plusieurs heures à la re-création de Gilgamesh, je descendais le grand escalier, j’arpentais les gazons du Manoir.

Gilgamesh

Que le Fleuve me semblait étrange, irréel, nouvellement manifesté.  Même sensation envers ces arbres qui bruissaient dans le vent salin.

J’entrais au bar.  Que de phrases et de gestes tronqués.  Les visages étaient des masques plastiques, modelés, animés de l’intérieur.  Persona de Bergman.

Plus rien ne ressemblait à rien.  Je me serais enfoncé dans le parquet que je n’en aurais pas été étonné le moins du monde.  Tout comme je croyais m’enfoncer, me fondre dans les marches de marbre du grand escalier, quelques minutes auparavant, avant de fouler les gazons vers le Fleuve.

Alain Gagnon, Gilgamesh

La serveuse me parlait.  Entre elle et moi, il y avait une mer d’aquarium, un murmure bourdonnant d’aquarium.  Je n’entendais que des sons glauques.  Je touchais le tabouret.  Heureusement, je pouvais encore m’y hisser et commander la bière réductrice, la bière rédemptrice.

Leurs visages, au bar, allaient reprendre consistance.  J’allais plonger dans le même aquarium.  Encore deux ou trois bières et nous allions pouvoir converser.

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Miles Davis et le laisser-écrire, par Alain Gagnon… »

6 mars 2014

Dires et redires…

Voilà ce que je répète [aux écrivains en devenir] : « Vous souhaitez écrire et ne savez par où commencer ?  Écrivez le premier mot, la première phrase : pour le reste, le texte s’autogérera adéquatement, si vous êtes honnêtes.  C’est-à-dire si vous ne le forcez à confesser des états d’âme ou des idéaux que vous souhaiteriez bien avoir et manifester. »

(Le chien de Dieu, Éd. du CRAM)

*

Miles Davis m’est d’un grand secours pour expliquer la notion d’inspiration et la nécessité pour un artiste de développer sa propre langue, sa propre musique. Davis joue les classiques du jazz (Porgy and Bess, Caravan…), mais une fois qu’on l’a entendu, on ne peut plus s’y tromper : il s’agit bien de Miles Davis, pas de Chet Baker ni de Louis Armstrong. Il joue de la trompette comme personne n’en a joué avant lui, il donne à la mélodie une couleur, une sonorité, une langueur – une autorité ! –, qui n’appartiennent qu’à lui.

(Le chien de Dieu, Éd. du CRAM)

*

 

Le laisser-écrire — Depuis trois ans, je m’acharnais à un recueil de poèmes que je n’arrivais pas à conclure. Je m’y acharnais, car la substance me plaisait – plus encore !  : elle me convenait. J’y mettais trop d’efforts. Je m’efforçais de pousser ce nouveau matériel dans des formes empruntées à certains de mes ouvrages qui m’avaient apporté de la satisfaction. Bref, l’histoire des vieilles outres et du vin nouveau. Une citation de Stevenson, reprise par Borges, a provoqué une embellie : « La prose est la forme la plus difficile de la poésie. » Je l’avais lu il y a déjà quelques semaines et n’y portais plus attention, lorsqu’hier matin… Dans la nuit de dimanche à lundi, j’avais très mal dormi. Petit déjeuner au restaurant, puis je revenais paresser et laisser filer le dernier jour de ce congé pascal. Par discipline et monomanie, je me suis assis devant mon ordinateur et ai ouvert le dossier poésie sans aucune attente. Le miracle s’est produit. Le laisser-écrire a pris le dessus et je me suis mis à parcourir mes vers en les abolissant. En les remontant à la ligne supérieure, le curseur les transformait peu à peu en prose…  Et, bon dieu ! ça se tenait ! La ponctuation française suffisait à créer et à maintenir la musique !

Heureuse fatigue qui exige le repos de la raison raisonnante et laisse le champ libre à l’inspiration. Laisser l’Esprit souffler, édifier lui-même ses propres formes pour y étendre sa substance…

De là à déclarer le vers libre inutile dans son mimétisme de l’anecdote versifiée, il n’y a qu’un pas que je n’hésite pas à franchir.

