Écriture, Wittgenstein et Atlantic City…

30 mai 2017

Dires et redires…

À cet auteur en panne qui m’écrit : « Chaque matin, la seule pensée d’ouvrir mon ordinateur et de me crayon-sur-clavier-ordinateurretrouver devant l’écran blanc me terrorise. Mon roman est bloqué. Je cherche, cherche, sue, réfléchis, fais de longues promenades… Rien ! Le texte m’apparaît irrémédiablement dans une impasse. »

Tu prends tout à l’envers, camarade. Cesse de réfléchir ! Ce qui écrit en toi est beaucoup plus intelligent et créatif que toutes tes réflexions. C’est le fait même de t’asseoir devant l’écran et de faire aller très concrètement tes doigts sur le clavier qui résoudra tes problèmes d’écriture. Attendre d’avoir découvert « la solution » par des marches ou des méditations tourmentées est une ineptie. Ce sont les mots écrits pour vrai qui attirent les autres mots, ce sont les phrases qui attirent les phrases, les paragraphes qui engendrent les paragraphes, les chapitres, etc.

C’est en écrivant qu’on résout les problèmes d’écriture.

(Le chien de Dieu)

*

Insomnie. Une bonne partie de la nuit à tourner et à retourner dans ma tête quelques passages des Remarques mêlées de Wittgenstein.

Notamment :

Si quelque chose est bon, alors c’est également divin. Voilà qui, étrangement, résume mon éthique.

Seul quelque chose de surnaturel peut exprimer le surnaturel.

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Je pourrais dire : Si le lieu auquel je veux parvenir ne pouvait être atteint qu’en montant sur une échelle, j’y renoncerais. Car là où je dois véritablement aller, là il faut qu’à proprement parler je sois.

Ce qui peut s’atteindre avec l’aide d’une échelle ne m’intéresse pas.

…………………………………………………

C’est une grande tentation que de vouloir rendre l’esprit explicite.

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Le rapport entre un film d’aujourd’hui et un film d’autrefois est comme celui d’une automobile d’aujourd’hui avec une automobile d’il y a vingt-cinq ans. L’impression qu’il donne est tout aussi ridicule et inélégante, et l’amélioration du film correspond à une amélioration technique, comme celle de l’automobile. Elle ne correspond pas à l’amélioration – si l’on ose employer ce terme dans ce cas -d’un style d’art. Il doit en être tout à fait de même dans la musique de danse moderne. Une danse de jazz devrait donc se laisser améliorer comme un film. Ce qui distingue tous ces développements du devenir d’un style, c’est que l’esprit n’y a point part.

0000000000Opinion que je ne partage pas – je viens de revoir Atlantic City de Louis Malle… Mais opinion qui ouvre tout de même des perspectives à la réflexion.

Malgré ses fulgurances, j’abandonne la lecture de ce livre pour la deuxième fois – je devrais écrire la seconde, car il n’y en aura pas de troisième. Je comprends ce qui ne va pas chez lui : il ne respire pas, donc il ne fait pas place à la musique – ni à la sienne ni à celle du lecteur. Pas d’atmosphère, pas d’empathie par où communiquer. Tout comme chez Agatha Christie dont je n’ai jamais pu terminer un seul roman.

(Le chien de Dieu)

L’auteur…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon du Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet).  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Blues de novembre, une nouvelle d’Alain Gagnon…

28 mai 2017

Blues de novembrechat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie

La théorie du chaos étonne. Pour un profane – dont l’humble auteur de fiction –, elle peut se résumer ainsi : le battement d’ailes d’un papillon en Amazonie peut provoquer un typhon dans le Pacifique Sud. Les petites causes, par accumulation insoupçonnée, engendrent de gigantesques effets. Il en est de même des comportements humains. Les insignifiances amoncelées, lorsque la subjectivité humaine s’en mêle et catalyse, accouchent de ces tragédies qui ornent la première page de nos tabloïdes.

Ce cousin éloigné, honni et délaissé de tous, à qui je viens de faire visite dans cette institution carcérale qui l’héberge gracieusement, en est la preuve vivante.

Idoland.

— Pas un nom, ça ! avait déclaré Bulle, sa future épouse, lorsqu’on les a présentés. C’est un programme.

— Un programme de quoi ?

— Un programme de haute chevalerie. Il y a du Moyen Âge et du donquichottisme là-dedans.

Elle avait des lettres…

 Ils ne se sont jamais quittés. Depuis dix-huit ans, quatre mois et vingt et un jours. (Il vient de me le préciser.) Pas de quoi se retrouver dans le Livre des records Guinness, mais pas loin.

Idoland est fidèle. En amour, en amitié et en politique – ce qui est tout un exploit. Le trahissait-on que son imparable naïveté le bardait contre l’atroce réalité des rapports humains, qui rend nos contemporains si cyniques.

Était fidèle, devrais-je plutôt écrire maintenant. Car un matin il y eut ce déclic. Cette blessure secrète, infime, dans la peau tendre d’un fruit, par où s’infiltrera le mal qui pourrira la pulpe fraîche et la rendra blette.

Idoland aimait tout le monde. Mais l’amitié dépend, elle aussi, des proximités géographiques et des compatibilités d’humeur – on ne saurait être le meilleur ami de six milliards d’hommes et de femmes. Ludo était donc la focalisation personnelle des affinités électives – Goethe, à moi ! – d’Idoland. Marmots, ils avaient joué dans le même carré de sable. Puis ce fut l’école primaire, secondaire, le cégep et l’université, où ils s’inscrivirent sans concertation dans la même faculté, pour revenir ensuite dans ce quartier qui les avait vus grandir et y enseigner dans la même institution collégiale : leurs bureaux étaient contigus. Idoland avait servi de témoin lors du mariage de Ludo avec Brigitte, et vice-versa. Bulle et Brigitte ne se portaient pas cette affection réciproque, mais elles se toléraient et se respectaient. Un samedi, les couples mangeaient chez les uns, le samedi suivant chez les autres. En juillet, les deux ménages – puis, avec le temps, les deux familles – s’entassaient dans un campeur et prenaient la route des États-Unis ou de la Gaspésie. Une harmonie idyllique, tissée dans l’ordre des choses par le temps. Indestructible. Jusqu’à ce matin maudit.

Duplessis disait du très honorable Louis Saint-Laurent qu’il était insignifiant. Il avait tort. Ce premier ministre canadien était retors, dangereux même. L’épithète « insignifiant » ne convenait pas à ce requin de grandes eaux. Mais cette épithète désigne bien certains jours où rien d’important ne saurait survenir. Un mardi, par exemple — jusqu’au 11 septembre 2001… On a le Blue Monday, le Black Friday ; le rock and roll du samedi soir ; le jeudi, c’est le jour de la paye ; le mercredi, le pivot de la semaine ; le dimanche, ce jour où les enfants s’ennuient… Mais quel poète a chanté le mardi ?   Quel dicton populaire l’a déjà immortalisé et figé dans le temps ? Aucun. Irrémédiablement, le mardi semble voué à l’insignifiance. Pour l’éternité.   Surtout si c’est un mardi de novembre, cette demi-saison où il n’y a pas encore de neige, où les jours sont implacablement brefs, où la lumière nous fuit, nous abandonne à cette grisaille tristounette qui nous accompagnera jusqu’en avril.

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonieC’est dans un tel décor que Ludo s’est arrêté pour serrer la main de son ami, comme il le faisait chaque matin. Rien de plus coutumier. Mais, dans sa geôle, Idoland se demande encore pourquoi, ce matin-là, il a ressenti comme une crispation – pas un dégoût, mais s’en approchant peut-être – lorsque son ami est passé le saluer… Ludo a comme retenu sa poignée de main, lui a-t-il semblé ; elle était moins franche, plus sudatoire… Peut-être venait-il de passer aux toilettes ?

À la pause-café, Idoland attendait Ludo à cette table où ils avaient l’habitude de bavarder. Mais Ludo demeurait près de la porte de la cafétéria, y soutenant une conversation animée avec le délégué syndical. Idoland avait eu des ennuis en classe récemment : la fille d’un des membres du Conseil d’administration avait obtenu une note plutôt faible et, devant le groupe, elle avait contesté avec impertinence les barèmes de correction. Idoland lui avait demandé de sortir. L’étudiante avait claqué la porte. Le prof avait déposé une plainte chez le conseiller pédagogique. Le soir même, le père téléphonait. Plutôt insidieuse la conversation… Idoland n’avait rien à craindre : son dossier était sans taches. Mais, tout de même, ce membre du CA appuyait régulièrement la partie syndicale lors de revendications stratégiques… Le syndicat, c’est de la politique ; et la politique, ce sont des jeux de pouvoir.

De retour à son bureau, il s’était mis à rire. Douter de Ludo ! Décidément, novembre ne lui réussissait pas : le blues du Nord.

À 16 h, il s’est arrêté au bureau de Ludo. Son ami était au téléphone, et en apercevant Idoland dans la porte, il avait rougi, bafouillé et prétexté une urgence pour raccrocher. Puis il a regardé Idoland comme s’il était incongru que son ami vienne lui dire à demain, comme il le faisait chaque jour ouvrable depuis vingt ans. Sur sa table de travail, une enveloppe jaune clair et une feuille de papier bleue ; on y avait griffonné. Ludo les a prestement fourrées dans un tiroir.

À la maison, Bulle préparait le dîner. Le premier arrivé cuisinait : c’était la règle. Idoland avait embrassé les enfants, puis il lui a demandé : — Ludo, il m’a l’air de filer tout croche. Tu ne trouves pas ? Bulle a sursauté, rougi, ce qui ne correspondait pas à son flegme habituel.   — Samedi dernier, je n’ai rien remarqué d’anormal, a-t-elle repris avec précipitation.

Décidément, rien ne ressemblait plus à rien…

Il s’est installé sur la moquette pour regarder les Télétobbies. Même les enfants n’arrivaient pas à le distraire. Les comportements de Ludo – et de Bulle, maintenant ! –, après l’avoir intrigué, l’inquiétaient.

Le deuxième mardi du mois, Ludo se rendait chez son chiro. Idoland s’est enfermé au sous-sol et il a téléphoné à Brigitte. — Ludo m’a l’air un peu bizarre. Il ne serait pas malade ou quelque chose ? Brigitte a soupiré : — Si seulement je pouvais parler… Tu le sauras bien assez tôt. Sois patient, dans pas grand temps tu vas tout savoir.

Brigitte faisait des mystères. Jusqu’à ce téléphone, il espérait fabuler. Mais sa suspicion était fondée. Brigitte n’avait rien nié. Mais de quoi s’agissait-il ? Si Ludo avait été malade, elle le lui aurait dit, en toute simplicité : ils étaient si proches, si intimes.

Le dîner passait mal. Des cauchemars et de longs réveils ont entrecoupé sa nuit. Au matin sombre d’automne, il était plus fourbu qu’au coucher.

Sous la douche glaciale, il a entendu le timbre de la porte avant. Qui pouvait venir si tôt ? Il se frictionnait lorsqu’il a entendu Bulle revenir dans la chambre et le grincement caractéristique du deuxième tiroir de la commode.

— C’était qui ?

— Rien d’important. Le facteur. (Et elle s’est gratté le nez, comme Clinton devant la commission d’enquête dans l’affaire Lewinsky !)

À cette heure ! L’été, il passe tôt pour éviter les touffeurs du jour, mais en novembre ?

Il allait sortir une chemise du premier tiroir. Sa main est descendue vers le deuxième. Il l’a tiré. Entre les bustiers et les petites culottes, une enveloppe jaune, non cachetée. Idoland l’a entrouverte pour y découvrir un papier bleu. Il n’a pas eu le temps de le déplier : Bulle entrait.

Dans l’embouteillage de 8 h 30, derrière les essuie-glaces qui balayaient une giboulée innommable, il essayaitchat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie de démêler cette pelote : peu importe la ficelle qu’il tirait, il ne découvrait pas l’ombre du début d’une solution.   Pourquoi, diable, Ludo livrerait-il des messages secrets à Bulle au lever du jour ?

