Rétrospective : Chronique urbaine de Jean-François Tremblay…

Que se cache-t-il derrière notre political correctness ?

Samedi dernier, ma copine et moi regardions la télé sur l’heure du dîner quand nous sommes tombés sur une reprise de l’émission Tout le Monde en Parlait, à Radio-Canada.

L’émission traitait d’un documentaire de l’ONF réalisé par Robert Favreau en 1975, intitulé Le Soleil a pas d’Chance, et qui porte sur le Carnaval de Québec, et plus particulièrement des Duchesses du Carnaval.

Le reportage (signé Caroline Gaudreault et Denis Roberge) nous montrait comment le documentaire de Favreau a choqué, surpris et même blessé des gens à sa sortie, en accusant le Carnaval de sexisme envers les jeunes femmes qui se présentaient au concours de Duchesses.

Plusieurs témoins de l’époque ont participé au reportage, réalisé l’an dernier (si je ne m’abuse). On y retrouve Favreau et sa collaboratrice France Capistran, qui défendent leur documentaire, ainsi que Pierre Villa (président du Carnaval en 1975) et Yves Chabot (qui sélectionnait les duchesses), offrant quant à eux un point de vue bien différent. Quelques anciennes duchesses viennent balancer le tout.

Le reportage s’avère des plus intéressants, surtout si l’on s’intéresse un tant soit peu à la question du féminisme.

Je n’ai pas vu le documentaire de Favreau, mais le reportage m’a donné le goût de le visionner. Apparemment, le film (d’environ 2 h 30) ne comporte aucune narration. Il s’agit simplement d’un exercice d’observation, où les images parlent d’elles-mêmes. On y voit – si je me fie à ce que le reportage télé montrait – de nombreuses scènes où les duchesses sont traitées comme des êtres sans cervelle, des idiotes qu’on parade sans que l’on s’intéresse à ce qu’elles peuvent penser. Certaines tombent d’épuisement dû aux exigences plutôt élevées que demande le rôle de duchesse. Et il est aberrant de voir (et surtout d’entendre), dans les extraits montrés,  les responsables de la sélection des duchesses – surtout Yves Chabot – faire preuve dans leurs propos d’un sexisme et d’une bêtise effarants.

Le documentaire, sorti en plein cœur de l’Année internationale de la Femme, a suscité de nombreux et houleux débats à l’époque, le Carnaval tentant – entre autres – de faire interdire sa distribution, en vain.

L’image des Duchesses a pris un vilain coup à la suite de ce documentaire, et le concours ne fut plus jamais le même, jusqu’à son annulation en 1996.

Aujourd’hui, en 2011, des sondages sont menés pour tenter de jauger l’intérêt du public envers cette compétition. Apparemment, 80 % de la population de Québec serait partante pour remettre sur pied le concours des Duchesses du Carnaval.

Comment justifie-t-on encore ce genre de compétition en 2011? Les Miss World, USA, Univers, les Duchesses ?

Des décennies de féminisme nous ont menés où ? À ça ? Et la question principale que je me pose : pourquoi les femmes continuent-elles de participer à ce genre d’événement dégradant ?

Et autre chose : comment les vieux machos, ceux qui avaient carte blanche avant que le « politically correct » ne prenne le dessus sur la

Robert Favreau

plupart des autres discours, se sentent-ils aujourd’hui ? Alors qu’on les musèle depuis des années, qu’on les sermonne, lorsqu’ils utilisent des expressions racistes, sexistes ou misogynes qui ont longtemps fait partie de leur vocabulaire ? J’imagine que souvent ça doit bouillir à l’intérieur.

Je voyais Pierre Villa dans le reportage qui regardait sur un écran derrière lui un extrait d’entrevue donnée par Robert Favreau en 1975, un jeune Favreau aux cheveux longs et moustache. Et Pierre Villa qui se retourne vers la caméra de Tout le Monde en Parlait et traite Favreau de « granola » et affirme ceci : « […] il y avait à une époque des gens qui avaient des styles qui ne correspondaient pas nécessairement à cette élite montante que nous étions, que nous essayions d’être. »

Ce genre de propos fait peur.

Et je ne me fais pas d’illusions sur le fait qu’une bonne partie de la population, bien que l’on croit naïvement avoir évacué de nombreux préjugés, continue d’entretenir en silence ce genre de pensée. Je n’ai qu’à penser à tout ce que je peux entendre dans mon entourage en termes de propos racistes et sexistes à peine déguisés en blagues pour m’en faire une idée.

L’animateur américain ultraconservateur Glenn Beck a déjà dit : « Political Correctness doesn’t change us, it shuts us up.

