Rock progressif, par Jean-Marc-Ouellet : musique de drogués ?

24 juin 2017

La musique de drogués…

J’avais 15 ans. Quelques mois depuis le déménagement de ma famille à Québec. L’ado de la campagne s’était fait des amis, de bons amis. Il y avait un problème : ils parlaient de musique. Genesis, Van der graaf Generator, King Krimson, Emerson Lake and Palmer, Yes… Moi, je n’y connaissais rien de rien. Quelques années auparavant, le vieux tourne-disque que nous avions au rang Nord-du-Lac avait rendu l’âme. J’avais entendu parler de Ginette Reno, de Michel Louvain et de quelques autres. Faisaient-ils du jazz, du populaire ou du rock ? Je m’en doutais un peu, mais je ne me prononçais pas.

Je voulais conserver mes amis. Comment faire ? Dieu merci, j’avais un grand frère.

Sa conjointe et lui avaient deux enfants préscolaires. Et quel beau meuble de son ! En bois naturel, le genre de meuble de l’époque, des chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophoniehaut-parleurs cachés de chaque côté. Au centre, une armoire dissimulait un espace pour entreposer des vinyles, et au-dessus, un panneau qui donnait accès à cette merveille, un tourne-disque et ses commandes. Beau, énorme, inaccessible. J’en rêvais.

Un soir, le couple appela mes deux sœurs, des habituées du gardiennage. C’était pour le lendemain soir. Ni l’une ni l’autre n’était disponible. Je devins le plan C, un plan machiavélique.

Vingt heures plus tard, après l’école, je courus chez un disquaire me procurer quelques titres entendus de la bouche de mes amis. À mon retour à la maison, je les glissai dans un sac de sport. Puis j’attendis l’heure du méfait. À 19 h précise, mon frère vint me chercher. Chez lui, je reçus les instructions d’usages, puis, confiant, le couple quitta la maison. Pas tout à fait irresponsable, j’occupai les enfants jusqu’à 20 h 30, l’heure du dodo. Malgré les jérémiades, ma nièce et mon neveu collaborèrent presque. Une heure de remontrances et d’aller-retour salon-chambre les fatigua. Ils s’endormirent enfin. J’étais libre !

De mon sac, je sortis mes trésors. Je m’approchai de la merveille à musique et y déposai Nursery Crime de Genesis. Quelques essais et erreurs suffirent à y faire sortir du son. Je m’assis sur le divan, dans le noir, et j’écoutai.

Il y a des moments marquants dans une vie. Près de quarante ans plus tard, j’avoue que cette soirée fut grandiose. Assis, les yeux fermés, j’écoutais, et plus j’écoutais, plus je comprenais pourquoi mes amis aimaient cette musique, et pourquoi mes amis étaient mes amis. Nous vibrions au même rythme. Nous tripions sur les mêmes sons. Ce soir-là, je devins accro de rock progressif.

Peu de temps après, je plongeais dans mon premier travail : plongeur au restaurant de notre voisin. Mes premières payes financèrent un amplificateur, un tourne-disque et des haut-parleurs achetés séparément, que je montai moi-même dans des boîtes de bois qui devinrent des caisses de sons. Et j’achetai quelques disques. Plus tard, je travaillai dans un supermarché. Quoique modestes, mes revenus me permirent d’acquérir mes trois ou quatre vinyles par semaine. Genesis, Pink Floyd, Emerson Lake and Palmer, Supertramp, Harmonium, Styx, Yes, Jethro Tull, Gentle Giant, et tant d’autres. Mes parents ne partageaient pas mes goûts musicaux. De la musique de drogués, qu’ils disaient. Il est vrai que pour triper, plusieurs usaient de marijuana ou de H.  Pas moi. Dans les spectacles, je refusais la pipe qu’on me passait. La musique me suffisait. Je fermais les yeux, j’écoutais et je me laissais emporter. J’en frissonnais parfois. De bonheur. Je respirais sans doute ma part de la dope des autres. Elle emplissait l’enceinte. Mais chez moi, la même extase m’envahissait, sans émanation dopante extérieure. Cette musique m’enivrait. Elle m’enivre encore.

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonieDepuis ce temps, j’ai exploré bien des genres. Jazz, pop, métal, rock, nouvel âge… J’écoute de tout en fait. J’affectionne particulièrement le classique, mais toujours, encore aujourd’hui, je reviens au rock progressif.

Issu du rock, mais influencé par le jazz, le classique, la musique contemporaine ou ethnique, le rock progressif, le prog pour les disciples, est une musique élaborée, tant sur le plan de la technique instrumentale, de la composition et des textes. C’est une musique libre, complexe, caractérisée par ses longues parties instrumentales, ses solos de virtuoses ― ne fait pas du prog qui veut ―, ses finales enlevées comme dans les symphonies, l’indépendance de la section rythmique de la batterie et/ou de la basse, la profondeur et la richesse de ses textes, l’utilisation d’instruments peu conventionnels dans le rock (flûte, violon, violoncelle, saxophone, mellotron, cuivres…), et le graphisme artistique des pochettes et des livrets.

