Malouine, une nouvelle de Catherine Baumer…

18 juin 2017


Malouinealain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

De mes transports amoureux dans cette ville de caractère il ne restait rien, aucune histoire à confier à qui que ce soit.  Raconter quoi ?  Que mon âme sœur était restée là-bas, figée à tout jamais dans mes songes et dans ma mémoire comme une icône, une sirène, une déesse ?  Mes voyages m’avaient mené ailleurs, loin, très loin de Saint-Malo dont les remparts sévères montaient toujours la garde.  Mon cœur avait vagabondé, s’était égaré dans de multiples aventures sans lendemain, dans un mariage raté, un divorce réussi, un enfant à l’autre bout de la France qui n’a jamais visité la Bretagne.

Trente ans après, j’étais de retour pour régler la succession de ma tante qui ne laissait aucun héritier à part moi.  Elle m’était apparue au détour d’un angle, puis d’un autre, et sur ce canon, dans cette tourelle, aux pieds des statues de Jacques Cartier et de Robert Surcouf.  Et son ombre dansait encore sur la chaussée du Sillon et dans la rue de la Soif, où je m’étais enivré de ses baisers.  Le tombeau de Chateaubriand me narguait encore de l’île du Grand Bé, où nous nous étions laissés surprendre par la marée et sur laquelle nous avions fait l’amour pour la première fois.  Mémoires d’outre-vie.    Comme je l’avais aimée…  Course folle pour tenter de la rattraper, la toucher, l’embrasser.

J’avais 18 ans, je venais de Paris, et le moins qu’on puisse dire c’est que mon penchant pour elle et pour cette ville que je trouvais froide et venteuse n’avait pas été spontané.  Nous habitions chez ma tante,  Malouine acariâtre, détestant les Anglais qui baguenaudaient sur les remparts, qui arrivaient ici comme en terrain conquis dans des ferrys ventrus.  Elle préférait crever plutôt que de leur vendre sa maison, disait-elle.  Ma petite Anglaise était arrivée sur l’un d’entre eux, avec ses parents, et ma tante, à son corps défendant, leur avait loué une chambre.  Ce n’était que pour un mois, disait-elle ; elle ne leur avait pas fait de cadeau et tirait une certaine fierté à l’idée d’arnaquer des Roast-beefs.

Sandy était froide, terriblement anglaise, et parlait un français maladroit que je ne comprenais pas.  Je la trouvais coincée, godiche, mal habillée, mais je m’ennuyais tellement qu’il me parut bientôt naturel d’arpenter les remparts en sa compagnie et celle des goélands criards.  Elle me parlait de musique, de Manchester, des matchs de foot, des maisons de brique rouge et du brouillard.  Je lui racontais en anglais mon ennui en banlieue, mon projet de devenir musicien et de vivre à Paris.  Je lui jouais de la guitare, nous chantions ensemble les chansons des Beatles, et peu à peu je me mis à l’aimer comme on aime à 18 ans, sans trop savoir pourquoi, poussé par le désir et l’ennui.  Quand la fin des vacances arriva, j’étais amoureux d’elle.  Je lui promis de la faire venir à Paris quand j’y aurais mon studio.  Elle me laissa une adresse, nous nous écrivîmes pendant un an, elle partit étudier à Londres…  Je l’oubliai, laissant son souvenir enfoui dans un coin de ma mémoire, avec mes rêves de carrière dans la musique.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecJusqu’à ce jour où son souvenir me revint au détour d’un passage, dans cette ville.  Seul héritier, je décidai de garder la maison de ma tante pour les vacances, d’y faire venir mon fils pour lui faire découvrir la Bretagne, d’acheter un bateau et de partir à la découverte de Jersey et de Guernesey.  Je n’avais jamais abandonné le rêve de me remettre à la guitare et d’écrire une chanson pour cette petite sirène immobile…

Notice biographique

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecCatherine Baumer est née et vit en région parisienne où elle exerce depuis peu et avec bonheur le métier de bibliothécaire. Elle participe à des ateliers d’écriture, des concours de nouvelles (lauréate du prix de l’AFAL en 2012), et contribue régulièrement au blogue des 807 : http://les807.blogspot.fr/, quand elle ne publie pas des photos et des textes sur son propre blogue : http://catiminiplume.wordpress.com/ Elle anime également de temps en temps des ateliers d’écriture pour enfants.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Chronique ontarienne, par Jean-François Tremblay…

4 octobre 2015

Anderson Ponty Band : à deux, ce n’est pas nécessairement mieux

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Mieux vaut tard que jamais est la traduction française du titre du premier album de la formation Anderson Ponty Band, un groupe dont les figures de proue sont Jon Anderson, ancien chanteur du groupe de rock progressif Yes, et Jean-Luc Ponty, célèbre musicien de jazz français. Il s’agit de la première collaboration entre ces deux septuagénaires qui ont marqué, chacun à sa façon, la musique occidentale des cinquante dernières années.

