Notes de lecture… Bagatelles de Benjamin Franklin…

6 novembre 2016

Bagatelles de Benjamin Franklin…

J’ai une prédilection pour ce que l’on appelle, à tort, les œuvres mineures.  Pour moi, c’est ce qui révèle sans fard (ou en moins fardé) la réalité d’un créateur ou d’un politique.  C’est la raison pour laquelle, en librairie ou en bouquinerie, vous me verrez fureter du côté des carnets, journaux intimes, correspondances…  Bref, les petits papiers dont on ne se serait jamais occupé si l’homme ou la femme n’avait pas signé de grands traités, gagné de grandes guerres ou produit des romans volumineux et retentissants.

C’est du côté de Benjamin Franklin que je me suis arrêté hier.  Après la Déclaration d’indépendance des colonies américaines (1776), ce père de la Révolution américaine est envoyé à Paris par sa neuve patrie, à titre d’ambassadeur.  Son objectif : obtenir l’alliance  de la France contre l’Angleterre.  Dans de courts textes en français, il dessine à traits acérés les mœurs, les coutumes, entame un dialogue avec la maladie qui le tourmente, la goutte, et profite de l’éloignement pour réfléchir sur son pays et ses habitants.  Ce qui nous a donné ces précieuses observations sur les Amérindiens dans un chapitre intitulé Remarques sur la politesse des sauvages de l’Amérique Septentrionale, dont je vous livre quelques extraits ci-dessous.

Notre manière de vivre laborieuse et toujours occupée leur paraît basse et servile; et les connaissances d’après lesquelles nous nous estimons nous-mêmes sont inutiles et frivoles à leurs Yeux.

Voici une preuve de cette opinion dans ce qui se passa lors du traité conclu à Lancaster en Pennsylvanie dans l’année 1744 entre le gouvernement de Virginie et les Six-Nation. Après que les affaires principales furent arrangées, les commissaires virginiens informèrent les Indiens par un discours, qu’il y avait dans le Collège de Williamsbourg un fonds destiné à l’éducation des jeunes Indiens, et que, si les Six-Nations voulaient envoyer à ce collège une demi-douzaine de jeunes garçons, le gouvernement prendrait soin qu’ils fussent pourvus de tout, et instruits dans toutes les connaissances que l’on y donne aux jeunes blancs. C’est une des règles de la politesse indienne de ne pas répondre à une proposition publique le jour même qu’elle a été faite; ils pensent que ce serait la traiter avec trop de légèreté, et qu’ils témoignent beaucoup plus d’égard en prenant du temps pour l’examiner comme un objet d’une grande importance. Ils diffèrent donc leur réponse jusqu’au jour suivant ; alors leur orateur commença par exprimer combien ils étaient pénétrés de l’offre pleine de bonté que le gouvernement de Virginie faisait à leurs nations; car nous savons, dit-il, que vous faites le plus grand cas de l’espèce de connaissances que l’on enseigne dans ces collèges, et que l’entretien de nos jeunes gens tant qu’ils seront chez vous sera très dispendieuse. Nous sommes donc convaincus qu’en nous faisant cette offre, votre intention est de nous procurer un grand bien, et nous vous en remercions de tout notre cœur. Mais sages comme vous êtes, vous devez savoir que les différentes nations ont des idées différentes sur les mêmes choses, ainsi vous ne trouverez pas mauvais que les nôtres sur cette espèce d’éducation ne soient pas conformes à celles que vous en avez. Nous l’avons éprouvé plusieurs fois : car plusieurs de nos jeunes gens ont été ci-devant élevés dans les collèges des provinces septentrionales: ils ont été instruits dans toutes vos sciences: mais lorsqu’ils sont revenus chez nous, ils étaient mauvais coureurs, ils ignoraient les moyens de vivre dans les bois, ils étaient incapables de supporter le froid et la faim, ils ne savaient ni bâtir une cabane, ni prendre un daim, ni tuer un ennemi: ils parlaient imparfaitement notre langue: on ne pouvait donc en faire ni des chasseurs, ni des guerriers, ni des conseillers; ils n’étaient absolument bons à rien. Mais quoique nous n’acceptons pas vos offres, pleines de bienveillance, nous ne vous en sommes pas moins obligés, et pour vous en témoigner notre reconnaissance, si les principaux habitants de Virginie veulent nous envoyer douze de leurs enfants, nous prendrons grand  soin de leur éducation; nous les instruirons dans toutes les choses que nous savons, et nous en ferons des Hommes.

