Humour médical, par Sophie Torris…

Comment improviser un bœuf… chirurgical

Cher Chat,

Je reviens d’un petit séjour à l’hôpital.  Loin de moi, l’idée d’en faire tout un foin, mais comme on m’y a traitéealain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec comme du bétail, je cède à la tentation de cultiver ici une analogie agricole puisque, de l’hôpital à la ferme, il semble n’y avoir qu’un pas.

Il fait donc un temps de cochon ce matin-là, quand, arrivée au pied de la maison de santé, je cherche en vain à me garer.  Je me suis pourtant levée avec les poules, mais la basse-cour au complet m’y a devancée et le stationnement est plein comme un œuf.

En fait, non.  Le champ est libre.  Juste devant la porte, de quoi ranger en épi une bonne trentaine de montures.  Je ne suis pas une poule mouillée et je me dis que, pour une fois, je vais profiter de mon infirmité pour faucher une de ces belles places pour handicapés.  Quelle n’est pas ma surprise de constater que les docteurs ont priorité !  Je ne veux pas semer le chaos, le Chat, mais n’est-ce pas le rôle du médecin de prendre soin de nous ?  Et non l’inverse ?  Enfin, comme je vais mettre ma vie entre leurs mains, je préfère que le bonheur soit dans leur pré et je pars me garer dans le champ du fond.  C’est donc sur une bonne centaine de mètres que je lutte contre un vent à décorner les bœufs.  Je ne suis pas seule, et parmi ce cheptel sans panache et claudiquant, certains sont bien moins vaillants que moi.  Devant l’entrée du bâtiment, les places réservées sont toujours en jachère.

Mais poursuivons la pastorale, cher Chat, et entrons dans le hall où se tient une symphonique foire au bétail.  Là, juste après le tourniquet, un gardien de sécurité me somme de me désinfecter les mains et, suspectant chez moi des allures de vache folle, m’impose de pied ferme le port du masque stérile.  Autour de moi, suspicieux, les appendices nasaux se voilent, et on pourrait se croire en pleine période d’épandage.  C difficile à croire, mais actuellement, on peut ressortir de l’hôpital plus malade qu’on ne l’est.

Je me dirige ensuite vers le centre de tri.  J’y sème mon nom pour récolter un code que l’on me tague autour du poignet et qui m’indique le numéro de ma prairie.  Là, nous sommes une cinquantaine, convoqués tous à la même heure, à attendre, pour les moins chanceux toute la journée, qu’une place à l’étable se libère.  Certains sont même accompagnés.  Faut-il à ce point faire perdre un temps précieux à tout ce petit monde pour que le médecin ne perde pas le sien ?  L’hôpital n’est-il pas avant tout un service pour les malades ?  Les 50 % d’impôts que nous y consacrons en laissent pourtant plus d’un sur la paille, non ?  Alors pourquoi semble-t-il uniquement conçu pour faciliter la vie du médecin ? Je tiens à ajouter que je suis déjà venue attendre deux matinées dans cette prairie, sans brouter évidemment, il faut être à jeun.  J’ai donc deux fois déjà pris congé et réorganisé mon temps de travail, pour qu’on m’envoie à chaque fois, plusieurs heures après, sans même marcher sur des œufs, me faire cuire un œuf.  Je ne sauve pas de vies, certes, quoiqu’éduquer des jeunes puisse en sauver quelques-unes.  J’en déduis donc que je n’ai sans doute pas le champ de compétences assez fertile pour qu’on me moissonne à la date convenue.

Si j’ai donc dû prendre la clé des champs deux fois, il semble que cette fois-ci soit la bonne.  Je suis en tête du cheptel et on appelle rapidement mon numéro de code.  Je laisse derrière moi, dans la prairie, le reste du troupeau qui végète tandis qu’on m’installe dans un des six box de l’étable attenante.  Le processus de dépersonnalisation se poursuit, teinté d’un soupçon d’infantilisation.  On doit me prendre pour une oie blanche.  On me parle à la troisième personne en prenant soin de bien articuler : « Elle s’allonge ici, elle se déshabille, elle noue sa jaquette par l’arrière, elle a bien compris ? » Quand je suis allongée et bleue de la tête (petite calotte de papier très seyante) aux pieds (petites calottes identiques), je deviens le clone clownesque des cinq autres.  Je n’ose pas en rire même si je vous assure, le Chat, que mon sextuor fait un effet bœuf.