(Le chien de Dieu, Éd. du CRAM)

Notice biographique

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon du Livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Tomas K(Pleine Lune, 1998). Trois de ses romans sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakobfils de Jakob (2004) etLe truc de l’oncle Henry (2006). Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003),L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011). En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010). Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dontKassauan et Cornes (Éd. du CRAM) et Le bal des dieux (Marcel Broquet).  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue. Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche(https://maykan.wordpress.com/).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda… »

28 février 2014

Muse d’un soir…

Dans un petit atelier de la rue Edgar Poe, une page vierge dévisage le corps figé d’un présumé Louis. Voilà déjà plusieurs heures qu’il pointe une plume en sa direction, sans jamais y perdre la moindre larme d’encre. Et elle lui fait peur, cette plume. Toutes celles qui, par le passé, ont effleuré sa griffe, n’en sont jamais revenues. Alors, en cet amas de feuilles encore vierges, des rumeurs courent. Certaines racontent qu’à son seul contact, on embrasserait la jouissance extrême, l’orgasme ultime. D’autres implorent de la fuir comme la peste, celle-ci ne mènerait qu’au tombeau. Et voilà qu’aujourd’hui, il l’avait choisie, elle. Alors elle tremble à s’en froisser, et ne le lâche pas du regard.

Bordel, voilà des heures qu’il est là, à gésir devant cette page blanche. Les mots s’enchevêtrant dans sa tête, ondulant en tous sens, sans jamais en jaillir. Et il a beau savoir, Louis, qu’à chaque fois c’est la même chose, le même scénario qui se répète inlassablement, ça bouillonne à l’intérieur de cette dépouille paralysée. Et puis, toujours ces doutes qui l’assaillent soudain. Et si je n’arrivais plus à écrire ? Et si je n’avais jamais su, en réalité ? Peut-être qu’ils se trompent, tous, et qu’ils découvriront demain que je ne suis qu’un never been aux doigts engourdis. Peut-être que… Et puis, il reconsidère cette vie chamarrée d’aujourd’hui qu’il n’a jamais fait qu’attendre, et ses doutes s’estompent.

Louis était devenu, depuis quelques mois, un écrivain à la mode. Ses romans d’horreur passionnaient des milliers de lecteurs fanatiques dans le pays. Les journalistes étaient à l’affût du moindre mot échappé de ce mystérieux prince des limbes qui mêlait avec virtuosité rêve et réalité. Malgré sa pudeur, il avait accordé deux ou trois interviews à ces rapaces insistants. Et il s’amusait de ce brouhaha d’un monde détraqué, en jouant avec les mots et les métaphores avec adresse. Et lorsqu’ils lui posaient cette perpétuelle question « Mais où trouvez-vous toutes ces idées ? », il répondait, presque machinalement, que l’inspiration naissait dans le creux des reins de ses muses d’un soir.

– Vos « muses d’un soir », qui sont-elles ?

– Les passantes de ma vie, dont chaque pas transperce mon ardeur.

– Et existent-elles réellement, ces passantes-là ?

– Elles n’existent plus au moment où je pose le point final. Je les tue.

Et, ils riaient. Les journalistes d’un rire démesuré, Louis d’un rire ajusté. Et la foule, autour, riait aussi.

Ce soir, il l’avait effleurée à la terrasse d’un café, sa muse d’un soir. Sous une chevelure ébène, deux yeux océan accrochaient les lignes d’un livre. Ce livre, c’était son dernier roman. Il s’était alors assis à ses côtés, engageant la conversation avec cette douceur qui le caractérisait. Ils avaient échangé quelques mots, sur lui, sur elle, et avaient regagné son petit atelier de la rue Edgar Poe, ensemble.

Sa muse, pour l’heure, semble s’être perdue en un coma vaporeux, et, à cet instant, ses reins ne disent rien du tout. Et puis, en un sursaut, elle quitte son éden éphémère pour rejoindre ce prince des enfers. Louis esquisse un sourire. Il s’avance vers elle, d’un pas lent, presque décomposé. Elle tremble, comme cette page encore vierge oubliée sur le bureau. Elle le distingue précisément celui qui, à présent, se penche sur son corps dépouillé, mais elle ne peut ni hurler, ni bouger. Marionnette de ce bourreau d’un soir. Il parcourt de ses doigts ses courbes exhibées, comme pour en détacher les premiers mots qui noirciront sa page blanche l’instant d’après. Ses pupilles se dilatent au fur et à mesure qu’il explore l’intimité de son pantin aliéné, au fur et à mesure qu’il distingue son visage se crisper confidentiellement. Dans sa tête, les mots s’emmêlent en un tango endiablé. Il la pénètre. Les mots jaillissent. La plume érafle la feuille jadis vierge. L’encre se répand. En ses veines, sur sa feuille, en sa muse d’un soir. Derrière les derniers soubresauts d’un instant fantasmagorique, un roman naît.