La vue familière du parking et des murs en pierre de taille le réconforta. Pas pour longtemps. Ludo et le directeur pédagogique discutaient ferme dans le hall. Ils l’aperçurent et s’interrompirent aussitôt, sourires gênés aux lèvres.

Ça en était trop. Une soudaine envie d’uriner l’a propulsé vers les toilettes.

Idoland se rendait à son bureau. Ludo l’a hélé.

— Je me suis acheté une 30-30. Ça fait des années que j’en rêve. Avec levier, comme dans les westerns…

Ludo ne chassait pas, mais il avait toujours aimé les armes. Sa bibliothèque regorgeait de magazines américains.

— Si on allait l’essayer samedi prochain ? Sur la terre à bois de mon frère, il y a une carrière de gravier. Parfait pour tirer. Ça serait l’occasion d’aller faire un tour à Saint-Euxème.

— Tu sais, moi, les fusils, les carabines…

— Au fond, je peux te l’avouer, c’est surtout pour mon père que je tiens à y aller. Sa santé va pas fort.

— Si c’est pour ton père, c’est autre chose. Je l’aime bien. Va falloir revenir pour le souper, c’est à notre tour de vous recevoir.

Pendant ce court échange, Idoland a noté la présence d’un livre de la Collection 10-18 sur la mallette de Ludo.

— Le Prince ! Tu t’es remis à Machiavel ?

— Il me rappelle nos années d’université. Les symbolistes, ils commencent à me faire chier. Je les ai trop enseignés peut-être. Sa lucidité brutale me repose des envolées éthiques et fleuries de nos politiciens.

­— Les symbolistes, ça fait vingt ans, moi aussi, que je les enseigne. J’aurai quarante-six ans bientôt…

— C’est ton anniversaire samedi, si je me souviens bien.

— Ouais.

Mon enfant, ma sœur,

Songe à la douceur

D’aller là-bas vivre ensemble !

Aimer à loisir,

Aimer et mourir

Au pays qui te ressemble !

Les soleils mouillés

De ces ciels brouillés…

 

Pour la quarantième fois, Idoland reprenait l’analyse de L’invitation au voyage, lorsque la réalité – sa réalité – l’a rattrapé.   Une charge de briques mésopotamiennes sur le crâne. Il ne pouvait continuer son cours.

« Exercice, a-t-il lancé à ses étudiants. Trouvez-moi les allitérations dans ce poème de Baudelaire. »

Et il s’est assis – ce qu’il ne faisait jamais en classe.

Tout devenait limpide : la nouvelle façon qu’a Ludo de regarder Bulle ; les messages au petit matin ; ses conciliabules avec des membres de la direction et du syndicat ; les inquiétudes de Brigitte sur lesquelles il serait bientôt éclairé ; Machiavel, la nouvelle arme… Cette carrière de gravier est à plusieurs kilomètres de toute civilisation. L’endroit idéal pour un meurtre crapuleux, un accident de chasse suspect ou, plus subtil encore, un suicide ! Eh oui ! De là les insinuations calomnieuses auprès du syndicat et de la direction pédagogique : Idoland ne pouvait supporter ses échecs professionnels et matrimoniaux. Malgré les supplications de son ami, il serait soudain devenu dément et aurait retourné l’arme contre lui ! Bulle et Ludo pourraient filer le parfait bonheur.

Sous une neige folâtre, Idoland attendait dans le parking. Ludo s’avançait, sourire aux lèvres :

— On va prendre un pot avant de rentrer ?

— Faux-cul ! a répliqué Idoland.

Et il l’a frappé en plein visage.

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonieMalheureusement, la nuque de Ludo a heurté le rebord du trottoir.

  Au procès pour meurtre, le directeur pédagogique, le délégué syndical, Brigitte et Bulle ont témoigné. Le 2 décembre, c’était l’anniversaire de naissance d’Idoland. C’était aussi sa vingtième année d’enseignement. On avait eu l’heureuse idée de combiner le tout en une cérémonie mi-officielle, mi-amicale à la résidence de Ludo. Connaissant le caractère introverti, casanier – pour ne pas écrire renfrogné – d’Idoland, on ne voulait pas commettre d’impairs : de là, les nombreux conciliabules et les nombreuses révisions de la liste d’invités par les témoins susmentionnés. Aucune maladresse ne devait troubler la sérénité de cette fête de l’amitié…

L’auteur…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophoniedu Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet).  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Chronique d’un été, par Alain Gagnon…

24 mai 2017

Rapaces et joie d’exister…

Vous remontez le Saguenay à contre-courant.  Au cap à l’Est, à l’entrée de la baie des Ha !  Ha !, vous ne suivez pas le bras qui vous mènerait vers Chicoutimi, mais vous la pénétrez, obliquez vers la gauche et longez ces à-pics à vous couper le souffle qui forment la rive nord de ce plan d’eau où, le 11 juin 1838, allaient débarquer les vingt-et-un fondateurs mythiques de cette région.

Ce qui surprend, de prime abord, c’est la verticalité constante de ces épinettes qui croissent sur des pentes abruptes, dont l’inclinaison atteint parfois les 90 degrés et plus.  Le contraste entre ces masses minérales et ces végétaux nerveux, chétifs, qui s’en extirpent pour se hisser vers la lumière ébahit et enseigne : la vie possède une énergie que ni le temps ni la matière ne sauraient contrer…

Au pied de ces écores rocheuses, des goélands argentés et des goélands à bec cerclé barbotent consciencieusement à la surface des eaux noires, entre de courtes vaguelettes qui flaquent contre la pierre.  Sous leurs pattes palmées, rameuses infatigables, des profondeurs hallucinantes où l’on imagine sans peine ces pacifiques requins du Groenland, ces crevettes lumineuses et autres monstres des abîmes, dont la vie a doté à profusion même les milieux les plus hostiles.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecPuis, un peu avant d’atteindre le cap Rasmussen, sur les parois duquel on trouve une plaque qui rappelle la présence scandinave au Saguenay, notre guide répète : « Ils sont là !  Ils sont là ! »  Et il pointe le ciel.  Des faucons pèlerins ?  Je les croyais en voie de disparition, donc rares.  Je ne suis pas ornithologue et je n’avais pas mes jumelles ; on m’aurait dit : « Ce sont des éperviers ou des busards » que je n’aurais pas discuté.  Mais il s’agissait d’oiseaux de proie et ils étaient magnifiques à observer.  Dans le soleil de midi, ils évoluaient à quelques mètres au-dessus des caps, puis effectuaient des plongées vertigineuses jusqu’à frôler les schistes de leurs ailes ; ils se pourchassaient, se faisaient des mines ; bref, ils jouaient…  Avec la bonhomie infantile d’oursons qui auraient pu voler.  Nous étions une trentaine sur le bateau, étrangers les uns aux autres.  Mais ces oiseaux et leur ballet aérien nous rapprochaient, créaient des liens.  « Je viens d’en voir un troisième », disait une dame.  « Y en a un quatrième, un cinquième… » criait un homme, surexcité.  « Le cinquième, c’est un goéland, le zouf ! », commentait son compagnon.  Tous les yeux étaient fixés sur ces formes aériennes qui dessinaient des arabesques pour le seul plaisir de sentir le vent siffler entre leurs plumes, incarnant la grâce, la beauté et la liberté.

Peu avant de rentrer au port, sur une caye, des cormorans à aigrettes, en rangée, étendaient leurs ailes alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecpour les sécher dans le suroît.  Des commentaires peu flatteurs fusaient sur cette corneille maritime au bec orangé.  Et injustes, probablement.  Peut-être sont-ils plus utiles à l’équilibre naturel que les rapaces de tout à l’heure ?  Mais leur vol fait certes moins rêver, donne moins la nostalgie d’un ailleurs…

L’AUTEUR…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecdu Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet).  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).

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Grenouilles et roi, par Alain Gagnon…

23 mai 2017

(Le Chat a butiné, ici et là, et a amassé des fragments de tout genre qui consolent, éclairent le quotidien ou incitent à la réflexion.  En nos temps qui réclament pour les États plus de pouvoir, cette fable lui est apparue opportune.)

Les Grenouilles qui demandent un roi

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De l’état démocratique, 
Par leurs clameurs firent tant 
Que Jupin (1) les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique: 
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse, 
Gent fort sotte et fort peureuse, 
S’alla cacher sous les eaux, 
Dans les joncs, les roseaux, 
Dans les trous du marécage, 
Sans oser de longtemps regarder au visage 
Celui qu’elles croyaient être un géant nouveau. 
Or c’était un soliveau, 
De qui la gravité fit peur à la première 
Qui, de le voir s’aventurant, 
Osa bien quitter sa tanière. 
Elle approcha, mais en tremblant; 
Une autre la suivit, une autre en fit autant: 
Il en vint une fourmilière; 
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu’à sauter sur l’épaule du roi.
Le bon sire le souffre et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue:
«Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue.» 
Le monarque des dieux leur envoie une grue,
Qui les croque, qui les tue, 
Qui les gobe à son plaisir; 
Et grenouilles de se plaindre. 
Et Jupin de leur dire:« Eh quoi? votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre? 
Vous avez dû premièrement
Garder votre gouvernement;
Mais, ne l’ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier roi fut débonnaire et doux
De celui-ci contentez-vous, 
De peur d’en rencontrer un pire.»

1. Jupiter.

Jean de La Fontaine, Fables


Les mots inutiles, un texte de Hélène Bard…

22 mai 2017

Les mots inutiles —

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Tirée du site L’écrivante

Ils ont toujours été choisis avec soin. Ils ont fini par être placés de façon syntaxiquement correcte, respectant un ordre grevissien et virgulien. Pesés. Circonscrits. Leur poids, leur influence, leur force ont été évalués et étudiés. Les doigts derrière le clavier les ont tapés avec lenteur, laissant à l’esprit qui les agence la possibilité de formuler autrement, de dire autre chose.

Ces mots, ils sont pourtant inutiles. Qu’ils soient prononcés dans le silence de ma tête, dans le brouhaha de ma vie familiale, qu’ils soient jetés au visage de ceux qui m’accablent, ils restent inutiles. Ils s’envolent, ils frappent, ils atteignent leur cible, mais ils n’ont jamais l’effet souhaité.

Tous les cahiers dans lesquels j’ai écrit ont porté ce titre : Les mots inutiles. Ce sont d’inutiles discours. C’est à peine s’ils arrivent à panser les plaies qu’ils ouvrent.

Si j’écris, c’est pour toucher ce lecteur idéal qui m’habite, un être qui se trouve de l’autre côté du moi qui écrit. Celui-là comprend. Celui-là sait. Il n’a pas de nom. Il n’a pas de genre ni de forme. C’est l’ami imaginaire de l’enfance qui m’a suivie. Un personnage d’histoire jamais racontée. Ce blogue, je le destine à ce lui désiré, à ce lui qui comprend. À ce lui qui trouvera quelque chose de salutaire à ces mots. Je me propose de traduire un chaos d’idées inclassables, de structurer ce qui fuit, d’organiser l’introuvable. Écrire, c’est limiter par les mots la beauté et la laideur du monde. Et c’est souvent l’amplifier en faisant des choix judicieux.

Je suis là, derrière QWERTY, depuis déjà trop d’années, à mouler mon corps à cette ergonomie nécessaire au mariage de mon âme au logiciel. Et j’attends. J’attends quelque chose qui ne vient pas. Qui n’est pas venu. Tous ces mots, je les ai considérés. Je les ai entrechoqués dans ma tête avant de les perdre en compléments ajoutés et en verbes accordés. Sans résultats. C’est comme dormir. Ça ne suffit jamais. Il faut sans cesse recommencer. S’endormir, ne pas dormir, se réveiller, se lever, déjà. C’est incessamment insuffisant. Insatisfaisant. C’est un cycle sans fin de vaines tentatives, qui conduisent inévitablement au deuil de soi et à la mort.

Voilà les mots inutiles. Des signifiants imprécis, reçus différemment par chacun. L’un dans la noirceur de sa maison endormie. L’autre dans le tumulte d’une ville qui m’est inconnue. Mais ce sont les mots qui importent, malgré leur inconstance. Parce qu’ils sont éternels. Alors que moi, je n’existe plus. Pas plus que ce lui dont je rêve. Cette idole qui embrasse ma connaissance, mes émotions, mon corps, pour me faire jouir mieux que mes propres doigts.