Et cet autre exemple de confusion qu’entraînent les différences culturelles  :

La politesse de ces sauvages dans la conversation est effectivement portée à l’excès, puisqu’elle leur fait une règle de ne jamais nier ou contredire la vérité de ce que l’on avance devant eux. Il est vrai que par ce moyen ils évitent les disputes; mais aussi il est très difficile de connaître leur pensée et de découvrir l’impression que l’on fait sur eux. Les missionnaires qui ont tenté de les convertir à la religion chrétienne se plaignent tous de cette habitude comme d’un des plus grands obstacles au succès de leur mission: Les Indiens écoutent avec patience les vérités de l’Évangile lorsqu’on les leur explique, et ils donnent leurs témoignages ordinaires d’assentiment et d’approbation: vous les croyez convaincus; mais point du tout, c’est pure politesse.

(à suivre)

L’auteur…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon du Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet).  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).


Chronique d’humeur, par Jean-Pierre Vidal…

4 août 2015

 On connaît la chanson

Cela commence par le touriste universel qui prétend toujours avoir tout vu et vous reprend sèchement quand vous vous extasiez avec votre naïveté dechat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec néophyte. Quand, par exemple, vous le croisez sur le Pont Charles, il vous lance spontanément : « Prague, maintenant, c’est rien ! Si vous aviez vu cette ville il y a dix ans ! Aujourd’hui, c’est Budapest qu’il faut voir : les touristes ne l’ont pas encore envahie. » Et si jamais vous le rencontrez à Budapest, avec le sentiment réconfortant d’être enfin vous-même « tendance », il vous vantera Kuala Lumpur. Quand bien même il n’aurait vu la ville que sur Internet.

Nous sommes assurément, pour diverses raisons auxquelles les réseaux sociaux ne sont certainement pas étrangers, à l’ère du « moi aussi ». On ne peut ouvrir la bouche, même simplement pour répondre à une question sur ce qu’on devient, sans qu’aussitôt l’interlocuteur vous coupe pour dire « moi aussi » et partir dans une énumération à n’en plus finir de ce qu’il ou elle a fait aussi bien que vous et même, en fin de compte, mieux que vous.

Le Moi contre la masse

C’est une question de survie : la société de masse nous rend tous si insignifiants que dès qu’un piédestal quelconque nous est offert, nous y grimpons allègrement. Quitte à bousculer les autres pour y parvenir. Nous nous dressons continuellement sur nos ergots pour lancer un cocorico un peu pathétique dans son impatience. Et son impuissance surtout.

Le fin du fin, c’est de présenter son expérience individuelle la plus spécifique, la plus particulière, comme une illustration, modeste, mais exemplaire, d’une généralité dont on se donne, du même coup, le prestige et la force. On joue ainsi sans trop d’effort sur les deux tableaux : l’intime et le commun, le singulier et l’universel, le moi et l’autre.

