En marge de l’écriture, (1), par Alain Gagnon…

10 juin 2017

Texte, et magies du texte…

 1. En marge, nous trouvons ce qui est hors de la page attestée.  En frange.  À la périphérie.  Blanc du alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecpourtour.  Espace de frontière, où l’on gribouille parfois, où l’on annote — glose.  Ce qui n’appartient pas en vrai au texte, ni à l’ouvrage, mais s’ouvre aux notules anarchiques.  Ce qui est isolé, épargné par ce mouvement compulsif des yeux, de gauche à droite.  Ce qui promet d’autres récits, d’autres aires où s’ébaudiront les mots.  Où loge ce qui est réflexions sur, pensées sur.

Périphérie où s’élabore l’impossible à dire ou ce que l’on dira demain.

2. Écrire : se prolonger, donner une extension à sa voix.  Espoir de parler au-delà des déserts à tous ces proches sans visage et lointains.  Chaque jour rallumer le feu de la solidarité non sectaire, celle qui singulièrement s’évase au-dessous et au-dessus des mots.  Tenter de se reconnaître et de reconnaître les autres absents.

3. Comme moyen de création, d’expression, le texte suffit.  Il ne suffit pas à la finalité de l’écriture, mais comme outil, il suffit.  Déposons nos opinions, nos appétences humanitaires, nos bons sentiments, nos intentions, nos plans, nos drapeaux, nos engagements à la porte de l’officine : le texte ira cueillir tout ça, de par son propre dynamisme — il ira chercher mieux que tout ça, tout ça en mieux.

4. La question la plus fréquente lors de rencontres où l’on a velléité d’écriture : Parfois j’ai de bonnes idées.  Il me semble détenir les matériaux pour écrire de grandes choses, de sacrées bonnes histoires… Tout est là, dans ma tête !  Je m’assois, ouvre l’ordi, puis plus rien.   Rien ne se passe.  Le vide !  Pourquoi ? Et voilà, c’est le problème : la richesse.  On se présente embourbé de préjugés, de désirs et d’opinions – même les mieux fondées.  On est trop riche.  L’espace n’appartient plus au texte, il ne peut respirer.  Il étouffe mort-né.  Qu’on le laisse vivre, le texte !  Il en sait plus que soi.

(Chants d’août, Éd. Triptyque)

Notice biographique

Auteur prolifique, d’une forte originalité thématique et formelle, Alain Gagnon, ce marginal de nos lettres, a alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecpublié, à l’hiver 2011, Le bal des dieux, son trente-septième ouvrage. À deux reprises, il a remporté le Prix fiction-roman du Salon du Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, soit en 1996 et en 1998, pour ses romans Sud et Thomas K. Il a également remporté, à quatre reprises, le Prix poésie du même Salon : en 2004, pour son recueil de poèmes Ces oiseaux de mémoire, en 2006, pour L’espace de la musique, en 2009, pour Les versets du pluriel et en 2012 pour Chants d’août. En 2011, il avait obtenu le Prix intérêt général pour son essai Propos pour Jacob.  Il a été le président fondateur de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES-CN) et responsable du projet des collectifs Un Lac, un Fjord, 1, 2 et 3. Il déteste la rectitude politique et croit que la seule littérature valable est celle qui bouscule, dérange, modifie les paysages intérieurs – à la fois du créateur et des lecteurs. De novembre 2008  à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé et de directeur littéraire aux Éditions de la Grenouille bleue, une nouvelle maison liée aux Éditions du CRAM, qui se consacrait à la littérature québécoise.  Il continue de créer et gère présentement un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Philippe Dilbert et la créativité… par Alain Gagnon

7 décembre 2016

« Creativity is allowing yourself to make mistakes. Art is knowing which ones to keep. » – Scott Adams alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, québec

Cette phrase est de Scott Adams, un dessinateur de bandes dessinées américain né le 8 juin 1957 à Windham, dans l’État de New York. Il est, entre autres, l’auteur de la série de strips Dilbert.  Il a aussi écrit plusieurs ouvrages satiriques sur le monde des entreprises, dont Le principe de Dilbert en hommage au Principe de Peter.