Née dans les années 60, la musique a évolué. Les techniques se sont perfectionnées, les instruments se sont développés, sont devenus plus précis, les sons plus riches. La majorité des vieux groupes ne sont plus. Certains ont survécu : Rush, Camel, Steve Hackett, Marillion, Pendragon, etc. Le genre disparut presque dans les années 80, mais deux courants, le néo-prog et le métal prog, maintinrent le genre en vie jusqu’à son renouveau.  Aujourd’hui, les Riverside, Porcupine Tree, Arena, Lunatic Soul, Karmakanic, Neil Morse, Opeth, Paalas et de nombreux autres font triper les fidèles. Le genre revient en force, et nous, les vieux accros, le faisons découvrir à nos ados. « Elle est bonne ta musique, Papa », qu’ils disent… parfois.

Ainsi, vous en avez marre des fadeurs radiophoniques, vous aimez la musique classique, les pièces aux rythmes changeants, mouvant comme la vie. Le rock, ses guitares, sa batterie, sa basse vous font vibrer. Les pièces qui se prolongent vous inspirent. Et une petite bête rebelle se terre quelque part en vous. Alors, comme pour ce drogué de musique qui écrit ces mots, le rock progressif est pour vous.

Pour vous permettre de juger par vous-même, je vous propose trois coups de cœur de la dernière année, des œuvres classées parmi les cinquante meilleurs albums de rock progressif de 2011 selon le site internet spécialisé Prog Archiv. http://www.progarchives.com/. Trois disques accessibles, différents, de bons exemples du genre.

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All rights removed, AIRBAG, Karisma records

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Ghosts, FREQUENCY DRIFT, Prog rock records

 

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When age has done its duty, COSMOGRAF, As is

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Hélas, vous ne les trouverez probablement pas chez votre disquaire. Pas assez commercial. Le prog se fait pour l’art, et l’émotion. Pas pour l’argent.  Votre vendeur de disques pourra sans doute les commander, mais je vous propose de le faire vous-même par internet, au site suivant : http://www.cduniverse.com/. Choix, fiabilité, efficacité. Bien sûr, vous pouvez voir et entendre certaines pièces sur YouTube.

Bonne écoute. Et ne craignez rien. La musique drogue lorsque le diapason vous branche sur la matière, la vie, et vous-même.

© Jean-Marc Ouellet 2012

 Notice biographique :

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonieJean-Marc Ouellet a grandi sur une ferme du Lac-des-Aigles, petite municipalité du Bas-du-Fleuve, puis à Québec. Après avoir obtenu un diplôme de médecine de l’Université Laval, il a reçu une formation en anesthésiologie. Il exerce à Québec. Féru de sciences et de philosophie, il s’intéresse à toutes les  littératures, mais avoue son faible pour la fiction. Chaque année, depuis le début de sa pratique médicale, il contribue de quelques semaines de dépannage en région, et s’y accorde un peu de solitude pour lire et écrire. L’homme des jours oubliés, son premier roman, a paru en avril 2011 aux Éditions de la Grenouillère. Depuis janvier 2011, il publie un billet bimensuel dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche


Rétrospective* : Chronique musique, cinéma, télé… par Jean-François Tremblay

10 septembre 2013

L’ère de la nostalgie…

En décembre dernier, je me trouvais avec l’un de mes meilleurs amis, que j’ai connu à l’école secondaire il y a environ vingt ans.

Je lui faisais écouter le plus récent album « live » de The Doors, lancé en novembre dernier, parce que je savais qu’il était amateur du groupe, quand il me dit :

« La musique aujourd’hui c’est de la merde.  The Doors, les Beatles, c’est tout ce que j’aime.  Y a pu rien de bon qui se fait aujourd’hui.»

Je restai bouche-bée.

Ce fut le deuxième moment, dans ma vie, qui m’amena à réfléchir longuement à la relation qu’entretiennent les gens avec la musique (voir mon texte précédent).

Je suis conscient que nous vivons à une époque où la nostalgie occupe une place majeure dans notre société : remakes et adaptations de vieilles séries télé au cinéma, reprises de chansons sous toutes les formes, etc.  Même la publicité mise énormément sur ce sentiment.  Je crois d’ailleurs que ma génération est probablement l’une des plus nostalgiques, surtout en ce qui a trait aux années 80, une décennie qui est, ma foi, fort surestimée.  Plusieurs semblent avoir les souvenirs teintés de rose…

Alors, dans ce contexte, devrais-je me surprendre du fait que certaines personnes se ferment à ce qui se fait aujourd’hui?

Non, bien sûr.  Je comprends très bien l’attrait d’une mélodie que l’on reconnaît et que l’on aime, d’un style, d’une sonorité familière, l’aspect réconfortant de quelque chose qui évoque en nous de beaux souvenirs.

Mais le plaisir de la découverte, l’exaltation de la « première fois » dans tout ça?  Combien de fois me suis-je retrouvé devant ma chaîne stéréo, y insérant un disque inconnu, et me suis-je fermé les yeux après avoir appuyé sur « play », me laissant entraîner dans un monde étranger? Je ne saurais me lasser de cette expérience, que je répète encore et toujours aujourd’hui.

Sur une base quasi régulière, j’ai quelque chose de nouveau à me mettre sous la dent.  Tout n’est pas intéressant, non, mais l’offre musicale est si grande aujourd’hui que c’en est étourdissant.

Autant je reste accroché, moi aussi, aux valeurs sûres de mon passé, autant il y des choses à notre époque qui me rendent vraiment très heureux de vivre au présent.  Il y a tellement de créativité, de talent, de musique touchante, vibrante, belle et vivante qui se fait en ce moment, que je n’ai assez d’oreilles ni d’heures dans une journée pour tout écouter, et je ne peux concevoir qu’on se ferme à tant de beauté.