Et je continue d’attendre ce qui ne viendra jamais. C’est toute ma vie qui aura été inutile. Une vie de mots et de dictionnaires. Une vie de solitaire au corps démembré, dont les jambes en fuite ont atteint l’orée du bois, dont le bassin se cambre sur un lit pour que ce lui remplisse le vide, et dont les doigts s’activent sur le clavier. Toute une vie à attendre, à laisser des traces, à chercher ce lui qui me lira.

Notice biographique

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecHélène Bard est née en 1975 à Baie-Saint-Paul, dans Charlevoix. Elle détient un baccalauréat en littérature française et une maîtrise en création littéraire de l’Université Laval. Elle a publié La portée du printemps, Les mécomptes et Hystéro.
Passionnée des chiens depuis toujours, elle écrit également des chroniques qui traitent de la conciliation meute-famille dans la revue Pattes libres, diffusée sur le Web.
Hélène Bard est aussi maman de deux jeunes garçons, en plus d’être réviseure linguistique et stylistique, et d’enseigner la création littéraire.
Vous pouvez la suivre sur son site personnel.

(Tiré du Huffington Post.)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Chronique d’un été, par Alain Gagnon…

15 mai 2017

Trilles et clintonies boréales…

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Trille penché

 Pour pénétrer dans le parc de Rivière-du-Moulin, vous passez sur un ponceau, franchissez une barrière, grimpez une côte, traversez une clairière où piaillent des chardonnerets, puis vous obliquerez à droite sur le chemin principal.  Vous longerez alors des rocs escarpés.  Sur leurs parois ocre, abondent les mousses, les fougères, les bleuetiers et les thés du Labrador aux feuilles violettes.  Sur votre gauche, en contrebas, une baissière où, dans le suroît, des roseaux s’agitent – royaume des batraciens, des couleuvres vertes et des insectes piqueurs.

Vous descendrez une pente douce qui, entre des épinettes où trépignent et sifflent les écureuils, vous mènera jusqu’à une baie sablonneuse.  Vous poursuivrez, toujours à droite, et vous vous retrouverez sur le sentier graveleux du Porc-Épic, ainsi baptisé officieusement par moi, qui longe les eaux calmes à cet endroit de la rivière Langevin.  Sous la voûte des conifères et des faux-trembles, ce sentier vous conduira doucement vers mes fleurs-amies de mai : le trille penché et la clintonie boréale.  Toutes deux affectionnent les mêmes habitats : sous-bois humides, acides et ombragés.  Mais là s’arrêtent leurs similarités.

De la famille des liliacées, le trille ne se laisse pas facilement découvrir.  Vous devrez faire un effort.  Il n’existe pas pour le promeneur distrait.  À une trentaine de centimètres du sol, tige inclinée, timide, il cache une unique fleur à trois pétales blancs ou rose pâle sous trois feuilles vaguement triangulaires, larges, luisantes et grasses.  Solitaire, il laisse une certaine distance entre ses voisins de la même espèce et lui.  Si vous l’arrachez, une odeur fétide s’en dégagera – ce qui aide probablement à sa survie…

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Clintonia borealis

Les clintonies boréales présentent de toutes autres caractéristiques.  Vous ne pouvez les manquer, à moins de déambuler nez dans les nuages – et encore !  Même là, vous risquez de les découvrir lorsque vous buterez sur une racine ou une pierre.  Vous vous retrouverez alors au milieu d’un parterre de courtes feuilles basales, larges et brillantes, au-dessus desquelles s’élèvent deux ou trois fleurs, clochettes jaune vert, qui, en juillet, donneront deux ou trois baies bleu foncé, perchées au haut d’un pédoncule et assez similaires à un bleuet.  Contrairement aux trilles, les clintonies sont grégaires et forment des tapis vert et jaune très denses sur l’humus des sous-bois.  Jadis, les trappeurs frottaient leurs pièges de leurs racines ; leur odeur a la réputation d’attirer les ours.

Chaque année, ces deux amies confirment l’arrivée du  printemps et m’entretiennent de l’été à venir.  Elles devraient également intéresser ces gamins et gamines de tous âges pour qui j’écris ces chroniques.

L’AUTEUR…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon duchat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet).  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).


Tout doit être vendu : Signe des temps, par Jean-Pierre Vidal…

13 mai 2017

Tout doit être vendualain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec 

L’Irlandais James Joyce s’en prenait, comme il est normal dans son cas, à l’Angleterre de son temps en disant d’un ton indubitable de mépris qu’un Anglais ne trouvait rien de mieux à dire pour vanter ses accomplissements que « I paid my way », j’ai « payé » pour en arriver là. De nos jours, un Américain formulerait ça autrement, et nous l’imiterions tous, puisque c’est là que nous en sommes : « I sold my way », j’ai « vendu » pour en arriver là. Dans les deux cas, l’acception est également métaphorique. Payer, c’est souffrir, trimer; entreprendre et vendre, c’est… la métaphore universelle du XXIe siècle.

Car la frénésie de vente y est si répandue que plusieurs vendraient leur mère, d’abord en gros, puis au détail, et que tous vendent de tout, à commencer par eux-mêmes et en allant jusqu’à leurs idées, quand ils en ont encore.

La communication sous pression

L’impératif de se vendre à qui nul désormais n’échappe, de Facebook au marché du travail, est, en fait le revers d’une médaille dont l’avers est la communication, une communication devenue virale, incessante et obligatoire. Et surtout à sens unique, car cette pseudo-communication ne s’embarrasse ni de questions ni de dialogue : l’autre n’y est qu’un figurant qu’il s’agit de prendre à témoin, comme on prend en otage, un horizon qu’il s’agit de saturer, comme on occupe tout le terrain.

Aussi ne s’agit-il pas vraiment de communiquer, avec la part d’aléatoire et d’ambigüité que cela implique, mais plutôt de convaincre, de persuader, de circonvenir, voire d’assommer. Comme le fait la pub quand elle abandonne la simple séduction pour matraquer, bombarder, abrutir et procéder ainsi plutôt au viol des consciences.

Notre mode de pensée collective est publicitaire, point à la ligne. Et il repose sur le plus imparable des cynismes : le pragmatisme. Le monde est ce qu’il est, on ne le changera pas et il faut se comporter en conséquence : la fin justifie tous les moyens, des plus ignobles aux plus raffinés. On appelle ça du cynisme, du moins quand on utilise le terme à bon escient.

Mais la question qui, dès lors, se pose pourrait se dire sous forme d’un jeu de mots en apparence innocent : à quelles fins la fin ? Dans quel but ultime le but ? Pour quoi faire la rentabilité ? Le déficit zéro ? C’est, il va de soi, une question apocalyptique, si l’apocalypse est bien, comme le dit son sens originel grec, le discours des fins dernières plus encore que celui de la fin de tout, à quoi on le réduit trop souvent.

En ces temps de « rentabilisme » — le néologisme s’impose — plus encore que de rentabilité, il faut reposer cette question haut et fort à quiconque nous assomme de cet impératif encore plus catégorique que celui de Kant.

La rentabilité, pour quoi faire ?

Et d’abord, qu’est-ce qui est rentable, mais rentable vraiment ? Ou pour dire cela autrement, qui peut bien dire qu’il est vraiment un self-made-man, qu’il s’est élevé à partir de rien ? Ou que l’entreprise qui l’a rendu milliardaire n’a jamais, dans ses débuts modestes, bénéficié de quelque aide publique, fût-elle infime, avant de recevoir tout au long de sa croissance suffisamment de subventions, de dégrèvements d’impôts, de primes et de prébendes de toute sorte pour pouvoir permettre au patron, à un moment ou à un autre, de partir avec la caisse, comme cela se voit tous les jours ? Quelle compagnie prétendument créatrice de richesses et vendeuse d’emplois (car oui, désormais, tous les pays achètent des emplois aux multinationales, et parfois au prix fort) n’a pas amplement profité des innombrables infrastructures et de la formation de sa main-d’œuvre pendant au moins dix ans, si elle ne dépasse pas le niveau d’ouvrier qualifié, et pendant près de vingt, si elle sort de l’université. Car, le recteur Breton de l’Université de Montréal se trompe, ce n’est pas le rôle spécifique de l’université que de « former des cerveaux pour l’industrie », c’est, d’une certaine façon, le rôle du système d’éducation tout entier, de la prématernelle au doctorat éventuellement. Tout état digne de ce nom offre gracieusement tout cela à toute industrie, à tout commerce, à tout employeur. Mais tout état digne de ce nom prétend aussi ne pas faire que former des travailleurs ou des employés en éduquant sa population. Tout état digne de ce nom devrait donc rester de marbre devant le rentabilisme conquérant. Inutile de souligner que les états dignes de ce nom sont de plus en plus rares sur cette malheureuse planète.

L’être humain est-il rentable ? Je suis profondément convaincu que non, si l’on évalue la rentabilité en termes strictement économiques ou, pire encore, comptables. Car cela reviendrait à dire que les enfants sont rentables pour leurs parents, ce qui serait une absurdité, même pour les pays peu développés où les enfants contribuent eux aussi et très tôt à la survie de leur famille.

L’homme des cavernes s’est-il posé la question de savoir s’il était sage, prévoyant, bref, rentable, de sortir de son antre et d’affronter mammouth, ours et tigre géant ? Si une telle interrogation ne lui avait ne serait-ce qu’effleuré l’esprit, nous en serions encore à nous serrer tous ensemble les uns contre les autres, accroupis autour du feu de camp, si du moins l’invention du feu avait eu lieu sans déficit. Et le recteur Breton rongerait un os d’auroch au fond d’un antre obscur.

Et la culture, bordel ?

Il n’y a rien de plus humain que la culture. C’est elle qui, prise dans son sens aussi bien anthropologique qu’élitiste ou de « croissance personnelle », conditionne la vie de tous les peuples et de toutes les nations.

Se poser la question de la rentabilité de la culture est tout simplement risible. C’est comme si nous adorions Attila ou Daesh. Comme si nous pensions, enfants de 1984, que la mort, c’est la vie, que l’éradication, c’est l’essaimage, que détruire, c’est construire.

Rien n’est plus stupide que l’expression « industrie culturelle » : absolument tautologique, elle revient à dire que vivre, c’est respirer ou même, pire encore, que faire, c’est faire.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecC’est pourtant — « pire qu’un crime, une faute », comme disait Fouché qui s’y connaissait dans les deux — la chose inqualifiable qu’a osé commettre le premier ministre japonais, Shinzo Abe, qui vient de réussir à convaincre par lettre toutes les universités de son pays, sauf deux, que les sciences humaines au grand complet étaient « inutiles ». En entendant parler de culture, il avait sorti sa calculette, comme l’autre son révolver. Faut-il préciser que monsieur Abe est l’honorable descendant d’une des plus riches et honorables familles du Japon, une famille d’honorables brasseurs de soja, de bière et d’affaires ? Il ne craint pas de se poser en honorable béotien cynique.

À l’heure où les arts, les lettres, la culture, du moins celle qui ne peut pas être dite « populaire », c’est-à-dire qui ne peut pas, elle, être qualifiée d’« industrie », sont menacés partout sur la planète, il importe de se rappeler, comme en écho rectificateur à Joyce, l’une des plus fortes formules de ce grand Britannique, Winston Churchill, qui n’en fut certes pas avare. La scène est à Londres, sous les bombardements allemands. Tous ses ministres assiègent le vieux lion pour qu’il coupe les subventions à tout ce qui est culturel, sous prétexte, ô combien respectable en apparence, qu’il devrait y avoir d’autres priorités en de telles circonstances. Il répond avec une superbe tout anglaise : « then, what are we fighting for? » Alors, pourquoi combattons-nous ? À quelles fins, cette résistance ? Dans quel but cet effort manifestement, expressément, irrémédiablement non rentable ?

L’obsession du déficit zéro et de la rentabilité à tout prix, à quelque sphère de la société qu’elle s’applique, faitalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec inévitablement surgir la question des fins ultimes. Pourquoi tout cela ? La valeur au sens comptable est-elle la seule qui nous reste ? Et si oui, n’est-ce pas la fin de l’humanité ? L’apocalypse, comme si vous étiez ?