Diplômé en économie et en management, il a travaillé dans le secteur des télécommunications jusqu’en 1995 — les caractères dépeints dans Dilbert sont inspirés de personnages réels qu’il côtoyait alors. Il est maintenant p-dg  de la société Scott Adams Foods  (qui produit le Dilberito) et copropriétaire du Stacey’s Café à Pleasanton, en Californie.

Tous ses employés ont son adresse électronique (scottadamsaol.com).  Scott Adams souhaite que chacun d’entre eux, qui vit une situation absurde au travail, la lui raconte.  Ces récits sont à l’origine de nombreuses histoires de Dilbert.

Si je traduis librement la phrase en titre, cela donne : « La créativité consiste à se donner la permission de commettre des erreurs.  Tout l’art réside dans le tri à faire entre ce que l’on doit conserver et ce que l’on doit rejeter. »

Que l’artisan fabrique une table ou que le poète rédige un texte, on ne peut que prendre le risque de l’erreur.  On dit parfois : La seule façon de ne pas commettre d’erreur, c’est de demeurer au lit le matin.  Et, même là, c’est discutable.  Demeurer au lit ne représenterait-il pas la pire des erreurs ?

 

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Dilbert

 

Je discute souvent avec des écrivains en devenir, jeunes ou plus âgés.  Ils me parlent de ce qu’ils ont en tiroir.  À tout coup, je demande :    « Pourquoi ne pas envoyer ça à un éditeur ?  Ça mérite d’être évalué. »  Ils me parlent du temps qui leur manque pour fignoler, de l’état de l’édition québécoise, des tuyaux qu’ils n’ont pas, du travail, de la famille qui les accapare…  Mais on en arrive toujours, après tergiversations, au problème réel : la peur d’être jugé, d’avoir commis des erreurs d’écriture et que quelqu’un d’autre le leur dise.

C’est triste.  Dans les tiroirs et sur les disques durs, combien de perles  que l’on aurait dû connaître ?


Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

25 novembre 2015

Premier jet cherche correction ultime

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Il y a, dans le monde des auteurs, un phénomène qui se prend un peu pour une fontaine magique, une libération fallacieuse ou un soulagement trompeur qu’on nomme premier jet.

L’auteur, hantant les cafés à la manière d’un vieux fantôme dont le boulet et la chaîne seraient son ordinateur portable et sa mine d’écrivain, vient de passer des heures, des jours, des mois à travailler. Entre deux gorgées de café, au milieu des paroles, des dialogues de ses compagnons anonymes et vivants (alors que lui, écrivant, a plutôt l’air d’un objet mécanique) il a traduit ses idées en mots, l’ineffable en histoire, les vies en chapitres. Il a usé la pulpe de ses doigts avec plaisir pour arriver à créer une musique silencieuse, noir sur blanc, et arrive le fameux faux moment, la conclusion hâtive, ce soupir qui ressemble à un cri de victoire après un dur combat : le mot fin est écrit. Le mot fin est crié.

L’auteur lève les yeux de son écran, regarde le monde alentour et lui en veut un peu, à ce monde qui vit, de ne pas partager avec lui ce moment mémorable qui s’exprime par un sourire de ravi de la crèche sur son visage usé. Quelque chose comme « youpi ! » « eurêka ! » « enfin ! » « c’est moi le roi ! » se crie dans sa tête. Il a FINI. Il a accouché de quelque chose, un monstre ou bien un ange, des pages noircies de près, un morceau de lui-même, un abat du monde. Ça saigne, ça crie, ça gigote, tout content d’arriver dans le réel, heureux d’avoir une existence presque aboutie, presque formée, bientôt complexe.

Joie. Erreur. La plus gros reste à faire : éduquer, élever ce petit être livre afin qu’il devienne un livre digne de ce nom, une image mouvante de la vie, le rendre au moins adolescent, prometteur, intensifier son souffle, ses rêves, bref, le rendre pleinement vivant. L’aider à respirer. L’aider à s’émanciper, à marcher sur ses pattes, ses mots, lui éviter les chutes en plein vol, l’empêcher de cramer ses fines ailes sur un inaccessible soleil. L’aimer. Le mépriser. Le caresser et le gifler aussitôt. Chaque ligne comme une possibilité d’effacement total. Le pousser au-delà de ses capacités primitives. Le sublimer.