J’ai fait entendre Karkwa, et je ne sais quoi d’autre, à mon ami, essayant de faire valoir ma vision des choses, mais son opinion était faite.

La musique, selon moi, n’est pas une question de générations, d’époques, de ventes de disques ou même de styles.  La musique est universelle et intemporelle.  Elle transcende les barrières physiques et psychologiques.  Cette invention, propre à l’humain, est avant tout une affaire de sensibilité, de cœur.

Une sorte de langage universel, si vous voulez…

Qu’une chanson ait été écrite à Chicoutimi ou à Tripoli, en 1971 ou en 2011, ça change quoi?

Donc, tenter de me convaincre qu’il n’y a plus rien de bon dans la musique d’aujourd’hui serait futile.  Bien que les fondations de ma culture musicale prennent naissance à une autre époque, je suis en constant émerveillement devant la créativité et l’originalité des artistes de ma génération, et la nostalgie ne saurait l’emporter, en ce qui me concerne, sur l’extase de la découverte et ma soif de tout connaître.

Malheureusement… vu les ventes d’albums de Sylvain Cossette, j’ai bien peur que la nostalgie règne encore un bon moment!

Parlant de nostalgie et de découverte musicale…

Au cours des derniers jours, j’ai lu « Rock Progressif » de l’auteur Aymeric Leroy, qui a également écrit un livre sur le parcours du groupe Pink Floyd.

D’une plume érudite, assurée, légère et agréable à lire, Leroy retrace les origines de ce mouvement peu – ou mal –  apprécié de l’histoire de la musique du 20e siècle, de ses balbutiements en 1967 jusqu’en 2010, en passant par ses années de gloire au milieu des années 70, sa débâcle des années 80 et son revival dans les années 90.

Que vous soyez amateurs ou non de ce mouvement, que vous connaissiez ou non les œuvres majeures de ce genre, si vous vous intéressez le moindrement à l’histoire de la musique, ce livre pourrait s’avérer une lecture instructive et captivante.

J’en ai beaucoup appris.  Bien que je connaisse déjà à la base les acteurs majeurs du mouvement progressif (les Yes, King Crimson, Genesis, etc.), Leroy m’a fait découvrir la scène de Canterbury (les groupes Soft Machine, Caravan, etc.), ainsi que plusieurs groupes progressifs d’à travers le monde, de la France aux Pays-Bas en passant par le Québec, l’Espagne et l’Italie (entre autres).

Une œuvre exhaustive, mais loin d’être lourde, qui se lit rapidement, et qui donne le goût (du moins ce fut le cas pour moi) d’écouter la plupart des disques qui y sont décrits.  Tâche de toute évidence ardue…

Un livre qui n’a fait que confirmer qu’il y a tellement d’œuvres musicales que je ne connais pas encore, et que je n’écouterai peut-être jamais…

Music is your only friend

Until the end

Until the end

Until the end

Notice biographique

Jean-François Tremblay est né à Jonquière en 1977.  Passionné de musique et de cinéma dès un très jeune âge, il fait ses études collégiales en Lettres, pour se diriger par la suite vers les Arts à l’université, premièrement en théâtre (en tant que comédien), et plus tard en cinéma.  Au cours de son Bac. en cinéma, Il découvre la photographie de plateau et le montage, deux occupations qui le passionnent.  Blogueur à ses heures, il devient en 2010 critique pour Sorstu.ca, un jeune et dynamique site web consacré à l’actualité musicale montréalaise.  Jean-François habite la métropole depuis 2007.   Il tient une chronique bimensuelle au Chat Qui Louche.

 (Merci de nous visiter.  Je vous invite à visiter également le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche 1 : http://maykan.wordpress.com/)


Rétrospective : Chronique urbaine, de Jean-François Tremblay…

12 mars 2013

Bill Bruford : The Autobiography a été publié en 2009 aux éditions Jaw Bone. Le livre, comme son titre l’indique, raconte la vie et la carrière du batteur et percussionniste Bill Bruford, qui fut membre de différentes formations rock et jazz au cours des années 70, 80, 90 et 2000, entre autres Yes, King Crimson, Genesis, U.K et Earthworks.

Bruford est né en 1949  à Sevenoaks dans le comté du Kent en Angleterre. Fils d’un vétérinaire, il a grandi dans un environnement relativement aisé, où l’étiquette et la bonne conduite étaient de mise. C’est en regardant les batteurs de jazz américains à la BBC que sa fascination pour les instruments percussifs est née. Et lorsque sa grande sœur lui a remis des baguettes-balais, son destin était scellé.

Le livre commence sur le communiqué de presse émis par Summerford Records en 2008 et qui annonce le retrait de Bill Bruford du monde des concerts et des tournées. Éventuellement, au cours de l’année 2009, il annoncera également qu’il cesse  toutes ses activités musicales.

Pour toute personne qui connaît un tant soit peu le personnage, ce grand gaillard cultivé, élégant, qui n’a pas la langue dans sa poche et qui joue de la batterie avec une aisance et un talent sans pareils, ce livre est un must. Vous y découvrirez une foule de renseignements sur l’ensemble des groupes musicaux dont Bruford a fait partie, et bien plus.

Si, en revanche, vous ne connaissez pas Bill Bruford, je vous conseille tout de même fortement ce livre.