Le problème est encore, finalement, économique. Car nous ne sommes plus du tout sûrs de pouvoir encore opposer une autre valeur à la perspective myope et au discours muet de la rentabilité.

Cette autre valeur susceptible de faire barrage à l’autre, il est fort probable que nous n’en avons plus en stock. Et que la fabrication de toute valeur non marchande, quelle qu’elle soit, a été discontinuée.

Vérifiez donc, pour voir.

Jean-Pierre Vidal
in Signe des temps, Le Chat qui Louche, janvier 2016

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, québec, littératurequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


L’autre en lui, une nouvelle de Dany Tremblay…

12 mai 2017

L’autre en lui

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 Il se tient sur le trottoir. En retrait du lampadaire. Contre la bâtisse de briques. Comme s’il faisait corps avec elle. Il regarde les gens qui entrent dans le bar de l’autre côté de la rue. Ils sont nombreux à s’y engouffrer. D’où il se trouve, il entend les blagues du portier. Tantôt, elles s’adresseront à lui. Depuis le temps, le portier et lui sont de vieux amis en quelque sorte. Pour l’instant, personne ne prend garde à lui. Le portier moins que les autres, trop occupé à ouvrir le passage aux dames, à blaguer avec les hommes. Il se veut de toute façon anonyme. Dissimulé dans l’ombre d’un porche. Lui-même ombre. Tassé sur lui. Col de veste relevé, cou dans les épaules, regard de chien battu. Il attend.

Il attend de la voir, elle. Après, seulement après qu’elle soit entrée dans le bar, il avalera la pilule rose, de forme ovale, qui laisse un goût de métal sur la langue. Il lui en reste huit. Huit pilules. C’est bien peu. Elles sont dans un contenant de plastique transparent qu’il promène avec lui en permanence. Elles coûtent une fortune, c’est un véritable casse-tête, son fournisseur lui refuse le crédit. Il est vendeur de souliers, gagne un salaire de crève-la-faim. Avant de l’avaler, il s’assure toujours d’avoir assez de salive dans la bouche. Ainsi, moins de risque qu’elle se coince dans la gorge. Ça lui est arrivé. Elle avait fini par passer, mais la sensation… Il n’avait pas aimé la sensation.

Chaque soir, terré contre la bâtisse de briques, il surveille son arrivée. C’est pour elle qu’il prend ces pilules roses. Sans pilule, elle le trouverait insipide, niais, plat, insignifiant, bon à rien. Elle ne se présente jamais seule au bar. Ils sont quelques-uns à l’escorter. À courir derrière. À faire des courbettes. Elle marche la tête haute, elle rit de ce qu’ils racontent. Ses cheveux sont platine. Elle porte des talons d’une hauteur vertigineuse. Impossible de ne pas la voir, de ne pas l’entendre venir.

Avant sa rencontre avec elle, il ne sortait que le samedi. Il avalait une pilule rose avant de quitter son appartement, histoire de s’éclater un peu, d’oublier les clientes grincheuses devant lesquelles il s’agenouillait la semaine entière. Un samedi soir, il l’a remarquée, elle. Elle était entourée de copains. Sans la quitter des yeux, il s’était approché. Elle avait soutenu son regard. Ils avaient dansé ensemble. Il avait effleuré sa main, sa hanche du bout des doigts. Avant qu’elle quitte la piste, il s’était penché à son oreille, lui avait murmuré qu’elle bougeait bien. L’effet de la pilule rose lui permettait toutes les audaces. À la fermeture, elle était repartie, escortée de sa ribambelle d’admirateurs. Avant de tourner le coin de la rue, elle lui avait envoyé la main. Il avait passé la semaine à rêver d’elle, à anticiper le samedi suivant. Il avait contacté son fournisseur de pilules roses. Hors de question d’en manquer, maintenant qu’il l’avait vue, elle.

Le samedi d’après, puis tous les autres, finalement chaque soir de la semaine, il y est retourné. Pour elle. Si drôle, si gentille, toujours prête pour la fête. Un soir, ils ont fait l’amour dans la salle de bains des femmes. Ils ont joui en silence, yeux dans les yeux. L’occasion se répétera, il en est sûr. La patience, il connaît.

Il est un habitué, maintenant. Le portier l’appelle par son prénom, lui conte des blagues, des salées même. Chaque soir, environ à la même heure, il avale sa première pilule rose. Grâce à elles, il est libre, totalement, sans complexes, débarrassé de son bégaiement qui amusait les filles à la petite école.

Chaque soir, il se place en retrait de ce lampadaire, dans l’ombre de ce porche. Lorsqu’elle surgit au coin de la rue, il sort chat qui louche maykan alain gagnon francophonie le contenant de plastique de sa poche. Il est tiède, parfois moite, faute de l’avoir tenu au creux de sa paume. Alors qu’elle marche vers le portier, il l’ouvre, fait glisser une capsule dans sa main, veille à ne pas en échapper. Il se retient d’avaler sa salive, l’accumule contre les dents d’en avant. Lorsqu’elle disparait à l’intérieur du bar, il la porte à sa bouche, l’avale d’un coup sec. Il ferme les yeux, chaque fois. Il enfouit le menton dans son veston, chaque fois. Lorsqu’il les rouvre, il est quelqu’un d’autre. C’est cet autre qui regarde en direction du bar, qui rabat le col de sa veste d’un geste assuré, qui dénoue le premier bouton, entreprend de traverser la rue, sourire aux lèvres, épaules dégagées. Sur le trottoir d’en face, le portier l’aperçoit, lui envoie la main. Lui répond à son salut, libre de toutes contraintes, en homme heureux, bien dans sa peau.

À son tour, il entre dans la place. Elle est au bar. Avec ses cheveux oxygénés, elle se démarque. Il l’admire de loin, remercie l’inventeur de la pilule rose, son laissez-passer pour le bonheur. De la main, il tâte le flacon transparent dans sa poche, puis marche vers elle.

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieDany Tremblay a vécu son adolescence et  le début de sa vie d’adulte à Chicoutimi. Après un long séjour dans la région de Montréal, où elle a obtenu une maîtrise en Création littéraire à l’UQAM, elle s’est de nouveau installée au Saguenay où elle partage son temps entre l’écriture et l’enseignement de la littérature au Collège de Chicoutimi. Au début des années 80, elle s’est mérité le troisième prix de la Plume Saguenéenne en poésie ; en 1994, elle est des dix finalistes du concours Nouvelles Fraîches de l’UQAM. Organisatrice de Voies d’Échanges, qui a accueilli, deux années de suite, une vingtaine d’écrivains à Saguenay, elle est aussi, à deux reprises, boursière du CALQ. Elle s’est impliquée dans l’APES-CN dont elle a été présidente de 2006 à 2008. Depuis presque dix ans, elle pratique l’écriture publique avec les Donneurs de Joliette, fait partie des lecteurs pour le Prix Damase-Potvin et celui des Cinq Continents.

À ce jour, elle a publié des nouvelles dans plusieurs revues au Québec, a coécrit avec Michel Dufour Allégories : amour de soi amour de l’autre publié en 2006 chez JCL et Miroirs aux alouettes, roman-nouvelles, publié en 2008 chez les Équinoxes, ouvrage auquel a participé Martial Ouellet.  En 2009 et 2010, elle fera paraître successivement, aux Éditions de la Grenouille Bleue, deux recueils de nouvelles : Tous les chemins mènent à l’ombre (Prix récit : Salon du Livre du SLSJ en 2010) et Le musée des choses.  En mai de cette année, elle a publié aux éditions JCL un récit témoignage : Un sein en moins ! Et après…

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Propos sur l’oubli de soi… Jésus et la pyramide de Maslow…

5 mai 2017

Extraits de Propos sur l’oubli de soi… 

Dans l’évangile de Mathieu, on trouve cette parabole que je résume à ma façon, en ignare de l’exégèse.

Les pharisiens tendent un piège à Jésus. Sous prétexte de le consulter, ils tentent de le compromettre.  D’abord ils le flattent : « Nous savons que tu enseignes la vérité… » Puis le dard empoisonné : « D’après toi, est-il permis, oui ou non, de payer le tribut à César ? »

Ces malins croient l’avoir coincé.  S’il répond : « Il faut payer l’impôt à l’empereur des gentils », tous les zélotes juifs vont l’accuser d’être un collabo.  S’il répond : « Ne payez pas l’impôt », ce sont les Romains et leurs amis du lieu qui lui tombent dessus.  Jésus réplique : « Montrez-moi la monnaie qui sert à payer l’impôt. »  On lui présente un denier.  Alors il demande : « C’est l’image de qui et le nom de qui que nous apercevons sur cette pièce ? »  « César Auguste ! » reprennent-ils en chœur.  « Alors rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »  Fin politique, Jésus.  Jésuite avant l’heure.

Cette parabole a beaucoup servi.  Aux monarques pour s’assurer le paiement des impôts, à départager les responsabilités lors des discussions sur les pouvoirs respectifs de l’Église et de l’État…  Ce fut donc une parabole utile.

Hors la sphère institutionnelle, cette parabole possède aussi une portée, un sens pour chaque individu.   Chacun est aussi complexe, composite qu’une organisation sociale.  Nous sommes légion.  On retrouve en soi plusieurs mondes, plusieurs ordres de choses.  Si nous nous référons à la pyramide d’Abraham Maslow[1], des besoins hiérarchisés s’expriment à divers paliers de notre être.

À la base de la personne, nous retrouvons les besoins primaires (1 et 2) : la faim, la soif, le besoin d’abri contre les intempéries, le sexe…  Une fois qu’un

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Pyramide de Maslow

humain a comblé ses besoins de se nourrir, même avec gourmandise, il ne peut manger à l’infini.  Une fois qu’il possède trois résidences, sera-t-il plus à l’abri s’il possède cent châteaux ?  Sur le plan sexuel, les limites à la consommation sont notoires et font la fortune des pharmaceutiques et des Sex Shops.

Au deuxième palier, réclament les besoins sociaux (3 et 4).  Besoins d’être accepté par les autres, d’être reconnu comme personne distincte, et de se reconnaître comme apportant à sa communauté une contribution propre.  À ce stade, le qualitatif domine.  La satisfaction de ces besoins exige le développement d’aptitudes interrelationnelles, un apprentissage de soi et des autres, une reconnaissance de l’autre comme différent de soi.

Puis, on en arrive au faîte de la pyramide.  Le besoin d’autoréalisation (5).  L’auto-accomplissement par l’identification à une tâche ou  à une cause qui nous dépasse.  Ici, nous entrons dans un ordre purement qualitatif, celui du sens, des valeurs, des significations, des idéologies, de l’idéal, de l’esthétique, de la recherche du Beau, du Vrai, du Bien, de l’Absolu.  C’est à l’intérieur de ce territoire intérieur que l’humain avoisine l’élément divin qui l’habite et qui s’exprime par l’intuition supérieure, chère à Aurobindo.

La majorité des hommes et femmes se confinent aux besoins primaires et aux plus immédiats des besoins sociaux.  Et notre civilisation conspire à cela.  Les citoyens comme producteurs et consommateurs lui suffisent.  Les chevaliers de l’Absolu ou du qualitatif dérangent les machines, de là l’oubli institutionnel de ce qui fait que l’humain transcende de beaucoup le monde physique et social dans lequel il évolue.

Si nous revenons à la parabole plus haut citée, rendre à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu, consisterait pour chacun à prendre conscience des devoirs que chaque partie de son être ordonne, à n’en négliger aucun.


[1] Je fais ici une interprétation – pour ne pas écrire utilisation – très personnelle de la pensée de Maslow.


La magie des mots, par Francesca Tremblay…

24 avril 2017

Blessures de l’enfance

Je te déteste.chat qui louche maykan alain gagnon francophonie

Je veux faire sortir cette boule dans la gorge, mais je ne réussis pas.  Les hommes ne versent pas de larmes.  Elle grossit à mesure que je retiens mes sanglots.  Je me noierai si je continue et pourtant, je persiste à me la fermer.  Je m’en veux de ne pas réussir.  Je t’en veux de me retenir.