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, QuébecJ’ai été élevé au pays de l’invective plus ou moins tempérée par l’élégance ou l’inventivité verbales. Ma folle jeunesse trotskiste a été bercée par les flamboyants « laquais du capital » et autre « crapule stalinienne », quand ce n’était pas par la biblique « vipère lubrique » à une époque pourtant où l’ineffable DSK ne promenait pas encore aux quatre vents son rut incontrôlable. Et par-dessus tout ça, trônait la voix, ô combien rhétorique, du Général dénonçant « tout ce qui grouille, grenouille et scribouille ». Maintenant bien enraciné au pays de la grenouille bleue, puis de la grenouillère, où depuis quelque temps je scribouille allègrement, de Gaulle m’est revenu aux oreilles comme la malédiction d’un Commandeur m’accusant de trop grouiller. Mais la foncière gentillesse des gens de ce pays, leur étonnant respect de l’autre se sont trouvés coïncider pour moi avec la bonne volonté un peu naïve qui semble aujourd’hui vouloir envahir la planète et qui, en tout cas, se répand dans les réseaux sociaux en concurrence avec la haine et la bêtise les plus nues. Je ne parierais pas, quant à moi, sur la victoire finale de la bonté et de la gentillesse, mais c’est sans doute mon problème. Et c’est une autre histoire.

Toi aussi !

Quoi qu’il en soit, et j’en reviens à mon sujet que je n’avais quitté qu’en apparence, la façon qu’on a, de nos jours, de déconsidérer l’adversaire ne consiste pas à l’agonir d’injures, mais plutôt à le renvoyer à la masse d’où il n’aurait jamais dû oser sortir. La tactique est assez proche de ce qu’on appelait autrefois « l’amalgame ». Pratiquer l’amalgame, c’était alors attribuer à celui qu’on voulait déconsidérer les opinions extrêmes du moins fréquentable de tous ses comparses.

Certes, désormais mes amis de droite (j’en ai) ne m’accusent pas d’être un dangereux gauchiste, mais ils restent très prompts à renvoyer toute opinion qu’ils disent « sinistre » (depuis qu’ils ont appris que c’était le mot latin pour « gauche ») au cliché éculé qu’elle n’est peut-être pas toujours. Et j’avoue être tombé moi-même dans ce travers plus souvent qu’à mon tour. Le mot de César à Brutus qui, parmi d’autres, l’assassine, ce « Toi aussi, mon fils ! » insistait surtout sur la filiation adoptive, cette relation particulière qu’entretenait le tyran avec celui qu’il avait librement choisi comme membre de sa famille. Aujourd’hui quand le « moi aussi » maladif cède la place au « toi aussi » agressif, ce n’est pas pour distinguer, quitte à reprocher cette distinction, c’est pour fondre, noyer dans un tout plus vaste, une conspiration ou un achat de groupe. On vous efface ainsi d’un « on sait ben, vous autres…». On efface l’individualité de votre voix dans un concert en forme de scie : « on connaît la chanson ! »

Mais c’est que nous sommes en lutte pour la survie du moi : tout dialogue nous est interdit, nous sommes des fous des soliloques adverses : « moi chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québecaussi », c’est « moi surtout » et « toi aussi », c’est « toi itou ». Moi Tarzan, toi Jane : moi seul, toi dans les autres.

C’est ainsi que nous communiquons, comme la cuisine communique avec le salon. Spatialement. Et au plus fort la poche du droit à la parole.

Voilà, vous êtes prévenus, si vous me rencontrez à Pékin ou à Sainte-Ingénue de la Toundra, ne vous risquez pas à ce petit jeu : je suis constamment sur mes gardes et vous ne m’en ferez pas accroire. Et ne venez surtout pas me parler de la Guerre de Troie ! Je la connais mieux que vous !

J’y étais…

Jean-Pierre Vidal

Notice biographique

PH.D en littérature (Laval), sémioticien par vocation, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université duchat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis l’ouverture de l’institution, en 1969. Fondateur de la revue Protée, il a aussi été chercheur et professeur accrédité au doctorat en sémiologie de l’Université du Québec à Montréal. Il a d’ailleurs été professeur invité à l’UQAM (1992 et 1999) et à l’UQAR (997).