Bruford y relate, de manière non chronologique, d’une voix assurée et avec une constante touche d’humour bien britannique, sa vie, sa carrière ; 40 ans passés au sein d’une industrie en évolution, d’un business qui peut vous avaler tout rond. Au-delà du récit personnel, Bill Bruford porte son regard sur l’industrie musicale mondiale, sur son fonctionnement. Il nous en explique les rouages, nous fait découvrir ses différentes facettes.

On y retrouve des anecdotes sur ses collègues de travail : Tony Levin, John Wetton, Allan Holdsworth, ou encore Chris Squire de Yes, dont le manque de ponctualité est légendaire…

Il nous raconte comment Phil Collins lui a fait écouter son premier album solo, Face Value, avant tout le monde, craintif que le disque ne soit pas à la hauteur. Les deux hommes sont toujours, à ce jour, de grands amis.

Il nous raconte aussi comment le leader de King Crimson, l’antisocial Robert Fripp, s’amusait à épouvanter les jeunes enfants de son entourage (dont ceux de Bruford) en leur disant qu’il allait mordre dans leurs jolis petits cous et sucer leur sang…

Le livre révèle plusieurs choses étonnantes, choquantes ou du moins toujours intéressantes, sur l’industrie de la musique.   Je recopie ici un passage, tiré des pages 178 et 179, que je traduis librement. Il s’agit de l’une des anecdotes que je préfère, à la fois amusante et très révélatrice, à propos de la magouille au sein de l’industrie musicale :

« Aux studios Advision à Londres, lors des premières années de Yes, le travail avait une fois de plus ralenti au rythme d’un escargot. Tuant le temps à l’extérieur des studios, j’attendais que les autres finissent de s’extraire de l’un des différents bourbiers dans lesquels ils s’étaient eux-mêmes empêtrés. Près de moi attendait également un Américain d’âge moyen et d’allure quelconque qui portait une veste en cloque, et dont les cheveux étaient plutôt comiques.

Nous sommes entrés en conversation, durant laquelle l’homme me raconta qu’il était dans l’industrie lui aussi, en fait, dans la gérance d’artistes. Il cherchait à réserver du temps chez Advision pour une chanteuse sous sa garde et sa protection. Le fait est, il m’expliqua, que la jeune femme est vraiment bonne, mais qu’elle a eu une vie vraiment très difficile jusqu’à présent. Je sentis ma mâchoire tomber lentement alors qu’il me récita une liste dickensienne d’horreurs, longue comme mon bras.

Évidemment, cette pauvre créature avait été victime d’abus lorsqu’elle était enfant, dans un état quelconque du Sud – l’Alabama, je crois –, et s’était enfuie de la maison à 15 ans. Elle avait adopté une nouvelle identité dans un autre état et, à 18 ans, avait enfanté un enfant épileptique dont le père était un soldat déserteur, pour ensuite souffrir de blessures internes et d’une fracture à un bras à la suite d’un délit de fuite, peu après la naissance du petit. Incapable de payer les soins de santé pour elle et son petit, et le père étant absent, elle s’est éventuellement mise à chanter et à faire « l’hôtesse » dans les boîtes de nuit pour arrondir les fins de mois. À l’un de ces clubs, elle fut remarquée par un découvreur de talents de Nashville, qui paya immédiatement pour des démos de haute qualité dans le but de faire connaître ses talents musicaux naturels à une grande compagnie de disque. L’étiquette de disque décida de l’envoyer en Angleterre pour lui faire rencontrer le producteur des Beatles, George Martin, avec l’idée de faire produire son premier album par Martin chez Advision, pour une distribution mondiale.

Et voilà où ils en étaient. Qu’est-ce que j’en pensais ? Ce que je pensais est que cette histoire était la plus horrible, et je me pris d’affection pour la jeune fille, qui n’était pas présente, et j’espérai que sa détermination et sa force lui permettent de se payer une carrière dans la chanson.

Son gérant me remit le communiqué de presse sur lequel avait été fidèlement reproduite cette histoire tragique. Et il insista pour connaître mon opinion.  Surtout à propos du bout où il est question d’un délit de fuite ? Est-ce un peu trop ? Les écailles commencèrent lentement à tomber de mes yeux innocents lorsque je pris conscience qu’il n’y avait pas un seul mot de vrai dans toute cette histoire et, pire, qu’il présumait simplement que moi et tout le monde allions croire ses inventions. « Tout le monde le fait dans l’industrie,  n’est-ce pas ? » Il était content de sa trouvaille et cherchait mon approbation. Qu’est-ce que j’en pensais ? Plus de détails sur les blessures internes ?

Bien sûr. Idiot que je suis. Je croyais que la biographie d’un artiste devait contenir un semblant de vérité. Mais non, nous sommes dans l’Industrie du Bonheur humain. Nous sommes à Fantasy Land. Bienvenue dans le monde farfelu des biographies de presse. Je suis retourné en studio pour continuer le travail sur Close To The Edge, une fantaisie s’il en est une, et plus jamais je n’ai cru ce que j’ai lu dans la biographie officielle d’un artiste. »

Le livre s’avère donc bien plus qu’une autobiographie.  Dans son style unique, Bill Bruford arrive à la fois à nous raconter sa vie et à faire une analyse très poussée de ce qu’est un musicien, de ce qui l’amène à suivre cette voie, à ce qui l’attend dans ce monde tourbillonnant.

Mieux qu’une enquête sur le milieu, ce livre nous fait revivre quarante ans d’histoire musicale en nous proposant différentes anecdotes vécues de l’intérieur, ainsi que diverses réflexions très étoffées et réfléchies sur la condition de musicien au cours de cette période (les années 60 à 2000).

