Marc-Aurèle et la conscience, par Alain Gagnon…

3 juin 2017

Propos sur l’oubli de soialain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Ne pas s’oublier ne signifie pas un sursaut de vanité.  Ne jamais oublier ses mérites sociaux, sportifs ou financiers.  Que l’un soit écrivain, l’autre pilote de ligne, l’autre courtier, électricien ou facteur…  Tout cela, ce sont des masques plus ou moins consistants, plus ou moins temporaires.

Ne pas s’oublier signifie se ressouvenir toujours de sa véritable nature et toujours agir, dans son quotidien, de façon à ne pas la décevoir, à ne pas en déchoir — pour plagier Marc-Aurèle, le divin empereur.

*

Lorsque je me promène sur la Rive sud, je vais d’une église à l’autre.  Le cumul générationnel des joies et des peines m’y attire ; et ce calme qui réverbère celui du Fleuve dans l’odeur cireuse des lampions.  Immobiles, des silhouettes y prient, ou, cous tendus, scrutent les images de la voûte, examinent les statues sulpiciennes des nefs latérales.

*

Penser contre tous ; penser contre tout.

Et pour tous ; et pour tout.

Dans quelques années, je serai mort.  Jusqu’à la fin j’espère le droit et la capacité de m’interroger sur l’existence, sur sa nature même, sur le principe qui anime le vivant, sur la Conscience derrière la conscience.  C’est là le privilège, l’honneur et le fardeau du mortel humain.

L’auteur…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon chat qui louche maykan alain gagnondu Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (MBNE) ; récemment il publiait un essai, Fantômes d’étoiles, chez ce même éditeur .  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Marc-Aurèle et la conscience, Alain Gagnon…

17 octobre 2016

Extrait d’un ouvrage à paraître…

Ne pas s’oublier ne signifie pas un sursaut de vanité.  Ne jamais oublier ses mérites sociaux, sportifs ou financiers.  Que l’un soit écrivain, l’autre

 alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Marc-Aurèle, philosophe et empereur

pilote de ligne, l’autre courtier, électricien ou facteur…  Tout cela, ce sont des masques plus ou moins consistants, plus ou moins temporaires.

Ne pas s’oublier signifie se ressouvenir toujours de sa véritable nature et toujours agir, dans son quotidien, de façon à ne pas la décevoir, à ne pas en déchoir — pour plagier Marc-Aurèle, le divin empereur.

*

Lorsque je me promène sur la Rive sud, je vais d’une église à l’autre.  Le cumul générationnel des joies et des peines m’y attire ; et ce calme qui réverbère celui du Fleuve dans l’odeur cireuse des lampions.  Immobiles, des silhouettes y prient, ou, cous tendus, scrutent les images de la voûte, examinent les statues sulpiciennes des nefs latérales.

*

Penser contre tous ; penser contre tout.

Et pour tous ; et pour tout.

Dans quelques années, je serai mort.  Jusqu’à la fin j’espère le droit et la capacité de m’interroger sur l’existence, sur sa nature même, sur le principe qui anime le vivant, sur la Conscience derrière la conscience.  C’est là le privilège, l’honneur et le fardeau du mortel humain.

L’AUTEUR…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon  alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecdu Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet).  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Billet de L’Anse-aux-Outardes, par Claude-Andrée L’Espérance… »

8 octobre 2014

Le pèlerinchat qui louche maykan alain gagnon francophonie

J’ai exploré tant de chemins

tant d’avenues d’où l’on revient

parfois brisé et parfois fou

d’autres fois nu et à genoux

avec mon sort entre les mains

et dans mes poches à peu près rien

j’ai visité tant de pays

au gré des ombres de ma nuit.

 Le Vieux aimait ça, chanter.  Cette chanson-là, c’était sa préférée.  Y’avait même ajouté un couplet pour moi.

Hors de la ville ou en son cœur

j’ai croisé d’autres voyageurs

dans la noirceur des nuits sans lune

d’autres compagnons d’infortune

combien alors, je ne sais plus

peut-être cent, peut-être mille

je vous le jure, je les ai vus

le corps brisé, l’âme en exil.