Voici un lien pour visionner l’épisode en question de Tout le Monde en Parlait. Cliquez ici.

Notice biographique

Jean-François Tremblay est un passionné de musique et de cinéma.  Dès un très jeune âge, il a fait ses études collégiales en Lettres, pour se diriger par la suite vers les Arts à l’université, premièrement en théâtre (en tant que comédien), et plus tard en cinéma.  Au cours de son Bac. en cinéma, Il découvre la photographie de plateau et le montage, deux occupations qui le passionnent.  Blogueur à ses heures, il devient en 2010 critique pour Sorstu.ca, un jeune et dynamique site web consacré à l’actualité musicale montréalaise.  Jean-François habite la métropole depuis 2007.   Il tient une chronique bimensuelle au Chat Qui Louche.

7 Responses to Rétrospective : Chronique urbaine de Jean-François Tremblay…

  1. Jean-Marc Ouellet dit :

    Mon cher Jean-François,

    J’ai la chance de travailler avec une ex-duchesse du Carnaval. Pour en avoir parlé avec elle, je peux vous dire que cette expérience lui a laisser une somme incroyable de bons souvenirs. Pour ces jeunes femmes, il semble que ce fut une expérience extraordinaire. Pendant des mois, elles ont vécu des rencontres et des expériences qui les font vibrer encore aujourd’hui, des dizaines d’années plus tard.

    Les Duchesses ajoutaient de la magie à la fête, du rêve. Il existe beaucoup de nostalgie à Québec de cette époque carnavalesque où ces femmes représentaient un duché, un secteur de la région. Il existait une certaine compétition pour voir sa représentante être élue Reine de l’événement. Cela faisait partie de la Fête, du jeu. Année après année des jeunes filles défilaient, espérant avoir « LA » chance de jouer ce rôle. Étaient-elles toutes masochistes à ce point pour subir le « sexisme » que certains ont bien voulu laisser croire pour dénigrer la Fête. Il n’y a rien de mieux que de sentir l’émotion d’une ancienne duchesse qui parle avec nostalgie de son expérience pour se rendre compte que si sexisme il y a eu, les principales intéressées étaient plutôt consentantes et n’en furent pas trop affectées.

    Les duchesses ajoutaient de la magie à la Fête. Leur départ laissa un vide, un vide que les gens de Québec, moi le premier, aimeraient bien voir comblé.

    Jean-Marc O.

    L

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    • JF Tremblay dit :

      Sans vouloir donner l’impression d’être de mauvaise foi, j’étais contre ce genre de « compétition/concours/événement » avant de regarder le reportage, et je le demeure.

      Je suis certain que pour plusieurs il s’agît d’une belle expérience. Je ne remets pas leur jugement en doute. Je crois simplement qu’il y a quelque de dégradant dans ce genre d’exercice.

      Selon le site du Carnaval, les aspirantes duchesses devaient exprimer par écrit leur désir de participer, mais d’après ce que j’ai vu du documentaire de Favreau, ce n’était par leur talent à l’écriture qui primait dans la sélection,

      Enfin, je n’ai pas vu le documentaire de Favreau, et on pourra toujours arguer du fait qu’il ne présente qu’un côté de la médaille. Mais à la base, je suis contre ce genre de compétition, qui ne repose pas sur le talent mais sur l’apparence et le charme.

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      • Jean-Marc Ouellet dit :

        À la base, je partage votre opinion. Tout sexisme est inacceptable, voire dégradant. Mais où est la limite du sexisme. Bien des télé-réalités (Occupation double et autres du même acabit ) foisonnent de sexisme. Pourtant, les cotes d’écoute sont élevées. Dans les galas de boxe, entre les round, de
        belles « demoiselles » se promènent en se dandinant . Les clips vidéos débordent de sexisme. Lady Gaga, Madonna en profitent. La publicité regorge de sexisme bien plus osé que ces jeunes filles qui se promènent dans des chars allégoriques recouvertes de beaux manteaux blancs pour vivre une expérience unique.

        Jean-Marc O.

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  2. pierre patenaude dit :

    Bonjour,
    Les artistes – plus souvent qu’autrement – nous donnent l’illusion de vivre dans un monde meilleur où il devient possible d’être des humains et non des bêtes comme on voit à la télé – surtout depuis hier.
    pp

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  3. pierre patenaude dit :

    l’affaire Dsk, Jean-François, malgré le droit à la présomption d’innocence. Cela fait ressurgir tout le mal fait aux femmes et aux humains qui, par leur bonnes actions, ne méritent pas de souffrir. Tout ceux et celles du bord de Jean Vannier -du moins qui lui arrivent à la cheville, ce qui est déjà beaucoup.
    Pierre le moralisateur de Chambord boucane

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