Le dernier chapitre se révèle être une longue conversation intérieure, des plus fascinantes à lire, où Bruford nous explique, subtilement, les raisons de sa retraite anticipée.

 Le système est constipé et bouché, avec peu de place pour y faire entrer ce qui est frais et nouveau. Et c’est moi, mon histoire et moi qui bouchons l’entrée. Le rock est monté dans l’échelle démographique, et les stades sont maintenant remplis de grands-parents qui écoutent des retraités comme les Rolling Stones. Nous pouvons tous faire mieux que ça. — Bill Bruford, page 343.

Il s’agit de l’une des autobiographies les plus captivantes que j’ai lues. Sans prétention, celui qui fut toujours le plus articulé des membres de Yes, parmi les plus érudits du monde du rock, se révèle à nous avec honnêteté, humilité, humour et, à plusieurs reprises, avec mordant.

Je conseille ce livre à tous les amateurs de musique, jeunes et vieux, intéressés ou non par les dinosaures du rock progressif. Le livre fait référence à bien plus que ce milieu. Vous en apprendrez sur l’histoire du jazz, du blues, du hip-hop et de la pop.

Et le Québec y est mentionné. Le Festival de jazz de Montréal et le Montréal Drum Fest sont cités parmi les meilleurs au monde selon Bill Bruford, et il décrit la salle du défunt Spectrum comme l’une des plus charmantes où il a joué.

Il s’agit d’un livre révélateur, qui se lit d’un trait.  Toute personne qui aime de près ou de loin la musique devrait le trouver très intéressant.

Notice biographique

Jean-François Tremblay est un passionné de musique et de cinéma.  Dès un très jeune âge, il a fait ses études collégiales en Lettres, pour se diriger par la suite vers les Arts à l’université, premièrement en théâtre (en tant que comédien), et plus tard en cinéma.  Au cours de son Bac. en cinéma, Il découvre la photographie de plateau et le montage, deux occupations qui le passionnent.  Blogueur à ses heures, il devient en 2010 critique pour Sorstu.ca, un jeune et dynamique site web consacré à l’actualité musicale montréalaise.  Jean-François habite la métropole depuis 2007.   Il tient une chronique bimensuelle au Chat Qui Louche.


Chronique ontarienne, par Jean-François Tremblay…

24 février 2013

Les charmes (et les travers) de l’Angleterre mis en musique

Selon Wikipédia, Thomas Patrick Keating est né le 1er mars 1917.  Cet Anglais de petite fortune s’est lancé dans la restauration d’œuvres d’art après la Seconde Guerre mondiale.  Pour boucler les fins de mois, Keating a également été peintre en bâtiment.

L’artiste a tenté d’exposer ses propres œuvres, mais sans succès.  Convaincu que le système des galeries d’art était corrompu, Keating s’est alors lancé dans la contrefaçon de peintures célèbres.  Souhaitant ridiculiser les experts, il décida de laisser des « indices » dans les œuvres.  Des défauts, des anachronismes, de courtes phrases sous la peinture (qui seraient détectables aux rayons X), etc.  En tout, il falsifia plus de 2000 œuvres de 100 différents artistes.

C’est en 1970 que la supercherie fut mise à jour.  Keating fut formellement arrêté en 1977 et accusé de complot dans le but de frauder.  La même année, il publia son autobiographie.  Son cas judiciaire fut abandonné éventuellement pour des raisons de mauvaise santé.  Son accoutumance à la cigarette, ainsi que l’exposition prolongée aux vapeurs des produits chimiques utilisés pour la restauration des œuvres avaient fait de sérieux ravages.

Malgré cela, en 1982 et 1983, il eut sa propre émission de télévision où il présentait les différentes techniques des grands maîtres de la peinture.

Keating mourut le 12 février 1984, à l’âge de 66 ans.

Après sa mort, ses contrefaçons ont commencé à prendre énormément de valeur et sont aujourd’hui des objets de collection très prisés.  Et ironiquement, les « œuvres » de Keating sont elles-mêmes victimes d’escroquerie.

Si je vous raconte cette histoire, c’est qu’elle sert de prétexte à la chanson Judas Unrepentant du groupe anglais Big Big Train.  (Cliquez ici pour écouter la pièce.)  Ce titre fait référence à la peinture de Rembrandt Judas Repentant, Returning the Pieces of Silver  (Judas rend les trente deniers), l’une des nombreuses œuvres recréées par Tom Keating.

J’aime beaucoup ce récit.  Je souris à la pensée de cet homme impénitent qui se moquait du système et qui a toujours refusé d’indiquer quelles étaient ses contrefaçons, laissant aux experts l’honneur – et l’effort – de les découvrir.

La chanson, quant à elle, me donne des frissons à chaque écoute.  J’adore la mélodie, le refrain qui m’emporte ailleurs, l’intensité et l’émotion dans le chant.  Le genre de pièce musicale que j’écoute dans le noir, mon casque d’écoute sur la tête et le volume élevé.

Ce morceau d’histoire de l’Angleterre n’en est qu’un parmi plusieurs autres que l’on retrouve sur l’album English Electric Part One de Big Big Train.

J’ai découvert ce groupe il y a quelques années, mais ce n’est vraiment qu’avec cet album que j’ai adhéré totalement à leur proposition.  On y trouve quelque chose de particulier que je ne saurais définir.  Est-ce l’attitude positive qu’il provoque chez moi ?  La chaleur des voix ?  La beauté séduisante des mélodies ?  Un peu de tout cela, je dirais.