On me signifie alors solennellement en asseyant chacune des prestigieuses syllabes sur un piédestal : « Elle doit maintenant attendre le mé-de-cin.  Elle a compris ? » Elle n’est pas bête quand même.

Me voici enfin sur la table d’opération, quoique complètement hors champ.  On a tendu un drap bleu entre ma tête et le reste de mon corps.  Je ne vois pas le mé-de-cin arriver.  Il me charcute adroitement sans un mot de bienvenue.  Ce n’est pas un boucher, certes, mais je suis bel et bien un morceau de bidoche.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecNous sommes des milliers de poules aux œufs d’or pour les médecins qui sont formés gratuitement, puis payés grassement.  Je ne remets pas en doute leurs compétences, mais l’organisation du système médical et la conscience sociale de certains.  Je suis copine comme cochons avec des infirmières et des médecins passionnés et généreux.  Loin de moi, l’idée de mettre tous les œufs dans un même panier.  J’en viens juste à me demander, cher Chat, si le corporatisme médical en défendant autant les intérêts des médecins ne s’est pas chargé de faire oublier à certains le serment qu’ils ont prêté à Hippocrate.

De retour à l’étable, toujours pas de médecin.  Il est dit qu’on ne traira pas les vaches ensemble.  On me transmet de sa part une ordonnance.  Je souris.  Il écrit comme un cochon.

Sophie ou Tag 425522

Notice biographique

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis 15 ans. Elle vit à Chicoutimi où elle enseigne le théâtre dans les écoles primaires et l’enseignement des Arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire. Parallèlement à ses recherches doctorales sur l’écriture épistolaire, elle entretient avec l’auteur Jean-François Caron une correspondance sur le blogue In absentia à l’adresse : http://lescorrespondants.wordpress.com/.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

8 Responses to Humour médical, par Sophie Torris…

  1. Jean-Marc Ouellet dit :

    Ma très chère Sophie,

    Depuis quand les médecins décident tout de l’organisation du système de santé, du moins au public. Si tu savais ma pauvre Sophie! Tu cible mal le problème. Je ne sais pas où tu as eu ces soins, mais au public, essaie pour voir de renvoyer quelqu’un qui a le  » elle  » facile. Tu iras de grief en grief jusqu’à en perdre ta bonne humeur et ton humanisme. J’aurais tant de choses â dire. Je m’arrête là.

    D’un mé-de-cin, pas corporatiste pour cinq sous, chef de département clinique, qui se bat contre la bureaucratie hospitalière depuis des années.

    Jean-Marc.

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    • Anonyme dit :

      Cher Jean-Marc,
      Je m’attendais à un commentaire de ta part . Je crois me rappeler que tu es anesthésiste et sans aucun doute passionné par ton métier. Il ne faut pas oublier que le premier prétexte de mes chroniques, c’est de jouer avec les mots, étirer des analogies et accéssoirement pousser des p’tits coups de gueule et provoquer la réflexion des lecteurs et la discussion. Je n’ai pas la science infuse. J’écris avec mon coeur sur des impressions. D’ailleurs je pose rarement des affirmations. Mes textes sont souvent à la forme interrogative.
      Je joue sur l’exagération, la métaphore filée et j’excuse dans ce texte même ma caricature en disant qu’il ne faut pas mettre tous les oeufs dans le même panier. Je ne pense pas avoir écrit que ce sont les médecins qui décident de l’organisation du sytème de santé. Ce que je sais, c’est que j’y ai perdu moi-même du temps et que j’ai par la même occasion fait perdre de l’argent aux contribuables (puisque trois fois, j’ai du prendre un arrêt de travail). Je suis un tout petit peu énervée aussi parce que j’attends un poste de prof depuis des années, qu’il manque indéniablement de profs en enseignement des arts à l’université, ici à Chicoutimi et que les postes affichés récemment risquent d’être coupés ou suspenpendus et j’apprends parallèlement que le salaire des médecins va être augmenté.
      http://www.lapresse.ca/le-soleil/affaires/actualite-economique/201301/27/01-4615547-fonction-publique-quebec-decrete-un-gel-des-embauches.php

      L’anesthésiste était charmant et humain, mais oui, il y a aussi des médecins froids et distants qui ont l’air de se croire sortis de la cuisse de Jupiter, parce qu’ils se pensent l’élite de la société. Là aussi, c’est une impression, mais j’aurais aimé au moins un petit mot de bienvenue avant qu’il ne joue du scalpel. Je l’avais rencontré, il y a plus d’un an quand il a posé le diagnostique. Je ne me souviens plus de son visage.