Outre de nombreux articles dans des revues universitaires et culturelles, il a publié deux livres sur Robbe-Grillet, un essai dans la collection « Spirale » des Éditions Trait d’union, Le labyrinthe aboli ; de quelques Minotaures contemporains (2004) et deux recueils de nouvelles, Histoires cruelles et lamentables (Éditions Logiques 1991) et, cette année, Petites morts et autres contrariétés, aux éditions de la Grenouillère.

Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). Il a préfacé plusieurs livres d’artiste, publie régulièrement des nouvelles et a, par ailleurs, commis un millier d’aphorismes encore inédits.

Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec, Société et Culture.


Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

30 mars 2015

La vie martiale

Gichin Funakoshi, fondateur du karaté Shotokan, est considéré comme le père du « Karaté moderne ». Né le 10 novembre 1868 à chat qui louche maykan alain gagnon francophonieYamakawa, dans la préfecture d’Okinawa (îles Ryukyu, Japon), berceau des arts martiaux japonais, descendant d’une lignée de samouraïs, athlète hors du commun et habile pédagogue, il adapte les techniques martiales de son époque et les enseigne à Tokyo jusqu’à sa mort en 1957 à l’âge vénérable de 89 ans. Le Maître colligea ses enseignements par écrit, décrivant des techniques, bien sûr, mais surtout, précisant sa philosophie martiale et la valeur de l’être chez le combattant.
Plusieurs associent les arts martiaux à la violence. Le cinéma et la télévision nourrissent le préjugé. Or, le bien et le mal luttent en chacun. Parfois, le mal prime. Hélas. Et savoir donner un coup de poing n’est pas essentiel. Une parole suffit. Les arts martiaux prônent l’équilibre. L’équilibre physique, mental et moral. Les Grands Maîtres basent leurs enseignements sur la vie et ses grands principes. Les adeptes qui s’en écartent trahissent la pensée martiale, comme le bon fait le mal lorsqu’il trahit ce qui le rendait bon.
Les vingt préceptes de Funakoshi s’appliquent à la vie de tous les jours. Jetons-y un coup d’œil et retenons les leçons.
1.    N’oubliez pas que le karaté commence et s’achève par le rei.
Le rei, c’est le respect de l’autre, la courtoisie, la révérence, ce qui se traduit par le salut avant et après le combat. Le rei, c’est aussi la sincérité, et surtout, l’estime de soi-même.

2.    Il n’y a pas d’attaque dans le karaté.
Nous ne provoquons pas, nous ne réagissons pas au moindre prétexte. Nous sommes patients et pondérés. Par contre, si la confrontation est inévitable, nous nous défendons avec énergie.

3.     Le karaté est au service de l’équité.
L’équité sert la vertu. « Quand je m’observe et que je constate que je suis dans le vrai, alors, mes ennemis, fussent-ils un millier ou dix, ne peuvent m’arrêter. » Évidemment, il faut faire preuve « d’intelligence, de discernement et de force véritable ».

chat qui louche maykan alain gagnon francophonie4.    Apprends déjà à te connaître, puis connais les autres.
Cherchons nos forces et nos faiblesses avant de scruter celles des autres.

5.    Le mental prime sur la technique
Voici une version abrégée d’une parabole du Maître : « Un jour, un célèbre maître de sabre, met ses trois fils à l’épreuve. Il fait d’abord appeler Hikoshiro, l’aîné. Ouvrant la porte du coude, celui-ci la trouve plus lourde qu’à l’accoutumée. Il passe sa main sur le haut de la porte et y découvre un lourd appui-tête en bois disposé en équilibre. Il l’enlève, entre, puis le remet à sa place. Le maître fait venir son deuxième fils, Hikogoro. Quand celui-ci pousse la porte, l’appui-tête tombe, mais il le rattrape au vol et le remet à sa place. Le maître fait enfin venir le benjamin, Hikoroku, le meilleur au maniement du sabre. Quand il ouvre la porte, l’appui-tête tombe sur son chignon. En un éclair, il dégaine le sabre à sa ceinture et tranche l’objet avant qu’il ne touche le tatami. À ses trois fils, le maître déclare : «Toi, Hikoshiro, mon aîné, tu transmettras notre méthode de maniement du sabre. Toi, Hikogoro, un jour, en t’entraînant, tu égaleras peut-être ton frère. Quant à toi, Hiroroku, tu conduiras notre école à sa perte. Je te renie.»
Morale de cette histoire : penser avant d’agir évite de détruire.