Le magazine anglais Prog a classé l’album en 16e place des meilleurs albums de rock progressif de 2012 (sur un palmarès de 20).  Les lecteurs du magazine, quant à eux, lui ont décerné la deuxième place.

La musique de Big Big Train ne réinvente rien, au contraire.  Elle s’inscrit plutôt dans une sorte de mouvance nostalgique et référentielle.  En effet, la plupart des groupes actuels de rock progressif ne font que redistribuer et mélanger à nouveau les divers ingrédients qui ont fait le succès de leurs prédécesseurs, tels que les Yes, Genesis, King Crimson et autres.

Mais permettez-moi de vous présenter le groupe.

Big Big Train est une formation rock originaire de l’Angleterre et fondée en 1990.  Pensez à Phil Collins et Genesis dans le temps de A Trick of the Tail, et vous aurez une idée du genre de musique qu’ils font.

En fait, la filiation avec Phil Collins ne commence qu’en 2009, quand le chanteur David Longdon devient membre du groupe.  Sa voix, très semblable à celle du célèbre interprète de Follow You, Follow Me, ajoutée aux guitares acoustiques, aux claviers et à la section rythmique dynamique, rappelle la belle époque du rock progressif.   Fait à souligner, Longdon a auditionné pour faire partie de Genesis après le départ de Phil Collins en 1996, et il a même travaillé sur des démos avec Tony Banks et Mike Rutherford.  Éventuellement, c’est l’Écossais Ray Wilson qui obtint le poste, mais Longdon n’a jamais abandonné et cet homme posé et lettré a eu une carrière très remplie.

Depuis son arrivée dans le groupe, la musique de Big Big Train  – qui fut à certaines époques un peu plus hard – a pris une tangente que certains critiques qualifient de « pastorale », de Georgienne et même de bucolique[1].  Sur leur plus récente offrande, English Electric Part One, le sextuor propose une série de tableaux marquants de la vie anglaise.  Des vignettes parfois d’ordre personnel, parfois inspirées de faits réels, historiques.  Les chansons nous font visiter l’Angleterre du point de vue de ses habitants.  Voici l’explication que l’on retrouve dans le livret : « English Electric is a celebration of the people that work on, and under, the land and who made the hedges and the fields, the docks, the towns and the cities. »

David Longdon

David Longdon

Sur son blogue personnel, David Longdon, auteur de la plupart des chansons, explique en détail la genèse de ses textes (dont celui de Judas Unrepentant).  (Si ça vous intéresse, cliquez ici.) Il s’adonne au même exercice pour certaines des chansons qui constitueront la suite du projet, English Electric Part Two, qui sera lancé au mois de mars prochain.  J’ai extrêmement hâte d’entendre ce prolongement d’une œuvre qui ne cesse de me charmer à chaque nouvelle écoute.

La flûte, les guitares, le chant sensible et passionné de Longdon…  – autant d’éléments, à mes yeux, qui font de ce disque une réussite.

(Pour écouter l’entièreté de l’album et lire les paroles, cliquez ici.)


[1] Source : A Beginner’s Guide to Big Big Train

Notice biographique

Jean-François Tremblay est un passionné de musique et de cinéma.  Il a fait ses études collégiales en Lettres, pour se diriger par la suite vers lesArts à l’université, premièrement en théâtre (en tant que comédien), et plus tard en cinéma.  Au cours de son Bac. en cinéma, Il découvre la photographie de plateau et le montage, deux occupations qui le passionnent.  Blogueur à ses heures, il devient en 2010 critique pour Sorstu.ca, un jeune et dynamique site web consacré à l’actualité musicale montréalaise.  Jean-François habite maintenant Peterborough.   Il tient une chronique bimensuelle au Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Chronique musique, cinéma, télé… par Jean-François Tremblay

8 février 2011

L’ère de la nostalgie…

En décembre dernier, je me trouvais avec l’un de mes meilleurs amis, que j’ai connu à l’école secondaire il y a environ vingt ans.

Je lui faisais écouter le plus récent album « live » de The Doors, lancé en novembre dernier, parce que je savais qu’il était amateur du groupe, quand il me dit :

« La musique aujourd’hui c’est de la merde.  The Doors, les Beatles, c’est tout ce que j’aime.  Y a pu rien de bon qui se fait aujourd’hui.»

Je restai bouche-bée.

Ce fut le deuxième moment, dans ma vie, qui m’amena à réfléchir longuement à la relation qu’entretiennent les gens avec la musique (voir mon texte précédent).

Je suis conscient que nous vivons à une époque où la nostalgie occupe une place majeure dans notre société : remakes et adaptations de vieilles séries télé au cinéma, reprises de chansons sous toutes les formes, etc.  Même la publicité mise énormément sur ce sentiment.  Je crois d’ailleurs que ma génération est probablement l’une des plus nostalgiques, surtout en ce qui a trait aux années 80, une décennie qui est, ma foi, fort surestimée.  Plusieurs semblent avoir les souvenirs teintés de rose…

Alors, dans ce contexte, devrais-je me surprendre du fait que certaines personnes se ferment à ce qui se fait aujourd’hui?

Non, bien sûr.  Je comprends très bien l’attrait d’une mélodie que l’on reconnaît et que l’on aime, d’un style, d’une sonorité familière, l’aspect réconfortant de quelque chose qui évoque en nous de beaux souvenirs.