La feuille à présent couverte d’encre ébène, la muse abandonne ses derniers espoirs. En ce chaos nocturne, Louis vogue dans les sentiers d’une réalité évanescente, le regard écarlate. Les rumeurs ne s’étaient pas trompées. De cette jouissance extrême, de cet orgasme ultime, ni la feuille ni la muse n’en sortiront indemnes. Au petit jour, toutes deux rejoindront clandestinement l’implacable tombeau.


Notice biographique

Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.

C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.

Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie :http://blogmaestitia.xawaxx.org/


Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…*

15 janvier 2014

Muse d’un soir…

Dans un petit atelier de la rue Edgar Poe, une page vierge dévisage le corps figé d’un présumé Louis. Voilà déjà plusieurs heures qu’il pointe une plume en sa direction, sans jamais y perdre la moindre larme d’encre. Et elle lui fait peur, cette plume. Toutes celles qui, par le passé, ont effleuré sa griffe, n’en sont jamais revenues. Alors, en cet amas de feuilles encore vierges, des rumeurs courent. Certaines racontent qu’à son seul contact, on embrasserait la jouissance extrême, l’orgasme ultime. D’autres implorent de la fuir comme la peste, celle-ci ne mènerait qu’au tombeau. Et voilà qu’aujourd’hui, il l’avait choisie, elle. Alors elle tremble à s’en froisser, et ne le lâche pas du regard.

Bordel, voilà des heures qu’il est là, à gésir devant cette page blanche. Les mots s’enchevêtrant dans sa tête, ondulant en tous sens, sans jamais en jaillir. Et il a beau savoir, Louis, qu’à chaque fois c’est la même chose, le même scénario qui se répète inlassablement, ça bouillonne à l’intérieur de cette dépouille paralysée. Et puis, toujours ces doutes qui l’assaillent soudain. Et si je n’arrivais plus à écrire ? Et si je n’avais jamais su, en réalité ? Peut-être qu’ils se trompent, tous, et qu’ils découvriront demain que je ne suis qu’un never been aux doigts engourdis. Peut-être que… Et puis, il reconsidère cette vie chamarrée d’aujourd’hui qu’il n’a jamais fait qu’attendre, et ses doutes s’estompent.

Louis était devenu, depuis quelques mois, un écrivain à la mode. Ses romans d’horreur passionnaient des milliers de lecteurs fanatiques dans le pays. Les journalistes étaient à l’affût du moindre mot échappé de ce mystérieux prince des limbes qui mêlait avec virtuosité rêve et réalité. Malgré sa pudeur, il avait accordé deux ou trois interviews à ces rapaces insistants. Et il s’amusait de ce brouhaha d’un monde détraqué, en jouant avec les mots et les métaphores avec adresse. Et lorsqu’ils lui posaient cette perpétuelle question « Mais où trouvez-vous toutes ces idées ? », il répondait, presque machinalement, que l’inspiration naissait dans le creux des reins de ses muses d’un soir.

– Vos « muses d’un soir », qui sont-elles ?

– Les passantes de ma vie, dont chaque pas transperce mon ardeur.

– Et existent-elles réellement, ces passantes-là ?

– Elles n’existent plus au moment où je pose le point final. Je les tue.

Et, ils riaient. Les journalistes d’un rire démesuré, Louis d’un rire ajusté. Et la foule, autour, riait aussi.

Ce soir, il l’avait effleurée à la terrasse d’un café, sa muse d’un soir. Sous une chevelure ébène, deux yeux océan accrochaient les lignes d’un livre. Ce livre, c’était son dernier roman. Il s’était alors assis à ses côtés, engageant la conversation avec cette douceur qui le caractérisait. Ils avaient échangé quelques mots, sur lui, sur elle, et avaient regagné son petit atelier de la rue Edgar Poe, ensemble.