6.    L’esprit doit être libre.
L’esprit doit explorer à sa guise, il ne doit pas s’attacher ou s’enfermer dans les préjugés ou les obligations. Il doit s’ouvrir sur le monde, courir librement et être utilisé à bon escient.

7.    Calamité est fille de non-vigilance.
La négligence, l’étourderie et le relâchement de l’attention provoquent les accidents.
Analysons nos actes.

8.     Le karaté ne saurait se cantonner au seul dojo.
La pratique de l’équilibre doit être constante et quotidienne. Alimentation déséquilibrée, abus de boisson, manque de sommeil fatigueront le corps et l’esprit et auront des conséquences néfastes sur notre vie.

9.     Le karaté est la quête d’une vie entière
Être meilleur aujourd’hui qu’hier et meilleur demain qu’aujourd’hui.

10.     La voie du karaté se retrouve en toute chose, et c’est là le secret de sa beauté intrinsèque.
Chaque domaine de la vie devrait être abordé avec sérieux. Approchons nos entreprises comme si notre vie entière en dépendait. Nos chances de succès décupleront.

11.    Pareil à l’eau en ébullition, le karaté perd son ardeur s’il n’est pas entretenu par une flamme.chat qui louche maykan alain gagnon francophonie
Toute progression nécessite de la pratique. Comme le dit ce proverbe japonais : «L’apprentissage c’est comme pousser une charrette sur une colline. Cessez de pousser et tous vos efforts seront vains.»

12.    Ne soyez pas obsédé par la victoire; songez plutôt à ne pas perdre.
L’obsession de gagner à tout prix nourrit l’impatience et l’irritabilité. Optons pour ne pas perdre, prenons conscience de nos forces, et soyons convaincus.

13.    Ajustez votre position en fonction de l’adversaire.
Dans la vie, il faut ajuster notre approche. Ce qui convient dans une situation n’est pas garant de succès dans une autre.

14.    L’issue d’un affrontement dépend de votre manière à gérer les pleins et les vides.
Dans tout conflit, évitons les points forts de l’adversaire pour agir là où il est vulnérable. Évitons les stéréotypes. Soyons ouverts et souples, plutôt qu’inertes et entêtés.

15.     Considérez les mains et les pieds de l’adversaire comme des lames tranchantes.
Ne sous-estimons jamais l’autre. Lui aussi peut faire mal. Comme il peut nous être d’un grand secours.

16.     Faites un pas hors de chez vous et ce sont un million d’ennemis qui vous guettent.
À l’extérieur de nous, des gens nous critiquent, portent des jugements sur nous. Soyons alertes, mais ne nous laissons pas distraire. Suivons notre voie.

17.    Le kamae, ou posture d’attente, est destiné aux débutants ; avec l’expérience, on adopte le shizentai (posture naturelle).
Au début d’un apprentissage, soyons humbles. La base d’abord, puis au fil de l’étude, les attitudes et les compétences se peaufineront. L’expérience fera le reste.

18.    Recherchez la perfection en kata, le combat réel est une autre affaire.
En se familiarisant avec une technique, un sport, une connaissance, la vie, efforçons-nous de ne pas dénaturer la base pour qu’en situation réelle, ce qui est intégré nous serve pleinement.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonie19.    Sachez distinguer le dur du mou, la contraction de l’extension du corps et sachez moduler la rapidité d’exécution de vos techniques.
Soyons conscients de ce que nous sommes, de nos gestes et de nos pensées, et nous profiterons de la vie au maximum.