Mais le plaisir de la découverte, l’exaltation de la « première fois » dans tout ça?  Combien de fois me suis-je retrouvé devant ma chaîne stéréo, y insérant un disque inconnu, et me suis-je fermé les yeux après avoir appuyé sur « play », me laissant entraîner dans un monde étranger? Je ne saurais me lasser de cette expérience, que je répète encore et toujours aujourd’hui.

Sur une base quasi régulière, j’ai quelque chose de nouveau à me mettre sous la dent.  Tout n’est pas intéressant, non, mais l’offre musicale est si grande aujourd’hui que c’en est étourdissant.

Autant je reste accroché, moi aussi, aux valeurs sûres de mon passé, autant il y des choses à notre époque qui me rendent vraiment très heureux de vivre au présent.  Il y a tellement de créativité, de talent, de musique touchante, vibrante, belle et vivante qui se fait en ce moment, que je n’ai assez d’oreilles ni d’heures dans une journée pour tout écouter, et je ne peux concevoir qu’on se ferme à tant de beauté.

J’ai fait entendre Karkwa, et je ne sais quoi d’autre, à mon ami, essayant de faire valoir ma vision des choses, mais son opinion était faite.

La musique, selon moi, n’est pas une question de générations, d’époques, de ventes de disques ou même de styles.  La musique est universelle et intemporelle.  Elle transcende les barrières physiques et psychologiques.  Cette invention, propre à l’humain, est avant tout une affaire de sensibilité, de cœur.

Une sorte de langage universel, si vous voulez…

Qu’une chanson ait été écrite à Chicoutimi ou à Tripoli, en 1971 ou en 2011, ça change quoi?

Donc, tenter de me convaincre qu’il n’y a plus rien de bon dans la musique d’aujourd’hui serait futile.  Bien que les fondations de ma culture musicale prennent naissance à une autre époque, je suis en constant émerveillement devant la créativité et l’originalité des artistes de ma génération, et la nostalgie ne saurait l’emporter, en ce qui me concerne, sur l’extase de la découverte et ma soif de tout connaître.

Malheureusement… vu les ventes d’albums de Sylvain Cossette, j’ai bien peur que la nostalgie règne encore un bon moment!

Parlant de nostalgie et de découverte musicale…

Au cours des derniers jours, j’ai lu « Rock Progressif » de l’auteur Aymeric Leroy, qui a également écrit un livre sur le parcours du groupe Pink Floyd.

D’une plume érudite, assurée, légère et agréable à lire, Leroy retrace les origines de ce mouvement peu – ou mal –  apprécié de l’histoire de la musique du 20e siècle, de ses balbutiements en 1967 jusqu’en 2010, en passant par ses années de gloire au milieu des années 70, sa débâcle des années 80 et son revival dans les années 90.

Que vous soyez amateurs ou non de ce mouvement, que vous connaissiez ou non les œuvres majeures de ce genre, si vous vous intéressez le moindrement à l’histoire de la musique, ce livre pourrait s’avérer une lecture instructive et captivante.

J’en ai beaucoup appris.  Bien que je connaisse déjà à la base les acteurs majeurs du mouvement progressif (les Yes, King Crimson, Genesis, etc.), Leroy m’a fait découvrir la scène de Canterbury (les groupes Soft Machine, Caravan, etc.), ainsi que plusieurs groupes progressifs d’à travers le monde, de la France aux Pays-Bas en passant par le Québec, l’Espagne et l’Italie (entre autres).

Une œuvre exhaustive, mais loin d’être lourde, qui se lit rapidement, et qui donne le goût (du moins ce fut le cas pour moi) d’écouter la plupart des disques qui y sont décrits.  Tâche de toute évidence ardue…

Un livre qui n’a fait que confirmer qu’il y a tellement d’œuvres musicales que je ne connais pas encore, et que je n’écouterai peut-être jamais…

Music is your only friend

Until the end

Until the end

Until the end

Notice biographique

Jean-François Tremblay est né à Jonquière en 1977.  Passionné de musique et de cinéma dès un très jeune âge, il fait ses études collégiales en Lettres, pour se diriger par la suite vers les Arts à l’université, premièrement en théâtre (en tant que comédien), et plus tard en cinéma.  Au cours de son Bac. en cinéma, Il découvre la photographie de plateau et le montage, deux occupations qui le passionnent.  Blogueur à ses heures, il devient en 2010 critique pour Sorstu.ca, un jeune et dynamique site web consacré à l’actualité musicale montréalaise.  Jean-François habite la métropole depuis 2007.   Il tient une chronique bimensuelle au Chat Qui Louche.

 


Chronique musique, cinéma, télé… par Jean-François Tremblay

8 février 2011

L’ère de la nostalgie…

En décembre dernier, je me trouvais avec l’un de mes meilleurs amis, que j’ai connu à l’école secondaire il y a environ vingt ans.

Je lui faisais écouter le plus récent album « live » de The Doors, lancé en novembre dernier, parce que je savais qu’il était amateur du groupe, quand il me dit :

« La musique aujourd’hui c’est de la merde.  The Doors, les Beatles, c’est tout ce que j’aime.  Y a pu rien de bon qui se fait aujourd’hui.»

Je restai bouche-bée.

Ce fut le deuxième moment, dans ma vie, qui m’amena à réfléchir longuement à la relation qu’entretiennent les gens avec la musique (voir mon texte précédent).