Je te déteste.

Toutes ces fois où tes silences ont fait saigner mes attentes.  Où tes mains ont volé vers mes joues si tendres.  Ces mains qui se resserraient sur mon poignet comme un étau.  Toutes ces fois, je m’en souviens parce que tu les écrivais sur les murs à coup de point final.  Tu écrasais mon ombre trop petite pour me défendre.

Les genoux meurtris par des prières silencieuses pour un Bon Dieu quelque part au-delà du plafond de ma chambre.  Au-delà des tuiles mille fois comptées.  Les camisoles blanches tachées de sueur.  Mes draps, souillés de peur.  Je me cachais sous le lit pour être protégé parmi les monstres.  Tu criais après le chien que j’étais et je cédais.  Ma saleté rebutait mes amis et leurs regards lourds de mépris me faisaient mal.  Ma différence, je la payais cher.  Les bancs d’école ont connu mes tremblements, mes soubresauts lorsque l’enseignant m’appelait et mes retards ont servi plus que de raison à faire de moi le cancre de la classe.  J’y ai cru longtemps.  Mais ce n’était rien.  Tout était moins mauvais que ce qui m’attendait, le reste du temps.  Je débarquais de l’autobus où j’avais peiné à me frayer un chemin à travers les jambettes et les surnoms.  Et j’empruntais le sentier de gravelle qui menait jusqu’à chez moi.  Je jetais un coup d’œil à cette vieille automobile rouillée dans le champ et je l’enviais.  Elle pouvait survivre dehors et pas moi.

Je me souviens encore des larmes versées en vain, des « Je t’aime » criés dans le noir de ma chambre.  Je voulais que tu meures.  Je voulais que tu m’aimes.  « Tu ne seras jamais un homme ! » que tu crachais entre tes dents avant de me frapper derrière la tête.  Un bruit sec sur mes cheveux en bataille.  J’enfouissais cette tête lourde dans mes épaules et je retenais mes gémissements.  Et jamais je ne le suis devenu, cet homme.  Je mouille encore mon lit quand je fais ces rêves qui me ramènent à la maison.  Je suis pris entre ces murs barbouillés par la pauvreté.  La fenêtre de ma chambre ne s’ouvre pas et je t’entends en sourdine railler au rez-de-chaussée.  Maman ne parle pas.  Elle n’a jamais pu dire quoi que ce soit.  Je sais que c’est le tonnerre qui gronde au loin, mais que la tempête approche.  Et là, j’entends tes hurlements poussés par l’alcool qui te grise.  Qui te dévore le foie.  Mon nom est un blasphème pour moi.  Je veux mourir !  Je ne peux même pas fuir.  Je n’ai nulle part où aller.  Ni refuge pour me réconforter.  Je vois ton ombre sous la porte et je me recroqueville dans un coin, les bras autour de mes genoux.  Je tremble comme une feuille.  Je suis foutu.  Tu vas me foutre une sale raclée.  La porte s’ouvre toute seule parce qu’elle n’a jamais eu de poignée et ta silhouette noire se découpe dans la lumière du couloir.

Arrête !  Ne fais pas ça.  Je t’aime, papa !

Et je me réveille couvert de sueur.  De l’air !

Je ne serai jamais assez fort pour me battre contre ce souvenir de toi.  Je crie dans l’oreiller pour étouffer ma peine.  Je suffoque presque.  Ce sanglot m’étrangle.  Même éveillé, je cherche l’air pour respirer.  Tu m’as brisé, papa.  Tu m’as brisé.  Mais être un homme, ce n’est pas être quelqu’un comme toi.  Être un homme c’est serrer dans ses bras l’enfant que j’étais et le rassurer que les éclairs pendant la tempête ne lui feront pas de mal.  C’est aussi de trouver à la vie une raison de dire merci et d’aider cet enfant à en faire autant.  J’aurais tellement aimé que tu sois cet homme, papa.  Mais même le temps ne peut pas tout effacer.  Les blessures s’ouvrent et chaque fois, se déversent sur les fragments de mes souvenirs comme des coulées de lave en fusion, effaçant les espoirs d’une vie qui aurait pu être autrement

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieEn 2012, Francesca Tremblay quittait son poste à la Police militaire pour se consacrer à temps plein à la création– poésie, littérature populaire et illustration de ses ouvrages.  Dans la même année, elle fonde Publications Saguenay et devient la présidente de ce service d’aide à l’autoédition, qui a comme mission de conseiller les gens qui désirent autopublier leur livre.  À ce titre, elle remporte le premier prix du concours québécois en Entrepreneuriat du Saguenay–Lac-Saint-Jean, volet Création d’entreprises.  Elle participe à des lectures publiques et anime des rencontres littéraires.

Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté.  Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre.  Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.

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Le divin compagnon, par Alain Gagnon…

18 avril 2017

Dires et redires…

Il s’agit du sujet le plus délicat où rien ne se prouve, tout s’y éprouve, car tout y relève de l’ordre qualitatif de lachat qui louche maykan alain gagnon francophonie pensée, celui de l’intuition supérieure.

La Kabbale nous apprend ceci : le sujet en nous, l’être réfléchi à capacité restreinte, mais réelle de liberté, est toujours lié à l’Être[1] par un fil d’or qui unit encore l’humain à Dieu au cœur de la boue, du chaos, des pires turpitudes.

Une autre source, romaine celle-là, nous informe de cette même présence, de cette altérité divine en nous.  Il s’agit de Marc-Aurèle (121-180), empereur et philosophe stoïcien.

Dans son recueil de maximes, intitulé Pensées pour moi-même[2], on retrouve ces passages qui ouvrent des pistes :

12, 2 : Dieu voit à nu tous les principes directeurs sous leurs enveloppes matérielles, sous leurs écorces et leurs impuretés.  Car il ne prend contact, et par sa seule intelligence, qu’avec les seules choses qui sont, en ces principes, émanées de lui-même et en ont dérivé.

 

Cette notion de principe directeur (ou de présence divine en l’humain) est une constante de sa pensée.  Dieu serait, si je lis bien Marc-Aurèle, le Principe directeur de nos principes directeurs individualisés.

3, 4.  N’use point la part de vie qui te reste à te faire des idées sur ce que font les autres, à moins que tu ne vises à quelque intérêt pour la communauté.  Car tu te prives ainsi d’une autre tâche d’importance, celle, veux-je dire, que tu négliges en cherchant à te faire une idée de ce que fait un tel ou un tel […], et en t’étourdissant et te distrayant par des préoccupations de ce genre…  Tous ces tracas sans importance t’écartent de l’attention que tu dois à ton principe directeur.  […] Car un homme, qui ne négligerait aucun effort pour se placer dès maintenant au rang des meilleurs, serait comme un prêtre et un serviteur des dieux, voué au service de Celui qui a établi sa demeure en lui, et ce culte préserverait cet homme des souillures, le rendrait invulnérable à toutes les douleurs, inaccessible à toute démesure, insensible à toute méchanceté […].

 

Il serait donc témoin de notre histoire sans en être altéré.

 

5, 26 Que le principe directeur et souverain de ton âme reste indifférent au mouvement qui se fait, doux ou violent, dans ta chair […].

5, 27.  Vivre avec les dieux.

Il vit avec les Dieux, celui qui constamment leur montre une âme satisfaite des lots qui lui ont été assignés, docile à tout ce que veut le génie que, parcelle de lui-même, Zeus a donné à chacun comme chef et comme guide.  Et ce génie, c’est l’intelligence et la raison de chacun.

6, 8.  Le principe directeur est ce qui s’éveille de soi-même, se dirige et se façonne soi-même tel qu’il veut, et fait que tout événement lui apparaît tel qu’il veut.

 

Quelles seraient, dans un résumé hâtif, les caractéristiques de notre principe directeur — ou de l’élément divin qui nous habite ?

1) Notre principe individuel se juxtaposerait à notre nature, serait plus proxime à nous que notre propre cœur, selon le Coran.  Toutefois, il ne se confondrait pas avec ce que nous sommes, demeurerait une entité distincte, appartenant à un autre ordre de choses.

2) Il serait une émanation de la divinité créatrice première, donc de même nature qu’elle — le tu es cela de l’hindouisme.

3) Cette divinité serait personnelle puisque capable de contact — nous sommes loin de l’Horloger distant des théistes voltairiens.

4) Comme personnes, nous entretiendrions une relation intime avec ce principe directeur — Marc-Aurèle nous exhorte à ne jamais le décevoir par nos pensées ou nos actes.

5) S’il peut être déçu, c’est qu’il est éthique : certaines choses lui conviennent, d’autres moins.

6) Il serait à la fois compagnon, boussole, gourou, mutateur, exhausteur…

On n’en terminerait jamais d’énumérer ses caractéristiques, puisqu’elles représentent les attributs de Dieu — l’énumération pourrait se dévider à l’infini.

[…]

J’aurais pu, sur ce même sujet, citer maître Eckhart : « Dieu se complaît dans son serviteur, il vit joyeusement et intellectuellement en lui […][3]. » Ou encore : « Comme c’est Dieu lui-même qui a semé en nous cette semence, qui l’a imprimée en nous et l’a engendrée, on peut bien la couvrir et la cacher, mais jamais la détruire totalement ni l’éteindre ; elle continue sans arrêt de brûler et de briller, de luire et de resplendir, et sans cesse elle tend vers Dieu[4]. » Cette semence en l’humain doit donner naissance à ce que le mystique rhénan appelle l’homme intérieur.

(Propos pour Jacob, La Grenouille Bleue)


[1] Dieu.

[2] Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, Paris, Garnier-Flammarion, 1964.  (Traduction de Mario Meunier.)

[3] Maître Eckhart, Traités et sermon, Paris, GF Flammarion, 1995, p.357.  (Sermon numéro 66).

[4] Ibid., p. 175.  (Traité de l’homme noble).

L’auteur…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon chat qui louche maykan alain gagnondu Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet) ; récemment il publiait un essai, Fantômes d’étoiles, chez ce même éditeur .  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).

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Cours d’éducation textuelle, par Sophie Torris…

15 avril 2017

Balbutiements chroniques…

Cher Chat,

Voilà que depuis quelques jours, tout le monde se revendique bête de texte. Même ceux et celles qui avouent alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec pratiquer des activités textuelles contre leur gré ont pris la position du missionnaire. C’est que l’orthographe est devenue subitement zone érogène quand les éditeurs ont fait savoir qu’ils en appliqueraient les nouvelles règles dans les manuels scolaires de la prochaine rentrée. Beaucoup ont alors pris pour du harcèlement textuel, une réforme qui date pourtant de 1990 et qui n’a, par ailleurs, jamais condamné la bitextualité. C’est ainsi que sans faire fi de ces préliminaires, le doute a pénétré les consciences et toutes les langues se sont mises, dans un grand élan de masturbation de l’esprit, à se chatouiller le nénufar.

Puisque je jouis d’une certaine expertise en matière de proximité textuelle, permettez-moi, le Chat, de juguler ici cet excès de textostérone précoce. En effet, il y a une couille dans le potage! Si aujourd’hui, on invite bien les noms composés à copuler jusqu’à ne faire plus qu’un, le circonflexe, quant à lui, reste ce text toy indispensable et celles qui pensaient se faire un petit jeûne sans qu’il ne sorte couvert vont être bien déçues. Il va falloir faire abstinence.

Les faveurs textuelles accordées sont, en fait, assez minimes*. On déflore l’hymen de quelques traits d’union et on croquemonsieur dorénavant d’une seule bouchée. On corrige certains abus textuels qui visaient par exemple, à circoncire le cure-dent de son pluriel alors que le cure-ongles n’avait pas à subir l’opération. De ce fait, en uniformisant cette règle, on s’assure non seulement d’une cohérence grammaticale, mais également d’une meilleure hygiène dentaire. Ceci dit, le S ne supplante pas pour autant l’univers du X. Mesdames, vous pourrez continuer à monter régulièrement sur vos grands chevaux et en tirer tout le plaisir textuel habituel. Ces chevals de bataille ne sont donc que contrebande et, malgré l’excitation textuelle liée à la nouveauté, vous ne devriez pas avaler n’importe quoi.