Sa muse, pour l’heure, semble s’être perdue en un coma vaporeux, et, à cet instant, ses reins ne disent rien du tout. Et puis, en un sursaut, elle quitte son éden éphémère pour rejoindre ce prince des enfers. Louis esquisse un sourire. Il s’avance vers elle, d’un pas lent, presque décomposé. Elle tremble, comme cette page encore vierge oubliée sur le bureau. Elle le distingue précisément celui qui, à présent, se penche sur son corps dépouillé, mais elle ne peut ni hurler, ni bouger. Marionnette de ce bourreau d’un soir. Il parcourt de ses doigts ses courbes exhibées, comme pour en détacher les premiers mots qui noirciront sa page blanche l’instant d’après. Ses pupilles se dilatent au fur et à mesure qu’il explore l’intimité de son pantin aliéné, au fur et à mesure qu’il distingue son visage se crisper confidentiellement. Dans sa tête, les mots s’emmêlent en un tango endiablé. Il la pénètre. Les mots jaillissent. La plume érafle la feuille jadis vierge. L’encre se répand. En ses veines, sur sa feuille, en sa muse d’un soir. Derrière les derniers soubresauts d’un instant fantasmagorique, un roman naît.

La feuille à présent couverte d’encre ébène, la muse abandonne ses derniers espoirs. En ce chaos nocturne, Louis vogue dans les sentiers d’une réalité évanescente, le regard écarlate. Les rumeurs ne s’étaient pas trompées. De cette jouissance extrême, de cet orgasme ultime, ni la feuille ni la muse n’en sortiront indemnes. Au petit jour, toutes deux rejoindront clandestinement l’implacable tombeau.


Notice biographique

Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.

C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.

Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie :http://blogmaestitia.xawaxx.org/


Rétrospective : Chronique de Porto de Clémence Tombereau…

13 janvier 2014

L’art et la folie

Quel livre, même roman autobiographique, peut se vanter de proposer un portrait double, Janus inédit, de deux mondes habituellement bien distincts: l’art et la psychanalyse?

A ce jour je n’en connais qu’un: Un fou dans l’art, de Jean Albou (Editions La Martinière).

Il ne s’agit pas ici pour l’auteur de se livrer à une analyse psychique et farfelue d’œuvres d’art -méthode déjà éprouvée par certains curieux imaginatifs, mais plutôt de proposer une vision originale et honnête de l’art et de l’âme perturbée.

Dans ce roman, ce qui compte, ce qui domine tout, c’est l’extrême lucidité de l’auteur sur les deux univers. Ces Confessions d’un Serial collectionneur sont hors-normes mais d’une richesse inouïe pour le lecteur.

On plonge au fil des pages dans l’étonnant univers du marché de l’art, pendant qu’en filigrane un homme atteint de PMD (Psychose Maniaco Dépressive, diagnostiquée bien tardivement malgré les alertes évidentes) décrit sans misérabilisme les manifestations de cette troublante maladie. La bipolarité est reconnue aujourd’hui comme une affection mentale. Albou en a souffert, beaucoup, à un degré extrême, mais ne cherche à aucun moment à soutirer au lecteur quelques larmes de compassion.

Avec un sens du récit captivant, il règle ses comptes avec la psychanalyse et les marchands d’art, et truffe sa vie romancée d’anecdotes savoureuses qui permettent d’entrevoir, comme si nous étions dans les coulisses du spectacle, les travers et les dérives d’un marché de l’art qui se prend pour une place financière.

César, le sculpteur qu’Albou a bien connu, y est touchant; une visite guidée au Prince Rainier offre un grand moment de rire jaune. En crise maniaque l’auteur peut être, bien malgré lui, hilarant. En dépression il nous interpelle, met les mots exacts sur ce gouffre qui n’est jamais loin de tout être humain sensible.

Ce livre est l’expression d’un courage fou.

Peu de gens ont une telle vie. Peu de gens seraient capables de relater aussi habilement ces extravagances qui cachent une pathologie. Albou réalise ici un tour de force. Le livre est passionnant, poignant malgré lui, et tout être un tant soit peu intéressé par l’art ou la psychanalyse devrait s’y plonger sans tarder. Il en ressortira grandi.

Un fou dans l’art. Confessions d’un serial-collectionneur, Jean Albou, La Martinière.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née  à Nîmes en 1978. Après des études de lettres classiques, elle a enseigné le français en lycée pendant cinq ans.  Elle vit désormais à Porto au Portugal.  Finaliste du prix Hemingway en 2005, lauréate cette année du concours littéraire organisé par le blogue Vivre à Porto, elle a contribué à la revue littéraire Rougedéclic (numéro2) et elle nourrit régulièrement un blogue que vous auriez intérêt à visiter : le Clémence Dumper :http://clemencedumper.blogspot.com/