 

Un couplet juste pour moi qu’y disait. Pis moi, j’faisais semblant d’y croire. Faut dire qu’ le Vieux avait passé tellement d’années à faire la route du fleuve qu’y’avait sûrement du vrai dans son couplet.  Pis moi, j’devais bien faire partie des cent ou des mille…

Le soir où j’l’ai rencontré, j’cherchais une place à squatter.  En marchant sur la grève, pas loin des hangars à bateaux, j’avais vu d’la fumée.  Tout doucement, j’me suis approché.  C’est là qu’j’ai vu, assis dans le sable, le regard tourné vers le fleuve, un vieux monsieur qui faisait griller du pain sur une broche en métal, au-d’sus des braises. Y’avait deviné ma présence parce que, juste au moment où j’passais loin derrière lui, sans même se r’tourner. y m’a crié  :

« Approche, aie pas peur, le jeune.  Viens t’asseoir ! »

Ce soir-là, y’avait fait bouillir de l’eau dans une p’tite casserole,  pis on avait bu du thé. Moi j’aurais aimé mieux du fort ou d’la bière, mais j’avais pas d’argent, pis le Vieux disait, en r’gardant l’ fleuve, qu’y buvait pas, qu’y buvait pu.

« Veux-tu ben m’dire, Sébaste, pourquoi j’prendrais un coup quand j’ai toutes ces eaux-là pour me soûler l’regard à longueur de journée ? »

J’lui avais dit mon nom, mais j’ai jamais su le sien. À chaque fois que j’ai cherché à savoir, j’ai eu droit à un long silence. Pas d’papiers, pas d’nom, pas d’adresse…  Une vie à marcher le long des ch’mins pour ramasser des cannettes pis des bouteilles vides.  Une vie à marcher en poussant sa voiturette, beau temps, mauvais temps, emmitouflé dans son parka de nylon doublé, usé, taché, brûlé par le soleil ; son parka qui, à force d’être porté, avait fini par prendre la couleur d’la poussière des ch’mins. Beige, gris, une couleur entre les deux ? Difficile de mettre un nom sur une couleur qu’y a pas d’couleur.  Pareil pour sa barbe, pis sa tignasse. Sans farce, de loin on aurait dit la toison d’un bœuf musqué.  Une bête sauvage, le Vieux. Y’a pas à dire, son allure faisait peur au monde, mais fallait pas s’arrêter à ça. Fallait plutôt voir ses yeux. C’est comme si, à force de côtoyer l’fleuve, de « s’imbiber le regard de ses eaux », comme y disait, ses yeux avaient fini par en prendre toutes les couleurs.

Les derniers jours, y’étaient plutôt « couleur des jours de fleuve sombre, couleur  des jours de fleuve à la pluie, des jours de fleuve à la tempête… »  Y parlait comme ça, le Vieux.

Hier, j’ai eu la visite d’une policière de la SQ.  Elle m’a posé des tas de questions. Qu’est-ce que tu voulais que j’lui dise ?  Est pas restée longtemps.

« Vraiment triste de finir comme ça !  Pas d’papiers, pas d’adresse, un corps sans nom dans un tiroir d’la morgue… »

C’est c’qu’elle a dit en partant.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieVictime anonyme d’un chauffard, le Vieux…  Découvert à moitié mort dans l’fossé, un beau matin d’octobre, par un couple de touristes qui s’étaient arrêtés sus l’bord du ch’min pour admirer l’fleuve.  La policière m’a raconté que, quand est arrivée sur les lieux de l’accident, la femme en état de choc arrêtait pas de répéter :

« Cette année nous voulions voir le fleuve, l’an prochain nous ferons Compostelle… »

Tu sais, toi, où c’est Compostelle ?

Notice biographique :

Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée à la fois par les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, à force d’y vivre, ont fini par en prendre la couleur. Installée aux abords du fjord du Saguenay, en marge d’un petit village forestier et touristique, elle partage son temps entre sa passion pour l’écriture et le métier de cueilleuse qui l’entraîne chaque été à travers champs et forêts.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Billet de L’Anse-aux-Outardes, par Claude-Andrée L’Espérance…  »

9 mars 2014

Le pèlerin

J’ai exploré tant de chemins

tant d’avenues d’où l’on revient

parfois brisé et parfois fou

d’autres fois nu et à genoux

avec mon sort entre les mains

et dans mes poches à peu près rien

j’ai visité tant de pays

au gré des ombres de ma nuit.

 Le Vieux aimait ça, chanter.  Cette chanson-là, c’était sa préférée.  Y’avait même ajouté un couplet pour moi.