20.    Vous qui arpentez la Voie, ne laissez jamais votre esprit s’égarer, soyez assidus et habiles.
La pratique de la Vie est un travail de tous les instants. Notre esprit doit être présent, tous ses potentiels en état d’éveil.

Voilà. Les arts martiaux n’enseignent pas que le combat. Ils enseignent la vie. Nous sommes des guerriers de la vie. Nous nous défendons avec le corps, avec l’esprit, contre l’autre, et surtout, contre nous-mêmes.

Suggestion de lecture :

Gichin Funakoshi, Karaté do, ma voie, ma vie, Budo Éditions

© Jean-Marc Ouellet 2012

Notice biographique :

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieJean-Marc Ouellet a grandi sur une ferme du Lac-des-Aigles, petite municipalité du Bas-du-Fleuve, puis à Québec. Après avoir obtenu un diplôme de médecine de l’Université Laval, il a reçu une formation en anesthésiologie. Il exerce à Québec. Féru de sciences et de philosophie, il s’intéresse à toutes les  littératures, mais avoue son faible pour la fiction. Chaque année, depuis le début de sa pratique médicale, il contribue de quelques semaines de dépannage en région, et s’y accorde un peu de solitude pour lire et écrire. L’homme des jours oubliés, son premier roman, a paru en avril 2011 aux Éditions de la Grenouillère. Depuis janvier 2011, il publie un billet bimensuel dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche


Chroniques d'Asie, par Michel Samson…

26 juin 2011

Mono no aware

Il fait bon revenir chez soi après un long voyage ou un séjour en Asie : la perspective de retrouver parents et amis, son confort, ses petites habitudes et son quotidien alimente les rêveries sur le chemin du retour. Encore imbibés par la culture japonaise que nous venons tout juste de quitter, nous ne réalisons pas à quel point celle-ci nous a envahis et occupe désormais beaucoup plus d’espace que nous ne le croyions. Le choc culturel s’annonce, mais, tout à nos songeries à propos de l’arrivée prochaine, nous ne le réalisons pas encore vraiment.

Oh ! Il y bien quelques petits signes précurseurs, des petits détails révélateurs. Citons comme exemple cette agente de bord travaillant pour Air Canada  qui ne parvient pas à sourire, qui arbore un air irrité dès qu’un passager effectue une demande ou encore ces deux autres agents qui, bien que plus sympathiques et serviables, conversent entre eux de façon fort familière tout en effectuant le service de repas aux passagers : «J’te’l dis ! J’te niaise pas !» Après trois mois de raffinement exquis et de politesse amène, ces événements, pour anodins qu’ils soient, gênent et indisposent. Comment peut-on se comporter en public de façon aussi grossière ? Que se passe-t-il donc à bord de cet avion ?

Bien entendu, après le vol, il y aura pire ; si les hasards du trajet de retour vous font passer par les douanes américaines, l’inconfort appréhendé se transforme alors en horrible crash culturel : les officiers de la douane américaine n’ont pas leur pareil pour vous cracher au visage leur mépris et suspicion tout en mâchant d’énormes portions de chewing-gum. Même en sol canadien, la chose ne sera pas aisée : disparues les salutations formelles japonaises qui président à tous contacts, de quelques natures qu’ils soient ; envolés les sourires courtois qui illuminent chaque visage ; inexistante l’amabilité sociale à la base de toutes relations humaines, fussent-elles celles de policiers procédant à l’arrestation d’automobilistes délinquants. Non, « le PLUSSS beau pays au monde » offre plutôt une image, sinon grossière, du moins toujours empreinte d’une familiarité inconvenante. De la douanière suspicieuse à la serveuse du restaurant en passant par le préposé au centre d’information de l’aéroport, un point commun se dégage : tous nous donnent l’impression d’avoir gardé les cochons en notre compagnie.