Quant à l’ognon, même si les avis divergent là-dessus, on peut comprendre qu’il tienne à soulager le i de son priapisme originel. Certains prennent ainsi position en sa faveur en optant pour une simplification des pratiques textuelles, d’autres s’attachent à perpétuer un certain sado-masochisme en menottant la langue dès qu’elle devient libertine et en lui infligeant une correction instantanée.

Je suis désolée pour ceux qui pensent que la langue française est vierge. Elle n’est heureusement pas si chaste. On la caresse depuis la nuit des temps. Ses lettres sont passées par tout un Kamasutra de positions. Elle est adepte de l’échangisme et a souvent répondu aux avances d’amours étrangères. Elle s’est d’ailleurs laissée féconder régulièrement jusqu’en 1935 sans que jamais personne n’ait crié à la déviance. Alors, pourquoi, aujourd’hui, voudrait-on en faire une langue figée, alors que son identité textuelle a toujours été mouvante, alors qu’on n’a jamais eu autant besoin d’écrire?

La nouvelle orthographe ne joue pas au strip-poker avec la langue. La réforme ne s’amuse pas à déshabiller les mots pour offrir une relation textuelle dénudée de difficultés à des jeunes qui paniquent parce qu’ils ne savent plus écrire. Elle ne cherche pas à simplifier bêtement et à régler le problème de l’échec scolaire. Pensez-vous vraiment qu’en laissant la place à l’accent grave, la crise sera moins aigüe? Ce serait tout un évènement!

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecCes nouvelles pratiques textuelles ne sont donc pas très exhibitionnistes et ceux qui ont cru à l’avènement de l’écriture phonétique peuvent aller se rhabiller. La nouvelle orthographe ne défigurera pas la langue. Elle se contente tout simplement d’en gommer quelques bizarreries.

Il serait donc absurde de ne pas apprendre l’orthographe rectifiée aux nouvelles générations, mais sachez toutefois, le Chat, que l’enseignante de français que je suis et qui se fait un devoir d’appliquer cette réforme simule ce désir textuel. Que voulez-vous, je suis, tout comme vous, d’une autre époque, celle où l’érotisme de la langue se cachait dans l’exception et dans l’ambiguïté de certaines règles.

Sophîe

*http://www.gqmnf.org/NouvelleOrthographe_NouvellesRegles.html

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

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Une nuit avec les Hilton, un texte de Denis Ramsay…

14 avril 2017

Une nuit avec les Hilton

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En 1986, je travaillais comme agent de sécurité à l’hôpital Fleury. J’avais atteint ma taille maximale de 5’4’’ et je n’étais pas impressionnant physiquement. J’avais par contre l’orgueil de ma jeunesse, 26 ans, et j’étais apprécié par mes patrons et mes collègues pour ma sagesse. Je me débrouillais bien avec le public : poli, pas trop familier, empathique, mais sans excès, j’avais pour fonction de voir au respect des règlements, au bien-être des patients et à la bonne tenue des patients les uns envers les autres et envers le personnel. Il m’est arrivé de faire du « contrôle physique » et de la « mise sous contention » lorsque des patients étaient agités, mais il s’agissait là du dernier recours et les interventions physiques se faisaient en groupe, soit les deux agents et quelques préposés. Certains agents et certains préposés aimaient l’aspect musclé que requérait parfois ce travail, mais j’avoue que, cette nuit-là, ce type de personnalité aurait provoqué la catastrophe !

J’entrais à l’urgence, du côté des salles d’attente, ce que l’on appelait communément l’admission. Notre bureau se situait entre l’entrée et l’admission. La secrétaire enregistrait l’arrivée du patient, montait son dossier et un agent de sécurité allait porter le dossier sur une pile à la salle de triage, juste à côté. Le temps d’attente variait selon le nombre de patients et la gravité de leur cas.

J’arrivais des étages. J’y avais fait ma ronde, c’est-à-dire vérifier de visu bon nombre de bureaux et de salles inoccupées, de même que deux édifices extérieurs appartenant à l’hôpital. Cette petite marche de santé durait un peu moins d’une heure quand il n’y avait rien à signaler.

— Vous les faites passer devant moi parce qu’ils sont connus !

Je fus ainsi accueilli par un patient impatient qui n’avait aucune blessure apparente, alors qu’un homme en fauteuil roulant avait une jambe en sang, à la suite d’une blessure ouverte au genou. Je regardai attentivement le visage de l’homme et j’allais expliquer à celui qui faisait les cent pas le système de priorité, mais les seuls mots qui sortirent de ma bouche, accompagnés d’un soupir d’exaspération bien marqué furent : « Connais pas ! »

— Pas lui ! Ceux qui sont avec !
— En effet, quatre hommes plutôt costauds voulaient accompagner le blessé en salle de triage et un collègue tentait de leur expliquer qu’une seule personne pouvait accompagner le patient au-delà de cette porte. Ces hommes dans la vingtaine semblaient très émotifs, saturés d’adrénaline et parlaient fort. Et encore, ils ne criaient pas… Il n’y avait pas dans leurs voix cette montée typique vers les notes aiguës. Leur timbre de voix était celui du bœuf mugissant ou du lion rugissant, des voix profondes, gutturales, proches du tremblement de terre. Et ils étaient tous dans une forme physique exceptionnelle. Pas de gringalets ni de petit-gros dans cette famille.

— C’est les Hilton ! me confia le chialeux. Et à ce moment même, je reconnus Dave, Dave junior en fait, plus célèbre que le digne père. De là à dire que Dave junior, le Dave que tout le monde connaît, est indigne ? Faudrait le demander à ses filles. Personnellement, je ne le dirais pas devant lui… Tous ces gaillards avaient le nez cassé des boxeurs, mais mon père aussi a le nez typique de ce sport. Il n’a pourtant jamais fait de boxe. Mais Dave avait un visage bestial. Il faisait peur ! Monter dans un ring contre lui dénotait pas mal de courage ou de folie. En vérité, personne ne voulait avoir affaire à lui…

Mon collègue, Bruno, parlait à l’un d’eux, que nous identifierons comme le plus jeune, Alex. Il semblait plus calme et raisonnable, et il raisonnait ses frères. Moi, je conversai avec Matthew, le plus vieux, et je dus lui avouer que je n’étais pas un amateur de boxe, mais plutôt un fan d’athlétisme, et particulièrement de sprint. « Quand t’es trop petit pour te battre, t’apprends à courir ! » lui lançai-je pour clore la conversation dans la bonne humeur. Car je ne voulais pas me les mettre à dos. Matthew l’avait trouvé drôle.

Récemment, ils avaient fait du grabuge dans un bar près de chez moi, au Beauceron. Il venait probablement de se passer la même chose dans le coin de l’hôpital Fleury, dans Ahuntsic ou Montréal-Nord. Ils ne revenaient pas d’un gala de boxe, mais plutôt d’une bataille de rue, si j’en jugeais par les relents de sueur qui émanaient de leurs corps…

Personne n’avait encore causé de désordre. Nous ne pouvions appeler la police tant qu’ils n’avaient rien cassé, tant qu’ils n’avaient frappé ou menacé personne. Nous pouvions toujours recourir à des renforts à l’interne, ce que nous appelions un « code blanc » à cause de la couleur de l’uniforme des préposés. Après un appel général dans tout l’hôpital, une dizaine de préposés aux bénéficiaires arrivaient en courant et entouraient ceux qu’on leur désignait pour les immobiliser. Ni Bruno ni moi n’avions envisagé cette solution, car ç’aurait probablement passé pour une provocation aux yeux des Hilton.

La solution vint de la secrétaire à l’admission qui appela son ami de cœur qui travaillait au troisième.

— Les Hilton sont dans la salle d’attente, lui dit-elle seulement.

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Dave Hilton, photo RDS

Cet amateur de boxe et fan des Hilton appela ses autres collègues qui affluèrent vers l’urgence avec enthousiasme, mais sans courir. Ils ne se rendaient pas porter secours à des membres du personnel, mais simplement voir leurs idoles. Ils se présentèrent donc un à la suite de l’autre et les Hilton, qui aimaient aussi la gloire et le fait d’avoir des fans, donnèrent des poignées de mains et signèrent des autographes. Les employés formèrent une ligne et les boxeurs manièrent le stylo. Pendant ce temps, leur ami blessé avait été rafistolé et recousu ; il sortit de la salle de triage au moment où Dave Jr signait son dernier bout de papier. Tous, ils nous serrèrent la main, un peu fort, et cette nuit qui aurait pu facilement tourner au cauchemar, se termina dans la joie et le bonheur.

Nous devions maintenant rédiger les rapports… Bruno devait décrire le début de la rencontre et je m’occuperais de la fin.

Nous avions eu toute une frousse, et nous en avons convenu : elle était justifiée…

Notice biographique 

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonieL’auteur se présente ainsi :

« Né à Victoriaville dans un garage où sa famille habitait, l’école fut la seule constante de son enfance troublée.  Malgré ses origines modestes, où la culture était un luxe hors d’atteinte, Denis a obtenu un bac en sociologie.  Enchaînant les petits emplois d’agent de sécurité ou de caissier de dépanneur, il publia son premier ouvrage chez Louise Courteau en 1982 :La lumière différente, un conte fantastique pour enfants.  Il est un ardent militant d’Amnistie Internationale et un rédacteur régulier dans des journaux universitaires et communautaires.  Finalement, après plusieurs manuscrits non publiés, il publiera chez LÉR Les chroniques du jeune Houdini.  D’autres romans sont en chantier…  »

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 Vacances à Murray Bay, par Virginie Tanguay…

11 avril 2017

 Les couleurs de Virginie

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     Il y a près d’une centaine d’années, et ce durant plusieurs décennies, les bourgeois bien nantis de l’époque fuyaient les villes industrialisées américaines et canadiennes en quête de grands espaces et de tranquillité. Charlevoix devenait alors un endroit de prédilection : la beauté des paysages et l’air salin rendaient les lieux charismatiques.

         Enfin, il était temps pour la noble famille Binsse de profiter des vacances. Propriétaire d’une chaîne d’hôtels de luxe, à Cleveland aux États-Unis, le patron pouvait s’offrir une vie de rêve. Le succès en affaires lui donnait les moyens financiers de voyager et également de savourer le bonheur d’être en famille pendant la saison chaude.

          Le 29 mai 1939, à bord d’un navire à vapeur du Canada Steamship Lines, les passagers naviguaient sur le fleuve Saint-Laurent depuis Montréal. Tout en relaxant, ils exploraient le bateau. Ils découvraient son architecture victorienne, dont les boiseries et les bas-reliefs ressortaient. L’escalier qui menait au salon était orné de ferrures et de dorures. Du papier peint de qualité aux motifs floraux tapissait les murs. Des draperies de tissus fins étaient disposées harmonieusement sur les sofas. Des œuvres de peintres canadiens renommés décoraient les murs. Sur le pont, les silhouettes féminines rendaient la scène romantique. Les robes longues et leur échancrure en triangle affinaient les tailles. Les chapeaux et les parapluies protégeaient les dames d’une délicate bruine. L’humidité rendait le ciel pesant, mais détendait l’atmosphère. Les heures passées sur le « bateau blanc » annonçaient l’arrivée imminente à destination : Murray Bay, nommée La Malbaie par Samuel de Champlain en 1608.

           Un quai sur pilotis permettait aux bateaux d’accoster. Aussitôt les pieds sur le plancher des vaches, les visiteurs étaient conquis par le dépaysement. Les habitants s’empressaient de donner la poignée de main et de les guider. Les touristes, qui semblaient captivés par le baragouinage de la langue, recevaient des informations supplémentaires sur les habitudes de la vie locales. Ils pouvaient facilement localiser les hôtels, le terrain de golf et l’impressionnant Manoir Richelieu.