Je suis conscient que nous vivons à une époque où la nostalgie occupe une place majeure dans notre société : remakes et adaptations de vieilles séries télé au cinéma, reprises de chansons sous toutes les formes, etc.  Même la publicité mise énormément sur ce sentiment.  Je crois d’ailleurs que ma génération est probablement l’une des plus nostalgiques, surtout en ce qui a trait aux années 80, une décennie qui est, ma foi, fort surestimée.  Plusieurs semblent avoir les souvenirs teintés de rose…

Alors, dans ce contexte, devrais-je me surprendre du fait que certaines personnes se ferment à ce qui se fait aujourd’hui?

Non, bien sûr.  Je comprends très bien l’attrait d’une mélodie que l’on reconnaît et que l’on aime, d’un style, d’une sonorité familière, l’aspect réconfortant de quelque chose qui évoque en nous de beaux souvenirs.

Mais le plaisir de la découverte, l’exaltation de la « première fois » dans tout ça?  Combien de fois me suis-je retrouvé devant ma chaîne stéréo, y insérant un disque inconnu, et me suis-je fermé les yeux après avoir appuyé sur « play », me laissant entraîner dans un monde étranger? Je ne saurais me lasser de cette expérience, que je répète encore et toujours aujourd’hui.

Sur une base quasi régulière, j’ai quelque chose de nouveau à me mettre sous la dent.  Tout n’est pas intéressant, non, mais l’offre musicale est si grande aujourd’hui que c’en est étourdissant.

Autant je reste accroché, moi aussi, aux valeurs sûres de mon passé, autant il y des choses à notre époque qui me rendent vraiment très heureux de vivre au présent.  Il y a tellement de créativité, de talent, de musique touchante, vibrante, belle et vivante qui se fait en ce moment, que je n’ai assez d’oreilles ni d’heures dans une journée pour tout écouter, et je ne peux concevoir qu’on se ferme à tant de beauté.

J’ai fait entendre Karkwa, et je ne sais quoi d’autre, à mon ami, essayant de faire valoir ma vision des choses, mais son opinion était faite.

La musique, selon moi, n’est pas une question de générations, d’époques, de ventes de disques ou même de styles.  La musique est universelle et intemporelle.  Elle transcende les barrières physiques et psychologiques.  Cette invention, propre à l’humain, est avant tout une affaire de sensibilité, de cœur.

Une sorte de langage universel, si vous voulez…

Qu’une chanson ait été écrite à Chicoutimi ou à Tripoli, en 1971 ou en 2011, ça change quoi?

Donc, tenter de me convaincre qu’il n’y a plus rien de bon dans la musique d’aujourd’hui serait futile.  Bien que les fondations de ma culture musicale prennent naissance à une autre époque, je suis en constant émerveillement devant la créativité et l’originalité des artistes de ma génération, et la nostalgie ne saurait l’emporter, en ce qui me concerne, sur l’extase de la découverte et ma soif de tout connaître.

Malheureusement… vu les ventes d’albums de Sylvain Cossette, j’ai bien peur que la nostalgie règne encore un bon moment!

Parlant de nostalgie et de découverte musicale…

Au cours des derniers jours, j’ai lu « Rock Progressif » de l’auteur Aymeric Leroy, qui a également écrit un livre sur le parcours du groupe Pink Floyd.

D’une plume érudite, assurée, légère et agréable à lire, Leroy retrace les origines de ce mouvement peu – ou mal –  apprécié de l’histoire de la musique du 20e siècle, de ses balbutiements en 1967 jusqu’en 2010, en passant par ses années de gloire au milieu des années 70, sa débâcle des années 80 et son revival dans les années 90.

Que vous soyez amateurs ou non de ce mouvement, que vous connaissiez ou non les œuvres majeures de ce genre, si vous vous intéressez le moindrement à l’histoire de la musique, ce livre pourrait s’avérer une lecture instructive et captivante.

J’en ai beaucoup appris.  Bien que je connaisse déjà à la base les acteurs majeurs du mouvement progressif (les Yes, King Crimson, Genesis, etc.), Leroy m’a fait découvrir la scène de Canterbury (les groupes Soft Machine, Caravan, etc.), ainsi que plusieurs groupes progressifs d’à travers le monde, de la France aux Pays-Bas en passant par le Québec, l’Espagne et l’Italie (entre autres).

Une œuvre exhaustive, mais loin d’être lourde, qui se lit rapidement, et qui donne le goût (du moins ce fut le cas pour moi) d’écouter la plupart des disques qui y sont décrits.  Tâche de toute évidence ardue…

Un livre qui n’a fait que confirmer qu’il y a tellement d’œuvres musicales que je ne connais pas encore, et que je n’écouterai peut-être jamais…

Music is your only friend

Until the end

Until the end

Until the end

Notice biographique

Jean-François Tremblay est né à Jonquière en 1977.  Passionné de musique et de cinéma dès un très jeune âge, il fait ses études collégiales en Lettres, pour se diriger par la suite vers les Arts à l’université, premièrement en théâtre (en tant que comédien), et plus tard en cinéma.  Au cours de son Bac. en cinéma, Il découvre la photographie de plateau et le montage, deux occupations qui le passionnent.  Blogueur à ses heures, il devient en 2010 critique pour Sorstu.ca, un jeune et dynamique site web consacré à l’actualité musicale montréalaise.  Jean-François habite la métropole depuis 2007.   Il tient une chronique bimensuelle au Chat Qui Louche.