Et bien qu’à mes yeux il ne soit pas question ici d’un désastre (pas tout à fait), je me demande s’il n’aurait pas été plus approprié d’intituler l’album Mieux vaut continuer de travailler nos compositions, ou ne rien sortir du tout.

L’album est né d’une campagne kick-starter qui a permis d’amasser plus de 100 000 $. L’intérêt des amateurs des deux musiciens était plutôt grand. Un concert fut enregistré il y a un an, duquel furent tirés la plupart des enregistrements que l’on retrouve sur le disque. Le tout fut peaufiné en studio. Et le résultat final est… quelque peu décevant.

Je m’exprime ici en tant que fan de Jon Anderson, principalement. Je ne suis pas très familier avec le travail de Ponty (qui a collaboré avec tout le monde, de Zappa à Al Di Meola). Depuis ses problèmes de santé qui ont failli lui coûter la vie en 2008, et qui lui ont valu d’être mis à la porte du groupe qu’il avait fondé quarante ans auparavant, Jon Anderson n’a pas cessé d’accumuler les projets musicaux. Cependant, je suis d’avis que sa voix n’est plus tout à fait ce qu’elle a déjà été. Que cela soit dû à l’asthme dont il a souffert, et qui l’a presque tué, ou encore au simple vieillissement, je n’en sais rien, mais bien que j’apprécie encore entendre cette voix unique, cet instrument qui a fait de moi l’amateur de Yes que je suis depuis plus de 20 ans, le charme n’opère plus tout à fait comme auparavant.

Il n’atteint plus les notes qu’il pouvait autrefois chanter avec facilité. On s’en rend compte sur la reprise du classique And You And I, qu’il a écrit, à l’origine, en 1972 pour l’album Close To The Edge de son ancien groupe. Une reprise banale, qui fait le tiers de sa durée originale et qui, sans les notes haut perchées du jeune Anderson, perd une grande partie de son charme et de son unicité.

Et que dire de la reprise reggae (!) de Time And a Word, l’une des meilleures chansons de Yes ? Si Anderson semble s’amuser au cours de la performance, et que le jeu de Ponty au violon est intéressant en soi, on ne reconnaît pratiquement plus la pièce originale. Et si j’apprécie une bonne reprise de temps en temps, j’ai de la difficulté à saisir ce que cette transformation extrême de l’une de mes chansons préférées peut apporter à celle-ci. Anderson en profite au passage pour inclure un extrait de She Loves You des Beatles dans sa chanson, ce qui n’est pas inhabituel pour lui (il avait inséré le refrain de Give Peace a Chance dans la pièce I’ve Seen All Good People en 1972), mais ceci n’ajoute rien de bien intéressant à l’ensemble.
Pas besoin de faire un dessin : après deux ou trois écoutes, je n’arrive pas à m’emballer pour cet album, je n’adhère pas à la proposition. Je n’aime pas les synthétiseurs qui semblent tout droit sortis d’un mauvais album des années 80. Peut-être ai-je, au fond, un problème avec le son du violon électrique de Ponty. Lorsque j’entends One in the Rythms of Hope, une reprise de Rythms of Hope de Ponty augmentée de paroles par Anderson ? Je suis loin d’être emballé par le son démodé de la pièce.

Ce qui me dérange le plus dans cet album, c’est que ces deux musiciens, qui ont été à l’avant-garde du rock et du jazz dans les années 60 et 70, s’assoient sur leurs lauriers pour leur première collaboration et qu’ils reprennent de vieux titres pigés dans leur discographie respective, incapables qu’ils sont d’innover, de proposer quoi que ce soit de nouveau.

Mieux vaut tard que jamais ? Hum… laissez-moi en douter. J’aurais préféré que les deux musiciens nous coupent le souffle. Malheureusement, ils nous servent du réchauffé. Je ne vois pas vraiment l’utilité d’un tel projet. Pour les plus fervents amateurs seulement.
L’album est disponible sur iTunes et en format CD (incluant un DVD enregistré en concert l’an dernier). La formation sera en spectacle à Toronto le 7 novembre prochain.

Voici une vidéo promotionnelle

Notice biographiquechat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie

Jean-François Tremblay est un passionné de musique et de cinéma. Il a fait ses études collégiales en Lettres, pour se diriger par la suite vers les Arts à l’université, premièrement en théâtre (en tant que comédien), et plus tard en cinéma.  Au cours de son Bac. en cinéma, Il découvre la photographie de plateau et le montage, deux occupations qui le passionnent.  Blogueur à ses heures, il devient en 2010 critique pour Sorstu.ca, un jeune et dynamique site web consacré à l’actualité musicale montréalaise.  Jean-François habite maintenant Peterborough.   Il tient une chronique bimensuelle au Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)