         De leur côté, les membres de la famille Binsse, fébriles, s’avançaient vers leur maison victorienne située à flanc de colline. Les employés, tous des Canadiens Français étaient déjà en poste. Le jardinier travaillait le sol avec soin. Les pousses tendres d’un jardin à l’anglaise grandissaient dans le terreau fertile. La cuisinière faisait griller du poisson frais, en y mélangeant de l’huile au beurre et quelques assaisonnements secrets. Elle était enjouée et heureuse de revoir la propriétaire qui, au fil des années, était devenue une grande amie. Madame Binsse, tout en discutant avec la servante, retirait les draps qui couvraient les meubles. C’est en ouvrant les volets de la maison qu’elle contemplait avec ravissement, comme si c’était la toute première fois, une vue incomparable sur le fleuve et les montagnes. Les vacances à Murray Bay débutaient en force. Le bonheur était au rendez-vous.

           Je me souviens très bien de l’endroit, je l’ai scruté longuement. La maison de monsieur Binsse y est toujours debout. De nos jours, je ne sais pas à qui elle appartient. Là-bas, c’est un petit coin de paradis, au pied d’une falaise, là où le fleuve embrasse le rivage. Lors de la saison des amours, les vagues propulsent sur la grève des milliers de poissons… des capelans. C’est une manne argentée qui roule sur le sable et qui est cueillie à la chaudière par les pêcheurs. Ce phénomène particulier revient chaque printemps… tout revient chaque printemps !

         Ça y est… La neige qui commence à fondre dans mon coin de pays me donne envie, comme chaque année, de retourner m’échouer sur les grèves de Charlevoix, d’y retrouver des gens que j’aime et de songer à de belles histoires.

     Virginie Tanguay

Notice biographique

Virginie Tanguay vit à Roberval, à proximité du lac Saint-Jean.  Elle peint depuis une vingtaine d’années.  Elle est près de la nature, de tout ce qui est vivant et elle est très à l’écoute de ses émotions qu’elle sait nous transmettre par les couleurs et les formes.  Elle a une prédilection pour l’aquarelle qui lui permet d’exprimer la douceur et la transparence, tout en demeurant énergique.  Rendre l’ambiance d’un lieu dans toute sa pureté est son objectif.  Ses œuvres laissent une grande place à la réflexion.  Les détails sont suggérés.  Son but est de faire rêver l’observateur, de le transporter dans un monde de vivacité et de fraîcheur, et elle l’atteint bien.  Elle est aussi chroniqueuse régulière au Chat Qui Louche.   Pour ceux qui veulent en savoir davantage, son adresse courrielle :  tanguayaquarelle@hotmail.com.

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Noyade en eau de vie, un texte de Clémence Tombereau…

10 avril 2017

Noyade en eau de vie

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Au début, tu ne sauras pas. Le corps comme un boulet. Pas autonome. La coordination. Les gestes. L’équilibre fragile.

Au début, tu apprendras à respirer. À ne pas respirer. À retenir. À doser. Ton souffle. Ton corps. Ton cœur. Tu es au bord et tu as peur. On te comprend. Nous aussi, passés par là, pas le choix, tu sais. La fluidité de ce monde t’effraie et t’hypnotise. Tu devines ses monstres. Tu devines son abyssal mystère et ses courants trop froids. Tu espères, peut-être, des chimères aux écailles miroir et aux cheveux liquides.

Il y aura du Beau. Il y aura des déchets : l’Eden aseptisé deviendra souvenir — ou oubli.

Tes yeux. Tes yeux, surtout, au début seront clos car le chlore du monde brûlera tes paupières. Ils écloront, timides, mus par la soif et l’envie de connaître, voire même de comprendre.

Petit, tu resteras en surface, la belle surface des choses, soutenue on l’espère par des proches comme des bouées. Ta peau appréciera les caresses légères. Tu riras aux éclats en barbotant. Tu seras la joie.

Il faudra bien un jour te défaire des bouées. Prendre le risque, ne compter que sur toi, ton corps, tes yeux, ta force.
Tu plongeras. Ligne de flottaison pareille à l’horizon. Du mal à respirer. Tout ce bleu. Ce beau liquide voudra te dévorer. Des milliers, des milliards d’autres corps à tes côtés. Dessous, dessus, partout : certains te doubleront, t’écorcheront avec leurs ongles sans jamais s’excuser, ne t’en étonne pas. Tu trouveras ça immonde avant de t’habituer, d’apprivoiser la fourberie des eaux.

Alors tu avanceras. Les bras les jambes le cœur. Tu trouveras un bonheur à bouger de la sorte, même en buvant la tasse.
Tes larmes couleront à ta place. Tu nageras.
Un saut dans le grand bain.
Un grand saut dans la vie.
Dans la piscine monde.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge chat qui louche maykan alain gagnonDéclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade (roman) aux Éditions Philippe Rey.

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Une plume dans l’omelette, par Sophie Torris…

9 avril 2017

Balbutiements chroniques…

Cher Chat,

Je ne suis pas une poule mouillée et même si je n’aime pas particulièrement les prises de bec, je n’hésitedangereuse-la-medisance-l-est-surtout-pour-celui-qui-en-est-la-victime-photo-fotolia pas à voler dans les plumes d’une dinde qui m’agace. Je lui dis en général sur-le-champ d’aller se faire cuire un œuf, et la semonce, par civilité, s’en tient là.

Cependant, il arrive que, de retour au poulailler, je devienne une vraie poule de Barbarie, et ce, à l’insu de la dinde en question. Prendre en grippe aviaire un absent semble être le propre de toute bonne basse-cour qui se respecte. Ce que je veux dire par là, le Chat, c’est qu’il est rare que je me couche avec mes poules sans médire un peu.

Mais il ne faut pas croire que seules les femmes gloussent et caquettent dans le dos de leurs semblables. Les hommes ne sont pas des coqs en vain et s’adonnent exactement à la même cuisine. Après tout, on ne fait pas de bonnes omelettes sans casser quelques œufs. Alors, pourquoi, cher Chat, prend-on plaisir à persiffler et que cachent ces rosseries d’alcôve ?

La médisance couve déjà chez l’enfant comme une tendance instinctive, l’homme étant naturellement tiraillé entre le Bien et le Mal. Les messes basses-cours de récréation commencent donc dès qu’il fréquente l’école. Le jeune coq qui n’a alors pas le droit de se servir de ses ergots pour se démarquer ou faire le paon va tout simplement utiliser, à défaut, la violence verbale. Il ne faut cependant pas y voir de cruauté intentionnelle à cet âge, car c’est en se comparant, et donc en castrant un chapon parfois un peu différent, à coups de petits mots perfides dans le dos, que le jeune coq, en pleine construction identitaire, se valorise et développe confiance en soi. On médit donc en premier lieu pour pallier une certaine insécurité, pour se rassurer de sa normalité et pour rester le préféré.

Et puis, avec un peu d’entraînement, on finit par prendre un malin plaisir à instiguer, sur le ton de la confidence, ces petites méchancetés. Les absents ayant toujours tort, les commérages sont rarement mal perçus. La prise de risque étant minime, la transgression peut alors s’accompagner d’une délicieuse chair de poule à l’idée de déblatérer en douce sur le voisin. De plus, le fait d’attiser la curiosité de tout un poulailler et d’y monopoliser l’espace de parole accentue le désir de faire éclore de nouveaux cancans. C’est ainsi que bien des poules font le coq et que bien des coqs caquettent.

Si, qui plus est, l’oiseau est oisif, le ragot peut devenir un passe-temps tout à fait créatif. Il y a toujours plus à picorer chez le voisin que chez soi-même surtout quand on vit comme un coq en pâte, et j’ai ouï-dire, mon Chat, qu’on s’ennuie beaucoup moins quand on qu’en dira-t-onne.

La médisance ne pouvant se pratiquer qu’à plusieurs devient alors créatrice de liens sociaux. Il est même prouvé que deux inconnus tisseront des relations plus fortes s’ils dénigrent ensemble un tiers au lieu de l’encenser, puisque c’est en s’accordant sur les défauts de ce troisième larron qu’ils s’assurent de partager les mêmes valeurs. N’est-ce pas rassurant de se dire qu’on fait partie du même nid ?

Il est donc tout à fait salutaire et recommandé pour l’amitié que deux poules s’exercent de temps en temps à lancer leurs œufs pourris ensemble sur une autre, qui plus est si cette dernière vient picorer dans un nid qu’elles auraient aimé investir. On se nourrit alors de calomnies qu’on partage à l’insu de cette poule de luxe, bourrée d’hormones, pleine comme un œuf, qui ne doit pas se gêner pour passer du coq à l’âne, qui semble contre toute attente avoir les dents longues et la bouche en cul…. de poule évidemment !

Mais dans le fond, si on s’évertue à tuer cette poule aux yeux d’or dont le ramage se rapporte peut-être au trop joli plumage, c’est souvent pour se rassurer de son propre potentiel de séduction. Nous médisons encore une fois pour dire nos inquiétudes, pour quérir un peu de réconfort, pour dire indirectement du bien de soi et de celui ou celle qui nous écoute.

ff289a65Irait-on alors, par jalousie ou frustration, jusqu’à médire dans le dos de ceux qu’on aime ? Si le coq se mettait à chanter, bien avant qu’il ne chante, se pourrait-il qu’un jour je vous renie trois fois, mon Chat ?

J’en doute parce qu’en vieillissant, j’ai appris à poser un regard plus indulgent sur moi-même. Je pousse même parfois la médisance à me prendre pour une bécasse, nourrie au grain de folie.

Cocoricotcot.

Et puis, on finit toujours par perdre ses plumes en les trempant dans le fiel. Avec quoi j’écrirais ?

Sophie

Notice biographique

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Ces mains invisibles… par Claude-Andrée L’Espérance

8 avril 2017

Billet de L’Anse-aux-Outardes

« Bonjour, Sarah, je vais faire des courses.  La liste est sur la porte du frigo. »alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

À peine entrée, je croise la patronne qui sitôt s’esquive en coup de vent.  Et moi, tout de go, je m’empresse d’enlever bottes et manteau, et de courir à la cuisine.  Ce matin, derrière la fenêtre couverte de givre, on aperçoit le bleu du ciel, la radio joue un air des Fêtes et je constate comme de coutume que ma liste s’est allongée.  Et me voilà, encore une fois, perdue dans cette immense maison, à ne plus savoir où donner de la tête, à me demander par où commencer.

Jeune femme fiable, assidue et dynamique

ferait ménage dans maisons privées

Tout avait pourtant bien débuté.  Une petite annonce placée dans le journal local.  Rédigée en désespoir de cause.  Comme on lance une bouteille à la mer.  Jusqu’ici, côté travail, j’avais été plutôt choyée.  Je me flattais en me disant qu’au contraire de mes compagnes de classe qui, aussitôt atteint l’âge légal, quittaient l’école pour la facterie*, moi, au moins, j’avais étudié.  Pétrie d’orgueil, j’attribuais ma chance à ma grande persévérance et à ma volonté.  Tant et si bien que lorsque la boîte a fait faillite, moi j’ai pris une sacrée débarque**.

Bon, inutile de larmoyer !  Je me suis vite retroussé les manches en me disant qu’en plaçant cette annonce j’aurai, au moins, tenté quelque chose.  Et qui sait ?  Avec cinq ou six clients par semaine, je pourrais peut-être, un jour, me mettre à mon compte…  Et finalement ça a marché !

Les premières semaines furent plutôt chaotiques.  Il faut bien prendre le temps de s’habituer aux horaires, à la routine, aux exigences de chaque client.  Mais on finit par s’adapter.  Et puis à prendre de la vitesse.  Surtout si on travaille à forfait et qu’on voit, un peu plus chaque semaine, s’ajouter à l’ordinaire, des tâches diverses en extra.  Pour le même prix.

Cette semaine, tout doit être impeccable.  Tout doit briller du plus beau lustre…  Fenêtres, miroirs et plafonniers, cristal, porcelaine et argenterie…  Laver les deux nappes en dentelle, les linges de table et nettoyer la coutellerie…  C’est pour une grande occasion…  Faudrait passer l’aspirateur sur tous les fauteuils du salon…  Et puis ne pas oublier la lessive…

DSCN5009Et c’est en séparant le blanc des couleurs que j’ai entendu la nouvelle.  Dans une ville au bout du monde, quelque part en Inde ou au Bangladesh, désertant leurs ateliers de misère, des milliers de femmes et d’enfants sont aujourd’hui descendus dans les rues, bien décidés à faire la grève.  Et moi, en apprenant la nouvelle j’ai eu soudain envie de crier.  Mais toute seule, dans cette immense maison je me suis tout de suite ravisée.  Car il est triste, croyez-moi, d’entendre l’écho de sa propre voix scander toute seule et dans le vide : So-So-So-Solidarité !  Et en lisant les instructions de lavage sur les chemises, les robes et les pantalons, j’ai songé à toutes ces mains invisibles, ces mains de femmes, ces mains d’enfants, qui chaque jour, dans le bruit des machines et la chaleur des ateliers, s’appliquent à assembler manches et cols aux chemises et à coudre robes et pantalons.  Sans cesse forcés d’aller plus vite pour enrichir quelques patrons.