Hors de la ville ou en son cœur

j’ai croisé d’autres voyageurs

dans la noirceur des nuits sans lune

d’autres compagnons d’infortune

combien alors, je ne sais plus

peut-être cent, peut-être mille

je vous le jure, je les ai vus

le corps brisé, l’âme en exil.

 

Un couplet juste pour moi qu’y disait. Pis moi, j’faisais semblant d’y croire. Faut dire qu’ le Vieux avait passé tellement d’années à faire la route du fleuve qu’y’avait sûrement du vrai dans son couplet.  Pis moi, j’devais bien faire partie des cent ou des mille…

Le soir où j’l’ai rencontré, j’cherchais une place à squatter.  En marchant sur la grève, pas loin des hangars à bateaux, j’avais vu d’la fumée.  Tout doucement, j’me suis approché.  C’est là qu’j’ai vu, assis dans le sable, le regard tourné vers le fleuve, un vieux monsieur qui faisait griller du pain sur une broche en métal, au-d’sus des braises. Y’avait deviné ma présence parce que, juste au moment où j’passais loin derrière lui, sans même se r’tourner. y m’a crié  :

« Approche, aie pas peur, le jeune.  Viens t’asseoir ! »

Ce soir-là, y’avait fait bouillir de l’eau dans une p’tite casserole,  pis on avait bu du thé. Moi j’aurais aimé mieux du fort ou d’la bière, mais j’avais pas d’argent, pis le Vieux disait, en r’gardant l’ fleuve, qu’y buvait pas, qu’y buvait pu.

« Veux-tu ben m’dire, Sébaste, pourquoi j’prendrais un coup quand j’ai toutes ces eaux-là pour me soûler l’regard à longueur de journée ? »

J’lui avais dit mon nom, mais j’ai jamais su le sien. À chaque fois que j’ai cherché à savoir, j’ai eu droit à un long silence. Pas d’papiers, pas d’nom, pas d’adresse…  Une vie à marcher le long des ch’mins pour ramasser des cannettes pis des bouteilles vides.  Une vie à marcher en poussant sa voiturette, beau temps, mauvais temps, emmitouflé dans son parka de nylon doublé, usé, taché, brûlé par le soleil ; son parka qui, à force d’être porté, avait fini par prendre la couleur d’la poussière des ch’mins. Beige, gris, une couleur entre les deux ? Difficile de mettre un nom sur une couleur qu’y a pas d’couleur.  Pareil pour sa barbe, pis sa tignasse. Sans farce, de loin on aurait dit la toison d’un bœuf musqué.  Une bête sauvage, le Vieux. Y’a pas à dire, son allure faisait peur au monde, mais fallait pas s’arrêter à ça. Fallait plutôt voir ses yeux. C’est comme si, à force de côtoyer l’fleuve, de « s’imbiber le regard de ses eaux », comme y disait, ses yeux avaient fini par en prendre toutes les couleurs.

Les derniers jours, y’étaient plutôt « couleur des jours de fleuve sombre, couleur  des jours de fleuve à la pluie, des jours de fleuve à la tempête… »  Y parlait comme ça, le Vieux.

Hier, j’ai eu la visite d’une policière de la SQ.  Elle m’a posé des tas de questions. Qu’est-ce que tu voulais que j’lui dise ?  Est pas restée longtemps.

« Vraiment triste de finir comme ça !  Pas d’papiers, pas d’adresse, un corps sans nom dans un tiroir d’la morgue… »

C’est c’qu’elle a dit en partant.

Victime anonyme d’un chauffard, le Vieux…  Découvert à moitié mort dans l’fossé, un beau matin d’octobre, par un couple de touristes qui s’étaient arrêtés sus l’bord du ch’min pour admirer l’fleuve.  La policière m’a raconté que, quand est arrivée sur les lieux de l’accident, la femme en état de choc arrêtait pas de répéter :

« Cette année nous voulions voir le fleuve, l’an prochain nous ferons Compostelle… »

Tu sais, toi, où c’est Compostelle ?

Notice biographique :

Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée à la fois par les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, à force d’y vivre, ont fini par en prendre la couleur. Installée aux abords du fjord du Saguenay, en marge d’un petit village forestier et touristique, elle partage son temps entre sa passion pour l’écriture et le métier de cueilleuse qui l’entraîne chaque été à travers champs et forêts.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)