Autre élément qui nous amènera à penser que nous avons définitivement quitté l’archipel nippon pour l’Amérique ? L’obésité morbide et ses causes ! Les trois derniers mois nous avaient fait presque oublier cette maladie macdonaldienne trop répandue en ce continent nord-américain. Nouveau choc : nos estomacs japonisés et nos palais nipponisés vont devoir  « tolérer l’intolérable et accepter l’inacceptable ». Nous voilà échoués sur le continent de la malbouffe, inconsolables naufragés habitués aux sushis et sashimis, fussent-ils radioactifs ! Abolies les petites portions présentées avec art et finesse ! Perdus à jamais ces mélanges de couleurs et de saveurs exquises ! Triste retour à la réalité d’ici, le club-sandwich/frites/boisson gazeuse accapare la première place du menu et impose son gigantisme afin de pallier son manque de raffinement.

Je parle ici de chocs culturels. Je songe aussi à notre capacité à absorber d’autres principes culturels, à y adhérer au point de les faire nôtres et même à les regretter quand ils disparaissent de notre vie. J’évoque (et je ressens) cette nostalgie caractéristique du peuple japonais, ce mono no aware qui met l’accent sur la fugacité des choses et toute la tristesse qui en découle. Une fois de plus ce pays demeure derrière nous, un peu moins inaccessible peut-être, toujours aussi attirant, mais beaucoup trop lointain

Demain, nous ferons des pieds et des mains afin de nous procurer quelques ingrédients exotiques et nous concocter des repas nippons : ne pas laisser sombrer dans l’oubli ces saveurs qui s’accrochent à nos mémoires. Demain, je me remettrai à l’étude du japonais. Demain, nous enfilerons nos yukatas et ferons brûler un peu d’encens, histoire de nous sentir encore un peu là-bas. Demain, je jouerai du shakuhachi ou du shinobue, mémoire de notre séjour japonais. Demain, nous envisagerons un nouveau périple en Asie du Sud-est avec passage obligé par l’archipel… notre autre façon de rentrer chez nous.

Notice biographique :

Michel Samson nous parle bimensuellement de voyages et d’Asie… dans ses Chroniques asiatiques
Il est est né et a grandi à Arvida. Après un bac en Littérature française à l’UQAC, il a poursuivi des études littéraires (maîtrise) à l’université Laval. Les hasards de la vie ont fait qu’à vingt-quatre ans, il se retrouve enseignant au collégial. C’est un passionné du métier. Très vite il lui est apparu que parler de littérature à ses élèves demeurait insuffisant si la pratique ne l’accompagnait pas. Ateliers d’écriture, cours de production littéraire et d’écriture dramatique se sont donc succédés. Il a également collaboré à l’écriture de plusieurs pièces de théâtre pour différents organismes et touché à la mise en scène. Si de nombreux facteurs ont contribué à forger son style (travailler avec les étudiants, assumer la tâche de maître de jeux de rôles, etc.), les voyages se sont avérés un puissant déclencheur du besoin d’écrire : par le biais du journal de voyage d’abord, mais surtout par l’élaboration de textes subséquents afin de figer les souvenirs, un peu à l’imitation du photographe qui fixe l’instant sur un support. Voyages en Europe et, surtout l’exploration d’une Asie qui le fascine, où il se sent chez lui. C’est ce monde lointain qui fraie son chemin à travers ses mots, comme malgré lui. Il se considère un intermédiaire privilégié d’une autre façon d’être, de penser et de se réaliser : au lecteur le soin d’y trouver un sens, le sien, et de le plaquer sur des mots qui maintenant lui appartiennent.
Il a publié Ombres sereines, un magnifique recueil de récits immobiles à la Grenouille bleue, en 2009.  Cet ouvrage lui vaudra d’ailleurs le Prix de la catégorie découverte, au Salon du Livre (SLSJ) en 2010.

Il tient également un blogue de haute qualité dont voici l’adresse :http://ombressereines.wordpress.com/