Cette drôle de forme qui ne demande qu’à devenir se nomme premier jet et le sourire premier de l’homme satisfait ne dure alors qu’un temps : il retombe rapidement, lorsque l’auteur comprend qu’il n’en a pas fini de se battre avec lui, d’user ses yeux paternels à lire au moins cent fois les mêmes mots, à buter sur les mêmes virgules qui seront supprimées, qui seront ajoutées, qui seront… on ne sait plus. On devient fou.

(…)

Alors il fait ce qu’il peut, l’auteur. Des heures. Mille relectures. Mille déceptions. Milles joies. Il connaît chaque mot, chaque ligne, chaque effacement douloureux. Il est malheureusement condamné, au bout d’un long moment, à s’arrêter, à ne plus corriger. Sinon il se retrouvera devant une somme de blancheur. À force de corriger, à force de vouloir le grotesque, le sublime, à force de se prendre pour l’abîme dans lequel la splendeur adore se plonger, il court un risque énorme : tout effacer. La voilà, l’œuvre parfaite. Elle est blanche, elle est vide et porte dans son creux les longues phrases humaines qui se sont effacées à force de vouloir toucher le ciel de leurs doigts noircis d’encre, épuisées de montrer la lumière.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge chat qui louche maykan alain gagnonDéclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade (roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Propos sur l’écriture…. Philippe Dilbert et la créativité… » » »

7 février 2014

« Creativity is allowing yourself to make mistakes. Art is knowing which ones to keep. » – Scott Adams

Cette phrase est de Scott Adams, un dessinateur de bandes dessinées américain né le 8 juin 1957 à Windham, dans l’État de New York. Il est, entre autres, l’auteur de la série de strips Dilbert.  Il a aussi écrit plusieurs ouvrages satiriques sur le monde des entreprises, dont Le principe de Dilbert en hommage au Principe de Peter.

Diplômé en économie et en management, il a travaillé dans le secteur des télécommunications jusqu’en 1995 — les caractères dépeints dans Dilbert sont inspirés de personnages réels qu’il côtoyait alors. Il est maintenant p-dg  de la société Scott Adams Foods  (qui produit le Dilberito) et copropriétaire du Stacey’s Café à Pleasanton, en Californie.

Tous ses employés ont son adresse électronique (scottadamsaol.com).  Scott Adams souhaite que chacun d’entre eux, qui vit une situation absurde au travail, la lui raconte.  Ces récits sont à l’origine de nombreuses histoires de Dilbert.

Si je traduis librement la phrase en titre, cela donne : « La créativité consiste à se donner la permission de commettre des erreurs.  Tout l’art réside dans le tri à faire entre ce que l’on doit conserver et ce que l’on doit rejeter. »

Que l’artisan fabrique une table ou que le poète rédige un texte, on ne peut que prendre le risque de l’erreur.  On dit parfois : La seule façon de ne pas commettre d’erreur, c’est de demeurer au lit le matin.  Et, même là, c’est discutable.  Demeurer au lit ne représenterait-il pas la pire des erreurs ?

Dilbert

Je discute souvent avec des écrivains en devenir, jeunes ou plus âgés.  Ils me parlent de ce qu’ils ont en tiroir.  À tout coup, je demande :    « Pourquoi ne pas envoyer ça à un éditeur ?  Ça mérite d’être évalué. »  Ils me parlent du temps qui leur manque pour fignoler, de l’état de l’édition québécoise, des tuyaux qu’ils n’ont pas, du travail, de la famille qui les accapare…  Mais on en arrive toujours, après tergiversations, au problème réel : la peur d’être jugé, d’avoir commis des erreurs d’écriture et que quelqu’un d’autre le leur dise.

C’est triste.  Dans les tiroirs et sur les disques durs, combien de perles  que l’on aurait dû connaître ?