J’en ai encore pour quelques heures avant de rayer sur ma liste toutes les tâches accomplies.  Derrière la vitre couverte de givre, je vois déjà pâlir le jour.  Et je me dis que pour le reste, il me faudra, une fois encore, faire vite et bien.  Avant de pouvoir, enfin, enfiler bottes et manteau et disparaître du décor.

* Facterie : manufacture, filature

** Débarque : dégringolade

Notice biographique

Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée àla fois par les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, àalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec force d’y vivre, ont fini par en prendre la couleur. Installée aux abords du fjord du Saguenay, en marge d’un petit village forestier et touristique, elle partage son temps entre sa passion pour l’écriture et le métier de cueilleuse qui l’entraîne chaque été à travers champs et forêts.  Elle est l’auteure des photographies qui illustrent ses textes.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Les couleurs de Virginie…

7 avril 2017

L’Hôtel Château Beemer

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L’Hôtel Château Beemer

 

De la naissance des coteaux qui bordaient les rives, jusqu’au plus lointain rayon de lune, les terres du Lac-Saint-Jean abondaient en précieuses richesses.  Ce pays des Montagnais était appelé, par quiconque s’y aventurait, le Royaume.

C’est avec acharnement que les colons y défrichaient et s’y établissaient.  Chaque membre de la famille accomplissait ses tâches.  Les jardins étaient semés, la crinière des chevaux de trait, brossée, et les vêtements, lavés à la main, séchaient au grand vent.

C’était un jour de mai.  Le soleil se dissimulait derrière un immense et impénétrable nuage qui recouvrait le territoire.  Un feu incontrôlable détruisait tout sur son passage, y laissant même des cendres humaines.  Le magnifique paysage, qu’ornaient des milliers de pins blancs, était anéanti.  À perte de vue, les arbres calcinés et l’odeur étouffante terrifiaient : c’était irréel.   Pour survivre, les habitants et les bêtes se précipitaient désemparés dans le Piékouagami.  Les Montagnais nommaient le Lac-Saint-Jean ainsi, dans leur langue innue, ce qui signifie lac peu profond.  Des hurlements se faisaient entendre.  La suie, les matières en suspension souillaient l’air.  Tout était à rebâtir.

Le feu éteint et les braises moins ardentes, les rescapés se relevèrent les manches et décidèrent de ne pas se laisser abattre.  Une à une, les cabanes, construites de troncs brûlés, vibrèrent au  rythme de la musique.  Les verres se remplissaient d’eau-de-vie.  Le tabac à pipe sentait si fort qu’il était impossible pour les enfants de s’endormir…  Alors, la fête continuait !  Cuillère de bois à la main, les aînés tapaient du pied en chantant.  Ils jouaient à l’oreille de la ruine-babines, du violon et de l’accordéon.  Le reel évoquait parfois le vacarme d’un déraillement de train, sous une pluie battante en pleine tempête de vent.  On oubliait les fausses notes ; on chantait et dansait avec cœur : l’émotion ressentie devenait l’essentiel.

Tranquillement, le tapis végétal retrouva ses nuances.  Des feuilles d’éricacées émergèrent des mousses assombries.  Portant haut ses fleurs campanulées, la tige se préparait à accueillir ses fruits, les bleuets.  Ces baies savoureuses se dégustaient à volonté sur les lieux de la cueillette.  On les apprêtait également en tartes, en bonbons et en confitures.  Les eaux poissonneuses du Piékouagami assuraient un régime alimentaire équilibré aux habitants.  La ouananiche, le doré jaune et le grand brochet cohabitaient dans ses eaux limpides.

L’arrivée du chemin de fer permit l’échange des cultures.  Un homme d’affaires, venu de la grande ville, fit construire un hôtel de luxe près des berges.

En peu de temps, Le Royaume était devenu l’ultime destination pour les amateurs de pêche.  Voilà que de riches étrangers venaient des villes lointaines et logeaient dans le majestueux Hôtel Château Beemer.  La terre, l’eau et les riches couleurs étalaient leur féérie.    Tous ces gens s’émerveillaient devant la beauté des alentours.  Les saumons d’eau douce abondaient et faisaient rêver ces visiteurs avides.

Notice biographique de Virginie Tanguay

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Virginie Tanguay vit à Roberval, à proximité du lac Saint-Jean.  Elle peint depuis une vingtaine d’années.  Elle est près de la nature, de tout ce qui est vivant et elle est très à l’écoute de ses émotions qu’elle sait nous transmettre par les couleurs et les formes.  Elle a une prédilection pour l’aquarelle qui lui permet d’exprimer la douceur et la transparence, tout en demeurant énergique.  Rendre l’ambiance d’un lieu dans toute sa pureté est son objectif.  Ses œuvre  laissent une grande place à la réflexion.  Les détails sont suggérés.  Son but est de faire rêver l’observateur, de le transporter dans un monde de vivacité et de fraîcheur, et elle l’atteint bien.

Pour ceux qui veulent en voir ou en savoir davantage : son adresse courrielle :  tanguayaquarelle@hotmail.com et son blogue : virginietanguayaquarelle.space-blogs.com.  Vous pouvez vous procurer des œuvres originales, des reproductions, des œuvres sur commande, des cartes postales.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Sur la route des épices, par Sophie Torris…

6 avril 2017

Le poivre et sel me guettent…

Cher Chat,

Sous le safran de mes cheveux, il y a 50 ans d’aveux. Le poivre et sel me guette. Je suis sur terre depuis perpette.alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec Mes enfants me trouvent has been et pourtant leur mère n’est pas d’huile. Voyez, le Chat, combien ma saison compte d’épisodes, même si certains sont passés de mode :

J’ai fumé dans un avion sans me faire engueuler par une hôtesse. J’ai bronzé sans protection sans que le soleil ne me blesse. J’ai roulé en Renault 5 sans ceinture. À Berlin, j’ai connu le Mur. J’ai payé en francs ma baguette, j’ai jamais porté de casque sur ma mobylette. J’ai dansé des slows en discothèque. Sur la face A d’Hotel California. Mes amours juvéniles ont vu le jour sur des vinyles. J’ai fait l’amour sans condom, à l’époque le Sida ne faisait pas chier Cupidon. L’or noir n’était pas encore une arme et nos territoires vierges de certains drames. Pas de contrôle de sécurité à l’embarquement, j’ai voté Coluche président. J’ai connu Mickael Jackson avant qu’il ne soit blanc et sur les pare-brise, des disques de stationnement. Mon téléphone avait un fil et ne se regardait pas le nombril. J’ai lu l’Amant de Duras avant qu’il n’obtienne un prix littéraire et j’ai suivi Dallas et l’abominable JR. J’ai connu Meg Ryan sans chirurgie et Paul Newman sans cheveux gris.*

Je suis une femme mature, ça se voit sur ma figure. L’âge, c’est pas comme l’anxiété ou le diabète, ça ne peut pas jouer à la cachette. Je ne vous raconterai pas de salades, le Chat, je me passerais bien de cette débandade. Je ne suis pas tout sucre tout miel à l’idée de perdre du potentiel. À cumuler autant d’années, l’addition devient salée. Mais n’est-ce pas le prix à payer, pour se pimenter une vie longue durée ? Certes, ma jeunesse est révolue, mais pourquoi la mayonnaise ne prendrait-elle plus ?

Je préfère manger des p’tits pots de crème que de m’en tartiner l’épiderme. Je veux que le temps me profite et non en déplorer la fuite. Laissez-moi prendre la route des épices, je veux vieillir sans artifice, me rouler dans les fines herbes avant que mon corps ne s’exacerbe.

J’apprends à m’aimer dans tous les regards, j’apprends à m’aimer dans mon miroir avec tous les sillons de mon histoire. Car, après tout, n’est-ce pas dans le creux de chaque pli que transpire le sel de la vie ? Le sel conserve la viande. Voilà pourquoi j’en fais la propagande !

C’est un privilège que d’être vintage et je me fous de n’être Vénus si ça peut reculer mon terminus. Si le poivre et sel me guette, c’est que je suis vivante en ciboulette !

Ça ne tournera pas au vinaigre, il suffit de rester intègre. Et si vous aussi, le Chat, vous voulez lutter contre le vieillissement, voici le bon assaisonnement :

Se souvenir des heures exquises et penser aux futures extases.
Ne pas renoncer à la cerise que vos désirs toisent.
Mettre votre grain de sel à tout ce qui vous interpelle.
Jouir sans remords de tout votre capital, jouir de votre corps jusqu’au bout du bal.
Et rêver d’un bonus pour conduite sans rictus.

Sophie
* Je ne peux récolter tous les lauriers de ce bouquet garni d’une autre époque. J’ai volé quelques condiments à l’humoriste Florence Foresti.

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Tempête, poésie, kir et Laclavetine, par Alain Gagnon…

5 avril 2017

Dires et redires…

Tempête.  Vent, neige.  Contre le blanc, frotté de gris par les rafales, les aiguilles du pin oscillent… alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

Poésie : toujours en deçà de ce que suggère le texte.  Je ne parle pas que de mes seules insuffisances.  Ronsard, Villon, Éluard, Aragon, St-John Perse…  Le poème qui vaut est liminaire.  Il se tient à la frontière, indique qu’il y a, au-delà de ce que peuvent les sens, de ce que peuvent les mots, un indicible sublime qui chatoie.  Toujours, nous errons à la limite de ce désert, un pied sur l’erg, l’œil fouailleur sur ces dunes que l’horizon avale.

Auteurs ou lecteurs, jamais nous ne pénétrerons plus avant dans ce territoire de désarroi et de fous appels, de fous espoirs.

Regard par la fenêtre hachurée de givre, striée de flocons : …l’arbre est un événement de lumière au centre de la clairière…  (Rime interne à éliminer.  Dommage.)  Regard sur ce verre où le froid trace fééries, correspondances, analogies, anagrammes crissant de la glace.

Des enfants sortent d’une représentation théâtrale : les spectateurs, ces acteurs qui ont payé le privilège de jouer.

Et le kir réconfortera le cœur de l’homme au centre de son nulle part.

(Le chien de Dieu)

*

 alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecJean-Marie Laclavetine.  Un nom pas facile à se remémorer.  Pas banal.  Pas banal non plus, son roman : Première ligne.  Le personnage central est éditeur.  Une petite maison qui veut promouvoir la vraie littérature.  Donc, peu de moyens.  L’éditeur étouffe sous les arrivages quotidiens de manuscrits.  En majeure partie médiocres, insipides.  Et il rencontre les auteurs.  Même les refusés.  Celui de Zoroastre et les maîtres nageurs sort un revolver et se suicide devant lui.  En complicité avec Justine Bréviaire, une autre refusée, la veuve du suicidé cherchera vengeance.

Un roman pour écrivains ou éditeurs.  Un roman pour tous ceux qui virevoltent dans l’entourage de la production littéraire.  Comme auteur et lecteur de manuscrits, j’y ai reconnu plusieurs tares, plusieurs tics, y ai ri parfois pour ne pas pleurer.  Un roman d’initiés.  Bien léché.

Une forme qui peut dérouter : absence de guillemets et tirets -les dialogues intercalés dans le texte, entre descriptions et commentaires, pourraient égarer : ce n’est pas le cas).

Une phrase : « L’écrivain est un géant aveugle qui ouvre des routes. »  On en trouve plusieurs du genre.  Il ne s’agit pas d’un roman inutile.

(Le chien de Dieu)

L’auteur…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon  alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecdu Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet).  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)