      Mon cher Jean-Marc, je comprends tout à fait ton commentaire et puis je pense que nous luttons tous les deux pour la même chose…Cette bureaucratie hospitalière.
      Je trouve aussi que la corporation des médecins a trop de pouvoir…
      Mais bon, moi aussi j’arrête là…
      En tous cas, la vie est belle. J’ai eu d’excellents soins et je m’ennuie chez moi en congés forçés. :)

      Au plaisir!
      J’aimerais bien un jour qu’on discute de tout cela en tête à tête.
      Sophie

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      • Jean-Marc Ouellet dit :

        Le débat sur le salaire des médecins ne pourra se régler ici. Hélas, il est basé sur les préjugés et l’ignorance. On tient rarement en compte les années d’étude, les heures travaillées, les nuits aux chevets des malades pendant que tous se reposent dans leur lit douillet, les frais de bureaux, l’absence total de fond de pension. Imagine ce que représente les sommes reçues par des gens qui prennent leur retraite à 55 ans. Des médecins travaillent encore à 70 ans pour vivre.

        J’adore tes textes. Ils sont amusants, superbement écrits et absolument pertinent. Celui-ci me titille cependant parce que un, il attaque la crédibilité de la profession, deux, il laisse croire que les médecins sont responsables des défaillances du système alors que leur rôle est limité dans sa désorganisation. Les médecins subissent eux-aussi. Finalement, les médecins n’ont pas l’exclusivité de l’air bête. Il y en a dans tous les domaines. De plus, j’aimerais mieux me faire charcuté par un doc compétent, avec moins d’entre-gens, que par un désinvolte souriant mais malhabile.

        Mon commentaire ne critique surtout pas la forme, toujours merveilleuse, au contraire. Mais le contenu m’apparaît injuste, et une mise au point était nécessaire.

        Il serait bien sûr intéressant de pouvoir en jaser un jour.

        Au plaisir.

        Jean-Marc

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  2. Anonyme dit :

    J’ai autant d’années d’étude. La nuit, je corrige des tonnes de copies. Entre chaque cours, j’épaule, je soigne parfois les bobos de l’âme de mes étudiants. Je serai bientôt docteur moi aussi. En lettres. Mais moi, en sortant de ce long cursus universitaire, je ne peux pas compter sur une sécurité d’emploi et encore moins espérer une retraite.
    Au contraire, je trouve que c’est bon d’attaquer la crédibilité de la profession de temps en temps…. Je pourrais trés bien le faire avec les universitaires…Parce que de l’abus, des profiteurs et des désinvoltes malhabiles..tu as bien raison, il y en a partout.
    Mes amitiés mon cher Jean-Marc.
    Sophie

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    • Jean-Marc Ouellet dit :

      Comme je le disais, nous ne réglerons pas le sujet ici. Je ne connais rien de ta situation, ou de la situation des autres professeurs, comme je ne sais rien des avocats, des mécaniciens, des éleveurs de porcs. Je sais que ceux qui travaille fort mériteraient mieux, que les air bête, les désinvoltes, les profiteurs, et tous ceux du même acabit devraient changer de domaine, Il y a toujours danger de généraliser quand on traite le particulier.

      Mes amitiés, Sophie

      Jean-Marc

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  3. Anonyme dit :

    Je comprends que ce sujet te touche particulièrement Jean-Marc. Mais c’est le propre de mes chroniques de généraliser…Toutes les belles-mères sont loin d’être excécrables et pourtant je leur ai fait leur fête à toutes dans une précédente chronique.
    Je me suis même moquée de moi-même et de mes pairs, les enseignants…
    Ne réglons surtout pas le sujet, il faut que je puisse encore m’interroger, douter, rêver mieux si je veux encore écrire :)…
    Bonne soirée
    Sophie

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    • Sophie dit :

      On pourrait prendre l’expression « faire le pied de grue » au propre comme au figuré. ;)
      Mais, trêve de plaisanterie… tu as raison, dans les hospitalisations au long cours, l’affection indéfectible que les animaux vouent à leur maître pourrait certainement contribuer à leur guérison.

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