Reprise : Billet de Milan, par Clémence Tombereau…

18 juillet 2013

Sous les feuilles

Les arbres dans le parc fêtent l’automne, maquillés de feuilles orange qui se prennent pour de petits soleils. La saison palpite encore un peu, flamboyante, en annonçant l’inéluctable déclin de la nature. Les végétaux sont de feu avant de, lentement, avec pudeur, se dénuder et montrer leur noirceur, si fragiles, si faillibles, si vrais. Tu enviais la nature. Tu enviais les arbres, même s’ils avaient l’air aussi faux que tout le reste. Tu enviais leur indifférence, leur façon de laisser passer le temps et, par là même, de le vaincre éhontément. Tu aurais donné ton âme, ce truc informe, insignifiant, pourri jusqu’à l’os par des lois idiotes, tu aurais donné ça pour être un arbre, même cinq minutes. Mais l’arbre ne veut pas de toi. Pire : il ne veut SURTOUT PAS être toi. Pas fou, l’arbre. Pas maso. Il voit bien, de ses branches, de son tronc, impassible, ce que deviennent les hommes. Il a mieux à faire. Les feuilles mortes sous tes pieds réagissent mollement à ton passage. Tu voudrais être une feuille, même morte. Même laide. Mais la feuille non plus n’est pas complètement folle. Elle préfère mille fois, après avoir vécu de sève et de vent, se faire marcher dessus plutôt que d’être celui qui marche et qui ignore, dans le fond, d’où il vient et où il va.  Envie de t’allonger sur ce matelas, de plonger tout ton être dans cet humus odorant, de t’y noyer. Envie que les autres te marchent dessus en t’ignorant. Et tu crisserais avec tes sœurs, et tu pourrirais avec elles, indifférent à tout. Tu deviendrais l’humus. Tu serais bien, si bien. Si loin de ta lutte, de ta quête, de ces lettres qui te torturent, de ces sourires moches. Tu seras le sol et léger comme l’air. Avec un peu de chance, tu ne seras plus encombré par ton âme. Tu foules les feuilles. Tu humes leur parfum marron. Mais. Tu. Ne. Peux. Te coucher dans les feuilles. Tu. Ne. Peux. Faire. Différemment des autres. Risquer de les surprendre. De les alerter. De les choquer. Un homme, un adulte, aujourd’hui ne se jette pas dans les feuilles. Un homme ne fait pas ça. Il n’est pas végétal. Il est un pauvre bougre et tu es comme cela. Tu t’arrêtes.  Regardes tes pieds. Les feuilles. Tes pieds sur les feuilles, presque rongés par elles. Et les insectes, sûrement, que tu écrases à chaque pas, que tu coupes en plein élan vital. Les insectes qui n’ont pas l’obligation d’afficher cette cicatrice qui se prend pour un sourire. Tu regardes tes pieds sur les feuilles, tes pieds dans les feuilles. Tu essaies de n’être qu’un corps, qu’une paire de pieds.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née  à Nîmes en 1978. Après des études de lettres classiques, elle a enseigné le français en lycée pendant cinq ans.  Elle vit actuellement à Milan, en Italie.  Finaliste du prix Hemingway en 2005, lauréate cette année du concours littéraire organisé par le blogue Vivre à Porto, elle a contribué à la revue littéraire Rouge-déclic (numéro2) et elle nourrit régulièrement un blogue que vous que vous auriez intérêt à visiter :http://clemencedumper.blogspot.com/  (Clémence Tombereau vient de publier aux Éditions du Chat Qui Louche Fragments, un recueil de billets que vous pouvez vous procurer en version numérique pour un prix plus que modique à l’adresse suivante :http://www.editionslechatquilouche.com/)