絆 Kizuna : lien… et obligation !
Gomen nasai ! Je vous demande humblement pardon ! Dérouté par de nombreuses copies à corriger, absorbé par un nouveau texte en cours d’écriture, préoccupé par les mille petites choses à préparer à l’approche du temps des Fêtes, je me suis dérobé à mon obligation de maintenir un lien régulier avec le lectorat du Chat Qui Louche. Moushiwake arimase ! Je m’excuse formellement et avec la plus grande sincérité !
Pour bien manifester l’importance des liens qui nous unissent, ainsi que la respectueuse obligation que j’éprouve à votre endroit, je m’attarderai sur un fait qui, pour anodin qu’il puisse paraître, n’en révèle pas moins l’impérieuse nécessité nippone de lier, relier et maintenir sa cohésion sociale à travers le langage même.
Lors d’un vote populaire (500,000 répondants) le kanji kizuna (絆: lien, obligation) a été choisi comme l’idéogramme de l’année 2011 au Japon, laissant derrière lui les kanji désignant vague, tremblement ou encore désastre, tous pressentis pour s’approprier la première place du concours de cette année particulière, marquée par la triple catastrophe qu’on sait. Avant d’aller plus loin, précisons que ce kanji est composé de deux idéogrammes distincts : celui de gauche signifie fil (糸) alors que celui de droite signifie moitié, demi (半). La conjonction de ces deux radicaux entraîne les concepts de lien et obligation (et parfois même ancrage).
Bien entendu, les médias francophones ont insisté sur le caractère rassembleur d’un tel choix, soulignant le sens de « lien » présent au cœur de nombreuses expressions japonaises : lien d’amitié, lien d’affection, lien d’amour et, bien sûr, lien de parenté. Kizuna permet de lier les Japonais entre eux, de réaffirmer leur solidarité indéfectible, de mentionner la cohésion familiale ébranlée par les multiples sinistres, d’accentuer la volonté de tous d’habiter encore et toujours cet archipel soumis à d’impitoyables forces telluriques. On ne peut qu’admirer cette force de caractère de la civilisation japonaise et ce courage extraordinaire représentés par ce magnifique kanji : 絆.
Mais il est une autre signification de kizuna dont, pour je ne sais trop quelle raison, les médias francophones ont ignoré la pertinence : 絆 s’utilise aussi pour évoquer l’« obligation ». À mon avis, ce concept se révèle crucial afin d’appréhender la véritable nature des liens évoqués plus avant : liens d’amitié, d’affection, d’amour et de sang relèvent aussi de l’obligation, et d’en estomper cette particularité entraîne une compréhension incomplète et, disons-le, plutôt naïve du tissu social nippon. Ces sentiments, pour être acceptés, voire tolérés, doivent se conformer à de nombreuses règles sociales qui en encadrent les excès et en jugulent les débordements possibles.
Le caractère kizuna, lien et obligation, demeure un concept essentiel à saisir pour qui cherche à pénétrer le quotidien des Japonais : à l’instar du kanji qui nous occupe, tout y est placé sous l’empire du sens dual, et ne s’arrêter qu’à un côté des choses ne nous apprendra rien à propos de l’équilibre subtil qui préside à la nature nippone.
C’est sous l’auspice de ce kanji 絆 que je vous souhaite à toutes et tous un très joyeux Noël et un Nouvel An plein d’heureuses promesses. Quant à moi, s’il est une résolution que je devrai prendre à l’aube de l’année qui vient, c’est de me ramener davantage à ce fameux kizuna et vous fréquenter avec plus de régularité !
Notice biographique :
Michel Samson nous parle bimensuellement de voyages et d’Asie… dans ses Chroniques asiatiques…
Il est est né et a grandi à Arvida. Après un bac en Littérature française à l’UQAC, il a poursuivi des études littéraires (maîtrise) à l’université Laval. Les hasards de la vie ont fait qu’à vingt-quatre ans, il se retrouve enseignant au collégial. C’est un passionné du métier. Très vite il lui est apparu que parler de littérature à ses élèves demeurait insuffisant si la pratique ne l’accompagnait pas. Ateliers d’écriture, cours de production littéraire et d’écriture dramatique se sont donc succédé. Il a également collaboré à l’écriture de plusieurs pièces de théâtre pour différents organismes et touché à la mise en scène. Si de nombreux facteurs ont contribué à forger son style (travailler avec les étudiants, assumer la tâche de maître de jeux de rôles, etc.), les voyages se sont avérés un puissant déclencheur du besoin d’écrire : par le biais du journal de voyage d’abord, mais surtout par l’élaboration de textes subséquents afin de figer les souvenirs, un peu à l’imitation du photographe qui fixe l’instant sur un support. Voyages en Europe et, surtout l’exploration d’une Asie qui le fascine, où il se sent chez lui. C’est ce monde lointain qui fraie son chemin à travers ses mots, comme malgré lui. Il se considère un intermédiaire privilégié d’une autre façon d’être, de penser et de se réaliser : au lecteur le soin d’y trouver un sens, le sien, et de le plaquer sur des mots qui maintenant lui appartiennent.
Il a publié Ombres sereines, un magnifique recueil de récits immobiles à la Grenouille bleue, en 2009. Cet ouvrage lui vaudra d’ailleurs le Prix de la catégorie découverte, au Salon du Livre (SLSJ) en 2010. Et il vient de publier Le livre des dragons noirs aux Éditions Porte-Bonheur.
Il tient également un blogue de haute qualité dont voici l’adresse :http://ombressereines.wordpress.com/